Chapitre 9 - Qui es-tu ?

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L'enfant tournait en rond depuis que son sauveur Harlock était parti. Il ne savait pas combien de jours il était dans ce monde inconnu. Il ressentait un vide dans son coeur quand il pensait à son père et à sa mère. Ils lui manquaient tellement ! Quand pourrait-il les revoir ? Est-ce qu'Harlock allait bientôt revenir et le conduire chez eux ? Seul, il s’ennuyait alors il furetait dans le laboratoire de Toshirô en attendant que ce dernier, parti chasser pour la journée, revienne. Fasciné, il suivit du doigt un tube transparent où un liquide vert coulait en direction d'une petite amphore. Une fumée blanche s'échappait par l'entonnoir et s'envolait vers le plafond de pierre grise. Il s'en écarta de crainte de bousculer un instrument. Bien qu'il ait repris des couleurs, ses bras montraient encore les traces de blessures qu'il avait eues lors de son enlèvement. Le garçon toussa et essuya ses yeux qui piquaient. Il se dirigea vers le coin où s'entassaient des livres et des rouleaux de parchemins sur une table polie dans un tronc d'arbre. Il tourna la tête vers l'entrée, écoutant un éventuel signe du retour de son hôte puis s'accroupit sur le coussin qui servait de siège. Il regarda longuement les pages déroulées devant lui décorées de signes qu'il avait déjà vus sur les livres du ranch. Il ne les reconnaissait pas cependant cela lui donna envie de dessiner.

Il chercha un papier uni sous le tas. N'en trouvant pas, il en retourna un et muni du pinceau qu'il trempa dans l'encre devant lui, il commença à tracer des lignes et des volutes dans tous les sens. Il perdit la notion du temps jusqu'à ce que son estomac le rappelle à lui. Il frotta ses yeux de fatigue et installa sa tête aux creux de ses bras. Petit, il avait appris à dormir lorsque la faim le tiraillait. Il espérait que Toshirô et même plus Harlock reviendraient rapidement.

***

Toshirô sifflota en longeant le couloir qui menait à la caverne. La chasse avait été bonne. Le petit allait pouvoir dévorer un bon civet de daim. Il déposa l'animal près de l'entrée et chercha des yeux le garçon. Il esquissa un sourire, dévoilant des dents larges et espacées en découvrant la chevelure couleur soleil appuyée sur la table. Il mit une couverture sur ses frêles épaules avant de regarder ce que le petit avait écrit. Il s'exclama devant l'enchevêtrement de traits esquissant des figurines imprécises mais pourtant reconnaissables. Fébrile, il fouilla sur un tas branlant de livres pour ressortir un objet rectangulaire enveloppé dans un tissu dont la propreté était plus que douteuse. Il dévoila un grimoire à la couverture de cuir marron et sculpté. Le motif représentait un dragon aux ailes déployées, une étoile à quatre branches gravée sur son poitrail. Il l'ouvrit avec précaution et regarda les premières estampes imprimées. Il les compara avec la feuille d'Artus. « C'est bien ce qu'il me semblait... Fleed... Voici donc l'incident que j'attendais depuis des années... Alors c'est ce gamin que je dois… ». Il ne continua pas sa pensée. Un bruit d'armes en fer retentissait au loin. Son premier réflexe fut d'aller vérifier la source. Peut-être était-ce Harlock qui revenait ? Pour son instinct le freinait. Un regard vers Artus le fit hésiter à avancer. Il revint sur ses pas et commença à le secouer légèrement :

— Petit, réveille-toi... Nous devons partir...

Le garçon frotta ses yeux et leva vers lui des yeux vitreux.

— Viens... Vite...

Toshirô emballa le grimoire qu'il mit dans une sacoche. Il y fourra un peu de nourriture, une gourde d'eau qu'il attrapa sur une étagère, puis il guida Artus vers une tapisserie râpée qui protégeait de l'humidité du mur. Derrière se cachait une porte en bois qu'il ouvrit en appuyant sur un mécanisme. Il poussa l'enfant devant lui, attrapa une torche au passage avant que la porte ne se referme dans un bruit sourd. L’enfant suivait ses gestes, le corps tremblant, les pupilles dilatées sous la peur.

