Chapitre 13 : Les planètes jumelles

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– Pardon ! répétai-je entre deux sanglots. Je ne voulais pas vous attaquer ! C’est effrayant !

 Je repliai mes bras contre ma poitrine, le buste courbé vers mes cuisses, comme pour empêcher toute énergie de s’échapper de moi.

 Avorian s’agenouilla à mes côtés. Après un long moment de silence, il m’entoura de ses bras. Je me sentis immédiatement protégée. Le son du ruisseau m’aida à calmer ma respiration.

– Ne t’excuse pas. Tu n’y es pour rien… Tes pouvoirs se déclenchent sur Orfianne. Rassure-toi, avec un peu de pratique, tu parviendras vite à les contrôler.

– Je n’ai pourtant pas pu contrôler mes émotions…

 Je me sentais gouvernée par mes peurs. C’était effrayant. L’homme masqué avait raison. Je comprenais pourquoi il avait dû m’attacher.

– Nêryah, s’harmoniser avec Orfianne est la plus pure et la plus noble des magies. Mais il existe une autre façon de déclencher nos pouvoirs : en puisant dans nos propres émotions. Un peu comme le font les êtres humains. C’est une forme de magie dangereuse, qui nous dévore de l’intérieur. Elle est brutale, impulsive, incontrôlable. Je vais t’apprendre les techniques pour ne pas « dévier » de la pureté d’Orfianne. Accéder à la maîtrise de soi est essentiel. Il est normal que tu sois bousculée, et que tu oscilles encore entre ces deux formes de magie.

– Comment puis-je vous aider dans cet état ? gémis-je.

 Avorian plaça ma tête contre sa poitrine.

– En étant aussi patiente et bienveillante avec toi-même que tu l’es pour les autres, me souffla-t-il en caressant mes cheveux. Nêryah, notre monde n’est pas pollué comme celui des Terriens ; vois comme tu apprécies déjà sa beauté et sa pureté ! Mais l’équilibre de notre planète ne tient plus qu’à un fil. Orfianne mourra si nous ne faisons rien. Ton pouvoir pourrait nous aider.

 Je relevai la tête, plongeant mes yeux noisette dans son regard cendré. Avorian prit mes mains dans les siennes.

– La Terre aussi est magnifique, soufflai-je. Quand les hommes révèleront leur humanité, elle n’en sera que plus belle. J’ai foi en eux, j’aime ma planète. Que se passe-t-il sur Orfianne ? Vous faites tant de secrets ! Comment vous faire confiance ?

– Excuse ma maladresse. Je ne sais pas comment m’y prendre, ni par quoi commencer pour t’expliquer. Je vais être direct. Ce calme apparent est trompeur : chaque jour qui passe, des forces occultes nous menacent, les ténèbres se répandent un peu plus, et obscurcissent nos terres. Nos peuples sont en danger.

– Pourquoi ? D’où vient ce mal ?

– Je l’ignore, Nêryah. Je pense que la souffrance de la Terre se manifeste sous une autre forme dans ce monde. Ce dont je suis sûr, c’est qu’il faut préserver Orfianne, et au plus vite, car c’est une planète très importante dans l’Univers, un pôle de magie et de lumière. Si l’Ombre gagne ici, l’équilibre sera rompu… sur Terre également.

Les deux planètes sont donc liées à ce point. L’une interagit avec l’autre

– Mais comment rétablir l’équilibre ?

– Nous ne savons pas exactement, et c’est bien le problème. Pour commencer, nous devons regénérer Orfianne. Reconstruire les royaumes qui ont été détruits.

– C’est joliment dit, mais comment procéder ? Et quel sera mon rôle dans tout ça ?

 Avorian prit un air solennel et posa ses mains sur mes épaules, comme pour m’annoncer une terrible nouvelle.

– Tu possèdes une capacité hors du commun : celle de vivre sur deux mondes à la fois.

 L’expression de son visage changea alors subitement, ses yeux semblaient à présent me supplier, et sa voix se fit douce, moins assurée :

– Nêryah, tu ne pourras rien faire sur la Terre… pas encore. Pour le moment, les humains ne sont pas prêts à ce grand changement, et nous ne pouvons pas les forcer. Mais en protégeant notre monde, tu les aideras ! N’oublie pas que tu es venue ici quelquefois, dans ton enfance. Tu avais toujours grand-hâte de nous retrouver.

 Avorian semblait sincère. Malgré mes questions, ma colère, il était toujours obnubilé par cette idée de me garder sur Orfianne, et d’utiliser mes pouvoirs pour le bien de cette planète.

 J’attrapai ses mains pour les enlever de mes épaules et me relevai, le regard plein de défiance. Je plaçai mes paumes sur les hanches pour me donner un peu plus d’assurance :

– Je veux bien vous aider, mais en contrepartie, vous devrez ensuite me ramener sur Terre. Et surtout… vous ne pensez pas à mes parents, ainsi qu’à tous mes amis ! À la police qui me recherche certainement en ce moment même ! Je ne peux pas leur faire ça ! Je les abandonnerais alors qu’eux m’ont recueillie, éduquée, et rendue heureuse ? C’est injuste et lâche !

 Avorian se remit debout, me lança un regard espiègle, le sourire au coin des lèvres.

– Oh, j’ai déjà pensé à ces détails. Je peux te ramener là-bas sur une période antérieure à ton futur que tu vivras ici… mais puisque tu vas rester au moins quelques cycles sur Orfianne, je ne peux pas remonter le temps si loin… Par contre, en attendant ton retour, je peux t’effacer dans la mémoire de tous ceux qui t’ont connue.

