Chapitre 53 : Emprisonnée

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 L’homme masqué me prit doucement la main pour m’éloigner du royaume.

 « Je suis là », entendis-je dans ma tête.

 Puis il disparut. Tout alla très vite. Je vis la forêt, le bâtiment, la grotte où reposait mon corps auprès Avorian.

 Mon âme regagna enfin mon corps, sa maison.

Ça y est… mon cœur bat à nouveau.

 Je sentis le sang circuler dans mes veines, accompagné d’une douce chaleur. Avant d’ouvrir mes paupières, je pris le temps de laisser les sensations affluer dans ma chair. Comme il est bon de ressentir en soi la caresse de la Vie. J’inspirai, puis soufflai doucement.

 J’offris mon premier regard à Avorian. Les gardes m’avaient relâchée, nous offrant un peu d’espace.

 Mon ami releva la tête, me gratifiant de son plus beau sourire. Son visage exprimait le soulagement, la reconnaissance. Avant même que je reprenne mes esprits, il me serra tendrement dans ses bras.

– Nêryah ! Oh... ma petite Nêryah ! Tu m’as fait si peur ! Je sentais que tu étais en vie, mais tu ne te réveillais pas ! sanglota-t-il en resserrant son étreinte.

 Il me donna à boire tout doucement.

 À peine avais-je avalé deux gorgées qu’un Métharcien retira mon sac de mon épaule, puis me souleva. Avorian protesta, brandissant sa gourde. Quatre gardes l’empoignèrent fermement. Ils nous entraînèrent dans un petit renfoncement jouxtant la grotte principale, puis nous laissèrent dans un sombre cachot. Une curieuse substance violette en referma immédiatement l’entrée.

 Le Guéliade m’installa du mieux qu’il put en déposant sa propre cape par terre, à défaut de nos couvertures, restées dans nos sacs. Je m’allongeai sur ce lit de fortune, encore trop épuisée pour pouvoir tenir debout. Je flottais toujours dans une sorte de rêve.

 J’entendis du bruit derrière nous ; nous n’étions pas seuls. Quelqu’un s’avança vers nous.

– Qui êtes-vous ?

 C’était une voix de jeune femme, parlant l’Orfiannais.

– Je suis Avorian et voici Nêryah.

 Sur ces mots, il prit doucement ma main, comme pour m’empêcher de repartir vers les cieux.

– Avorian ? répéta la voix. Je connais ce nom…

 Le Guéliade fit apparaître une boule de lumière qu’il déposa au sol. Je distinguais clairement à présent la personne en face de nous : une Orfiannaise au visage très étrange, d’une beauté troublante.

 Je me redressai légèrement pour la regarder. Son corps élancé et svelte rappelait celui d’une humaine. Mais de ses paupières et sourcils sortaient horizontalement de fines antennes dorées, recourbées à leur extrémité. Elles allongeaient gracieusement les traits de son visage resplendissant. Quatre autres antennes prolongeaient son crâne, toutes arrondies et se terminant en spirale, me confirmant son identité. Je me souvenais bien des trois Noyrociens arrivés par vaisseau spatial, chez Avorian.

 L’étrange couleur de ses yeux, mêlant le gris et le jaune, apportait une touche de mystère à son regard. Sa peau couleur vert-pâle brillait sous la faible lueur de la sphère du mage. Ses lèvres naturellement rosées sublimaient son visage si harmonieux. Elle était vêtue d’un foulard gris qui cachait uniquement sa poitrine avec une longue jupe anthracite, fendue sur un côté. J’observai son nombril en forme de petite spirale dorée, signe distinctif des habitants de cette planète. Mon regard se porta ensuite sur ses cheveux verts, mi-longs, ondulant le long de ses épaules dénudées. De jolis bracelets dorés s’enroulaient avec élégance autour de ses poignets.

 Il se dégageait d’elle une grande sérénité, malgré sa situation. Sa beauté époustouflante me réveilla en faisant battre mon cœur encore plus fort. Je ne pouvais plus détacher mes yeux de cette splendide Noyrocienne aux antennes dorées.