— Allez, avance... Pour l'instant nous n'avons rien à craindre mais il ne vaut mieux pas s'attarder.

Il lui prit la main et le tira sur le chemin qui descendait. Il continua à parler expliquant qu'ils ressortiraient de l'autre côté de la montagne :

— J'ai prévu plusieurs sorties en cas de danger. Tu n'as rien à craindre, le rassura-t-il. J'ai promis à Harlock de te protéger et je le ferai au péril de ma vie. Et puis, j'ai des choses à expliquer au pirate s'il nous retrouve.

Leur marche dura plus d'une heure dans le froid et les ténèbres des profondeurs de la terre. L'enfant trébucha plusieurs fois en toussant. Il ne continuait à marcher que grâce à Toshirô qui le tirait.

— Allez encore un effort. Sens-tu l'air frais ? répétait-il le souffle court et la voix rendue rauque par la fatigue.

Après un virage étroit, la lueur extérieure apparut droit devant eux dans un mince interstice. Une seule personne pouvait traverser le passage à la fois. Toshirô passa ses affaires dans la fente puis se contorsionna pour sortir suivi aussitôt d'Artus qui ferma les yeux sous la lumière vive. Il sourit, son visage levé au ciel, profitant de la brise chaude du soleil couchant.

— Viens, nous allons nous mettre à l'abri derrière un buisson.

Accroché à la cape marron de son compagnon, l'enfant traîna les pieds jusqu'à l'endroit indiqué et s'allongea au sol avant de s'endormir aussitôt. Toshirô le regarda attendri.

— Tu as raison, repose-toi, tu l'as bien mérité.

Lui-même s'adossa contre un arbre et, après avoir bu dans sa gourde, sortit le livre qu'il avait emporté. La feuille de papier qu'avait utilisée Artus s'envola. Il l'attrapa au vol et l'examina de plus près. Les petits personnages dessinés avaient une apparence monstrueuse. Ils évoquaient les démons qui illustraient les textes religieux ou les bas-reliefs des temples. Il s'attarda ensuite aux signes qui s'apparentaient à l'écriture nippone. Lorsqu'il avait reçu ce volume des mains d'un samouraï, aussi excentrique que lui dans son apparence, il avait passé plusieurs jours à l'inspecter afin de déchiffrer le contenu. Il avait pu noter les similitudes et à partir de là reconstituer une partie de la teneur. Maintenant, il devait rafraîchir ses connaissances et découvrir ce que le garçon avait voulu écrire comme message.

Le ciel assombri par la fin de la journée amena la nuit et le froid glacial. Toshirô abandonna son ouvrage pour ramasser des brindilles et allumer un feu. Artus dormait toujours, recroquevillé sur lui-même, les bras entourant ses petites jambes afin de garder un peu de chaleur. De temps en temps, il gémissait et toussait. L’ermite dégrafa sa cape qu'il déposa sur ce corps frêle. Dans la précipitation, il n'avait rien pris à manger de conséquent et se demandait s'il devait partir à la recherche de petits gibiers. Il hésitait à abandonner Artus. Si le petit se réveillait seul, il risquait d'avoir peur.

— Ah, j'ai faim, j'ai faim... Est-ce que le pirate va nous retrouver ? Etre dans l'ignorance, que c'est dur.

Un bruissement derrière lui le mit en alerte. Il attrapa son katana, le dégaina légèrement et prêta l'oreille. Il soupira de soulagement à la vue d'un lièvre bondissant hors du fourré. « Eh bien voilà ce qu'il nous faut. Désolé petit, mais nous avons besoin de toi », pensa-t-il en bondissant sur l'animal qui se sauva de justesse faisant s'affaler le bonhomme. 

— Aie, aie... T'es rapide toi. Mais rira bien qui rira le dernier.

