Chapitre 50 : Les adieux

7 minutes de lecture

 Nous étions incapables d’apprécier la beauté du lever du soleil sur ce petit brin de paradis. Nous n’avions pas envie de nous quitter. Je pris le temps de caresser longuement mon embanore, en le remerciant de m’avoir portée – et supportée – tout ce temps.

 Kaya, en véritable cheftaine de notre petite troupe, sonna le départ. Nous traversâmes les dunes toute la matinée. Lorsque le soleil atteignit son zénith, je compris que le désert touchait à sa fin en découvrant un sol plus dur, fait d’un mélange de terre et de sable. Kaya stoppa la caravane. Nous descendîmes de nos montures.

– Voilà, notre voyage touche à sa fin, prononça-t-elle d’un ton solennel en détachant chaque mot. Nous ne pouvons pas vous accompagner plus loin.

 Merian me prit dans ses bras, la mine accablée.

– Nêryah, j’espère que tu reviendras nous voir. J’aimerais rester à tes côtés pour te protéger. Je fais la promesse de te retrouver un jour. Prenez bien soin de vous.

– Merci, fais attention à toi aussi. Tu vas vraiment me manquer, avouai-je, le cœur lourd. J’aurais aimé passer plus de temps auprès de vous tous, apprendre à vous connaître…

– Cela se fera. J’en suis certain.

 Il me serra une nouvelle fois contre lui puis recula pour me regarder droit dans les yeux. Je me mis à rougis.

 Ishaam vint me saluer :

– Reviens-nous vite, et entière surtout, belle Guéliade. Que ta divine beauté fasse fondre tes ennemis ! Je suis heureux de t’avoir rencontrée.

– Merci, Ishaam. Prends bien soin de Kaya, je ne veux pas qu’il lui arrive malheur.

– Compte sur moi, ma douce. Tu n’as pas besoin de t’inquiéter, je suis son fidèle et dévoué guerrier !

Kaya me rejoignit, me saisissant par les épaules.

– Oh Nêryah, tu vas tellement me manquer ! Nous sommes devenues de véritables sœurs, je voudrais tant t’accompagner !

– J’aimerais vraiment, moi aussi, mais Ishaam ne supporterait pas que tu l’abandonnes pour moi ! la taquinai-je, désignant ce dernier du regard.

 Elle se mit à rire.

– Merci pour tout ce que tu m’as donné Kaya, c’est très précieux pour moi. Tu es une incroyable guide. J’ai enfin vécu mes premiers moments de bonheur sur Orfianne, grâce à vous tous.

 Les larmes aux yeux, je la serrai chaleureusement dans mes bras en lui demandant :

– Nous reverrons-nous bientôt ?

– Oui, Nêryah… au Royaume de Cristal !

Elle marqua une pause, me sondant de son regard acajou et ajouta :

– Tu portes en toi quelque chose de pur et de bienveillant. Garde toujours espoir, et n’oublie pas que la vie est aussi faite pour se réjouir !

– Merci pour tout. Vous êtes des guides exceptionnels, leur dit Avorian.

 Nous nous enlaçâmes tous les cinq longuement, espérant que cette étreinte ne soit pas la dernière.

 Kaya nous donna des provisions et remplit nos gourdes à l’eau du réservoir. Elle nous expliqua le chemin que nous aurions à suivre et comment nous repérer. Il ne nous restait plus qu’une seule journée de marche dans le désert. Ensuite, Avorian connaissait la route. Le soleil et Héliaka seraient nos points de repère durant la journée. Les étoiles indiqueraient, la nuit tombée, si nous avions dévié ou non de notre trajectoire.

 Je caressai une dernière fois le doux pelage de chaque embanore, et il fut temps de se quitter.

 Alors que nous cheminions vers un monde inconnu, j’entendis Kaya crier : « reviens-nous vite ! » derrière moi. Je lâchai un sanglot en me retournant pour les regarder. Avorian me prit doucement la main, l’air attendri.

 Nous marchâmes environ deux heures. Cela nous faisait tout drôle après avoir chevauché les embanores pendant si longtemps. Le dos courbé, meurtri, nos pieds s’enfonçaient dans le sable brûlant. Nos muscles travaillaient forts pour progresser sur ce sol instable. Mes cuisses et mes mollets me tiraillaient à cause des courbatures. Même nos abdominaux étaient sollicités pour maintenir notre posture. Le pas ralenti, nos jambes flageolaient sous l’écrasante fournaise. Je resserrai mon foulard autour de ma tête, haletante. Nous n’avions droit qu’à quelques gorgées d’eau par pause. Je me fiais au sens de l’orientation d’Avorian, très doué pour se repérer avec les astres dans le désert.

 Le soir arrivant, nous nous assîmes pour apprécier le coucher du soleil, totalement éreintés. Ses derniers rayons semblaient caresser les dunes au lointain, tandis que les rares nuages prenaient une teinte mauve. On ne voyait qu’un quartier d’Héliaka.

 Avorian me prit tendrement par les épaules. Je me laissai tomber dans ses bras. Je me languissais déjà de nos chers Komacs. Notre séjour parmi eux m’avait transformée. Grâce à nos amis, je me sentais un peu plus à l’aise dans ce monde, comme si j’y avais toujours vécu. Hormis nos mésaventures avec les ombres et les glemsics, j’appréciais réellement cette nouvelle vie.

– Vous savez, Avorian, après toutes ces épreuves, mais aussi ces moments de joie, je vous considère vraiment comme un père à présent…

 Le mage me dévisagea. Il semblait autant ému que surpris par cette confidence. Son expression se détendit.

– Tu ferais une fille admirable.

 Perdu dans la contemplation d’un ciel embelli par des teintes oniriques, il méditait, assis en tailleur. Je fis quelques exercices de respiration pour ressentir la magie d’Orfianne. Il était grand temps que je reprenne mon entraînement.

