Chapitre 26 : Le village des fées

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 Liana nous assura qu’elle ne ressentait plus d’êtres des ombres aux alentours, nous pouvions poursuivre notre route.

– J’étais assaillie de toute part ! se plaignit-elle. Je ne pouvais que me défendre. Sans votre intervention, je n’aurais jamais pu les vaincre.

 Nous progressions dans une vaste prairie, guidés par la fée. J’aperçus au loin d’étranges petites sphères colorées danser dans les airs. Elles fusaient dans toutes les directions. Je discernais un corps à l’intérieur de chacune de ces boules de lumière. Ce spectacle enchanteur m’apporta un peu de paix et de gaieté. Ma respiration se calma enfin. J’avais beau les avoir combattus une fois chez Avorian, ces monstres m’effrayaient, et mes sphères se révélaient impuissantes face à leur sombre pouvoir.

 J’entendais l’écoulement d’une chute d’eau. Quelques pas plus loin, j’entrevis une cascade au creux de gros rochers. Elle se déversait dans un bassin bordé de rocaille. Des fées s’y baignaient. Des gouttelettes jaillissaient autour d’elles, projetées par leurs gestes empreints de grâce. J’avais peur que l’eau n’abîme leurs petites ailes transparentes.

 Lorsque nous nous approchâmes de la cascade, elles bondirent hors de l’eau à une vitesse fulgurante. Le fait d’être mouillées ne les empêchait nullement de s’envoler avec élégance. Malgré leur petite taille – légèrement plus hautes qu’une main humaine –, elles n’en demeuraient pas moins impressionnantes par leur vivacité. Je n’avais guère envie de passer sur leur territoire sans leur accord.

– Eh bien ! Quel accueil mes amies ! Du calme !

– Oh, sois le bienvenu, Avorian ! s’excusa l’une d’elles à la peau couleur violette, vêtue de pétales de fleurs jaunes. Ces temps-ci, nous sommes sur nos gardes. Nous devons redoubler de vigilance pour protéger notre village, et préserver la paix de cette forêt.

– Ne t’en fais pas, Abélia, je comprends parfaitement, assura Avorian d’une voix posée. Nous venons tout juste d’aider Liana à vaincre une armée d’être des ombres.

– Oh… c’est bien ce que nous avions ressenti ! Êtes-vous blessés ?

– Nous n’avons rien, la rassura Liana.

– Alors… ils se matérialisent jusqu’ici ? s’enquit le mage, la voix serrée.

– Malheureusement oui, malgré nos sorts, confirma Abélia.

– Mais…, s’écria soudain une autre à la peau jaune. Serait-ce mademoiselle Nêryah ?

– Euh… oui, balbutiai-je.

– Oh, comme tu as grandi ! Regardez ! C’est Nêryah ! Venez voir, vite ! C’est Nêryah !

En quelques secondes, un « essaim » de fées volait vers nous. Je leur souriais candidement.

– Comment me connaissez-vous ?

Quelques-unes gloussèrent joyeusement.

– Tu es connue dans le monde des fées, assura Abélia. Ne te souviens-tu pas d’être venue nous voir, lorsque tu étais enfant ?

– Non, justement… je ne me souviens de rien.

– C’est à cause des voyage inter-dimensionnels, développa-t-elle. Changer de plan vibratoire est très difficile pour un être de chair, non éthéré. Viens, nous allons te faire visiter notre village.

 Les fées parlaient toutes avec des voix aiguës. Je trouvais cela adorable. Elles s’habillaient de plantes et de fleurs, si bien que l’on pouvait facilement les confondre avec le décor, et les prendre pour des végétaux étant donné leur peau colorée. De véritables caméléons !

 Nous suivîmes les maîtresses des lieux. Elles virevoltaient autour de nous, nous montrant le chemin. Alors que la forêt reprenait ses droits, l’une d’entre elles s’arrêta, agita ses mains, et les arbres disparurent un à un, comme si une gomme géante modifiait le paysage. À la place, un village féérique se dessina sous nos yeux émerveillés.

 La cité des fées.

– Mais…, soufflai-je ébahie. La forêt vient de se volatiliser !

– C’était une illusion. Nous devons dissimuler notre village aux créatures maléfiques, m’informa la dénommée Abélia, perdant son beau sourire. Une mesure de sécurité indispensable ces temps-ci. Nous sommes malheureusement contraintes de nous cacher.

– En tout cas, c’est très efficace ! commentai-je, admirative.

 J’ignorais que les fées possédaient de tels pouvoirs.

– Je vous laisse quelques instants ! nous prévint Liana. J’ai besoin de me ressourcer.

