Chapitre 32 : Voyage dans le désert

6 minutes de lecture

  Je me réveillai en sursaut. Avorian me considérait d’un air soucieux.

– Tu as eu un sommeil agité.

– J’ai rêvé de la destruction de cette planète… c’était horrible ! Et j’ai entendu la voix d’Arianna dans ma tête, puis celle de Sèvenoir !

– Sèvenoir ? Est-ce que tu l’as vu ? s’empressa-t-il d’ajouter.

Je ressentais de l’appréhension dans sa voix.

– Non, non. Il m’a parlé par télépathie, j’imagine.

 Avorian m’étudiait avec des yeux ronds, le visage crispé. Je n’avais pas envie de lui dire la vérité. Je voulais garder cette curieuse rencontre pour moi.

– Qu’a-t-il dit ?

– Qu’il serait toujours là pour m’aider. Que des choses gentilles.

 Le mage redressa son buste et se détendit. Ses cheveux blancs mi-longs dansaient au gré du vent. Il scruta un moment le ciel, plongé dans ses réflexions intérieures, puis finit par dire :

– Ta présence semble le transformer. C’est… inespéré ! Sa magie nous serait d’un grand secours. Jumelée à la tienne… vous pourriez faire des prouesses.

 Le même discours qu’Arianna dans mon rêve ! Je me sentis soudainement découragée. Avorian et la reine des fées me surestimaient, et décelaient en moi un potentiel pour le moins inexistant. Ils croyaient avoir trouvé leur sauveur, sous prétexte qu’apparemment, j’étais la seule capable de rétablir l’harmonie entre les deux mondes. Ils allaient vite s’apercevoir de mon incompétence.

– Il m’a aussi révélé que la statue dans l’église, celle qui me ressemble, était en réalité une Gardienne de notre peuple.

– C’est vrai. C’était même une puissante Gardienne. Son vœu le plus cher était de se rendre sur Terre, et elle a tout entrepris pour le réaliser. Mais cela s’est malheureusement mal terminé pour elle. Les créatures de l’ombre l’ont emportée, avec les nôtres... Pardon de te presser, mais il faut reprendre la route. Un long chemin nous attend.

C’était donc bien une Guéliade, Sèvenoir n’a pas menti.

– Vu la ressemblance, elle aurait pu m’être apparentée, vous ne pensez-pas ?

 Avorian m’observa un instant d’un air navré. Il posa une main sur mon épaule, en un geste qui se voulait réconfortant. Il ne possédait vraisemblablement pas cette information.

– C’est… tellement dur d’être au milieu de tout ça ! me plaignis-je, les larmes aux yeux. N’existe-t-il pas un lieu de commémoration pour les Guéliades, avec les noms des membres de notre peuple ? Je pourrais peut-être y trouver un indice sur mes parents ?

 Je me rendis compte de l’impertinence de mes propos : Avorian était le seul survivant. Il ne pouvait pas connaître tout le monde ! Et les autres peuples vivaient sur leurs terres, dans leurs royaumes. Il m’avait aussi confié auparavant qu’il ne restait plus rien de notre culture, pas un seul souvenir, rien à quoi se raccrocher.

– Hélas, à moi seul, je ne peux pas répertorier les membres de notre vaste nation disparue. Et puis, à quoi cela servirait-il ? Nous pouvons certes chanter et prier pour eux, mais leurs âmes sont déjà certainement réincarnées après tout ce temps. Les Guéliades vivent encore quelque part…

– Mais ne sont plus des Guéliades ! ponctuai-je, frustrée.

 Je voyais bien qu’il était sincèrement désolé. Il ne savait pas comment s’y prendre pour m’aider. Je ravalai mes larmes et ma rancœur.

 Nous prîmes un petit-déjeuner bien trop léger à mon goût, puis marchâmes en silence, perdus dans nos pensées. Le paysage rocailleux laissa place à une immense étendue sableuse. À nouveau de cette belle teinte curcuma – on en mangerait !

 Pas un arbre, pas une plante à l’horizon.

 Le soleil devenait insupportable, sa chaleur, étouffante. Nous devions nous arrêter tous les quarts d’heure pour boire un peu d’eau. Il fallait pourtant se restreindre, car dans ce milieu hostile, cette dernière allait vite devenir une ressource aussi rare que précieuse.

– Avorian, je ne sais pas quelle température il fait, mais c’est une vraie fournaise ! soupirai-je.

– Nous entrons dans le désert de Gothémia, m’apprit-il. Il va faire de plus en plus chaud, courage !

Combien de temps va durer sa traversée ? m’inquiétai-je.

– Je croyais que l’on était censés grimper en altitude pour rejoindre le Royaume de Cristal !

– Oui, mais nous devons d’abord traverser ce désert, puis atteindre la forêt de Lillubia et enfin, les montagnes, au Nord d’Orfianne. Il existe une autre route, mais je dois absolument récupérer quelque chose ici…

– Ah oui ? Eh bien moi je crois qu’on ne pourra jamais arriver aux montagnes : on sera calcinés bien avant !

