Chapitre 27 : La cérémonie

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 Ces révélations me bousculaient. Tout ce qui se produisait sur Terre se manifestait d’une manière tragique sur Orfianne. Notre peuple en avait subi les conséquences.

 Cela confirmait la théorie selon laquelle tout est lié dans l’Univers ; nos actions et nos pensées pouvaient modifier le cours des choses.

 « Voilà donc l’étonnant pouvoir des êtres humains : l’art de créer quelque chose par le « Verbe », ou par des émotions refoulées. Leur état émotionnel attire une énergie qui peut réellement se matérialiser ; soit en quelque chose de positif, comme un rêve qui se réalise, soit en se traduisant par des épreuves », avait résumé Avorian.

 « Ou par des monstres sur Orfianne ! » avais-je ajouté.

 Ce qu’évoquait le mage ressemblait fortement à la loi de l’attraction. Les humains utilisaient mal cette capacité, par pure ignorance.

 Ces conversations métaphysiques se poursuivirent jusqu’à la tombée de la nuit. Arianna nous invita à dîner. Elle nous servit les fameuses fleurs cultivées. Une première pour moi. Alors que quelques pétales suffisaient à rassasier nos hôtes, Avorian et moi devions avaler une bonne trentaine de fleurs et bourgeons pour voir notre faim apaisée.

 En attendant la commémoration d’Héliaka, Arianna me montra un endroit pour faire ma toilette : une source d’eau chaude toute proche du village. Cela me changeait des ruisseaux glacés !

 Arrivées au bassin, la fée m’offrit un petit savon. Je m’enivrai de son odeur fleurie en la remerciant. Elle me laissa seule pour respecter mon intimité. Je me dévêtis puis entrai dans la source. Son eau presque brûlante me réconforta immédiatement, et décongestionna mes muscles endoloris. Je bénis ce moment de grâce. Une fois lavée et habillée, je laissai Avorian profiter à son tour du bain et partis me brosser les dents – par principe, puisque nous venions de manger des fleurs…

 L’heure de la fête approchait. Avorian et moi nous sentions euphoriques. Pas de danger ici, dans ce village magique. Nos nerfs se relâchaient.

 Les enchanteresses nous avaient-elles envoûtés ?

 L’éclat d’Héliaka apparut soudain entre les branches des arbres. Les rayons de lumière ambrés qu’elle projetait se réfléchirent sur les murs arrondis des maisons. Les signes sculptés dans le bois se mirent alors à scintiller, jusqu’à en devenir argentés, brillants de mille éclats. Au crépuscule, les habitations s’ornaient de leur plus belle parure, étincelantes, comme pour répondre aux appels lumineux de la lune d’Orfianne. On pouvait en effet presque les confondre avec le ciel étoilé. L’air de la nuit charriait le parfum sucré des nombreuses fleurs environnantes. Je me délectai de leur effluve, doucereuse. Cette atmosphère chaleureuse me donna l’impression de flotter.

 Nous retournâmes au cercle des pierres phosphorescentes, lieu sacré pour nos hôtes. Un bon nombre de fées s’y trouvaient déjà. Elles virevoltaient autour des arbres. Je ne vis pas de lutin, à ma grande déception. Je me demandais à quoi ils pouvaient ressembler. Abélia m’apprit que les lutins étaient chargés de protéger les pourtours du village afin que le rituel se déroule sans encombre. J’allais questionner cette dernière à propos de leur rôle au sein de la forêt, quand une fée au halo vert fonça droit sur moi. Elle me lança une pluie de paillettes dorées. Je me sentis immédiatement réconfortée.

– Liana ! la reconnus-je. Comment te sens-tu ? Aucune séquelle de l’attaque ?

– Tout va bien, grâce à vous ! J’ai pu me reposer un peu avant la cérémonie.

– Je comprends. J’espère que votre rituel va définitivement repousser ces monstres !

 Abélia me pria de me placer au centre du cercle J’obtempérai avec une pointe d’appréhension. Avorian, lui, préféra rester en dehors et s’installa contre un arbre. Les fées se donnèrent la main pour former une ronde autour de moi et commencèrent à danser, à tournoyer en chantant :


N’oublie pas notre lune,

Sans elle, la vie n’est rien

Marche sur cette dune,

Prend la lumière dans tes mains

 

N’oublie pas notre terre,

Sans elle, rien n’est possible

Oublie toutes ces guerres,

La lumière te semble-t-elle inaccessible ?


Alors pense aux esprits de la nature

Tes pas seront guidés par ton destin.

Marche pour continuer ton aventure

Et ne quitte jamais le droit chemin.


Ces paroles te réchaufferont le cœur

Nous les fées, t’aiderons à vaincre la peur.

 J’étais comme en transe, bercée par cette langue si harmonieuse. Je me mis à fredonner leur mélodie. À ma grande surprise, je connaissais ce dialecte, comme si ma mémoire commençait à émerger.

– Tu as une si jolie voix, Nêryah ! Chante-nous quelque chose, me demanda une enchanteresse à la peau orange, habillée d’une robe de fleurs rouges.

– Oh oui ! Une chanson ! reprirent les autres en chœur de leurs petites voix.