– C’est une manie chez vous d’effacer les souvenirs des autres ? Et puis, ce ne sont pas des détails, Avorian. Mes parents rêvaient d’avoir un enfant, et voilà que vous le leur enlevez ! Et puis, c’est impossible : il y a ma chambre, des photos, et je suis identifiée sur les papiers administratifs ! Mes proches vont bien se rendre compte qu’il y a quelque chose de louche, ce n’est pas logique !

– Je peux tout effacer, te dis-je. Tous les papiers qui te mentionnent, les carnets où tes amis ont inscrit ton nom, partout. Ce sera automatique. Tu seras complètement rayée de la planète Terre…

 Mon visage se décomposa. Je sentis un poids s’abattre sur moi, si lourd qu’il me fit courber l’échine. Voyant ma mine déconfite, Avorian ajouta :

– Je rendrai la mémoire à tout le monde, lors de ton retour sur Terre. Cela ne sera pas irréversible, rassure-toi !

 Devant mon silence, il poursuivit :

– Je comprends… à première vue, cela paraît ignoble : vivre son enfance quelque part, puis tout s’arrête. Je suis navré d’être si brusque avec toi, mais le temps presse. Et pour tes parents, le destin leur amènera un heureux évènement. Enfin… je vais veiller à ce que ça leur arrive.

– Ma mère est stérile, Avorian…

– Je le sais bien. Chaque maladie porte en elle sa cause, elle n’est qu’une manifestation physique d’un problème plus profond, non résolu, bien souvent d’ordre émotionnel. Alors je peux aisément soigner ta mère et la rendre féconde. La magie permet avant tout de guérir, Nêryah.

– Peut-être, mais elle a déjà quarante-deux ans ! Nous mourrons en général vers les quatre-vingt-dix ans !

– Ah oui ? Et pourquoi crois-tu que les êtres humains meurent aux alentours de cet âge ?

 Avorian me regarda droit dans les yeux, marquant une pause.

– Parce qu’ils en sont persuadés, continua-t-il. Ils ont été conditionnés par leur culture, développant cette croyance. Elle est devenue si forte que leur corps s’est progressivement mis à vieillir plus vite. La mort étant désormais un sujet tabou, personne n’a remis en cause cette conviction. Le cycle de la vie et l’immortalité de l’âme sont incompris, banalisés, réduits à de simples notions temporelles. En réalité, le corps d’un être humain est fait pour vivre bien plus longtemps. Il n’est que le véhicule de l’âme, lors d’une incarnation précise. Mais lorsque l’on est convaincu de quelque chose, rien à faire… le pouvoir de la pensée agit sur la matière. Les Terriens ont complètement oublié cette capacité.

 Je fus bouleversée par ses paroles. Elles continuaient de résonner en moi comme un écho.

– Nêryah, c’est toi qui choisis. Je ne ferai rien sans ton accord. Que préfères-tu ? Que tes proches conservent leurs souvenirs, et te recherchent pendant des phases et des phases, dans une quête sans issue, ou je fais le nécessaire pour qu’ils t’oublient le temps de ton séjour ici ?

 Je contemplais les mouvements circulaires de l’eau du petit bassin, méditant sur ces paroles. Je tentais de ralentir ma respiration. Mon cœur battait si vite ! Je me sentais tellement angoissée. Je levai mon visage pour sonder Avorian, l’expression intense.

– Dans une telle situation, je n’ai guère le choix. Je ne veux pas qu’ils souffrent de mon absence. Je… je vous autorise à effacer toute trace de moi sur Terre.

 Avorian hocha lentement la tête, l’air sérieux, puis s’en alla, sans doute pour me « rayer de la carte ».

 Je me baladais dans le jardin, complètement abattue. Depuis mon arrivée sur cette planète, je me sentais lourde, migraineuse, comme si mon corps s’adaptait mal aux énergies de ce monde. Je m’approchai du ruisseau pour regarder les mini-cascades. Quel sentiment étrange ! Moi, Nêryah, j’étais non seulement une extraterrestre, mais en plus je possédais des pouvoirs ! J’avais du mal à le réaliser. Pourtant, je ne rêvais pas, je me trouvais bien sur Orfianne : la lune beige dans les cieux en témoignait une nouvelle fois.

 J’observais les fleurs bordant le ruisseau ondoyer sous la caresse du vent, songeant à toutes ces révélations. Toute ma vie sur Terre allait-elle s’effacer d’un coup de baguette magique ? Face à cette réalité, je me sentis légèrement soulagée : mes proches ne souffriraient pas, j’allais bientôt disparaître de leur mémoire.

 L’air se fit soudainement plus dense, comme pour me réveiller et me souffler : « Nêryah, secoue-toi ! Cette situation est inacceptable ! »

 Je pensais uniquement à ma famille, sans prendre en compte mes propres sentiments.

 Et moi, dans tout ça ?

 Je me leurrais complètement. Il n’y avait rien de rassurant là-dedans. Au contraire, j’avais l’impression de devenir un fantôme.

Je refuse que l’on m’oublie.

Cela équivaut à mourir.

 Tous ces souvenirs… tout ce que nous avions vécu ensemble, ces moments précieux. Non !

 Ma vie sur Terre s’achevait sans pouvoir dire au revoir. Moi qui rêvais depuis toujours d’une vie différente, je redoutais à présent ce destin fatal.

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