Chapitre 20 : Le bouclier

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 Les rayons du soleil traversaient la petite ouverture ronde, annonçant une belle journée. Je m’éveillai, l’esprit hagard. Cette migraine continuelle commençait enfin à disparaître. Mon corps s’habituait peu à peu aux énergies d’Orfianne.

 J’allai prendre un bain. Une fois bien réveillée et propre, je pris dans l’armoire une robe mauve, avec une ceinture dorée en satin. Je m’empressai de m’habiller, nouai mes cheveux en une longue tresse. Le joli bustier aux manches bouffantes laissait les épaules dénudées. Une vraie princesse… perdue dans un monde inconnu.

 Avorian entra sans prévenir par le rideau de l’entrée – les portes ne semblaient pas exister ici – et me considéra de la tête aux pieds.

– Tu es vraiment splendide dans cette robe, me flatta-t-il.

– Cette tenue est ravissante ! Tout comme la jolie robe bleue que vous m’aviez donnée. Malheureusement, elle s’est complètement déchirée. Je suis désolée ! Je me demande, à qui appartenaient toutes ces robes ?

 Le mage demeura silencieux, les yeux ronds, comme s’il venait de voir un fantôme.

 J’ignorai son trouble et continuai sur ma lancée :

– Cela ressemble au style de robe que portait la statue, par exemple…

 Voyant son visage se décomposer, je réalisai que ce vêtement appartenait peut-être à une personne disparue… Une Guéliade.

 J’esquissai un sourire pour alléger cette tension palpable en ajoutant :

– Ça me fait tout drôle de porter ce genre de vêtement, j’ai peur de les salir.

– À propos de te salir, tu feras attention puisque nous allons déjeuner.

 Avorian esquivait une nouvelle fois, bien déterminé à ne pas lâcher le morceau. Puisqu’il semblait impossible d’en apprendre plus auprès de lui, j’allais devoir soutirer des informations à l’homme masqué, si jamais je le revoyais un jour.

 Nous nous dirigeâmes vers la salle à manger. J’aimais l’ambiance chaleureuse qui s’en dégageait, avec les murs enduits de terre beige, les coussins répartis au fond de la pièce, et la grande table en bois, garnie de fruits couleur fuchsia. Je mangeai ces derniers avec appétit. De la forme d’une mangue, leur pulpe à la fois acidulée et sucrée rafraîchissait agréablement mon palais. J’en retirai un tout petit noyau marron au milieu.

– Comment nomme-t-on ces fruits ? demandai-je. Je ne crois pas qu’il en existe sur Terre. C’est délicieux !

– Des neybos[1]. Ils poussent sur un arbre, dans mon jardin.

– Certains Orfiannais mangent-ils de la viande, ou bien vous nourrissez-vous seulement de plantes et de fruits ?

 C’était une question rhétorique, car je réalisais que le terme « végétarien » n’existait pas en Orfiannais. J’attendais juste sa confirmation.

– Aucun peuple sur Orfianne ne mange de chair animale. Cela ne nous viendrait même pas à l’esprit. Quelle drôle d’idée ! Manger nos confrères ? Alors qu’ils sont faits de chair et de sang, comme nous ? Rien que d’y penser, cela me donne la nausée. Nos fruits et légumes, plein de vigueur, sont bien plus nourrissants.

– Dans ma famille, sur Terre, nous ne mangions pas d’animaux non plus.

– Heureusement ! Dans le cas contraire, j’aurais été contraint de te concocter une potion pour te purifier entièrement ! J’ai aussi choisi ta famille adoptive pour leurs convictions. Viens, je vais te montrer les arbres dans lesquels poussent les neybos.

 Je le suivis. Le délicat parfum des fleurs embaumait l’air. Nous avançâmes jusqu’à un arbre d’au moins quinze mètres de haut, au tronc fin, droit, dont le feuillage fourni lui donnait un port pyramidal. Dans les feuilles ovales, de couleur vert-brillant, se cachaient d’innombrables neybos.

– Eh bien ! On a de quoi manger pour un moment ! m’exclamai-je.

– Es-tu prête pour ton entraînement ?

 Je lui répondis d’un hochement de tête.

 Avorian m’enseigna d’abord comment paralyser mes ennemis. Cette forme de magie captait non seulement l’énergie d’Orfianne, mais également une hormone produite dans notre propre corps, capable d’endormir : la mélatonine. Cela me fascina ! On utilisait ce pouvoir de différentes façons : soit en rayon pour frapper plusieurs ennemis à la fois, ou alors, on conservait la lumière dans ses paumes, dans le cas d’un combat rapproché, par exemple. Curieusement, on se servait de ce même sort pour faciliter l’accouchement : il suffisait de poser ses mains sur le ventre de la mère, en invoquant le charme pour soulager la douleur, comme un antalgique.

 Avorian m’en fit la démonstration : il sortit de ses mains un long rayon de lumière beige, s’élevant dans les airs, en direction d’ennemis imaginaires. Il m’informa qu’avec ce pouvoir, mes adversaires ne pourraient plus bouger pendant un bon moment. Cette révélation me choqua. Je préférais de loin la version pacifique, pour le traitement des maux !

