Chapitre 51 : La forêt de Lillubia

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 Le lendemain, nous trouvâmes enfin un point d’eau. Une bonne étoile veillait peut-être sur nous, finalement ? J’en profitai pour me laver correctement, nettoyer mes vêtements. Je n’en revenais pas de la quantité de sable qui s’était accumulée dans mes cheveux ! Il ne me fallut pas moins de quatre shampoings pour tout enlever. Et surtout, je pus enfin me brosser les dents ! Un moment de grâce… Depuis la dernière oasis, il était hors de question d’utiliser notre eau si rare, si précieuse, pour se les laver. Comble de mon désarroi !

 Alors que je m’extasiais devant mes dents et mes cheveux propres, Avorian se moqua gentiment de moi : « ah, comme il en faut peu pour te combler… ».

 Ne comprenait-il donc pas ? Ce manque d’hygiène me mettait terriblement mal à l’aise. Je me sentais sale, repoussante. Moi qui étais si exigeante en matière de ménage et de propreté. Je désirais secrètement qu’une salle de bain apparaisse au milieu de nulle part. Je le souhaitais si fort que lors de notre voyage dans Gothémia, j’avais vu un jour une baignoire posée au sommet d’une dune de sable. Un mirage, évidemment ; Avorian avait bien ri. La nuit, quand ce n’était pas des glemsics ou des ombres, je rêvais souvent de la source chaude du village des fées.

 Toujours dans l’eau fraîche de l’étang, j’observais mon nombril en spiral, désormais scintillant depuis que la Pierre de Vie m’avait choisie. Je me sentais réellement « extraterrestre » avec mes ongles nacrés et cette nouvelle dorure sur mon ventre. Parfois, cela me faisait un peu peur, mais je m’y habituais. Heureusement, il ne brillait pas la nuit !

 Pendant que le linge séchait, je m’exerçais à développer mes pouvoirs, comme chaque jour. Depuis cette petite transformation dans mon corps, je ressentais mieux le fluide magique d’Orfianne.

 Je ne voulais plus jamais utiliser la magie des émotions. Elle avait fait de moi une tueuse. Je détestais cette idée. Les images de ces expériences traumatisantes dans le désert me revenaient, inlassablement. Je ne parvenais pas à faire abstraction de ce terrible choc, ni à en parler pour m’en libérer. Je me sentais bouleversée, mais Avorian se montrait toujours aussi taciturne.

 Après plusieurs jours de marche dans le même paysage, nous arrivâmes devant une forêt aux arbres immenses. On pouvait à peine distinguer la canopée. Nous avions une nouvelle fois survécu à la faim, la soif et bravé les caprices de ces terres sauvages. Mon estomac s’habituait petit à petit aux restrictions alimentaires. La marche me rendait robuste, endurante ; cet entraînement draconien m’avait endurcie.

 Nous entrâmes dans la végétation, le cœur un peu plus léger.

– Voici la forêt de Lillubia, annonça Avorian.

 Bien qu’attristée d’avoir quitté nos amis Komacs, je me sentis soulagée de retrouver l’ombre des arbres. Je respirais à pleins poumons cet air humide, chargé de parfums multiples. La faune et la flore me paraissaient presqu’irréelles après cette si longue traversée du désert.

 L’atmosphère changea brusquement. Nous progressions sur des chemins sinueux, serpentant entre les arbres géants, dans une zone curieusement sombre. Je ralentis le pas, aux aguets. Je ne vis pas de splendides papillons comme dans la forêt aux mille lueurs, ni même les jolies plantes « lampadaires », avec leur boule phosphorescente.

 Une bourrasque semblable à un cri de fantôme s’engouffra entre les feuillages, me donnant froid dans le dos. Elle semblait vouloir nous souffler : « partez d’ici ». Je portai instinctivement ma main à mon sac et y retirai la fleur d’Arianna pour la mettre dans mon haut, avec la Pierre de Vie, contre ma poitrine. Je voulais savoir mes deux joyaux magiques en sécurité, à portée de main au moindre danger.