Elle s’envola, slalomant entre les arbres.

 Leurs maisons se dressaient parmi les végétaux, se logeant entre les rochers. Elles se fondaient parfois au milieu des fleurs, ou côtoyaient les branches des arbres. Certaines enchanteresses habitaient leurs troncs ; on pouvait en effet observer de petites ouvertures serties dans leur écorce. D’autres habitations de forme polygonales bordaient leurs racines. Toutes ces jolies demeures bâties en bois, dont le toit arrondi se composait de feuilles, se situaient autour d’un large cercle de champignons. Je remarquai sur chacune d’elles des symboles gravés à même les murs.

 Leur ingéniosité me fascina : elles se servaient de la nature environnante pour aménager les lieux. Par exemple, les enchanteresses utilisaient les coquilles de noix comme récipients. Elles cultivaient légumes et végétaux, disposés en petits parterres, « autant pour les manger que pour en faire potions et onguents », m’apprit Avorian.

 Cet endroit dégageait quelque chose d’à la fois puissant et rassurant.

 Une magnifique fée entourée d’un halo lumineux flottait vers nous, étirant ses longues ailes jaunes semblables à celles d’un papillon. Je reconnus immédiatement Arianna à sa peau aussi blanche que sa robe, presque diaphane, et à ses cheveux noirs ondulés. Je notai qu’elle était la seule à posséder des ailes colorées. Ses consœurs, au teint pigmenté à l’image des fleurs, les avaient fines et transparentes.

 La reine me regarda longuement de ses beaux yeux verts.

– Je suis contente de te revoir, Nêryah. Comment te sens-tu depuis la dernière fois ?

– Un peu chamboulée, à vrai dire, avec tout ce qui m’arrive. Nous avons essuyé une nouvelle attaque des êtres des ombres.

– Liana m’a transmis ce qui s’est passé par télépathie. Merci infiniment de l’avoir sauvée. Nous allons organiser une cérémonie pour décupler nos pouvoirs.

– Je suis sûre que cela fonctionnera, votre magie est impressionnante, et votre village splendide ! la flattai-je pour alléger la tension. Je ne pensais pas que les fées habitaient dans des maisons.

– Ces habitations ont été construites par les lutins. Ils vivent la plupart du temps avec nous et adorent s’y réfugier. Tu es déjà venue dans notre village, lorsque tu étais enfant, mais tu ne t’en souviens sans doute pas…

– Non, j’ai tout oublié à cause du changement de dimension ! me lamentai-je.

Arianna s’adressa ensuite à Avorian :

– Je suis retournée voir Orion. Étant donné la situation, nous avons décidé de réunir tous les Gardiens d’Orfianne au Royaume de Cristal, avec leurs Pierres.

– Je l’ai su par les Noyrociens. Le Sage voudrait-il tenter une union, maintenant qu’elle est de retour ?

– J’en ai l’impression, oui. En tout cas, j’ai envoyé des émissaires afin de prévenir chaque peuple.

– Orion a-t-il donné un ultimatum ? demanda Avorian.

– Avant la grande conjonction. Nous avons près d’un cycle. Ce qui laisse aux dynasties le temps de s’organiser. Si nous pouvions arriver avant, ce serait préférable.

– Oui, le plus tôt possible…

 Je les regardai tour à tour, perdue, dans l’incompréhension. Avorian m’offrit un sourire rassurant.

– Allons visiter les alentours, proposa-t-il.

 « Je t’expliquerai tout cela, ne t’inquiète pas », me chuchota-t-il à l’oreille en passant à côté de moi.

 Ravie de découvrir ce monde magique, je gambadais gaiement derrière nos guides. Le soir commençait à tomber. Arianna m’informa que cette nuit, Héliaka présentait sa face pleine. Nous allions célébrer ensemble cet évènement. Les réjouissances se pratiquaient principalement en l’honneur de la planète Orfianne ou de son énorme lune, m’avait expliqué Avorian auparavant.

 Nous visitâmes leur lieu de cérémonie : un immense cercle de pierres phosphorescentes, dégageant une lumière bleu-turquoise. Les derniers rayons du soleil perçaient à travers les feuillages, inondant cet espace circulaire d’une lueur mordorée. La beauté et la pureté du site magique imposait le respect. « C’est un endroit sacré, chargé d’énergie spirituelle », me confia la reine.

