Chapitre 19 : Origines dévoilées

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– Nêryah ! Enfin, te voilà !

 Avorian accourait, écartant les ramées sur son passage. Une sphère lumineuse dans sa paume éclairait le chemin.

– Je ne peux plus supporter toutes ces cachoteries ! criai-je d’emblée.

– Je sais que je ne peux pas demander ton pardon. Je n’en ai pas le droit.

 Je ne parvenais pas à formuler une réponse. Devant mes yeux pleins de rage, Avorian tenta de me prendre dans ses bras, mais je le repoussai violemment. Un flot de larmes coulait le long de mes joues.

– Je ne sais pas comment m’y prendre avec toi. Tu es encore si jeune.

Ses derniers mots me firent réagir, et provoquèrent une vague de rancœur dans mon ventre.

– « Si jeune » ? On dirait ma mère ! Et vous m’avez arrachée à elle, en plus ! J’en ai assez ! Alors, qu’allez-vous inventer comme mensonge, cette fois ?

 La lueur de la sphère magique illuminait mon visage déformé par la colère.

– Détrompe-toi. Je comprends parfaitement ta réaction, formula le mage, le regard triste. Et pourtant… je fais cela uniquement pour toi ! Mais tu as raison. Je te dissimule des choses parce que je n’ai pas encore affronté mes vieux démons. Je ne parviens pas à trouver les mots, ni le courage.

– Je sais que vous avez veillé sur moi, Avorian. Mais… comment vous faire confiance ? Vous avez rayé mon existence de la surface de la Terre, dans le but de m’utiliser à votre guise !

– J’en suis profondément désolé, souffla-t-il, l’air abattu.

Devant mon regard insistant, il poursuivit :

– C’est à moi de dompter mes ombres. Je ne dois pas devenir comme les Terriens. Tu as le droit de savoir.

 J’ouvris grands les yeux malgré mes larmes, attentive, surprise par ce revirement de situation. Avorian posa la boule lumineuse sur le sol et prit mes mains dans les siennes. La chaleur de ses grandes paumes me réconfortait. Il m’examina longuement avant de prendre la parole, plongeant son doux regard gris dans le mien.

 Le visage d’Avorian changea d’expression. Il semblait à présent résigné.

– Il existe six grands peuples humanoïdes sur Orfianne, en plus des fées. Les Komacs vivent dans les déserts ; les Moroshiwas occupent les forêts ; les Ewaliens résident dans des cités sous-marines ; les Noyrciens dans de vastes plaines ; les Ênkelis habitent les montagnes du Nord et enfin les Guéliades. Tu fais partie de ces derniers, tout comme moi. Nous n’avons plus de royaume, ni de terres. Mais surtout… il semblerait que nous soyons les deux derniers représentants de notre espèce. Tous ont péri lors du massacre dont je t’ai parlé, il y a des cycles de cela. J’en suis le seul survivant. J’ignore si d’autres ont pu fuir ou se cacher, mais tes parents ont disparu ce jour-là. Je n’en sais malheureusement guère plus sur eux.

 Je demeurai muette face à cette révélation. Cette bataille avait manifestement fait bien plus de ravages que je ne le présumais.

 Le mage avait donc vécu ce drame de près.

 J’avais de la peine pour lui. Je voyais bien que cela le rongeait de l’intérieur. Mais je voulais comprendre pourquoi on m’arrachait à ma famille sur Terre. On ne m’avait pas placée là-bas pour se débarrasser de moi, mais bel et bien pour me protéger. J’étais donc vraisemblablement la dernière femme d’un peuple dont j’ignorais tout. Voilà pourquoi on me répétait sans cesse que j’étais précieuse.

 Les étoiles scintillaient. Je contemplai un instant l’éclat roussâtre de la lune Héliaka pour rassembler mes idées. Tous ces noms de peuplades m’intriguaient. J’essayais d’imaginer leur forme, leur couleur de peau. Certains vivaient donc sous l’eau… Incroyable !

– Qui a exterminé les Guéliades, et pourquoi ?

– De créatures issues des émotions humaines qu’on appelle les Modracks. Ils ont envahi Orfianne, mais s’en sont particulièrement pris à nous, parce qu’ils craignent notre puissance. Les Modracks se sont alliés aux Métharciens, des monstres venus d’une autre planète pour nous abattre. Tous.

 Je posai ma main contre ma bouche, choquée. J’inspirai profondément quelques secondes pour me reprendre.

– Nous sommes donc les derniers…, repris-je, peinée par cette révélation.

