Chapitre 46 : Les embanores

7 minutes de lecture

 Afin de permettre aux embanores de s’habituer à notre présence, nous commençâmes par marcher à côté d’eux. Une demi-heure plus tard, nous reçûmes enfin la permission de les monter – la quatrième portait toutes nos provisions, la pauvre.

 Avorian ayant déjà « chevauché » l’un d’eux par le passé, Kaya prit le temps de me faire quelques brèves recommandations :

– Bien qu’ils soient apprivoisés, ces animaux possèdent un fort caractère. Ils ont besoin d’avoir confiance en leur cavalier. Il suffit de les regarder un moment dans les yeux pour établir ce lien.

– Il n’y a pas besoin de présenter notre main pour qu’ils reniflent notre odeur ? questionnai-je.

– Inutile. Les embanores possèdent un odorat surdéveloppé. Ils ont déjà parfaitement mémorisé votre odeur, me répondit Merian.

 Kaya enserra son animal avant de grimper sur son échine en un saut souple et élégant.

 Mon dieu, comment bondir à cette hauteur sans les effrayer ou même leur faire mal ? Mon amie en descendit tout aussi gracieusement puis nous fit signe d’avancer ; mais je reculai, méfiante. Avorian se montra plus courageux : il marcha d’un pas lent vers eux, et se voûta pour ne pas paraître impressionnant – précaution que je jugeai inutile face à ces imposantes créatures. Je lui emboîtai le pas, un peu craintive à l’idée de les approcher.

 Les embanores ne bougèrent pas d’un pouce, comme s’ils feignaient d’ignorer notre présence. Avorian fixait l’un d’eux, et parvint rapidement à le toucher. L’animal courba l’échine en émettant un son rauque. Le mage n’avait plus qu’à l’enjamber pour se mettre à califourchon. En quelques secondes, il se positionna sur la créature, prêt à partir.

 À mon tour, j’avançai doucement, à petits pas. L’un des deux autres embanores me scruta de ses grands yeux gris. Il me laissa approcher jusqu’à lui, le regard accroché au mien. Je me détendis le plus possible afin qu’il ressente mon calme intérieur.

 Je lâchai un soupir de soulagement tout en caressant lentement son pelage auburn, doux et soyeux. Je me relevai progressivement, parcourus de mes doigts sa crinière beige, puis ses longues cornes torsadées. L’embanore émit un adorable couinement joyeux. Un sentiment de tendresse m’envahit. Je posai ma joue contre la sienne.

– Pas mal, Nêryah. Tu te débrouilles plutôt bien avec eux ! lança Ishaam, me gratifiant d’un beau sourire.

– Tu crois que je peux essayer de le monter, maintenant ? lui demandai-je, peu convaincue.

 Ma monture broncha en guise de réponse. Tout le monde éclata de rire. La présence des animaux m’avait beaucoup manqué depuis mon arrivée ici.

– Les embanores s’apprivoisent facilement, affirma Merian de sa voix douce. Ils sont loyaux et te protégeront en cas de danger.

– Il est temps de partir. Une longue route nous attend avant la prochaine oasis. Nous devrions l’atteindre demain.

 Sur ces mots, Kaya enfourcha son embanore en une posture aérienne. Ishaam se plaça derrière elle. Ils étaient vraiment adorables serrés ainsi l’un contre l’autre, sur leur noble destrier.

 Je rassurai mon nouveau compagnon qui sentait le départ imminent en lui chuchotant à l’oreille qu’il retrouverait son troupeau après notre voyage. Merian m’embrassa sur la joue et me fit gentiment la courte échelle. Je grimpai en saisissant le crin de l’animal. Mon chevalier servant vint se positionner contre moi. Ses mains enlacèrent ma taille. Je rougis à son contact, aussi ravie qu’intimidée.

 Je m’accrochai à la crinière de l’embanore. J’appréhendais un peu la chevauchée.

 Kaya prit la tête de notre petite caravane. Le quatrième embanore, chargé de nos sacs, nous suivait docilement. Les créatures s’élancèrent et prirent de l’allure. Mon cœur battit à tout rompre. Monter à cru se révélait loin d’être facile. L’assise s’avérait toutefois confortable grâce au pelage épais de notre destrier. Merian faisant office de dossier, je ne risquais pas de tomber.

 Nos montures progressaient à toute vitesse. J’en ressentis des vagues de vertige dans mon ventre. Le sable, ainsi que leurs larges pieds munis de trois orteils reliés par un coussin mou et flexible, amortissaient leurs sauts. Nous ne pouvions converser, trop occupés à nous agripper – Merian me cramponnait au niveau des hanches, les doigts serrés à cause de l’instabilité du sol.

 Le vent mêlé au sable fin fouettait nos joues. Je ne pouvais même pas ajuster mon foulard pour m’en protéger. La cape d’Avorian dansait au gré des rafales, lui donnant fière allure.

 Les heures passaient, je ne me lassais pas de contempler les dunes orangées. Je me demandais comment Kaya parvenait à se repérer dans le désert en plein jour, sans s’appuyer sur le positionnement des étoiles.

 Nous cavalâmes ainsi la journée entière, nous arrêtant régulièrement pour reposer nos montures et nous réhydrater.

