Chapitre 1 suite : un étrange bruit

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 Une fois les derniers décors installés, nous répétâmes nos prestations durant toute la matinée. Les parents d’élèves allaient venir l’après-midi participer aux différentes activités, dont la plus prisée, la dégustation de gâteaux – évidemment.

 Les miens ne pouvaient en profiter en raison de leur travail. Tant pis pour eux !

 Après un déjeuner frugal au self – on voulait tous se réserver pour les sucreries –, les familles commencèrent à s’installer dans notre amphithéâtre métamorphosé en salle de spectacle. Nous étions vraiment fiers du résultat, surtout de nos deux immenses sapins disposés de chaque côté de la scène. Les peintures réalisées par les élèves en classe d’art-plastique enjolivaient les murs, les rehaussant de couleurs chatoyantes. On avait également suspendu au plafond de nombreux luminaires colorés, et accroché de larges guirlandes sur le devant de l’espace scénique. Notre lycée respirait la bonne humeur, le fameux « esprit de Noël ».

 Le grand moment arriva : notre chorale débutait le spectacle. La cheffe de chœur, à ma grande surprise, nous avait proposé une fabuleuse chanson du groupe Queen, Thank God It's Christmas, pour le concert de Noël. J’avais bondi de joie… puis d’affolement : « Nêryah, pour le deuxième morceau, tu chanteras en soliste », m’avait-elle désignée. Et lorsque je lui appris que je souhaitais interpréter un air de l’époque Baroque (l’une de mes périodes musicales préférées, avec le Moyen-âge), la professeure m’avait répondu que cela ne reflétait pas assez l’esprit de Noël, et que mes petits camarades risquaient de ne pas saisir ce brusque saut dans l’histoire de la musique. J’avais alors insisté en louant la beauté de l’air « Remember me[1] » d’Henri Purcell, histoire d’instruire un peu ces fanas de « pop-love music ». En vain : « C’est encore pire ! On ne peut pas faire plus triste ! » s’était-elle offusquée.

 « Oui, mais c’est tellement beau ! » avais-je rétorqué.

Me voilà donc contrainte de clamer le célèbre et redondant « Amazing Grace », psalmodié à toutes les sauces, devant cette assemblée ignare en matière de culture musicale, me dis-je en me dirigeant avec les autres vers les coulisses improvisés – juste quelques paravents et rideaux pour dissimuler les artistes, sur le côté jardin du plateau.

 Dans les coulisses, je pris les mains de Chloé dans les miennes.

 « Bonne chance pour ton solo. Tu vas tout déchirer ! » me chuchota-t-elle en me broyant les doigts.

 Nous nous plaçâmes en silence sur la scène, accompagnées de nos camarades choristes. À cause de notre différence de taille, mon amie devait se mettre au fond, et moi, en première ligne, devant la scène.

 Assis sur leurs chaises, les familles des élèves, mais aussi nos professeurs, nous observaient avec attention. La salle était comble, comme chaque année.

 Notre cheffe de chœur nous fit signe de son piano, et nous chantâmes le titre mythique de Noël du groupe Queen.

 Une fois les acclamations terminées, ce fut mon tour.

 Je me réfugiai dans mon petit monde intérieur, malgré mon trac croissant, histoire de faire honneur à cet hymne. Je commençai la mélodie, donnant le plus d’intensité possible à ma voix.

A-a-ma-zi-i-ing Grace

How sweet the sound

 J’admirais les décorations pour oublier la multitude de regards posés sur moi. Je contemplais les guirlandes lumineuses, tout en chantant, lorsqu’une lueur attira mon attention : l’une des boules scintillantes sortit de son cordon ornemental.

I once was lost but now am found…

 Je faillis stopper mon refrain. Elle voletait dans la salle, atteignant le plafond. Personne ne semblait la remarquer. Seule au beau milieu de la scène, je la suivais du regard, les yeux ronds, terminant mon deuxième couplet. Comment poursuivre ma chanson ? Je voyais comme un petit corps dans cette aura dorée. Une fée ! C’était une petite fée ! Et personne ne réagissait ! Elle traversa la voûte de l’amphithéâtre pour disparaître dans un tourbillon de paillettes.

Ressaisis-toi Nêryah ! me repris-je, complètement perturbée.

Was blind, but now I see

 Absorbée par ma volonté de réussir, je terminai mon chant par quelques notes tenues dans les aiguës.

 Les applaudissements me firent revenir à la réalité. Je me sentis rougir. Toute intimidée, je partis m’installer avec les autres dans la salle pour regarder la suite du spectacle. J’étudiai les alentours, aux aguets. Aucun signe de l’enchanteresse.

– Bravo, ta voix était magnifique, comment toujours, mais… qu’est-ce que tu fais, là ? me chuchota Chloé à l’oreille. On dirait une girouette !

 Impossible de me concentrer. Je venais de voir une fée… une vraie ! Cet incident me perturbait. Je ne voulais pas en parler à mon amie pendant le spectacle, au risque de gêner les autres. Je repensai au bruit de ce matin. J’avais l’impression de vivre cette journée par procuration, presque en-dehors de mon corps.

 Toutes les représentations eurent du succès. Mais pas autant que la dégustation de gâteaux qui se profilait déjà. Chloé partit rejoindre sa mère et sa grand-mère maternelle qu’elle n’avait pas vue depuis des années.

 Une fois les tables de mets et de boissons mises en place, élèves et spectateurs se ruèrent sur les pâtisseries.

 Les yeux dans le vague, j’en goûtai quelques-unes.

– Qu’est-ce qui se passe, Nêryah ? D’habitude, côté gâteaux, t’es du genre à tout dévorer ! Tu vas finir par crever de faim, ma vieille, me taquina Chloé, qui venait de me rejoindre.

– Je sais pas. Je n’ai pas spécialement envie de manger. J’ai vu quelque chose de vraiment bizarre pendant mon Amazing Grace… quelque chose de très lumineux.

– Étant donné ta superbe prestation, tu as probablement été touchée par la Grâce Divine ! prononça-t-elle pompeusement. De toute façon, tu vois tout le temps des trucs zarbis.

 Je hochai la tête en lançant un regard à la famille de Chloé, qui admirait les peintures. Sur ce point, elle avait raison : il m’arrivait sans cesse des choses étranges

[1] Tiré de l’Opéra « Didon et Énée ».

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