 Avorian baissa les yeux au sol, complètement accablé par ce constat, comme s’il avait passé des années à tenter de l’oublier. Je n’osais lui demander la raison ainsi que les circonstances de cette guerre, par peur de raviver en lui d’horribles souvenirs.

– Oui. En tant que derniers représentants de ce peuple, nous devons nous entraider et nous soutenir. Sèvenoir est un brillant séducteur, il use de son talent pour t’amadouer et fera tout pour que tu le suives. Je ne veux plus te perdre, tu es notre seul espoir, et surtout, ma seule famille. Dans mon cœur, je t’ai déjà adoptée, Nêryah.

 Je me sentis bouleversée par cette confession. Un flot de tendresse inonda ma poitrine, malgré ma rancœur. Ses mots faisaient écho à ceux de Sijia : « Je ne serai pas capable de supporter un autre deuil. »

 Ma mère me manquait tellement… J’avais envie de m’enfouir dans ses bras, et d’y rester éternellement, pour que plus personne ne m’en éloigne.

– Je comprends, et je suis réellement touchée que vous me considériez comme votre propre fille. Mais vous agissez de la même façon que l’homme masqué, cherchant à me contrôler, comme si ma vie vous appartenait.

– J’essaie de faire mon possible afin que tu ne sois pas trop déstabilisée. Comment t’accueillir dans ton propre monde, sans t’effrayer ? Comment t’expliquer que tu n’es pas humaine, bien que tu aies vécu toute ton enfance sur Terre ? Comment te parler de cette horrible guerre que j’ai vécue, d’emblée ? Je voulais t’amener les choses, petit à petit. C’était peut-être une erreur. Je n’ose demander ton pardon, alors je te conseille d’écouter ton cœur et de juger par toi-même en qui tu peux faire confiance.

 Je m’en voulus de m’être emportée ainsi, sans prendre la peine de considérer ses sentiments. Le mage se montrait patient et compréhensif avec moi, alors que je réagissais de façon impulsive.

 Je m’assis dans la mousse auprès de lui.

– Je vous demande pardon, Avorian. Je me sens tellement perdue que je n’ai pensé qu’à moi, à mes propres émotions. Je n’ai pas pris en compte les vôtres.

– Tu n’as pas à t’excuser. Tu fais preuve d’un courage et d’une maturité extraordinaires pour ton âge. Je m’y prends mal pour t’expliquer les choses, et Sèvenoir n’arrange rien !

– Justement, de quel peuple fait-il partie ? J’imagine qu’on peut le deviner en observant ses pouvoirs.

– Sa magie ressemble à celle des Ênkelis, me répondit Avorian, songeur.

– Qu’est-ce qui définit notre ethnie ? Quelles sont nos particularités ? J’ai remarqué que vous aviez les ongles nacrés, tout comme moi.

– C’est effectivement l’une de nos caractéristiques. Contrairement à la plupart des Orfiannais, nous ressemblons aux Terriens, physiquement parlant. Notre peuple était le plus puissant d’Orfianne. C’est pour cette raison que nous sommes craints.

 Je méditai sur tout ce qu’il venait de m’avouer, puis exprimai :

– C’est… complètement fou ! J’arrive sur une planète inconnue, deux hommes me racontent des choses invraisemblables, semblent ennemis et se contredisent. Moi, je suis là, au milieu, ballotée entre les deux. J’essaie de faire de mon mieux, de m’accoutumer à cette nouvelle existence, mais à chaque fois, mon ignorance me rattrape et me fait prendre conscience que je ne connais rien de moi. Essayez d’imaginer la lutte intérieure qui s’opère en moi !

 Avorian serra chaleureusement mes mains dans les siennes, hocha lentement la tête en fermant les yeux, comme pour exprimer sa compassion.

– Viens, marchons un peu, proposa-t-il.

 Nous nous levâmes pour nous diriger vers son jardin. Le mage reprit la sphère lumineuse, faisant office de lampe.

– Comment pouvez-vous savoir que je fais réellement partie de votre peuple ?

– Tous les habitants d’Orfianne ont des pouvoirs et des caractéristiques bien distincts selon leurs origines. Nêryah, tu es la dernière représentante féminine de notre peuple.

– Je suis vraiment désolée que vous ayez perdu votre nation, et toute votre famille avec. Je comprends maintenant pourquoi vous vouliez à tout prix me protéger. Je ne me rendais pas compte de ma valeur à vos yeux, ni du drame qui s’est produit. Mon cœur penche bien évidemment de votre côté… Vous m’avez sauvée. Je vous considère comme un ami.