– À qui avons-nous l’honneur ? demanda le mage poliment.

– Je m’appelle Orialis, répondit-elle. Êtes-vous blessés ?

– Nous avons été attaqués. Nêryah avait une grave plaie à l’épaule. J’ai pu la soigner.

 Il lâcha soudainement ma main, comme si ses réflexions intérieures prenaient le dessus.

 Je commençais doucement à émerger. Je me positionnai assise pour prendre part à la conversation :

– Je suis encore très secouée, murmurai-je d’une voix faible. Les créatures ont failli m’atteindre avec leurs rayons mortels, mais la Pierre de Vie m’a sauvée à temps… J’ai eu beaucoup de chance.

 Mon ami se mit juste derrière moi, me tenant par les épaules d’un geste protecteur. Je me reposai contre lui.

– Vous êtes donc des Gardiens…, réalisa Orialis.

– Depuis combien de temps te retiennent-ils ici ? s’enquit le mage.

– Un peu moins d’une phase[1]. Je n’en peux plus… je suis contente de pouvoir enfin parler à quelqu’un. J’ai tenté l’impossible mais il n’y a aucune issue.

– Que s’est-il passé ? poursuivit-il.

 J’écoutais leur échange, somnolente, toujours blottie dans les bras d’Avorian.

– C’est une longue histoire. Nous devions nous rendre au Royaume de Cristal avec les Ewaliens pour y apporter nos Pierres de Vie respectives. La demande du Sage Orion commence à s’ébruiter sur Orfianne… L’ennemi sait que nous transportons nos Pierres, si convoitées, jusqu’au Royaume. La Gardienne de notre peuple a pu s’enfuir, mais ces monstres m’ont enlevée pour que je serve de monnaie d’échange… ma vie, contre notre Pierre ! Ils me gardent vivante pour cette unique raison. J’ai essayé plusieurs fois de m’enfuir d’ici, en vain.

Les Ewaliens, me remémorai -je, les sirènes d’Orfianne. Quelque chose m’interpellait dans ses propos. Je rouvris un instant les yeux pour reprendre la parole :

– Je ne comprends pas, pourquoi les Métharciens convoitent-ils vos Pierres ? Ils ne viennent pas d’Orfianne et ne possèdent pas de Pierre de Vie si je me souviens bien. Ils ne peuvent donc pas non plus les utiliser.

– Effectivement, les Pierre de Vie sont nées avec les peuples d’Orfianne. Or, les Métharciens sont venus coloniser notre planète postérieurement, me confirma Avorian. Ils n’ont pas vraiment de terres, ni de dynastie.

– Mais leur plus grand rêve est d’en posséder une, compléta Orialis.

– Ne savent-ils pas que la Pierre choisit elle-même son Gardien ?

 Je m’enflammais, et mon corps me le faisait comprendre. Je respirai calmement.

– Oh, que si ! s’exclama la Noyrocienne. Ils demeurent persuadés qu’à l’aide de leur étrange technologie, ils parviendront à déclencher et détourner le pouvoir des Pierres. C’est illusoire ! La magie ancestrale de nos joyaux dépasse largement leurs ambitions.

– Les Pierres des différents peuples peuvent fusionner en une seule, m’expliqua Avorian. De cette union naît un pouvoir inimaginable. C’est pour cette raison que le Sage invite tous les Gardiens d’Orfianne.

– Un pouvoir capable de tous nous défendre, ajouta Orialis.

 Je songeai à Kaya. Elle m’avait montré la pierre rouge des Komacs, me confiant qu’il en existait plusieurs sur Orfianne. Nous avions récupéré notre joyau argenté, dernier vestige des Guéliades. Ces trésors engendraient donc guerres et convoitises… les mêmes maux que sur la Terre !

– Les Métharciens semblent avoir pactisé avec les ombres, déclara le mage. Tout a été manigancé pour obtenir nos Pierres de Vie.

