Chapitre 18 : Le Limosien

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 Nous atterrîmes dans le jardin d’Avorian. Le soleil déclinait. Je reprenais peu à peu mes esprits, nauséeuse. Incapable de me relever, je restai allongée quelques instants à côté du lion ailé.

 Assise à mon chevet, les ailes repliées sur ses flancs, la chimère m’observait d’un regard doux.

– Merci… lui soufflai-je.

– Ne me remercie pas. Un jour, tu me sauveras.

– Mais qui êtes…

 La créature avait de nouveau disparu.

 Avorian accourait vers moi, une coupe en terre à la main. Il renversa au moins la moitié de son contenu en se précipitant de la sorte. Son kimono bleu lui allait certes à ravir, mais se révélait loin d’être une tenue adaptée à la course à pied.

– Nêryah ! Pardonne-moi… j’aurais dû me douter que Sèvenoir allait revenir ! Bois-ça, ces herbes vont te redonner des forces, m’assura-t-il en me tendant la coupe – presque vide, comme je m’y attendais.

 On aurait dit un jus d’orties. À la fois onctueux et piquant.

– Ne vous inquiétez pas, je vais bien. Grâce à vous et au lion ailé. Le connaissez-vous ?

 Quel être mystérieux ! J’enviais ses dons extraordinaires.

– Oui… c’est un vieil ami. On appelle cette créature un Limosien. Je n’arrive pas à croire que Swèèn soit ici, dans cette région ! Ces êtres sont rares et vénérés de tous. C’est une chance de l’avoir eu à mes côtés. Sans lui, je n’aurais jamais pu briser les sorts de Sèvenoir ! Nous avons mis du temps à te localiser, et bien-entendu, il avait scellé le temple !

 Avorian parlait en exécutant de grands gestes avec ses bras, l’air anxieux, les yeux révulsés. Il paraissait complètement désorienté.

– Swèèn ? C’est son nom ?

 Le mage acquiesça d’un hochement de tête.

– Je ne comprends pas, comment se fait-il que l’on trouve des églises[1] sur Orfianne ? Et pourquoi Sèvenoir m’a-t-il emmenée là-bas ?

– Des quoi ?

– Des « é-gli-se », répétai-je, toujours en français, puisque le terme n’existait manifestement pas en Orfiannais.

– Ah, c’est le nom Terrien de cet édifice ! compris Avorian. Il n’existe qu’un seul temple de ce type sur notre planète. Une Orfiannaise voulait rendre hommage aux monuments terrestres ayant perdurés dans le temps. Elle adorait la planète Terre, et observer les traditions humaines. Avec son bien-aimé, ils ont construit cette é-gli-se[2] pour y célébrer leur union. Ils souhaitaient ainsi reprendre un culte connu de certaines communautés terriennes. J’espère que Sèvenoir ne s’est pas mis en tête de t’épouser !

Mon raisonnement était donc proche de la vérité, songeai-je, les Orfiannais reproduisent des monuments de la Terre.

– Il ne m’a rien dit à ce sujet, répondis-je, la mine boudeuse, contrariée par cette mauvaise plaisanterie. Avorian, j’ai vu dans l’église une statue qui me ressemble étrangement. Je crois que vous me devez quelques explications.

– Cette statue représente une femme exceptionnelle. À côté d’elle siègent ses trois amis, dont un Limosien. Je suis allé deux fois dans ce monument. C’est vrai qu’il y a un petit air de famille…

– « Un petit air de famille ? », l’interrompis-je. Franchement, à part ses cheveux bleus, c’est mon portrait tout craché ! Et puis, c’est vraiment bizarre : Sèvenoir insistait pour découvrir mon identité.

Le mage planta son beau regard gris dans le mien en guise de réponse, l’air grave.

– Nêryah, hormis les fées, qui sont les gardiennes des mondes, un Orfiannais ne peut pas séjourner sur Terre, son métabolisme ne le lui permet pas, et aucun humain ne peut survivre sur Orfianne. Sèvenoir voulait probablement vérifier certains détails qui nous distinguent des humains : nos ongles et notre nombril par exemple, ou la couleur de nos cheveux.

– Oui, j’ai bien saisi tout cela. Mais moi, j’ai pourtant réussi à vivre sur Terre, alors que je n’étais qu’un bébé ! J’ai grandi là-bas ! Comment est-ce possible ?

– Justement parce que tu étais un nouveau-né. Tu as pu t’adapter aux fréquences de la Terre. Notre corps devient comme « bridé » en grandissant.

 Je relevai la tête pour contempler la planète beige. Des nappes de brume se déplaçaient lentement autour d’elle.

– Si Sèvenoir n’était pas venu me chercher sur Terre, l’auriez-vous fait ?

– Bien sûr.

 Il sonda mon regard en ajoutant :

– Nous avons essayé plusieurs fois, mais les fréquences de la Terre ont changé depuis ton départ. Nous n’y sommes pas parvenus. J’ignore comment Sèvenoir a pu réaliser une telle prouesse. Il nous a rendu en grand service…

– Alors pourquoi ces allers-retours d’un monde à l’autre, durant mon enfance, puisque j’étais en danger sur Orfianne ? Pourquoi ne suis-je pas restée sur Terre ?

– Tu es venue quelquefois ici afin de garder un lien avec ta planète d’origine, ses habitants, notre langue. Nous t’avons placée sur Terre avant tout pour te sauver, pas pour faire de toi un intercesseur entre les deux mondes. Mais tu t’es si bien adaptée aux vibrations terrestres ! Avec de telles capacités, tu pouvais peut-être réaliser l’impossible, et devenir une sorte d’émissaire de notre planète. C’est pour cette raison que je m’efforce de t’apprendre à développer tes pouvoirs. Et il faut aussi que tu sois capable de te défendre contre les ombres.

– Avorian, j’ai bien vu que nous possédions le même type de magie. Pourquoi ne voulez-vous jamais parler de qui vous êtes, ou de mon identité ? J’ai besoin de comprendre. Pourquoi m’enseigner toutes ces choses si c’est pour me cacher l’essentiel ?

– Pardonne-moi, Nêryah… Il te faut passer certaines étapes avant de pouvoir appréhender certains points de ton histoire. Je préfère t’amener les choses petit à petit, tu comprends ?

 Là, c’en était trop. J’arrivais au bout de ma patience. Fini le gentil pantin docile ! J’avais largement assez attendu depuis mon arrivée ici !

– Non, justement, je ne comprends pas ! Vous parlez de vérité, critiquant les mensonges des êtres humains, pourtant vous me dissimulez tant de choses ! Vous croyez tout savoir, mais on ne vous a pas mis dans un autre monde que le vôtre, vous ! On ne vous sépare pas de vos proches sans prévenir et surtout sans demander votre avis. On ne vous force pas à rester sur une planète totalement inconnue !

 Folle de rage, je partis en courant, filant à toute allure dans le jardin du mage. Je poussai le portillon pour rejoindre les chemins sinueux. Mes vêtements s’accrochaient aux branches, ma robe se déchira complètement. Je m’arrêtai après un bon kilomètre de course effrénée, à bout de souffle, et m’assis sur une pierre entre les arbres, incapable de retenir mes larmes.

[1] Nêryah prononce le mot « église » en français, car il n’existe pas en Orfiannais.

[2] En français dans le texte, Avorian s’efforce de prononcer « église » correctement.

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