 Malgré un long entraînement, impossible de faire apparaître le faisceau dans mes mains. Il voyait bien que je m’escrimais pour rien.

– Tant pis, on va s’entrainer un peu avec les sphères ! me proposa-t-il.

 J’en créai plusieurs dans mes paumes, les unes à la suite des autres, puis les lançai contre le bouclier du mage. Je n’avais désormais plus peur de blesser ce dernier.

 La leçon suivante consista justement à construire un bouclier magique pour me protéger des coups adverses. C’était bien là mon pouvoir favori : je préférais me défendre plutôt qu’attaquer.

– Le bouclier magique est simplement un renforcement de ton champ aurique.

– De mon quoi ? répétai-je.

– Le champ éthérique, ou aurique, correspond au champ magnétique qui entoure notre corps. On l’appelle aussi « l’aura ». Les énergies de notre planète le consolident jusqu’à créer une substance visible à l’œil nu, absolument impénétrable. Le bouclier nous prémunit de toute attaque. Par exemple, comme tu as pu le constater, aucune de tes sphères n’a pu pénétrer le mien.

– D’accord. Si je comprends bien, notre connexion avec Orfianne permet de renforcer quelque chose de préexistant en nous : notre aura. Elle devient comme « solide » et nous protège de toute forme d’agression.

– Oui, c’est exactement ça ! On s’y met. Imagine ton champ éthérique se déployer autour de toi, m’indiqua-t-il.

 Je m’y employai, fermant les yeux pour mieux ressentir mon corps. Je visualisai mes énergies circuler librement, puis s’étendre à l’infini, comme les rayons du soleil.

– Maintenant, rapproche tes mains, comme si tes paumes allaient créer une densité autour de toi. Ressens combien c’est lourd, dense, solide. Ton aura doit devenir visible et consistante.

 Je joignis mes mains, comme l’avait fait Avorian la veille, mes doigts légèrement repliés. J’imaginais mon aura devenir une bulle protectrice. Mais au lieu que cette dernière s’agrandisse réellement autour de moi, il sortit de mes mains un minuscule petit bouclier sphérique de seulement quelques centimètres… tout à fait ridicule.

– Au moins, dis-je en riant, il pourra servir pour un lilliputien !

– Ou bien pour une fée, plaisanta le mage, esquissant un sourire du coin des lèvres.

 Une heure plus tard, après avoir fourni un effort considérable, je créai enfin un beau bouclier. Une grande bulle transparente aux reflets multicolores jaillit de moi, et m’entoura totalement. Pour tester sa solidité, Avorian lança quelques sphères bleutées en ma direction. Mon cœur cogna soudain plus fort dans ma poitrine. Mon Dieu ! Et si mon pouvoir faiblissait ? Je me recroquevillai sur moi-même, effrayée. Aucun globe ne m’atteignit. Mon bouclier semblait incassable, malgré ma peur.

 L’entraînement se termina dans la soirée.

 Mon professeur de magie me rassura en me confiant que l’utilisation de mes pouvoirs deviendrait progressivement quelque chose de naturel, comme le fait de marcher ou de respirer. « Un jour, avec l’habitude et l’expérience, le bouclier se formera de lui-même autour de toi, grâce à ton instinct de survie », m’informa-t-il. Apparemment, cette aura magique se déplaçait automatiquement avec son porteur ; on pouvait ainsi se mouvoir sans l’abîmer, ni être gêné par elle, puisqu’il s’agissait de toute façon de notre propre champ énergétique, densifié.

 « Tu apprends vite ! me félicita le mage. Tu es très endurante et musclée, tu tiens parfaitement les postures en jambes pliées, bravo ! »

 Je m’habituais à ces nouvelles sensations plus rapidement que je ne l’aurais pensé. Mais je n’aimais pas du tout l’idée de devoir peut-être un jour blesser quelqu’un.


 Le lendemain, alors que je m’exerçais dans le jardin d’Avorian, j’entendis un bruit étrange. On aurait dit le son d’une libellule géante. Piquée par ma curiosité, je traversai le joli verger, agrémenté de nombreux bassins. Je me dirigeais vers l’inconnu, tout à fait à l’opposé de la maison rassurante du mage. Une forêt se dressait en face de moi, marquant la fin de la propriété d’Avorian. Le bruit d’aile s’intensifiait. Je courus dans sa direction, sur ma gauche, dans une prairie et portai mon regard vers les hauteurs. Je poussai un cri de surprise : un vaisseau spatial descendait lentement des cieux, cherchant à se poser ici-même, dans la clairière !

 Il ressemblait à un animal marin avec son corps allongé, son avant arrondi et aplani, tel le dauphin. L’arrière, de forme incurvée, s’élargissait en éventail, à l’image d’une nageoire. Il devait faire environ six mètres de long. Ses parois argentées flamboyaient sous les rayons du soleil.

[1] Nom du fruit Orfiannais, intraduisible.

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