Chapitre 31 : Les larmes de Nêryah

7 minutes de lecture

 Sèvenoir se trouvait réellement ici, à mes côtés ! Je le voyais !

 Les yeux écarquillés de stupeur, je le regardais avancer prudemment vers moi, les mains devant lui, en signe de paix, comme pour apprivoiser un animal sauvage. Je restais assise en tailleur sur mon rocher, hypnotisée par son masque, incapable de bouger. Arrivé à mon niveau, il posa délicatement sa main gantée sur mon épaule gauche, en un geste presque tendre. Au lieu de le repousser, je le laissai faire, complètement déboussolée.

– Pourquoi pleures-tu ? me souffla-t-il d’une voix douce.

– Que faites-vous ici ? Comment m’avez-vous trouvée ? m’étonnai-je, ignorant sa question.

– Je ressens ta présence, Nêryah. Ton aura est si belle… mais la cité des fées me la dissimulait ! expliqua-t-il en repoussant une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.

 Je frissonnai, surprise par la légèreté de son geste. Son attitude me troublait. Je ne savais pas comment me comporter avec ce mystérieux mage noir. Et curieusement, je me sentais proche de lui, ou plutôt, de sa solitude. Avec le recul, je savais qu’il n’avait jamais voulu me faire de mal.

– Tiens, tes cheveux sont différents, observa-t-il.

 Il souleva l’une de mes innombrables petites tresses.

– Les fées. Elles sont très taquines… Mais comment êtes-vous arrivé si rapidement ? En vous volatilisant ?

 Je pouvais presque deviner un sourire derrière son masque.

– Mon maître m’a en effet appris cet art…

 Je repensai à ses paroles, dans l’église. Sèvenoir avait eu pour maître un être des ombres. S’était-il vraiment rallié à ces monstres de son plein gré ?

– Dis-moi, qu’est-ce qui te rends si triste ? insista-t-il.

 Un flot d’émotions me submergea.

– Je ne sais plus où j’en suis. Vous m’avez arrachée à la Terre pour ce monde dont j’ignore tout. Je me sens… tellement perdue. Ma famille me manque.

 Je baissai la tête, observant les aspérités de mon rocher.

 Sèvenoir releva mon menton pour me dévisager. À travers son masque, je ne percevais pas la couleur de ses yeux ; je lisais pourtant une grande compassion dans son regard. Je me mis à rougir.

– Laissez-moi ! contestai-je, déstabilisée par mes propres réactions physiques en sa présence.

– Pourquoi ? Si tu venais avec moi, tu n’aurais plus d’ennuis. Ne te réfugie pas dans la mélancolie.

– Vraiment ? Vous osez tenir de tels propos alors que vous avez failli me blesser avec vos pouvoirs ! Vous nous avez même maudits, dans l’église !

– Non ! Je parlais du Limosien et d’Avorian. Ils contrarient toujours mes plans ! Dans le temple, c’est toi qui m’as attaqué, petite sauvageonne ; n’inverse pas les rôles ! Lorsque que tu m’as défié avec ta sphère, j’ai riposté. Je te pensais capable de te protéger avec un bouclier. Et il a fallu que je tienne tes mains pour vérifier ton état de santé. Pas pour te faire mal, mais pour éviter qu’à cause de tes émotions, ta magie ne sorte de toi. Tu ne te contrôlais pas, je l’ai bien vu. Je te demande pardon si je t’ai fait peur.

 Je réalisai que Sèvenoir me considérait comme une personne dangereuse, aux pouvoirs incontrôlables. Il avait donc pris toutes ces précautions parce qu’il se méfiait de moi ! Cela me paraissait absurde.

– Et alors, qu’est-ce qui vous a surpris en découvrant mon corps ?

– Tu as finalement des pouvoirs… et pourtant, tu as vécu si longtemps sur Terre...

– Vous vouliez voir la forme de mon nombril, c’est bien ça ?

– Oui. Sa forme montre que tu es Orfiannaise, tout comme tes pouvoirs. Mais il lui manque la dorure, et tu ne cicatrises pas aussi vite que tu le devrais. Ton séjour sur Terre a dû altérer ta magie. Pourtant, tu parviens malgré tout à capter l’énergie d’Orfianne. C’est contradictoire ! Je voulais te récupérer, te ramener dans ton monde natal, pour que les ondes terrestres n’altèrent pas davantage ta magie, et pour garder précieusement le trésor que tu représentes…

– Parce que je suis une Guéliade…, réalisai-je. Avorian dit que vous avez choisi la voie de la destruction. Je ne peux pas vous faire confiance.

 L’homme masqué se redressa brusquement en retirant sa main de mon épaule, visiblement contrarié.

– Avorian m’accuse à tort pour se débarrasser de sa propre culpabilité. Il te raconte des histoires. Et tu le crois, jeune naïve ! Ne t’avais-je pas prévenu de ne pas lui offrir ta confiance ? C’est un menteur, un usurpateur ! Il continuera de te voiler la vérité. Tu comprendras tôt ou tard que son but est de se servir de tes pouvoirs. Mon apparence joue contre moi. Mais n’oublies pas que tes prétendus « sauveurs » t’ont abandonnée ! Voilà la triste vérité ! Alors que moi, je suis venu te chercher sur Terre, au péril de ma vie !

 Pour une fois, Sèvenoir paraissait véritablement outré, écœuré par cette méprise. Ses bras s’animaient en de grands gestes moulinés. Sa voix, chargée d’émotions, ne trompait pas. Il marquait un point : c’était bien lui qui m’avait ramenée sur Orfianne. Pas Avorian.