Il se releva sur les genoux, guettant le lièvre qui le fixait aussi, ses grandes oreilles à l'affût du mouvement. Au deuxième bond, il se cogna le menton sur le sol, les bras tendus, les jambes repliées vers le haut dévoilant une partie de son anatomie. Un rire cristallin éclata derrière lui. Il pencha la tête sur le côté et découvrit Artus, une main sur la bouche. Il s'assit et explosa de rire lui aussi. Abandonnant le lièvre, il s'approcha de l'enfant.

— Tu t'es bien reposé ? Tiens, mange un peu, dit-il en sortant une boulette de riz de son sac. Ce n'est pas grand-chose mais cela calera ta faim. Demain, nous verrons à mettre autre chose sous la dent.

Artus attrapa la nourriture et l'enfourna rapidement.

— Dis-moi, c'est intéressant ce que tu as mis là bien que je ne comprenne pas, dit Toshirô en lui montrant le livre et les dessins. Ces monstres, ils font partie de la culture de ton village ?

Artus secoua la tête. Ses yeux verts s'assombrirent légèrement tandis que ses épaules s'affaissèrent.

— Ils ont quelle origine ?

Cette fois, l'enfant pointa le doigt au ciel. Toshirô suivit la trajectoire.

— Le ciel ? proposa-t-il. Les étoiles ? continua-t-il alors que l'enfant niait toujours. L'espace ? hésita-t-il.

Ils restèrent tous les deux à examiner les étoiles, pierres lumineuses dans le ciel bleuté, perdus l'un et l'autre dans des souvenirs lointains. Les bras chaleureux de son père, le doux réconfort de se blottir contre sa poitrine étaient devenus un peu irréel pour l'enfant orphelin, perdu dans un monde inconnu. Lui si petit, il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Lorsqu'il fermait les yeux, de brèves images l'assaillaient : la poussière, le vent, les cris, les murs détruits, la chaleur du tissu, la main sur les cheveux, vague réminiscence de ce qu'il avait déjà vécu.

— Je me demande toujours ce qu'on peut voir au-delà du ciel, murmura Toshirô. Mon rêve... Partir loin de toute attache, libre.

Il baissa la tête vers Artus.

— Qui es-tu ? D'où viens-tu ? Ah, je sais... Regarde.

Il ouvrit le livre doucement, passa quelques pages jusqu'à l'illustration d'un dragon chevauché par un chevalier. Il portait la lame sanguinolente de son épée vers le haut prêt à l'affaisser vers un autre dragon aplati sur le sol.

— Tu connais cette histoire ?

A l'assentiment du garçon, il continua à feuilleter.

— Et là, ces personnages... Ils ressemblent à tes dessins. Qu'est-ce que c'est ?

Il les contempla longuement imprégnant chaque détail dans sa mémoire. Perdu dans ses pensées, il ne se rendit pas compte du changement de comportement d'Artus. Les yeux fixés sur les images, il serrait convulsivement sa couverture de fortune à faire blanchir ses doigts. Sa respiration devint sifflante, son corps fut secoué de tremblements. Toshirô sentit enfin que quelque chose n'allait pas, il se redressa, inquiet :

— Oh là, Artus ? Oh Artus ! Qu'est-ce que c'est ? Oh Artus ! Réveille-toi.

Il le secoua par les épaules.

— Ça va aller. Tu n'as rien à craindre. Il n'y a pas ce genre de personnes ici sur Terre. On dirait que tu as vu des fantômes. Se peut-il que tu en aies rencontrés ? Est-ce toi le fils de l'Elu ? - Il remua la tête. - Qu'est-ce que je raconte, moi ? Des hommes de l'espace ? Des bipèdes effroyables ? Je ne suis plus un gamin pour croire à toutes ces inepties.

Adossé à un arbre, il enveloppa Artus de ses bras et le berça jusqu'à ce que l'enfant retrouve un calme approximatif et se rendorme.

— Là, là. Quand Harlock nous retrouvera, nous irons à la recherche de tes parents. Nous devons dormir maintenant.

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