Chapitre 57 : Les Moroshiwas

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– Tout va bien, ce sont les Moroshiwas ! lança Avorian.

 Soudain, on m’empoigna par la taille pour me soulever le long de l’arbre. Quelqu’un me transporta jusqu’à une branche, où je découvris deux magnifiques humanoïdes à la peau verte. Celui qui venait de me hisser là-haut était pendu par les genoux à une branche, la tête en bas à la manière d’un trapéziste, les bras pointant vers le sol. L’autre se tenait assis à mes côtés.

 Je portai mon regard un peu plus loin, vers l’arbre d’Orialis, et observai un autre Moroshiwa qui s’apprêtait à saisir Avorian pour l’aider à monter. Le corps du mage s’éleva dans les airs avec légèreté, guidé par la poigne ferme de nos nouveaux alliés. J’étais sidérée par leur force, et fascinée par leur yeux jaunes, brillant comme de l’or. Des sortes de fougères remplaçaient leurs cheveux.

 Dans cette pénombre, ils m’apparaissaient comme androgynes. J’en dénombrai quatre : deux avec moi, deux autres auprès de mes amis. Curieusement, mes sauveurs fermèrent leur paupière à l’unisson. Un halo doré apparut, puis s’élargit pour finir par complètement nous entourer. Nous nous retrouvâmes tous trois enfermés dans une espèce de sphère géante. Elle se mit à bouger, puis à léviter. Je laissai échapper un petit cri lorsque nous décollâmes. Les deux Moroshiwas m’invitèrent à m’asseoir sur cette étrange substance, un doux sourire aux lèvres. Leur présence bienveillante me rassurait.

 Je percevais au loin Avorian et Orialis à bord d’une deuxième bulle, voyageant avec les deux autres créatures. Je me sentis comme envoûtée, me laissant transporter par cet instant magique. Nos sphères nous emmenaient lentement vers la canopée. J’aurais presque pu m’endormir, bercée dans notre envol. Le voyage dura environ une heure, sous un ciel crépusculaire. Nos bulles entamèrent enfin leur descente.

 Ô splendeur ! Je distinguais en contrebas une habitation ronde, sertie dans les arbres, comme une extension même du tronc. De larges plateformes se logeaient au niveau des branches. Nos bulles arrivèrent enfin à destination, se posant délicatement sur le sol de la forêt. Une sorte d’ouverture en arche se créa instantanément. Nous sortîmes de ces curieux modes de transport. J’observai un instant nos quatre gardiens : deux êtres féminins, vêtus de larges feuilles couvrant leurs poitrines et leurs jambes, et deux hommes habillés d’un simple pagne végétal. Sans un mot, l’une des Moroshiwas nous fit signe de la suivre. Mes amis me rejoignirent pour marcher à mes côtés. Avorian m’expliqua en chuchotant que ce peuple extraordinaire maîtrisait parfaitement l’art de la lévitation.

 Après quelques pas, nous arrivâmes à un point d’eau. La belle créature qui nous servait de guide nous invita à nous laver – nous étions couverts de boue. Sa longue chevelure végétale aux petites feuilles lancéolées dégringolait jusqu’en bas de son dos. Ses lèvres mauves ressortaient joliment sur son teint jade.

 Nous la remerciâmes tout en ôtant nos vêtements, bien trop sales et épuisés pour nous sentir gênés par notre nudité. En un accord tacite, nous détournâmes simplement le regard, par pudeur.

 J’entrai dans la petite mare. Son eau claire était fraîche, pour ne pas dire glacée. J’inspirai à fond, me donnant le courage de m’immerger. Je ne pus réprimer un petit cri, transie de froid. Chacun dans un « coin » du bassin, le dos tourné aux autres, nous frottâmes vigoureusement nos corps maculés de terre, dans le but d’en finir le plus vite possible. Heureusement, il me restait une bonne quantité de savon et de shampoing solide ; et même de la précieuse huile nourrissante offerte par Kaya. Je sortis promptement de l’eau pour me sécher avec énergie. Au moins, cela avait eu l’avantage de nous réveiller net.

 Après notre toilette, notre guide nous emmena dans la maison en bois. De longues plantes séchées et tressées faisaient office de toit. On aurait dit une jolie cabane dans la forêt. À l’intérieur, nul objet, ni meuble : juste un espace pour dormir, tapissé d’une mousse qui, rien qu’à la vue, semblait fort moelleuse.

– Reposez-vous ici.

– Merci de nous avoir protégés, dit respectueusement Avorian.

– Merci à vous de protéger Orfianne, nous répondit-elle. Mangez ceci avant de dormir. Nous veillerons sur vous cette nuit, et demain, vous pourrez repartir vers une terre plus sûre.

 Nous la remerciâmes, louant la bonté de son peuple. Elle nous tendit quelques fruits orangés, puis notre échange s’arrêta. La Moroshiwa quitta notre logis en refermant doucement le rideau végétal qui servait de porte.

 Nous dévorâmes les fruits et nous allongeâmes sans tarder, gagnés par le sommeil. Je n’arrivais pas à réaliser ce qui venait de se produire tant je me sentais épuisée. Je m’enfouis dans les bras d’Orialis, trouvant auprès d’elle un peu de chaleur et de réconfort. La Noyrocienne resserra son étreinte et posa sa tête contre moi.

 Nous allions pouvoir passer la nuit en toute sécurité, protégés par ce peuple de la forêt.