– Les faits jouent contre vous, intervins-je. Comment voulez-vous que je fasse la part des choses ? Je débarque ici, j’ai tout perdu : ma famille, mes amis, la Terre et… moi-même.

 Je me relevai subitement pour descendre de mon rocher, le regard fixant son masque dépourvu d’expression. Que cachait-il derrière son accoutrement ?

 De nouvelles larmes perlaient sous mes yeux. L’homme masqué s’approcha et posa une nouvelle fois sa main sur mon épaule. Il essuya délicatement ma joue de son index ganté.

– Je suis désolé pour toi. Je comprends ce que tu veux dire, affirma-t-il d’une voix soudainement calme. J’ai tout perdu, moi aussi. Absolument tout. Je ne veux pas qu’il t’arrive la même chose.

 Contre toute attente, Sèvenoir plaça un bras autour de ma taille, l’autre sur mon dos et m’enlaça, étreignant fermement mon corps contre le sien. Enfouie dans sa sombre cape, je le laissai faire, autant abasourdie qu’intimidée. C’était étrangement agréable.

– Tu n’as pas encore tout perdu, Nêryah…, me souffla-t-il à l’oreille en caressant mes cheveux. Je suis là.

 Comment se faisait-il qu’Avorian ne se réveille pas ? Je me trouvais certes loin de lui, mais n’entendait-il pas nos voix ?

– Sous ses airs de grand sage, Avorian est en réalité un homme fourbe ! Cesse de lui accorder ta confiance, me murmura le mage noir, comme s’il avait pu lire mes pensées.

 Je m’éloignai promptement de lui, m’arrachant à son étreinte étonnamment douce.

– Êtes-vous vraiment sincère ? Avorian a pris soin de moi. Qui croire de vous deux ? De toute façon, je ne peux plus faire confiance en personne, désormais. Tout le monde me ment.

– Je ne t’ai jamais menti, déclara-t-il calmement, se rapprochant une nouvelle fois de moi. Je ne te cache rien.

 Sa main effleura tendrement ma joue, comme pour appuyer ses propos.

– Si. Votre visage.

 L’homme masqué ne répondit rien et recula d’un pas, visiblement décontenancé.

– Pourquoi m’avoir emmenée dans l’église, je veux dire, l’édifice Terrien, rectifiai-je, certaine qu’il ne pouvait pas connaître le mot français « église » que je venais de prononcer.

– Ça s’appelle donc une « église », répéta-t-il correctement. Drôle de mot ! É-gli-se, é-glise, égli-se, éééé-gliii-seeee, église ! Comme c’est amusant !

 Il prenait un réel plaisir à prononcer ce mot avec différentes intonations.

 Je le considérai avec des yeux ronds, de plus en plus déconcertée.

– En fait, je voulais voir ta réaction devant la statue, reprit-il plus sérieusement.

– Celle qui me ressemble… la femme de la légende.

– Exact. Je pensais à ce moment-là que tu en saurais un peu plus sur tes origines, qu’Avorian t’aurait parlé de ton ascendance. Et puis, la magie est puissante dans « l’é-gli-se ». C’était plus facile d’y créer un transgèneur.

– Cette statue représente-t-elle une personne de ma famille ? Connaissez-vous son nom ? questionnai-je, bien déterminée à résoudre cette énigme.

– Je me pose cette même question. Cette femme voulait à tout prix se rendre sur la planète Terre, chose impossible… et interdite ! Elle aurait cherché un moyen d’y parvenir. Je n’en suis pas certain, mais je pense qu’elle était la Gardienne des Guéliades… Je vais poursuivre mes recherches. Je souhaite sincèrement t’apporter des réponses.

 Comment se faisait-il que Sèvenoir veuille autant me soutenir, alors qu’il me connaissait à peine ? Pourquoi Avorian m’avait-il caché que cette statue représentait l’une des Gardiennes de notre peuple ?

Ah, c’est vrai, il ne m’avait pas encore parlé des Guéliades lorsque je lui avais posé la question. Il ne se sentait pas encore prêt à replonger dans le passé.

 Si Sèvenoir avait raison, cela signifiait qu’elle ne pouvait vraisemblablement pas être ma mère. Peut-être une parente ?

– Pourquoi est-ce si important pour vous de savoir qui je suis ?

– Tu es une énigme à part entière ! Ton histoire est fascinante !

– Vous ne me dites pas tout. Je sens que ce n’est pas seulement ça.

 Je le regardai droit dans ses yeux incolores, mystérieux, attendant sa réponse.

– Je… je cherche quelqu’un. Depuis bien longtemps.

– Qui cherchez-vous ?

– À vrai dire, je ne le sais pas moi-même.

 Je ne connaissais rien de sa vie, et pourtant, à travers sa taille imposante, son visage masqué, je percevais un cœur brisé en mille morceaux, mais encore bel et bien présent.

– Comment ça ?

– Notre temps est écoulé, prononça-t-il en scrutant les environs.

 Sèvenoir recula dans l’ombre puis disparut. J’avançai de quelques pas pour le chercher des yeux ; personne. Il semblait s’être volatilisé.

 Je rejoignis Avorian, m’assis contre lui, posant ma tête sur ses genoux. Il dormait profondément. Il n’avait donc pas perçu la présence de l’homme masqué, et rien entendu de notre conversation. Je me sentis curieusement soulagée.

 J’avais presque envie de m’enfouir dans les bras de Sèvenoir. Je m’étais sentie si bien contre lui. Et j’en avais honte. Cet homme masqué semblait comprendre les tréfonds de mon être. Pourtant, Avorian le considérait comme dangereux.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0