Arianna et Avorian approchèrent.

J’entonnai un chant très ancien en langue gaëlique, que m’avait appris mon père, évoquant une légende celte. Je trouvais cela plutôt approprié. Tout le monde m’écoutait attentivement, l’air émerveillé. Je me sentais partagée : le regard pétillant des fées me ravissait, mais cet air me rendait mélancolique. Il me rappelait les bons moments passés avec ma famille, lorsque nous chantions tous ensemble.

– Quel timbre sublime tu as ! me complimenta Arianna une fois ma chanson terminée.

– Ta voix est pure, cristalline, approuva Avorian.

– Merci ! Mon père m’a enseigné la technique vocale pendant des années. Je lui dois beaucoup.

 Je baissai les yeux. Penser à mes parents était tellement douloureux. Allais-je les revoir un jour ? Et mon amie Chloé ? Ma chienne Mina ? Pouvait-on réellement effacer la mémoire d’un animal ? Dans le cas contraire, ma chère compagne déplorait-elle mon absence ? Toute ma vie sur Terre continuait de vivre en moi. Cela me rongeait le cœur.

– Chante-nous autre chose ! supplièrent nos charmantes hôtesses.

 Ne pouvant résister à leurs yeux brillants, je leur chantai un poème de ma propre composition :

Le long du chemin ardu,

Marchent les voyageurs perdus,

Portant avec eux la flamme de vie

Vers un monde où règnent le silence et la nuit.


Seuls sur la route de l’existence,

Les Pèlerins rassemblent leurs souvenirs.

Acceptent leur passé, rencontrent leur

essence,

Pour aimer et comprendre leur devenir.


Bercés par les mots de l’enfance,

Ils avancent sur le grand sentier du

destin.

Le cœur empli d’espérance,

Pleurent de joie, de chagrin, leur ego éteint.


Leurs larmes épurent leur corps,

Apaisent la douleur, la haine.

Leur esprit ne craint plus la mort,

Mais l’aime et la comprend sans peine.


Nous sommes tous des voyageurs sur

l’éternel chemin de l’amour.

L’Univers entier avance vers la même

lumière.

Nos âmes traversent l’immense océan de vérité, en quête pour toujours.

Suivons la belle étoile sans nous mettre de frontière...

...elle nous mène à l’éternité.


 Adossé contre un arbre, Avorian me regardait danser sous le ciel étoilé, le sourire aux lèvres. Les magiciennes fusaient dans les airs, leur trajectoire formait des étincelles, tel un feu d’artifice. L’atmosphère se colorait de leur halo lumineux, tel un arc-en-ciel aux couleurs chatoyantes.

 Je n’arrivais pas à me défaire du cercle des fées, comme hypnotisée par ce festival coloré. Totalement épuisée, mes membres refusaient d’obéir : je virevoltais, inéluctablement.

 Avisant mon visage en sueur et mes yeux mi-clos, Avorian attrapa ma main et m’extirpa de cette ronde infernale. Je tombai dans ses bras, incapable de me tenir debout.

– Merci, soufflai-je d’une voix faible.

– Sacrée Nêryah, tu te serais effondrée avant qu’elles n’aient terminé : elles en ont pour toute la nuit ! déclara-t-il en riant. Il est presque impossible de sortir d’un rituel de ce type par soi-même. L’enchantement est trop fort.

– C’est pour ça que vous n’y êtes pas allé ?

– Exactement ! Arianna m’a montré un endroit pour dormir. Je crois que tu en as grand besoin.

– Oui, mais je vais d’abord prendre un deuxième bain. C’est vital !

 Je retournai à la source chaude.

 Enfin propre, je m’affalai sur un lit improvisé, composé de mousse.

– Avorian, j’ai une question un peu singulière… on a seulement vu des fées femelles, comment font-elles pour euh… disons, perpétuer leur espèce ?

 Il me regarda, les yeux rieurs, un sourire au coin des lèvres et me répondit :

– Les lutins.

 Nous nous esclaffâmes en cœur, incapables de nous arrêter de rire.

 La nuit, je rêvai que tombais dans un trou noir. Mon corps, inerte, ne pesait plus rien dans le vide. Dans cette chute interminable, les ombres volaient à ma rencontre. Elles arrivaient à toute vitesse, enveloppait mon corps de leurs nuées ténébreuses en m’entraînant dans l’abîme. Je criais, me débattais pour tenter de fuir.

 Je me réveillai en sursaut, poussant un cri. Il faisait encore nuit. Je me mis à pleurer. Mes gémissements alertèrent Avorian.

– C’est fini, souffla-t-il en caressant doucement mes cheveux.

– J’ai peur des êtres des ombres !

– Je suis là, tout va bien. Rendors-toi maintenant.

 Le mage me prit tendrement dans ses bras.

– Non, je ne peux pas !

– Il ne peut rien t’arriver ici, d’accord ? La nuit est paisible, le village est protégé. Ferme tes yeux, Nêryah.

 Il me rallongea précautionneusement sur le lit.

– Je ne les laisserai pas te prendre... plus jamais. Je te le promets, souffla-t-il en déposant un baiser sur mon front.

 Mes paupières se fermèrent d’elles-mêmes.

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