Chapitre 47 : Hézaka

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 Nous reprîmes la route le lendemain, de bonne heure, après un petit-déjeuner frugal. Nos embanores s’élancèrent fièrement à travers le désert, entraînant derrière eux un nuage de poussière orangé. J’observais le paysage et ses nappes de chaleurs. Le vent façonnait les dunes, leur donnant des formes variées, tantôt pyramidales, tantôt en croissant. Cet environnement aride et sec, sans cesse en mouvement, offrait néanmoins un spectacle permanent.

 Le panorama se modifia dans l’après-midi ; des reliefs se dessinaient sous les volutes du désert. Au loin, quelque chose de sombre s’élevait des dunes. Une tempête ? Non. Cela ne bougeait pas. Je distinguais d’énormes collines à l’horizon. Je les montrai du doigt à Merian, assis derrière moi. Il m’apprit qu’il s’agissait effectivement de montagnes rocheuses, dans lesquelles les Komacs avaient bâti une cité, jadis. J’avais hâte de la voir de plus près !

 L’oasis promise par Kaya se trouvait là-bas.

 En fin de journée, la citadelle prit enfin forme sous nos yeux. Un paysage à couper le souffle se dressait devant nous, avec une nature verdoyante, un lac, et même quelques cascades. Derrière cette verdure improbable, une gigantesque cité construite dans un éperon rocheux épousait une montagne d’au moins six-cent mètres d’altitude. D’étroits passages vertigineux menaient aux habitations creusées dans la roche, la plupart perchées au sommet, se pressant les unes contre les autres. Elles se fondaient parfaitement dans leur environnement, pour ne faire qu’un avec le relief. À tel point que seules les centaines d’ouvertures faisant office de fenêtres et de portes permettaient de repérer ces maisons troglodytes couleur ocre.

 Une nature foisonnante, la présence de l’eau en abondance, et pourtant, personne sur les lieux. La cité semblait abandonnée, comme le vestige d’une civilisation déchue.

  • Voici Hézaka, le véritable royaume des Komacs, annonça Kaya en descendant de son embanore.

 Nous l’imitâmes : Merian m’aida à rejoindre le sol sans encombre.

  • Cet endroit est grandiose ! Mais où sont passés les habitants ? Je ne comprends pas…, commençai-je, à court de mots.
  • Grandiose, oui. Mais il est devenu le territoire des Glemsics. Nous étions une grande nation. Bien plus nombreuse qu’aujourd’hui. Nous vivions dans ces montagnes. Nous ne manquions de rien. Nos tribus n’étaient pas dispersées comme à l’heure actuelle. Nos parents ont passé leur enfance et une grande partie de leur vie ici même.
  • Que s’est-il passé ? m’enquis-je.
  • Les Modracks… Ils sont arrivés dans notre désert, semant la terreur, décimant une partie de la population. Nous avons fui dans Gothémia, jusqu’à notre oasis actuelle. Nous savions qu’elle abritait des grottes. Nous les avons aménagées, pour nous y cacher… depuis près de vingt cycles, maintenant.

 Je lisais une profonde tristesse dans le regard de nos amis.

  • Certains membres de notre peuple, dont nos familles, ont tenté de sauver les Guéliades, eux aussi en grand danger, poursuivit Ishaam. Merwên en est le seul survivant. Il ne reste plus qu’une petite poignée des nôtres.

 Je ne savais pas quoi répondre. Comment réagir face à une telle tragédie ?

  • À mes yeux, vous êtes une grande et noble nation, soufflai-je d’une voix hésitante.
  • Regarde-nous ! Nous sommes obligés de nous terrer dans nos grottes souterraines, comme de vulgaires Glemsics ! Nous sommes si peu nombreux qu’une nouvelle perte serait fatidique pour la survie de notre peuple ! s’énerva Ishaam. Nous craignons une nouvelle attaque des ombres. Nous ne pouvons plus vivre normalement !

 Cette bataille avait non seulement décimé notre race, mais les Komacs aussi avaient frôlé l’extinction. J’en ressenti un haut-le-cœur.

  • Comme toutes les nations d’Orfianne, trancha Avorian, qui avait gardé le silence jusqu’à maintenant.
  • Même moi, en tant que Gardienne, je ne peux pas rendre la cité aux miens ! déplora Kaya.

 Avorian la prit par les épaules, la regardant droit dans les yeux :

  • Kaya, c’est pour sauver nos peuples que le Sage Orion sollicite notre présence. Il y a encore de l’espoir !
  • Nous attendions la dernière Gardienne…, fit Merian en me dévisageant.
  • Et elle est là, dit calmement le mage. Les Gardiens vont pouvoir se réunir, apporter leurs Pierres. Nous trouverons une solution, dans la paix.

 Kaya s’approcha encore de la cité puis se mit à genoux. Elle joignit ses mains au niveau de son cœur, les yeux clos. Je supposai qu’elle priait pour les âmes défuntes. Après quelques minutes de silence, la jeune Komac chanta dans son dialecte. Les jumeaux l’accompagnèrent. La mélodie était magnifique, pleine d’ornements savamment exécutés. Cet air si mélancolique me donnait envie de pleurer. Avorian et moi nous recueillîmes avec eux, la gorge serrée par l’émotion.

