Chapitre 47 : Les fantômes de la cité perdue

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 Kaya nous réveilla peu de temps après. Je compris immédiatement à son expression alarmée que nous étions en danger.

  • Des Glemsics ? soufflai-je, à moitié endormie.
  • Pas seulement. Des êtres des ombres aussi.

 Cette annonce me fit l’effet d’un véritable coup de poing dans le ventre, mettant tous mes sens aux aguets.

 Merian bondit de notre couche pour se camper sur ses jambes, prêt à en découdre. Il farfouilla dans son sac, en sortit deux poignards ouvragés dont le manche en bois décoré d’ornementations retenait une lame affûtée. Il en tendit un à son frère qui venait de nous rejoindre. Le visage de ce dernier, transformé par l’inquiétude, détonnait tellement avec sa bonne humeur habituelle ! Je ne reconnaissais plus Ishaam.

  • Ils arrivent ! prévint-il sèchement.

 Je distinguais déjà par la petite ouverture l’éclat scintillant du pouvoir d’Avorian.

Dois-je construire un immense bouclier pour protéger tout le monde, ou bien combattre à ses côtés ?

 Les Komacs sortirent de notre abri. Je les suivis, le cœur battant.

 J’aperçus tout d’abord le mage, qui, du haut de notre balcon, lançait des rayons lumineux vers le bas. Je m’approchai de lui. J’entrevis en contrebas une multitude de masses sombres flottant au-dessus du sol, montant le long des escaliers. Leurs corps dépourvus de visage semblaient presque translucides, bien que teintés de noir. Il s’agissait vraisemblablement de fantômes, nés d’un agrégat d’émotions refoulées et de toute la détresse humaine condensées.

 Et des Glemsics les suivaient !

 Je poussai un cri d’effroi. Cette vision cauchemardesque me fit perdre mes moyens. Je tremblais de tous mes membres, horrifiée. Une lueur vermeille me ramena à la réalité. Kaya tenait dans ses mains sa Pierre de Vie. Elle entonna une incantation dans son dialecte en fermant les yeux. La lumière du joyau s’expansa au son de sa voix, puis décrivit un mouvement spiralé pour enfin venir se coller directement sur chacun d’entre nous, à la manière d’une véritable combinaison.

  • Cette aura vous protègera de la magie des ombres et des morsures des glemsics ! déclara-t-elle rapidement.

 Elle poursuivit son enchantement. Un immense halo rouge vint se poser sur l’entrée de l’abri des embanores, créant une porte magique, rendant les lieux impénétrables. Nos montures ne risquaient rien.

 Je me plaçai aux côtés d’Avorian, observant mon corps entouré de ce halo carmin qui accompagnait chacun de mes gestes. Je n’en ressentis aucune gêne. Bien au contraire, je me sentis soudain plus forte, pratiquement invincible.

 Je décochai mes sphères bleutées sur les loups du désert, puis mes faisceaux diaphanes contre les ombres. Nos ennemis reculèrent sous leur impact, dévalant les marches en sens inverse. Le Guéliade chargeait toujours en un tir nourri. Sa magie éclairait le ciel nocturne. Mais cela ne suffisait pas. Les monstres galopaient dans les allées, la gueule béante, prêts à bondir sur nous. Les jumeaux s’élancèrent vers eux, usèrent de leurs lames acérées avec dextérité. Leur combinaison magique les protégeait des griffes et des crocs.

 Kaya, juste derrière nous, à l’entrée de notre abri, maintenait de toutes ses forces le sort de sa Pierre de Vie. Je réalisai qu’elle demeurait vulnérable. Je me campai à ses côtés pour la défendre, car les êtres des ombres progressaient vers nous. Plus ils approchaient, plus je ressentais en moi toute l’ampleur de la misère humaine. Mes propres ombres m’assaillirent. Ma peine, ma douleur. Je n’avais malheureusement pas le temps d’aller chercher ma sacoche pour prendre la fleur d’Arianna.