– J’en déduis à cette sphère de lumière et à vos pouvoirs de guérison que l’un d’entre vous est le Gardien des Ênkelis, supposa Orialis. Je pensais qu’il avait disparu. C’est parfait. Nous allons donc pouvoir nous échapper. Avez-vous encore votre Pierre ? Essayons de détruire ce bouclier.

 La Noyrocienne désigna l’étrange sas violet, une forme de magie opaque qui ne lassait rien voir de l’extérieur.

– Je n’en ai pas la force, contesta Avorian en me caressant les cheveux. Cette barrière est trop puissante, et j’ai tout donné pour guérir Nêryah.

 Pourquoi ne lui avouait-il pas que nous étions des Guéliades, et non des Ênkelis ? Je me souvenais que ces deux peuples étaient très proches, aussi bien physiquement que dans la manifestation de leur magie. Avorian semblait vouloir jouer cette carte de la ressemblance, pour cacher notre identité. Après tout, les Guéliades étaient censés être tous morts. Et surtout, il laissait penser que c’était lui, le Gardien ! Ne faisait-il pas confiance en notre nouvelle camarade d’infortune ? Pour ma part, j’appréciais sa compagnie.

 Je jugeai bon de me taire, ne pouvant pas deviner les intentions du mage.

– Même si l’on parvenait à sortir d’ici, il faudrait ensuite traverser la grotte, où d’autres Métharciens surveillent, reprit-il.

– Mais on peut créer un transgèneur, non ? soufflai-je discrètement.

– Malheureusement non, avec toute la magie que je viens d’utiliser, j’en suis incapable… et puis nous sommes trois. Même au sommet de ma forme, j’aurais du mal à faire voyager autant de corps avec le mien dans la non-matière.

– Et le pouvoir de notre Pierre ? proposai-je en tapotant ma poitrine.

 Ce geste me fit songer à la fleur, que je gardais aussi tout contre moi.

– Surtout pas ! Une telle puissance laisse des traces : le meilleur moyen pour nous faire remarquer par tous nos ennemis, développa Avorian.

– Alors… la fleur magique d’Ariana ? Elle m’a dit que dans un cas aussi désespéré que celui-ci, je pouvais en détacher un pétale.

– Oui, mais n’oublie pas que tu ne disposes que de six pétales, me rappela-t-il.

– C’est mon cadeau. Je prends l’entière responsabilité de cette décision, proclamai-je, déterminée.

 Je me sentais de toute façon bien trop affaiblie pour pouvoir utiliser ma propre magie.

 Je sortis délicatement la fleur de ma tunique. Orialis lâcha un « oh ! », contemplant la beauté des pétales rosés et scintillants. Je remarquai qu’elle avait pu conserver son sac. Sans doute l’avaient-ils déjà fouillé, et rien trouvé d’intéressant.

– Quelle est la propriété de cette fleur ? demanda-t-elle.

– C’est un moyen de quémander l’aide de la reine des fées, lui expliquai-je.

 Je pris un pétale d’une main hésitante et l’arrachai. Une lumière multicolore jaillit de la plante, qui se mit à tourner sur elle-même. J’en relâchai la tige de surprise. Un éclat blanc illumina la pièce sombre. Arianna apparût. Ses jolies ailes de papillon généraient une agréable brise sur nos visages. Nous n’eûmes pas le temps d’exprimer notre joie, la noble fée nous intima de nous taire. Un garde appelait déjà des renforts. Avorian lui lança furtivement : « si tu pouvais aussi récupérer nos sacs… », ce à quoi elle répondit par un clin d’œil.

 Une lumière dense émergea de la reine des fées, et prit la forme d’un cercle nous enserrant tous les trois. L’anneau rétrécit jusqu’à dématérialiser nos corps, à la manière d’un transgèneur.

 Nous disparûmes de la pièce.

[1] Petit rappel : le mot « phase » correspond à la notion de « mois », c’est-à-dire aux différentes phases d’Héliaka, la lune d’Orfianne. Une phase compte vingt-neuf jours. Un cycle fait treize phases sur Orfianne.

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