 Une fois le rituel terminé, nous fîmes halte au bord de l’eau. La rive opposée du lac était cerclée par de petites falaises, dans lesquelles s’écoulaient de multiples cascades. Les derniers rayons du soleil réhaussaient la couleur ocre-orangé des monts rocheux. La cité se situait sur la rive Est du lac, un peu en arrière. Une forêt composée de palmiers et d’albizias ceinturait les lieux.

 Ce petit coin de paradis offrait de nombreux arbres fruitiers, de quoi faire le plein de provisions et s’accorder un véritable festin. Nos montures s’abreuvaient pendant que nous mangions les fruits fraichement cueillis.

 Nos trois guides partirent se baigner. Ils voulaient remplir nos gourdes à la cascade principale, et il leur fallait pour cela nager jusqu’au bout du point d’eau.

 J’en profitai pour discuter en aparté avec Avorian.

  • Je vous demande pardon.
  • Pardon de quoi ?
  • Je vous demande pardon, Avorian, répétai-je. Lorsque je suis arrivée dans ce monde, je n’ai pensé qu’à moi, à ce que je vivais. J’en ai oublié le plus important. J’étais centrée sur mes propres malheurs, alors que pendant tout ce temps, vous faisiez de votre mieux pour m’aider. Je me suis comportée en égoïste. Sincèrement, je vous prie de m’excuser. Pardon de ne pas avoir été assez à l’écoute, d’avoir été si impatiente, impulsive ; et de ne pas avoir pris en compte votre souffrance.
  • Oh, ma chère Nêryah !

 Avorian en avait les larmes aux yeux. Il me serra dans ses bras.

  • Tu n’as pas à t’excuser. Moi non plus je n’ai pas toujours été à ton écoute. J’ai cruellement manqué de délicatesse à ton égard ! Ce serait plutôt à moi de te présenter mes excuses. Tu t’es montrée si valeureuse, malgré tout ce que tu as subi depuis ton arrivée sur Orfianne. Je te suis reconnaissant d’être si compréhensive. Tu aimes les gens que tu rencontres profondément, sans les juger. Tu es une belle âme, Nêryah !

 Sa confession me toucha.

 Nous nous dévisageâmes, comme si notre conversation continuait par le biais de nos regards, et nous comprenions sans plus avoir recours aux mots. Le mage m’étreignit une nouvelle fois.

 Kaya et Ishaam s’étaient rapprochés de nous ; ils firent demi-tour en nous voyant ainsi enlacés pour s’offrir une nouvelle baignade sous la lumière ambrée du soleil couchant. Merian les rejoignit en courant. Il plongea tête la première. Je constatai une fois de plus combien les Komacs se montraient prévenants et bienveillants.

 Nous décidâmes un peu plus tard de les rejoindre dans l’eau. Je me mis à éclabousser mes amis, histoire de les faire sourire, ce qui déclencha une bataille d’eau mémorable sous ce magnifique ciel crépusculaire.

 La montagne prenait de magnifiques teintes rougeâtres sous les derniers rayons obliques ; tout semblait si paisible. Et pourtant, cet endroit paradisiaque était devenu le territoire des Glemsics. Nous allions devoir nous cacher dans les troglodytes pour la nuit.

 Ishaam et Kaya sortirent de l’eau pour s’occuper des embanores. Avorian finissait de se laver. Merian, quant à lui, se dévoua pour installer nos lits dans l’une des habitations. Lorsqu’il me proposa de l’aider, j’acquiesçai en déposant un doux baiser sur ses lèvres.

 Nous grimpâmes le long dénivelé conduisant aux maisons. Les résidences s’érigeaient sur plusieurs étages, en terrasses multiples. Des escaliers sculptés dans la roche et de longues artères menaient à chaque strate de la montagne. Je scrutais l’intérieur des troglodytes, derrière les entrées et fenêtres de forme incurvée. Il ne restait pas grand-chose. Quelques poteries brisées, fours à pain et larges cheminées. Pas de tentures pourpres, ni de tables. J’éprouvais une drôle de sensation, comme si nous profanions un lieu sacré.

 Parvenus à mi-hauteur de la montagne, nous entrâmes dans l’une des petites cavernes ; une pièce d’environ trente mètres carrés, vide. Nous étalâmes nos couvertures épaisses à même le sol.

 Ces habitats, de par leur architecture, maintenaient une fraîcheur permanente, préservant leurs anciens occupants du climat rude de Gothémia. Trop visible et désormais connue des êtres malveillants, les Komacs ne pouvaient même plus retourner vivre dans leur cité.

 Les autres nous rejoignirent en emmenant les embanores dans les maisons voisines. Nous souhaitions veiller à leur sécurité.

  • Je prends le premier tour de garde, annonça Ishaam.
  • Bien, je viendrai te remplacer, dit Kaya.

  Avorian allait poursuivre la surveillance. Merian m’accompagnerait pour terminer, étant donné que j’étais la moins expérimentée de tous. Je me sentais tellement redevable de leur indulgence.

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