 Nous nous observâmes un long moment, puis je repris :

– Cela ne m’explique pas pourquoi je suis restée sur Terre pendant si longtemps, alors que vous, non.

– Tu es jeune, donc vulnérable. Il fallait que tu t’adaptes au monde des humains. Malgré nos précautions pour cacher ton existence, des créatures de l’ombre t’ont remarquée. Nous sommes pourtant un peuple pacifiste. Nous utilisons nos pouvoirs à bon escient. Mais notre puissance effraie… Leur but est de nous supprimer, jusqu’au dernier, et d’envahir Orfianne.

 « Le monde des humains coïncidait parfaitement avec notre planète, c’était le meilleur endroit pour toi : un monde sans magie et sans danger potentiel. Nous devions ensuite trouver une famille ouverte et éveillée sur le plan spirituel, des personnes qui pouvaient te ressembler autant physiquement que dans leur tempérament, pour que tu te sentes chez toi, et pour que tes parents adoptifs puissent croire en notre monde. Mais surtout, il nous fallait un arbre assez puissant pour supporter la porte entre les deux mondes. Le choix de ta destination s’est donc fait en fonction de ces données.

 « Nous pouvions ainsi ouvrir un transgèneur sur le vieux chêne pour accéder à toi plus facilement. Nous voulions attendre que tu grandisses sur cette planète. De cette manière, tu devenais une passerelle entre les deux mondes, et il serait plus facile de les sauver par ton intermédiaire. Avec le temps, la distorsion entre la Terre et Orfianne est devenue trop importante. Nous n’avions pas prévu ce brusque changement. Nous n’arrivions plus à te faire venir ici, même pour quelques heures. Nous avons alors tenté de te récupérer, en vain !

« Les fées ont pu venir sur Terre pour te parler, mais pas ramener ton corps jusqu’à nous. Sèvenoir a pourtant trouvé le moyen de venir... Et finalement, il nous a rendu un immense service. Il m’impressionne par sa ténacité.

J’ai l’impression d’être dans un film de science-fiction ! pensai-je.

– Pourtant, Sèvenoir doutait de mes origines Orfiannaises, car apparemment, je devrais cicatriser plus vite. Il a aussi parlé de mon nombril. Il lui manque quelque chose. Je ne comprends pas.

 Avorian me considéra avec intensité, l’air grave.

– Nos entailles se referment rapidement, et notre nombril scintille : cela montre notre connexion avec l’énergie d’Orfianne. Mais dans ton cas, tu es restée trop longtemps sur Terre. Ton corps s’est modifié, adapté à sa planète d’accueil. Les vibrations terrestres ont également altéré tes souvenirs, ta magie. Rassure-toi, tu retrouveras petit à petit ces capacités. Tu es chez toi, maintenant.

– Chez moi…, répétai-je, pensive.

En guise de réponse, Avorian plaça sa main sur mon épaule, en un geste affectueux.

Il me fallait intégrer tout ce que je venais d’entendre. Je réalisai qu’Avorian n’était finalement qu’un homme embarrassé par son passé, d’où son côté taciturne.

Je demeurais sa seule famille.

 Une fois rentrés à la maison, je pris un bain. Avorian me concocta un dîner improvisé pour me remettre sur pieds. Nous mangeâmes les plats en silence.

– Demain, il faudra reprendre ton entraînement. Avec ce qui vient de se passer, je prends conscience qu’il faut absolument que tu maîtrises la conception des boucliers protecteurs.

 J’acquiesçai d’un signe de tête, résignée. Je jugeais ce pouvoir bien plus utile que les autres.

 Je n’arrivais pas à m’endormir. Tout se mélangeait dans ma tête. J’avais tellement envie d’en savoir plus sur notre peuple, les Guéliades, et sur les raisons de leur disparition. Avorian me disait-il toute la vérité ? Je n’étais pas dupe. Il me voilait encore des pans de mon histoire.

 Je devais absolument en savoir plus sur cette étrange statue qui me ressemblait tant. Elle pouvait très bien représenter ma propre mère, comme l’une de mes ancêtres. Sèvenoir ne m’avait pas emmenée dans cette église par hasard. Il me fallait élucider ce mystère, et découvrir l’identité de mes parents biologiques.

 Avorian avait finalement raison sur un point : pour comprendre mes origines, il était nécessaire que je reste sur Orfianne. Je voulais à tout prix mener l’enquête, et reprendre mon destin en mains.

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