 J’entendis de lourds battements d’ailes au-dessus de nos têtes. Je me sentis mal à l’aise, épiée par une présence. Je regardai partout autour de moi, méfiante.

– Cette forêt a bien changé depuis la bataille, me murmura Avorian. Marchons prudemment, nous ne sommes sans doute pas les bienvenus.

 Nous avancions en évitant de marcher sur les plantes dont mon guide m’avait appris que certaines délivraient un poison mortel. Le bruissement des feuilles dans le vent me rendait encore plus nerveuse.

 Avorian balayait le petit sentier du regard, le visage tendu.

– J’ai l’impression que l’on nous prépare une embuscade, confiai-je, apeurée.

– Depuis les changements sur Orfianne, cette forêt est redoutée de tous, habitée par les ténèbres. Mais c’est malheureusement notre unique chemin.

– Je vois… Encore des êtres engendrés par les pensées négatives des humains ?

– Oui, elles se sont matérialisées en ombres, comme tu le sais, et certaines se sont regroupées ici. Elles répandent la terreur, comme pour exprimer leur désolation. Cet endroit est devenu leur refuge, loin de la lumière. La forêt a sombré dans le néant.

– Pas de fées ici, alors…, balbutiai-je d’une toute petite voix.

– Probablement pas !

– Mmmh, il n’y a donc pas de quoi s’inquiéter. En fait, tout va bien, même très bien ! On ne s’est jamais si bien portés, d’ailleurs. On va s’enfoncer dans une forêt pleine de monstres, mais ce n’est pas grave. Tout. Va. Bien !

– Ce sont des Métharciens ! me prévint Avorian. N’oublie pas de te servir de ton bouclier. Je suis là pour te protéger.

 Les fameux extraorfiannais qui avaient jadis colonisé la planète. De redoutables créatures, dotées de terribles pouvoirs.

 Je découvris avec horreur des êtres immenses surgir d’entre les arbres. Je me figeai sur place, tremblant d’effroi.

 Une véritable armée se rapprochait inexorablement de nous. Je restai immobile, pétrifiée de peur, la main plaquée contre ma bouche, impuissante face au danger qui nous guettait. Leur aspect si effrayant m’arracha un petit cri. Leurs yeux couleur saphir, sans fond blanc, nous fixaient du regard, en une expression sinistre. Ces créatures à la peau bleu cobalt et aux lèvres grises très fines faisaient au moins deux mètres de haut. Elles étaient vêtues de longues toges céruléennes aux larges manches. Trois cornes droites, d’environ quinze centimètres se dressaient sur leur tête.

 L’allure digne, l’armée de monstres qui nous faisait face imposait déjà sa supériorité par son attitude froide et menaçante.

– Vous avez vu leurs cornes ? m’affolai-je.

– Oui, je les ai bien vues, m’assura Avorian. N’oublie pas que leur pouvoir provient d’elles, justement.

 Les Métharciens grouillaient de partout, émergeant des arbres, des buissons, sans armes sur eux puisqu’ils n’utilisaient que leur magie pour combattre. Ils se préparaient déjà à l’attaque. Deux d’entre eux se jetèrent sur Avorian, qui les contra d’un faisceau lumineux. Lorsque d’autres s’approchèrent, je me concentrai sur l’énergie émise par Orfianne, inspirai à fond, et créai un bouclier autour de moi. Je décochai alors mes sphères à tout allure. Trois monstres furent touchés, mais un autre, plus téméraire, évita mes boules lumineuses. Il percuta mon bouclier, qui heureusement le repoussa loin de moi. Ma bulle protectrice m’accompagnait en symbiose : elle me suivait comme une seconde peau, sans se fissurer, s’adaptant à mes mouvements. Je pus ainsi m’élancer puis bondir pour esquiver une nouvelle attaque.

 Paniquée d’être encerclée, j’enchaînai avec célérité une combinaison de sphères et de rayons lumineux. Cela ne suffisait pas. Ces nouveaux adversaires se montraient bien plus coriaces que les Glemsics ou les ombres. À chaque seconde, de fins rayons dorés sortaient de leurs cornes et heurtaient mon champ magnétique ; combien de temps allait-il tenir ?