– Alors cesse de te plaindre et préserve ta salive, si tu ne veux pas cuire trop rapidement, répliqua Avorian d’un ton cynique.

 Je n’osais le questionner à propos de cette « chose » qu’il devait à tout prix récupérer. Secret, taciturne, Avorian devinait tout, mais on ne pouvait cependant rien extirper de lui. Et si je me risquais d’insister, il s’en offusquerait, à coup sûr.

– Et puis…, ajouta-t-il d’un ton énigmatique, il y a quelqu’un là-bas que tu as très envie de rencontrer.

 Le mage m’adressa un beau sourire.

– Mais oui ! Comment n’ai-je pas pu faire le rapprochement ! Le désert ! Nous allons voir la femme qui m’a allaitée ! Oh, merci Avorian ! Merci !

 Je sautai dans ses bras, déposant un baiser sur sa joue.

 Une mer de sable s’étendait à perte de vue. J’observais les nappes de chaleur troubler le panorama, faisant trembler les dunes. Le bleu profond du ciel affleurait l’ambre moiré du sable brûlant. Le vent emportait dans son souffle les grains dorés en une danse spectrale.

 Perdue dans ma contemplation de l’horizon, j’entendis soudain un « crac » sous mes pieds. Mon regard se posa alors sur… un os. Avorian s’accroupit et se mit à balayer le sable, à la manière d’un archéologue.

 Il découvrit rapidement qu’il s’agissait des ossements d’un animal.

– Qu’est-ce que c’est que ça ? grimaçai-je.

– Un squelette d’embanore. Une créature très résistante à la chaleur. Ceux qui savent en apprivoiser s’en servent comme monture.

– Pas très rassurant, confiai-je. Si cet animal tenace a succombé, on n’aura guère plus de chance que lui…

– Contrairement à nous, les embanores sont dépourvus de talents magiques. Et puis, peut-être était-il tout simplement très vieux, comme moi ! s’avança-t-il en prenant un ton malicieux, le sourire aux lèvres.

 Sa remarque me fit rire.

 Je me retournai pour reprendre la marche, et sursautai, les yeux écarquillés de stupeur : au loin, un immense tourbillon de sable se dirigeait droit sur nous. Je tirai Avorian par la manche pour le lui montrer, incapable de parler. De violentes bourrasques soulevaient déjà le bas de son kimono céruléen, lui donnant l’air d’un épouvantail sans défense. Les rafales m’obligeaient à plier les genoux, comme pour me défier, et s’engouffraient dans le tissu léger de mon pantalon. Ce déferlement de puissance allait inévitablement nous emporter.

 Voyant qu’Avorian ne réagissait pas, je lui pressai le bras en criant :

– Courons !

– Non ! Ça ne sert à rien, il nous rattrapera. Il faut vite créer un bouclier ; tu vas m’aider. Fais comme je t’ai appris !

 La tornade se rapprochait à grande vitesse. Effrayée, je m’efforçais de rassembler toute mon énergie pour constituer un bouclier résistant, alors qu’Avorian venait de faire apparaître le sien en un clin d’œil. Mes mains refusaient d’obéir, trop crispées pour pouvoir polariser la matière translucide. Je me concentrai davantage en inspirant à fond. Une sphère transparente, aux reflets bleutés, jaillit de mes paumes. Nos écrans protecteurs se fondirent alors en un seul autour de nous.

 Le tourbillon infernal continuait sa course, inéluctablement, nous démontrant sa supériorité. Nous voilà face à une force de la nature dans toute sa splendeur ! me dis-je, aussi impressionnée que paniquée.

– Couche-toi au sol et accroche-toi ! s’époumona Avorian. (Le bruit de la tornade couvrait le son de sa voix). Même fusionnés, nos boucliers ne tiendront pas, on risque d’être emportés ! Je vais tenter de le ralentir.

– Laissez-moi vous aider !

– Non ! Préserve tes forces, j’ai besoin de toi pour maintenir notre protection !

 Avorian, toujours dans notre armure magique, positionna ses mains face au danger, projetant un puissant jet de lumière blanche. Sa magie passait à travers notre sphère sans l’endommager, et percuta la colonne de sable qui se mit à pivoter un peu moins vite. Mon guide continua à alimenter son rayon, sans discontinuité. Complètement affolée, je fis de mon mieux pour renforcer notre bouclier. La tornade progressait. Elle arriva jusqu’à nous, traversant notre dôme bleuté. Je posai mes mains sur ma tête, en un geste instinctif. Je priai avec ferveur tous les dieux et saints que je connaissais – merci, Isabelle.

 Notre bouclier bougea, vibra, mais ne céda pas.

 Enfin, la terreur s’éloignait, entraînant des vagues de sable sur son sillage.

 Je me relevai doucement. Notre champ de force disparut. Je cherchai Avorian du regard et le trouvai étendu au sol ; il ne bougeait plus, paupières closes.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0