Chapitre 14 : Arianna

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 Avorian revint environ une demi-heure plus tard dans le jardin. Le soleil commençait à décliner. L’étrange lune beige, elle, poursuivait son ascension vers les cieux.

 En regardant le mage avancer vers moi, presque avec un sourire, je me sentis révoltée. Je réfléchissais à la manière de formuler les choses. Je n’arrivais pas à trouver mes mots. Comment faire preuve de tact, en de telles circonstances ? Je lui en voulais tellement ! J’annonçai brutalement :

– Ça y est ? Vous m’avez gommée de la surface de la Terre ?

– Oui. J’en suis vraiment désolé, Nêryah, crois-moi.

 Je défiai Avorian du regard, la rage au ventre. Incapable de le soutenir, le mage préféra détourner ses yeux des miens, visiblement confus. Il recula de quelques pas, l’air abattu, le visage et le dos courbés sous le poids de son embarras.

– Joli piège : en effaçant la mémoire de mes proches, je n’ai pas d’autre choix que de rester sur Orfianne.

– Je ne l’ai pas fait pour t’obliger à rester… mais pour que ta famille ne souffre pas de ton absence. Tu as donné ton accord, Nêryah.

C’est vrai. Mais moi je me souviens de tout, pensai-je.

Après un long moment de silence, il ajouta :

– À ton retour, on annulera le sort. Tout le monde se souviendra de toi. Je te ramènerai le plus loin possible dans le passé, on trouvera une excuse plausible pour expliquer ta disparition.

 Je ne savais pas quoi en penser. Toute ma vie sur Terre, balayée en un clin d’œil, comme si je n’avais jamais existé. Mes pauvres parents. Quelle tragédie ! Avorian était-il certain de pouvoir leur rendre la mémoire ? Et surtout, allais-je véritablement un jour rentrer sur Terre ? Comment en être sûre ?

 J’avais l’impression de devenir le pantin de la chorégraphie que j’avais créée pour la danse.

Chorégraphie que je ne ferai jamais… quel gâchis !

– La nuit va bientôt tomber, rentrons.

 Une fois revenus à la maison par l’étrange ouverture invisible, Avorian me conduisit à ma chambre. Il me proposa de me laver et de me changer avant de dîner. Le soleil se couchait. Une boule de lumière jaune pâle, de la grosseur d’un ballon, éclairait la pièce à la manière d’un petit astre. Rien à voir avec une lampe.

 Je m’approchai de la fenêtre ronde, sans vitre, et touchai le vide. Des cercles concentriques se formèrent sous mes doigts. Cette fois, je ne sentis aucun courant d’air. Cette forme de magie isolait sans doute la maison, et devait probablement disparaître pour l’aérer selon les envies de ses habitants.

 J’observai ma chambre. La couleur jaune pâle des murs se mariait joliment au sol en bois vernis. Le mur du fond prenait la forme d’un arc de cercle, dessinant une courbe élégante. La salle de bain, cachée par un simple rideau ocre, jouxtait l’entrée de la pièce (elle aussi isolée par une tenture en tissu). Une large baignoire en pierre grise trônait au fond. On aurait dit qu’elle avait été taillée directement dans un rocher, et posée là, sans finitions. J’imaginais son poids insoulevable. Peut-être Avorian l’avait-il emmenée par des moyens magiques ? Un autre récipient en pierre faisait office de lavabo. Je trouvai une serviette et des savons sur une petite étagère en bois. Comment remplir mon bain ? Je ne voyais aucun robinet. J’effleurai le rebord de la pierre et… incroyable ! L’eau se mit à jaillir miraculeusement du fond de la baignoire ! En quelques secondes seulement, un bon bain chaud s’offrait à moi, avec une température idéale, comme si cette maison devinait mes pensées. J’en profitai un long moment – l’eau ne se refroidissait même pas.

 Enfin propre, je découvris une jolie robe bleue sur mon lit.

 Je retrouvai facilement le chemin jusqu’à la salle à manger, éclairée par une boule lumineuse identique à celle de ma chambre.

– Comment est-ce possible que la baignoire se remplisse toute seule d’eau chaude ? demandai-je à Avorian.

– Il s’agit d’un sort très astucieux réalisé par les fées.

 Ah. Bien-sûr ! Logique.

– Depuis mon arrivée ici, je me sens vraiment mal, comme si mon corps me pesait. J’ai tout le temps la migraine et ça fourmille partout dans mes membres.

– Ton corps doit peu à peu s’habituer aux vibrations d’Orfianne. Cela ira mieux de jour en jour, rassure-toi. Comprends-tu maintenant pourquoi tu ne peux pas revenir sur Terre ? Traverser le portail entre les deux mondes s’avérerait fatal.

