Chapitre 7 - En terre inconnue

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Friedrich von Harlock avait appris la vie de mousse à bord d’une frégate et celui de valet auprès du Capitaine de cette même frégate. Dès le réveil, aux aurores, il l'aidait à s’habiller, apportait le repas puis nettoyait la chambre. Ensuite, tandis que le Capitaine faisait son inspection matinale, il rejoignait ses camarades pour lessiver les ponts et la dunette. Aux alentours de midi, il rejoignait le lieutenant Etienne Durant, le second officier, pour un cours pratique de pilotage. Il apprenait les principes du cordage et des voilages. Parfois, Friedrich participait aux manœuvres des voiles. Etant sous la protection du lieutenant, il côtoyait peu les autres membres de l’équipage. Certains en concevaient de la jalousie à son égard mais jamais avec une franche hostilité. Ce qui était assez étonnant sur un navire de guerre. Mais voilà, en temps de paix, le bateau faisait du commerce et reléguait pour des jours meilleurs, l’abordage et le pillage des navires marchands.

Les premiers jours en mer furent un enfer pour Friedrich. Peu habitué à la vie en communauté dans un espace confiné, secoué par les remous de la mer, pourtant calme à cette époque de l’année, il ne restait guère debout plus d’une heure. Après ce délai, de sévères nausées venaient troubler son travail de mousse et l’obligeaient à s’allonger sur sa couchette sous le regard ironique de ses comparses. Il espérait que ce mal de mer passerait assez vite… avant que Pierre Chabron, lassé d’un garçon maladif ne le renvoie à terre.

Et puis, il s’était promis de devenir un marin accompli en hommage à Erik, son ami d’enfance.

Friedrich gardait espoir. Le Capitaine connaissait la valeur du garçon. Ne lui expliquait-il pas chaque soir les subtilités de la Marine ? Il ne perdrait pas ainsi un temps précieux à l'instruire. Il devait savoir, lui, qu’il deviendrait bientôt un marin hors pair. D’ailleurs, au bout de quinze jours, ses nausées s’espacèrent, il réussissait à garder ses repas plus longtemps. De fait, il s’activait sur le pont faisant le double de sa tâche.

En quatre ans, il connut les subtilités de la marine marchande, les combats sous le drapeau de la marine royale, ceux en tant que corsaire, les abordages, les défaites, l'emprisonnement. Son intelligence et son entêtement le menèrent au commandement. Jean Bart, le corsaire dunkerquois et ami de Pierre Chabron, son mentor, lui acheta la charge de lieutenant et lui proposa la direction d'une frégate "La Sentinelle" lors d'une mission en mer du Nord. Accumulant les succès, Friedrich prit de l'assurance et décida d'avoir son propre navire. Il mit de côté une partie du butin récupéré lors des assauts contre les vaisseaux ennemis, oubliant de les déclarer à l'administration. Lors d'une escale à Dunkerque, il apprit l'assassinat de sa famille par des bandits. Il ne vit plus aucune raison de garder un pied à terre sur ce sol européen. Il donna son congé à ses supérieurs et amis puis descendit au port de Hambourg à la recherche de l'armateur et marchand Van Denks, plus pirate que commerçant pour lui faire l'achat d'un brick, d'une puissance de feu et d'une rapidité exceptionnelle.

Harlock passa ainsi plus de temps sur mer que sur terre, louvoyant entre les vaisseaux des différentes nations. Il engagea son propre équipage : des forbans, des laissés pour compte, des pauvres hères qui n'attendaient plus rien de la vie. Il leur redonna une seconde chance et grâce à cela, il acquit un respect et une confiance absolue. Il renomma alors son vaisseau. L'Arcadia devint le porte-parole de la liberté absolue. Il accosta de moins en moins sur les côtes européennes, préférant aller plus loin à la découverte des nouveaux territoires. Il continua à piller des vaisseaux marchands, surtout les négriers, libérant ainsi des milliers d'africains, qu'il déposa sur des îles antillaises non colonisées ou sur les côtes d'Amérique Centrale. Il descendit vers le Sud, passa non sans difficulté le cap Horn où il crut à la fin de son aventure et remonta jusqu'au Pérou avant de tenter l'aventure du Pacifique. Il prêta assistance à des bateaux en perdition, indépendamment de leur provenance, créa son réseau de personnes sûres néanmoins confidentielles dans les colonies tout en se mettant à dos les administrations nationales par ses exactions de piraterie. Grâce à la Compagnie néerlandaises des Indes orientales, il réussit à pénétrer l'île de Dejima dans la baie de Nagasaki, le seul territoire que l'empire nippon concédait dans ses relations avec l'Occident pour les commençants néerlandais. Il allât même plus loin. Alors que l'Otona, le superviseur territorial, inspectait tous les navires et confisquait les armes et autres objets susceptibles de contaminer la culture japonaise, en dehors des livres et instruments scientifiques, Harlock eut l'autorisation de pénétrer plus loin dans l'Archipel, rendant jaloux ses compatriotes européens. Il mit en cale l'Arcadia, laissa la majorité de son équipage à Dejima, libre à eux de repartir sur d'autres bateaux, et monta une expédition à la découverte des merveilles du pays du Soleil Levant.

