Chapitre 33 : Le sable s’envole

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 Les yeux écarquillés d’horreur, je m’assis près de son corps inerte, et me mis à crier son nom, pétrifiée, les mains crispées sur mes joues.

– Avorian ! Non ! Je vous en supplie… réveillez-vous !

 Pas de réponse. J’attendis quelques minutes. Aucun mouvement, ni tressaillement.

 Je fondis en larmes. Tout se passait comme dans mon cauchemar. Avorian me sauvait la vie au détriment de la sienne. Sans lui, je ne pouvais rien accomplir sur cette planète étrangère. Il était bien plus utile que moi dans ce monde de magie.

 Je versai un peu d’eau de ma gourde sur mes doigts pour humidifier ses lèvres.

 Avorian ouvrit enfin les paupières.

– Vous êtes vivant ! claironnai-je en le serrant dans mes bras.

– Doucement, fit-il d’une voix rauque. Bien-entendu que je suis en vie ! Je suis le dernier vieux Guéliade de cette planète !

 Je lui lançai un regard taquin, les sourcils froncés, retenant un rire discret.

– Alors je vous interdis formellement de mourir, vieux Guéliade !

 Nous nous observâmes un long moment, le sourire amusé. J’aimais contempler l’éclat de ses beaux yeux gris. Je lui tendis ma gourde ; il but à grosses gorgées.

 Avorian se disait toujours « vieux », et pourtant, rien dans son apparence ne montrait les signes d’un âge avancé. Son visage angélique à la peau parfaitement lisse, imberbe, dénuée de rides, et son regard pétillant lui conféraient, au contraire, un charme juvénile.

 Quel âge pouvait-il bien avoir ? Combien de temps vivaient les Orfiannais ?

– Nêryah… j’ai peur que cet ouragan ne présage rien de bon. Quelqu’un le dirigeait. Nous sommes encore en danger.

– Je suis sûre que c’est Sèven…

 Un rugissement effrayant interrompit ma phase. Nous tressaillîmes. Une violente tempête de sable s’annonçait à l’horizon.

– Non, mais je rêve ? m’indignai-je. Un ouragan, et maintenant, une tempête ? On est maudits ou quoi ?

– Ces manifestations n’ont rien de naturel : quelqu’un s’en prend à nous !

 L’air s’opacifiait de plus en plus. Le sable s’affolait, tourbillonnait, fouettant nos visages.

 Je sortis un châle de mon sac pour vite m’enrouler dedans.

 Avorian, à peine remis sur pieds, tomba sous la force du vent. Je m’efforçai de le soutenir, bravant la prodigieuse puissance des rafales. Le Guéliade se redressa avec difficulté. Il fallait pourtant nous hâter, la tempête furieuse cavalait jusqu’à nous. Nos corps ployaient, et nos jambes se dérobaient sous nos pas. Impossible de fuir : nous faisions du surplace.

 Le bruit infernal des bourrasques sifflait dans mes oreilles. Avorian et moi luttions de concert, les bras repliés devant nos visages pour nous protéger des gerbes de sable. Malgré nos capes et nos foulards, nous en avions partout : dans la bouche, les yeux, les cheveux. Je n’arrivais presque plus à respirer. À chaque fois que j’inspirais, j’ingurgitais du sable, que je recrachais en expirant. Ma gorge me piquait horriblement. Je ne voyais plus rien. Avorian me prit par la main. Ne parvenant plus à marcher, il pointa le sol du doigt. Je crus qu’il me demandait de me mettre ventre à terre, mais il agita son bras, et une cavité assez large pour deux personnes se creusa d’elle-même dans le sable, en un clin d’œil.

 Nous nous installâmes tant bien que mal dans notre tranchée de fortune. Mon ami usa de ses dernières forces pour créer une sorte de bouclier afin d’en reboucher l’accès, empêchant ainsi le sable orangé de nous enterrer pour de bon. Guidée par mon instinct, je consolidai notre toit translucide à l’aide de ma magie, comme auparavant. Cela fonctionna. Notre abri nous protégeait de la tempête. Il suffisait d’attendre qu’elle se calme.

Décidément, que ferions-nous sans nos pouvoirs ! pensai-je, à bout de souffle.

 Avorian paraissait épuisé. Je me reposai un peu contre lui. Impossible de m’endormir en de telles circonstances. Nous étions incapables de parler. Ces mésaventures venaient de nous vider de toute notre énergie. J’entendais le son infernal du vent, l’angoisse au ventre. Nos boucliers allaient-ils tenir bon ? Je priais pour que la tempête cesse, le corps totalement recroquevillé. La fatigue eut finalement raison de moi ; je m’assoupis un instant.

 Lorsque je rouvris les yeux, le bruit du vent avait cessé. Avorian dormait profondément. J’hésitais à le réveiller pour quitter au plus vite ce maudit désert ; il avait grand besoin de repos.

 Le choix m’en fut épargné ; il s’éveilla.

– La tempête s’est calmée, lui annonçai-je.

– Il faut partir, s’enquit mon valeureux compagnon, les idées à peine en place. Nous avons perdu bien trop de temps.

Je voyais les traits de son visage tirés, et le sentais très affaibli.

– Il serait plus sage de vous reposer encore un peu.

– Ici ? s’indigna-t-il. Hors de question !

 Je ne pus réprimer un rire nerveux. Son attitude me faisait penser à mon propre caractère. J’aurais réagi de la même façon.

 Nous avançâmes lentement sous l’écrasante chaleur du soleil, le dos courbé, en quête d’eau. Malgré nos chaussures, le sable nous brûlait les pieds et les chevilles. J’attrapai un foulard beige dans mon sac pour me protéger le visage des rayons cuisants. Avorian m’imita, plaçant un turban sur sa tête. Je m’inquiétais pour lui. Je souhaitais qu’il recouvre ses forces, au lieu de marcher ainsi, vers un horizon sans fin.

 J’avais l’impression d'absorber du feu à chaque bouffée d’air. Je ne voyais nulle autre trace de pas, hormis les nôtres. Pas même une empreinte d’animal. À l’évidence, même si la tempête venait de tout effacer sur son passage, aucune créature n’osait s’aventurer dans cette fournaise.

 Exceptés nous. Le désert, avide d’absorber en lui nos vies, était en train de nous engloutir. Cette pensée m’étourdit.

Combien de temps allons-nous tenir ? déplorai-je.

 Nous avions beau être plus résistants que des humains, l’eau commençait cruellement à nous manquer. Et toujours pas d’oasis en vue. La langue et la gorge enflées, desséchées, nous progressions péniblement sur ce sol instable qui semblait vouloir avaler nos pieds.

Enfin… un dicton sur Terre affirme que tout passe, rien ne demeure. Sauf la soif, quand elle n’est pas étanchée ! maugréai-je intérieurement.

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