 Lorsque la nuit tomba, nous nous accordâmes enfin une véritable pause. Le soleil déclinait à l’horizon. Sur son sillage, des traînées colorées se nuançaient du rose à l’incarnat dans un ciel crépusculaire. Le sable était encore brûlant malgré l’air frais qui s’annonçait. Je craignais une nouvelle attaque de Glemsics. Ils reviendraient sans doute cette nuit, toujours en quête de gibier.

 Nous mangeâmes avec appétit quelques provisions, dont les délicieux pains de Shirin. Un pur moment de bonheur ! Merian se chargea de nourrir les embanores. Il fallait cependant se restreindre en eau, denrée aussi rare que précieuse dans le désert. Je n’obtins que quelques petites gorgées. Grâce à la dextérité de Kaya, nous ne manquions pas de fruits juteux.

 Ma monture se coucha sur le sol. Je m’assis contre elle. Elle sembla apprécier ce geste d’affection. Notre petite équipe se reposait en silence.

– Ne devrions-nous pas monter la garde pour nous protéger des Glemsics cette nuit ? demandai-je un peu plus tard aux autres.

– Non, ce n’est pas leur territoire, me rassura Ishaam.

– Je fais en sorte d’emprunter le chemin le plus sûr, renchérit Kaya. Il faudra cependant être prudents lorsque nous arriverons à la prochaine oasis, demain. Ils s’y rendent souvent.

 La jeune Gardienne prit une galette de céréale et croqua dedans nonchalamment, comme si le danger ne lui posait aucun problème. Ishaam installa le camp pour la nuit : de longs tissus étendus sur le sable en guise de lit, une toile retenue par deux bouts de bois faisant office de tente. Les Komacs se montraient merveilleusement organisés. Grâce à eux, la traversée du désert devenait presque plaisante.

– Vous savez ce qui serait parfait, Avorian ? lança Ishaam le sourire aux lèvres. Ce serait de profiter de votre feu magique.

 Avorian s’exécuta. Il rapprocha ses paumes, les yeux clos. Quelques secondes après seulement, des étincelles jaillirent de ses mains. Une flamme se forma alors. Il la déposa sur le sable, et elle s’agrandit pour devenir un feu éternel. La nuit apportant la fraîcheur, cette agréable source de chaleur se révélait loin d’être superflue. Nous observâmes les milliers d’étoiles qui parsemaient notre firmament en silence.

– Je me demandais, Orfianne a-t-elle également une influence sur la Terre ? interrogeai-je.

– Oui, mais beaucoup moins ces derniers siècles car les Orfiannais ont évolué plus vite que les êtres humains. Et par respect des Lois de l’Univers, nous devons désormais laisser les Terriens cheminer à leur rythme. Ils doivent apprendre par eux-mêmes de leurs erreurs, quitte à ce que cela les conduise à un destin tragique… et que cela mette leur propre planète en péril.

– Cela ne doit pas être facile pour vous d’observer leurs actions en silence sans pouvoir intervenir, alors qu’elles perturbent aussi votre monde.

– Tout comme les parents laissent leurs enfants expérimenter les lois de la Vie, nous faisons de même avec les Terriens, par respect pour leur évolution.

– Je comprends. Je crois en la puissance de l’humanité, j’ai foi en elle. Les humains sont tout à fait capables de réagir et de se réveiller. Même si cela leur prend du temps.

– Tu as raison de croire en eux. Cette conviction inébranlable est d’ailleurs ce qui leur manque, là-bas. L’Univers est magnifique... tellement magique ! s’émerveilla Avorian. Cependant, tu parles de temps, et c’est bien ce qui nous manque…

– Tout a un sens, et chaque existence est précieuse parce qu’elle apporte quelque chose d’unique au monde, renchérit Merian.

Si les scientifiques Terriens apprenaient que deux mondes se côtoient dans l’Univers et interfèrent l’un avec l’autre, je me demande comment ils réagiraient.

– À part mon don de guérison, j’ai parfois l’impression que mes pouvoirs ne servent qu’à détruire.

Kaya m’adressa un regard grave. Elle semblait troublée par ma déclaration.

– Notre magie peut être utilisée de deux façons, me répondit le mage. Pour créer, ou pour détruire. Notre peuple a façonné des royaumes avec elle. Un même pouvoir possède souvent deux facettes. Te souviens-tu de ce que j’avais dit sur le rayon paralysant ? Il endort nos ennemis lors d’un combat, grâce à une hormone produite dans notre corps combinée à la magie d’Orfianne ; mais on se sert de ce même pouvoir pour faciliter l’accouchement, soulager la douleur.

 Il s’arrêta un instant de parler, observant les flammes, l’air sérieux, puis reprit :

– Nêryah… nous avons été contraints d’utiliser nos pouvoirs différemment, de les modifier à cause des monstres créés par les humains. Nous n’avons pas eu le choix. Face à leurs assauts sans pitié, nous ne pouvons que nous défendre.

 Je lançai un regard triste à Avorian. Son expression se durcit. Je méditais sur ses propos, tentant de comprendre tout ce que cela impliquait, et réalisai combien le lien entre les deux planètes pouvait s’avérer néfaste pour les Orfiannais.

 Nos embanores restaient allongés à nos côtés ; leurs corps nous offrant une douce chaleur.

 Je m’enduisis les bras et les jambes de l’huile que Kaya m’avait donné. Ma peau me brûlait. Il fallait absolument la nourrir pour me protéger des cuisants rayons du soleil.

Je ne veux pas devenir toute fripée !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0