 L’épuisement eut raison de moi et m’emporta dans le monde des songes.

 Malgré la mousse duveteuse, je m’éveillai courbaturée. Notre bataille contre la boue, la veille, avait malmené mes muscles. Le soleil pointait enfin son nez ce matin, fort heureusement pour Orialis. À la vue des rayons lumineux traversant le voile végétal, cette dernière bondit de notre petite maison. Je la suivis pour m’étirer. Elle grimpa le long de l’arbre avec agilité, le plus haut possible, puis se percha sur l’une des plateformes afin d’absorber un maximum d’astinas, cette fameuse nourriture indispensable à sa survie.

 « Bon appétit, Orialis ! » lui lançai-je.

 Elle me répondit par un petit signe de la main, le sourire aux lèvres.

 Une Moroshiwa vint à ma rencontre, un bol en céramique à la main. Elle me le tendit, et je bus un jus couleur vert olive, au goût sucré, rafraichissant.

 Quel regard pénétrant ! Ses incroyables pupilles jaune-or me fascinaient. En la remerciant, je regardai un peu partout autour de moi et remarquai que seuls six Moroshiwas nous accompagnaient. Cet endroit ne ressemblait guère à un village, mais plutôt à un point de ralliement. Je m’en ouvris à notre bienfaitrice, qui m’expliqua que leur peuple n’habitait pas ici ; il s’agissait d’un simple campement, provisoire. Nos quelques protecteurs surveillaient l’évolution des créatures de l’ombre dans cette forêt. En véritables gardiens de la nature et de ses habitants, ils s’assuraient qu’elles ne ressortent pas de Lillubia. Les plateformes qu’ils avaient construites dans l’arbre servaient de postes d’observation. Nos sauveurs nous avaient repérés depuis un moment, et effectivement assuré notre sécurité, à distance.

 Celle qui s’était occupée de nous se prénommait Imaya. Elle nous offrit un petit-déjeuner composé de légumes verts et de fruits. Nous nous assîmes par terre pour le déguster. Orialis et Avorian eurent droit à la délicieuse boisson que je venais d’avaler. Les cinq autres Moroshiwas vinrent nous saluer. Ils parlaient peu, en effet, et se montraient réservés, tout en prenant néanmoins soin de nous.

 Avorian leur évoqua notre quête, et nos difficultés avec les Métharciens.

– Notre Gardienne, Asuna, chemine elle-aussi vers le Royaume de Cristal, nous apprit Imaya. Nous serions rassurés si vous parveniez à la trouver. Vous pourriez alors voyager avec elle. Asuna est très jeune.

– N’est-elle pas accompagnée ? demanda Orialis.

– Si, et notre discrétion joue en notre faveur. Mais est-ce bien suffisant face aux hordes de Métharciens et aux ombres ? Avorian, vos talents sont reconnus sur Orfianne. Pourriez-vous également protéger notre Gardienne ?

– Bien-sûr. Savez-vous où elle en est dans son voyage ?

– Elle devrait bientôt atteindre la cité Nord de notre peuple. Elle est censée y faire une pause.

– Au Nord-Est de la forêt des Myrias ? vérifia Avorian.

– Oui, exactement. La cité se trouve sur votre chemin. Vous pourriez y faire une halte.

 Notre repas terminé, nous promîmes à Imaya et aux siens de chercher leur Gardienne, et de veiller sur elle jusqu’au Royaume de Cristal. De son côté, Imaya préviendrait les Moroshiwas de notre venue par des moyens télépathiques.

 Nous ne pouvions séjourner ici plus longuement. Pour nous dire adieu, les Moroshiwas prirent l’une de nos mains dans les leurs, fermant les yeux, concentrés, comme s’ils voulaient ressentir notre énergie, en nous sondant. Ce geste n’en restait pas moins chaleureux. La méditation dura quelques minutes, intenses et belles.

En lâchant ma main, Imaya souffla :

– Asuna… est ma fille. J’ai conscience de l’importance de sa quête… mais je ne peux pas l’accompagner. Il y a trop à faire ici.

 Elle nous donna le sens profond de cet aveu par l’expression de ses yeux.

 Je me sentis pleine d’empathie envers elle, ainsi qu’Avorian, qui n’avait même pas pu sauver son propre enfant. Ce dernier lui rendit son regard, résolu. Il hocha lentement la tête en une promesse silencieuse. Imaya pouvait compter sur nous.

 Je les observais, émue. Mon ami en ferait une affaire personnelle. Une fois retrouvée, Asuna serait entre de bonnes mains.

 Les Moroshiwas nous indiquèrent le chemin que nous devrions emprunter pour quitter la forêt. Grâce au voyage d’hier, par la lévitation, nous avions bien progressés ; nous nous trouvions désormais proches de la sortie.

 Nos gourdes remplies à ras bord et nos sacs garnis de quelques provisions supplémentaires, nous repartîmes sur les sentiers étroits, le cœur plus léger. Je me rendais compte de la chance que nous avions eue, et ce, tout au long de notre voyage. Nous avions reçu l’aide des fées, d’un Limosien, puis du peuple des Komacs. Nous avions sauvé une Noyrocienne, et rencontré les valeureux Moroshiwas, les guerriers du silence.

 Malgré toutes ces embûches, Orfianne demeurait toujours, à mes yeux, une planète hospitalière.

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