 Avorian rouvrit les yeux pour me faire exécuter les mouvements de bases. Lorsqu’il me jugea prête, il me demanda de produire des sphères, que je dus projeter dans le sable. Ensuite, il testa la solidité de mon bouclier translucide en usant de ses pouvoirs. Je ne me recroquevillais plus sur moi-même, cette fois-ci. J’acceptais le danger sans aucune crainte, renforçant ainsi mon cercle protecteur.

 Nous terminâmes la leçon par un petit combat amical. Je parais ses coups, répondais aux assauts par mes boules de lumière bleue et mes nouveaux rayons. Les attaques des glemsics puis des ombres m’avaient au moins permis de découvrir de nouveaux pouvoirs, dont celui de guérison, et surtout, de prendre confiance en moi.

 Nous installâmes notre petit campement sur le sable, observâmes longuement les étoiles en silence, attendant que le sommeil nous emporte. Kaya nous avait assuré que nous nous trouvions désormais en dehors du territoire des glemsics ; plus besoin de tours de garde.

 Nous nous réveillâmes de concert à l’aube, sans prononcer le moindre mot. Le jour allait poindre. Quelques rayons rosés apparurent dans le ciel. Les couleurs se dessinèrent progressivement, de façon artistique. Aux tons fuchsia s’ajoutaient quelques rayons orange. Ils coloraient les traits nuageux et s’étiraient pour inonder le ciel de la douce lumière du matin. Au loin, derrière nous, les dunes de sable scintillaient. Héliaka traçait son chemin, nous dévoilant son beau manteau aux couleurs d’automne, nappée par endroit de traînées blanches, à l’image d’une brume mouvante. On aurait dit un tableau tant les teintes célestes paraissaient irréelles.

 Un silence matinal apaisant régnait. J’aimais cette sérénité de l’aube, révélant une face cachée de la nature ; et surprendre les premières lueurs du jour, pour m’adonner à la contemplation du monde qui offrait à chaque instant un véritable spectacle. Cette quiétude, presque intimidante, donnait envie de cesser de respirer ou de bouger pour mieux la percevoir. Je méditais, en osmose avec Orfianne, captant sa magie en moi. Une énergie vivifiante entourait mon corps. J’inspirai l’air pur de l’aurore en observant le demi-cercle orangé du soleil levant. Ses rayons s’étendaient sur les dunes, comme pour les plonger dans le sable.

 Avorian me porta un regard empli de gratitude.

– Mangeons vite, il faut marcher pendant que la chaleur est supportable, souffla celui-ci. Nous devons absolument trouver de l’eau.

 La gorge et la peau sèches, la soif nous torturait déjà.

 Nous progressions sur un sol de terre craquelé par la sécheresse. Je ne voyais pas encore de verdure, et encore moins d’arbres, seulement deux ou trois brins d’herbe par-ci, par-là.

 Au bout de quelques heures, je remarquai avec plaisir de nouvelles variétés de plantes sèches, ternes et courtes, mais de plus en plus nombreuses. Ce signe de vie m’encouragea. L’absence de relief rendait cependant notre randonnée monotone.

 Le soleil se couchait à nouveau après une longue journée de marche. Le paysage ne changeait pas, hormis le nombre croissant de végétaux. Nous n’avions toujours pas trouvé d’eau. Il ne nous restait plus qu’une seule gourde pleine, malgré nos restrictions. J’adressai une prière au ciel pour qu’il pleuve, ou qu’une oasis apparaisse au loin.

– L’endroit me semble propice pour camper. On va pouvoir faire du feu, déclara Avorian.

– On ne risque rien avec les animaux sauvages ou les glemsics ?

– Je ne pense pas, mais restons vigilants.

Je ramassais avec lui les petits bouts de bois qui traînaient aux alentours. Nous les rassemblions en tas, puis Avorian les alluma en y lançant une boule de feu. Nous avions récolté quelques plantes comestibles. Il nous restait encore des fruits un peu flétris de la dernière oasis, des galettes de céréales, et des graines. Malheureusement, plus de délicieux pain de Shirin.

 Nous devions nous rationner. Inutile de préciser combien je me sentais sale avec tout ce sable collé sur ma peau et mes cheveux. Impossible de les brosser ! J’essayais d’enduire ma peau de l’huile que m’avait offert Kaya, mais avec les grains de sables, c’était une véritable séance de torture. J’abandonnai l’idée du gommage.

 Je m’endormis difficilement auprès du feu, sursautant au moindre bruit, persuadée d’être attaqués à tout moment. Je ne me sentais pas tranquille sans nos guides et nos embanores.

 Je m’éveillai le lendemain matin avec un terrible mal de crâne. Je m’accordai une seule gorgée d’eau – un véritable supplice. Avorian dormait encore. Il paraissait tellement fatigué. Je le secouai doucement, à contre-cœur.

 Nous reprîmes le chemin fissuré par l’absence de pluie, la gorge et la langue gonflées et sèches. Le soleil se levait à peine, mais il valait mieux profiter de la fraîcheur matinale. Je maugréai en direction du ciel, déçue que ma prière n’ait été exaucée. J’observais plus de verdure, et, à mon grand soulagement, l’air devenait de plus en plus frais.

– Avorian, vous avez tellement bronzé que nos ennemis ne vous reconnaîtront plus ! plaisantai-je.

– Peut-être bien. Et toi, j’ai l’impression que tu as grandi depuis ton arrivée.

– Ah oui ? J’ai donc quitté mon mètre soixante-deux ? Enfin une bonne nouvelle !

 Nous continuâmes ainsi à nous taquiner gentiment, durant plusieurs heures, pour rendre le trajet moins pénible.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0