 J’avais bien-sûr déjà entendu des légendes à propos des cercles de fées. Ne disait-on pas qu’il était dangereux d’y pénétrer, au risque d’y rester éternellement ? Une fois entrés dans la ronde des enchanteresses, enivrés par la musique, les imprudents se mettaient inéluctablement à danser, tournoyer, jusqu’à en perdre la raison et la notion du temps. Ils pouvaient demeurer ainsi prisonniers durant des années, voire, des décennies ! J’espérais que sur la planète Orfianne, elles n’ensorcelaient pas les pauvres voyageurs ignorants.

– Cette nuit, nous prononcerons des incantations pour protéger notre forêt des esprits sombres, m’expliqua Abélia. Le cercle magique déploiera nos pouvoirs.

– Quand nous les avons combattus, j’ai ressenti toute la souffrance humaine, relatai-je.

– Nos deux planètes sont liées, et la souffrance humaine se traduit ici par ces étranges créatures que l’on ne peut vraiment définir, immatérielles, sans corps physique, à l’image des émotions réprimées des Terriens. Mais ils n’ont pas conscience de leur pouvoir, c’est bien cela le plus terrible.

– Pourtant, ces monstres sont bien réels et détruisent tout sur leur passage ! m’affolai-je.

Leur pouvoir avait bien failli m’étrangler !

– Ils sont l’antonyme de la création… et prolifèrent désormais n’importe où, jusque dans nos forêts ! intervint Arianna.

– Heureusement, toutes les émotions pures et joyeuses de nos frères Terriens contrebalancent ce phénomène, voulut nous rassurer le mage.

– Dans ce cas, pourquoi ne pas prévenir directement les autorités terriennes ? Les humains ne se rendent pas compte que leurs actions ont une conséquence ici !

 En prononçant ces mots, je réalisai que les nations humaines n’étaient absolument pas prêtes à entendre ce genre de révélation. Les médias les auraient étouffées ou déformées. Les gouvernements ne pensaient qu’à la croissance de leur économie et non au respect des êtres vivants ou des planètes. Les humains avaient-ils réellement conscience que la vie existait ailleurs que sur la leur ? Qu’en ce moment même, leurs pensées négatives affectaient un autre monde ? Et puis, comment changer leur mode de vie, leur comportement ? La souffrance sur Terre était réelle ! Quoi de plus normal que de refouler ses émotions face à des situations aussi insupportables ? On ne pouvait pas effacer les difficultés d’un coup de baguette magique. La dureté de la vie, des épreuves, ne le permettait pas.

– Autrefois, nous pouvions communiquer avec les Terriens par le biais des rêves. Mais nos mondes se sont trop éloignés vibratoirement parlant, me rappela Avorian.

– Même si nous parvenions à leur en parler, nous croiraient-ils ? intervint Abélia. Nêryah, tu as certainement pu observer combien les humains sont parfois incapables de discerner la vérité du mensonge. Comment l’humanité entière pourrait-elle contrôler ses désirs et ses pensées ? Nous les comprenons !

– Notre rôle à nous, les fées, est de tenter de restaurer l’équilibre entre les deux mondes, m’informa Arianna. Nous en sommes les gardiennes, car nous sommes les seules capables de communiquer avec la Terre et de nous y rendre grâce à nos corps éthérés. Nous pouvons facilement voyager dans l’espace-temps. En revanche, les Orfiannais n’ont plus l’autorisation de s’y rendre. Sa vibration est devenue mauvaise pour leur corps. Leur métabolisme ne pourrait pas le supporter.

– Mais moi, j’ai bien réussi à y vivre pendant seize cycles ! C’est peut-être également possible pour d’autres ! insistai-je.

– Je t’ai déjà expliqué tout cela, Nêryah. Tu demeures là-bas depuis ta naissance, tes énergies se sont habituées aux vibrations de la Terre, me rappela Avorian. Mais en contrepartie, tu n’as pas pu développer tes pouvoirs, ni ta dorure. Les champs éthériques y sont différents de ceux d’Orfianne.

– Alors… vous êtes donc obligés de subir cette situation ! m’alarmai-je.

Ces monstres avaient exterminé les Guéliades, il était hors de question qu’un autre peuple subisse leurs méfaits.

– En effet. Certaines factions extrémistes pensent que le seul moyen de nous préserver est d’exterminer la race humaine. Bien entendu, Arianna, le Sage Orion et moi-même ne sommes pas de cet avis… Nous nous battons autant pour la survie des Terriens que celle des Orfiannais. À nos yeux, ce sont nos frères.

– Alors, si je comprends bien, lorsque vous dites que je suis la seule capable de ramener la paix, c’est parce que mon corps peut s’adapter aux deux mondes ?

– Voilà… tu as enfin saisi pourquoi tu es si précieuse, me confirma-t-il.

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