 Je ne distinguais plus Avorian, emporté par les vagues de nos assaillants. Je propulsai un rayon lumineux en tournoyant sur moi-même, espérant qu’il touche un maximum de monde. Mes adversaires ripostèrent en me dardant de leurs rayons mortels. Je sentis mon bouclier vibrer. Il se perfora en un bruissement sec sous l’impact des assauts répétés. J’évitai de justesse un faisceau en plongeant sur le côté, bousculant l’un de mes ennemis par la même occasion. Je me relevai promptement en reformant ma protection, réflexes acquis grâce à mes entraînements quotidiens.

 Malheureusement, plusieurs de nos ennemis focalisèrent leur offensive sur moi. La puissance de leurs rayons fragilisa mon bouclier qui céda en quelques secondes seulement. Je n’eus pas le temps d’en reconstruire un nouveau. Profitant de ce moment de vulnérabilité, un Métharcien agrippa sauvagement mon bras et me frappa si fort de son autre main que je manquai de tomber. Je ne perdis pas un instant et formai rapidement une petite sphère qui transperça sa jambe. Le monstre hurla, mais trois autres m’attrapèrent, écartant mes mains, pour m’immobiliser et m’empêcher d’utiliser la magie.

 Désarmée, je me défendis comme je pus avec mes pieds, en essayant de les mordre. Mes opposants firent l’erreur de rassembler mes bras derrière mon dos : je parvins à créer une minuscule boule de lumière qui les brûla. Ils revinrent à la charge pour m’empêcher de bouger et me serrèrent cette fois si fort que je pouvais à peine respirer. J’étais bloquée, incapable de faire le moindre mouvement. On me tenait par les cheveux, les bras, les jambes, et même par la taille. Avorian était lui aussi submergé par nos ennemis. Il me lançait des regards affolés entre deux ripostes, impuissant, le visage crispé, mais n’abandonnait pas.

 Un Métharcien se plaça face à moi, me toisa, un sourire sadique se dessinant sur ses lèvres. Il m’écorcha profondément l’épaule avec ses cornes. Je hurlai, mon corps parcouru de spasmes. Une horrible sensation de brûlure me coupa la respiration, comme si des milliers d’aiguilles me transperçaient l’épaule. Un flot de sang coulait le long de mon bras. Je m’affalai sur mes assaillants, blessée, incapable de bouger. Je m’abandonnais à cette douleur lancinante, promesse d’une lente agonie. Ma vue se brouillait.

 Je pris une profonde inspiration et tentai vainement de me débattre. Impossible de me libérer de cette étreinte mortelle. Les trois créatures m’écartelaient les bras, faisant craquer mes articulations. Je me préparais au pire. Avorian essayait de se frayer un passage jusqu’à moi. Trop tard. Le Métharcien qui me dévisageait d’un air vicieux passa à l’action. Je vis une étincelle dorée perler au niveau de sa corne centrale, se transformant en un jet de lumière. Le rayon se dirigeait inéluctablement vers moi.

 Alors qu’il allait atteindre sa cible, quelque chose remua contre ma poitrine. Une lueur argentée brillait sur ma peau. Le pouvoir de mon agresseur me percuta, mais au lieu de me transpercer de part en part, il semblait se faire aspirer par la Pierre de Vie, toujours dans ma brassière. La créature, furieuse, usa de ses dons télépathiques pour hurler dans ma tête. Je n’en pouvais plus. Son cri ressemblait à une complainte spectrale. En plus de ces sons insupportables, le monstre me vidait de mes forces, comme si sa présence dans mon esprit absorbait toute mon énergie.

 Harassée, je discernais du coin de l’œil mon propre sang ruisseler abondamment par terre. Les battements de mon cœur ralentirent, si bien que je ne parvenais même plus à penser.

 Les yeux mi-clos, je distinguais Avorian se battre dignement. Il voulait forcer le passage pour me rejoindre, me guérir. Je n’entendais plus rien.

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