 Le regard du mage se fit intense.

– Nêryah… j’ai guéri ta mère de sa stérilité, déclara-t-il d’une voix douce. Elle est désormais féconde.

– Oh, merveilleux ! ironisai-je, l’applaudissant lentement, le regard noir.

– Je ne recherche pas ta gratitude. Je sais que tu es en colère contre moi, et c’est légitime. J’essaie de faire au mieux, pour tout le monde… Demain, nous commencerons ton entraînement.

– J’imagine que c’est le seul moyen de contrôler mes pouvoirs.

– En effet. Il est temps de manger. Prends place et sers-toi, je t’en prie.

 L’homme sans âge prit doucement ma main ; je la retirai d’un geste brusque. Je refusai son repas et pris congé dans ma chambre.

 Malgré mes questionnements, mes doutes, je sombrai sans m’en apercevoir dans un état de somnolence, harassée par toutes ces mésaventures.

 Un éclat lumineux me tira de mon demi-sommeil : à travers mes paupières, je percevais comme des éclairs. Je redressai la tête d’un coup, le regard vif.

 Il faisait nuit. Pourtant quelque chose éclairait la chambre et se déplaçait dans l’espace.

 J’ouvris grands les yeux, et découvris près de la fenêtre ovale une petite lumière dorée. Je restai dans mon lit, interdite, incapable de bouger. Cette lueur volait vers moi, semant sur son passage une traînée de paillettes dorées. Je distinguais maintenant sa forme : celle d’une fée. Ses longues ailes au superbe dégradé jaune-orange ressemblaient à celles des papillons, tant par leur forme que par leur couleur.

 Assise sur mon oreiller, je tendis ma main vers elle. La créature aux longs cheveux bruns se posa dans le creux de ma paume. Je ne ressentis aucune angoisse à son contact. Elle devait mesurer environ vingt-cinq centimètres, ce qui me paraissait assez grand, pour une fée. Celle-ci portait une belle robe blanche.

– Je suis tellement heureuse de te revoir, ma petite Nêryah. Je t’attends depuis si longtemps ! Comme tu as grandi ! Mon nom est Arianna. Je suis la reine des fées, me dit-elle d’une voix chaleureuse.

 L’émotion m’empêchait de prononcer le moindre mot. À la fois troublée et attendrie par ses traits si gracieux, je l’admirais en silence. Son halo doré, miroitant comme une étoile, m’hypnotisait.

– Voyons, ne sois pas intimidée. Nous nous sommes vues quelquefois, lorsque tu étais enfant. Grâce à un sort qu’Avorian et moi avons conçu, tu pouvais venir sur Orfianne, en passant par le chêne de ta maison. Nous t’avons placée sur Terre pour te protéger des êtres des ombres.

Toujours incapable de parler, je hochai la tête en guise de réponse.

Arianna marqua une pause, et plaça sa petite main contre mon index. J’en fus profondément émue. Son beau regard vert me fascinait.

– Le « fantôme » que tu as rencontré dans ton village, à qui tu as donné tes pièces… c’était une fée d’Orfianne.

– La chiromancienne ! Une fée de cette planète ? Ah ! Celle que j’ai vue dans l’amphithéâtre, pendant que je chantais, puis au cours de danse ! réalisai-je, retrouvant l’usage de la parole.

– Je voulais te préparer à ta nouvelle vie. Nous avons senti la porte des mondes s’ouvrir. Cela fait bien longtemps que Sèvenoir cherche à te rejoindre… Je savais que ta venue était proche. J’ai envoyé l’une de mes émissaires jusqu’à toi. Elle t’a suivie, et s’est aussi donnée cette apparence humaine pour te parler.

Non mais elle m’a fait tout un cirque, cette fée, en se volatilisant à plusieurs reprises et en faisant réapparaître mon argent dans ma chambre ! protestai-je intérieurement.

 Arianna éclata d’un petit rire clair, comme si elle lisait dans mes pensées.

– Les fées ont beaucoup d’humour…, me dit-elle d’un ton malicieux. Je comprends combien il t’est difficile de quitter ton ancienne vie, tes parents. Ta place est ici. Avorian fera de son mieux pour que tu t’accoutumes à ta planète.

 La petite fée mit ses mains devant elle, en face de mon visage. Il en sortit de minuscules lueurs multicolores. Je me sentis immédiatement apaisée. Le charme de l’enchanteresse opérait dans tout mon corps. Mes muscles se détendirent peu à peu.

 Soudain, Arianna tournoya sur elle-même puis disparut sous mes yeux ébahis.

 Grâce à sa magie, je m’endormis rapidement.

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