 Je devais me ressaisir, les fantômes venaient de percer le rempart scintillant du mage. J’avais l’impression de revivre la première attaque des glemsics, en pire ! Nous étions cernés de toute part, submergés ! Ishaam et Merian peinaient à retenir les loups du désert. Je vis avec horreur des nuées noires se propager autour de nous. Elles se transformèrent en tentacules de ténèbres. Je ne distinguais même plus mes amis, devenus de petites orbes rouges grâce aux combinaisons magiques. Kaya devait toujours se trouver à mes côtés, mais les jets obscurs effaçaient tout sur leur passage.

 De multiples appendices me saisirent à la gorge, d’autres enlacèrent mon corps tout entier dans une étreinte mortelle, qui se resserrait petit à petit autour de moi. Je ne pouvais même plus hurler, totalement étouffée par les ombres. Le chaos m’engloutit, avec tout le désespoir de l’humanité. Honte. Culpabilité. Souffrance. Colère… Face à ces nombreux maux, mon esprit possédé n’entrevoyait qu’une seule solution : la mort. Mais était-ce vraiment l’unique forme de délivrance ?

 Alors que tout me semblait perdu, j’entrevis un vif éclat étincelant, juste en face de moi. Je suffoquais, en proie aux vertiges, mais me raccrochais à cette lueur d’espoir. Je reconnus notre Pierre de Vie losangée. Elle flottait dans les airs, irrémédiablement attirée vers moi. Je ne pouvais l’atteindre, ni la prendre dans mes mains, mon corps étant prisonnier des esprits sombres. Au moment où le joyau m’effleura enfin, les tentacules se déroulèrent à une vitesse impressionnante, comme brûlées par la magie des Guéliades. Je le saisis immédiatement, et me reliai à l’énergie d’Orfianne en inspirant profondément.

 Un flot de lumière argentée jaillit de la Pierre, mais au lieu de se diriger vers les ombres, la magie partit à la rencontre de celle des Komacs. Un rayon pourpre émana de cette dernière pour se mêler harmonieusement à l’éclat cristallin. L’enchantement des deux Pierres de Vies opéra en une explosion de couleurs. Le brouillard ténébreux se dissipa progressivement.

 Je m’efforçai de propager mon sort, tandis qu’Avorian utilisait son faisceau magique à la manière d’un fouet, lacérant nos ennemis. Les jumeaux semblaient indemnes, toujours aux prises avec les glemsics, et Kaya tenait bon, canalisant toute son énergie pour faire perdurer ses boucliers rouges.

 Le pouvoir des Pierres repoussait toujours nos ennemis, nous protégeant de leurs assauts, sans pour cela les détruire. Le mage vint au secours des garçons, il avait une revanche à prendre sur les loups du désert ! Je lisais la colère sur son visage. Son lasso lumineux s’épaissit, comme pour répondre à son courroux. Il le fit claquer contre les animaux, balançant ses bras en des mouvements amples pour tous les atteindre avant qu’ils ne bondissent sur nous. Son pouvoir les trancha un à un, en un temps record.

 Je m’occupai des ombres à l’aide de mon rayon incandescent, les transperçant de toute ma pureté. Affaiblis par le pouvoir de nos Pierres de Vies, de nombreux esprits sombres périrent sous l’impact de mon faisceau, totalement absorbés par cette lumière salvatrice.

 Alors que je me sentais encore dépassée par leur nombre, les premières lueurs du jour apparurent au-delà des dunes, embrasant la cité de leurs rayons mordorés. Nos adversaires se figèrent soudainement, comme aveuglés par le soleil. L’astre ascensionnait dans les cieux. Les masses obscures commençaient à se dissiper, vraisemblablement dissoutes par l’étoile d’Orfianne. En quelques minutes, elles disparurent, entièrement purifiées.

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