***

Habillé du vêtement traditionnel nippon mais néanmoins tout en noir, hakama en guise de pantalon, juban sous un kimono noué par un obi, le tout surmonté par un haori, une veste tombant jusqu'à ses genoux, les pieds chaussés des warabi, sorte de sandalettes en paille de riz, assez confortables après un temps d'adaptation, les cheveux mi-longs cachés sous la capuche de sa cape, Harlock voyageait sans but si ce n'est la découverte de cette civilisation si étrange à ses yeux d'Occidental. Les villageois l'accueillaient avec méfiance mais comme il restait discret et serviable, ils lui offraient le gite et le couvert. Avec les compagnons autochtones qu'il avait embauchés, il apprit le maniement du katana, la langue et toutes ses particularités, provoquant hilarité autour de lui lorsqu'il commettait des erreurs. Il lui arrivait de prêter main forte lors de petits conflits inter-villageois mais refusait les remerciements et partait aussitôt.

Un matin à l'aube, ils rangeaient et nettoyaient leur camp pour continuer leur périple le long des parois escarpées d'une chaîne de volcans enneigés quand ils entendirent au loin des hennissements et une cavalcade. Un nuage de poussière entourait deux cavaliers qui poussaient des cris, pointant de longues piques sur le sol. Harlock porta la main à son katana, mit la capuche de sa cape sur la tête pour cacher la couleur de ses cheveux et fit signe à ses coéquipiers de se cacher dans les fourrés, prêts au moindre appel. Les chevaux étaient au trot au contraire de ce qu'il supposait mais à leurs pieds, il découvrit un enfant à peine plus haut que les genoux des animaux qui tentait d'échapper autant aux piques qu'aux sabots. Il s'interposa, obligeant les hommes à écarter leur monture tandis qu'il stoppait l'enfant et le mettait derrière lui.

Il engagea ensuite un combat inéquitable, ralenti par le fait qu'il protégeait l'enfant tout en évitant les coups de sabre de ses adversaires. Il éloigna le garçon, le poussant dans les buissons puis fit face aux deux samouraïs.  Il réussit à en faire tomber un, l'assommant rapidement d'un coup de poigne tandis que le cheval s'éloignait au galop, mais ne put éviter l'attaque arrière. Il se retourna au cri de l'enfant pour voir arriver devant lui une lame. Il recula la tête, toutefois il ne put éviter d'être touché. Il ressentit une douleur sur sa joue gauche ce qui décupla son ardeur à se battre. Toutes les tactiques vues pendant son engagement militaire dans les combats des fantassins et des cavaliers avant sa vie de mousse lui revinrent en mémoire. Il se jeta à la tête de l'animal, s'accrocha aux rênes que le samouraï laissait balancer pour mieux se battre, il tira un coup sec vers lui, ce qui changea le mouvement du cheval puis, sans réfléchir, il leva son katana et frappa la poitrine de son adversaire qui tentait de maintenir son équilibre par le changement de rythme brusque qu'Harlock avait imposé. L'homme tomba face contre terre pendant que son compagnon se relevait et attrapait sa lame. Cependant, il n'eut pas le temps de reprendre la bataille qu'Harlock le transperça de part en part.

Il resta debout un moment pour reprendre sa respiration. C'était la première fois qu'il tuait sur ce sol et il ne regrettait rien. Il essuya sa lame sur l'herbe avant de la ranger dans son étui. Il porta ensuite la main sur sa joue pour essuyer le sang qui coulait, réveillant alors la douleur. La plaie semblait profonde. Il devait la nettoyer. Ses compagnons se précipitèrent vers les hommes morts pour les fouiller. Ils prirent les armes et le peu de nourriture.

— Oh non, c'est l'insigne du Daimyô Yamamoto Keichi, s'écria l'un deux.

Harlock leva la tête en signe d'incompréhension.

— Et ?

— Ses hommes sont réputés pour leur violence...

— Et leur intransigeance. Ils ont toute la confiance de leur maître, continua un autre.

— Ce qui veut dire que toute personne portant la main sur eux, les blessant... ou les tuant est condamnée à mort, compléta un troisième.

— Nous allons les enterrer. Le temps de les retrouver et nous serons loin, proposa Harlock dont le long corps se balançait d'une manière inquiétante pris d'un vertige subit. 

— Chef, allez près de l'enfant, nous nous occupons d'eux.

Il hocha la tête, la main toujours sur son visage. Le petit garçon s'était recroquevillé et dormait épuisé, le corps parcouru de tremblements. Il nettoya sa blessure au bord de l'eau, se désaltéra et sortit un morceau de galette de riz des sacs à provisions emballés. Le combat avait été rapide mais épuisant. Il s'assit ensuite près de l'enfant et le regarda. Les pétales roses de l'arbre sous lequel il était adossé voletaient autour de lui, recouvrant aussi le corps du petit comme une couverture. Il dégrafa sa cape pour le draper et le maintenir au chaud. Des mèches blondes et raides sortaient de la masse de cheveux brunis par la saleté accumulée et encadraient son visage. D'où pouvait-il venir ? Il toucha une boucle pour l'examiner plus près. Non, il ne se trompait pas. Cette couleur, exceptionnelle dans ce pays, lui rappelait les épis de blés qui parsemaient les champs campagnards du Nord de l'Europe.

Le garçon se réveilla et eut un mouvement de recul en voyant cet adulte penché sur lui. Ses yeux d'un vert tirant sur le bleu, pailletés de violet aussi ternes que sa peau s'agrandissaient au fur et à mesure qu'il prenait conscience d'être entouré d'inconnus dans un lieu qu'il ne connaissait pas. Il se redressa prêt à prendre la fuite.

Harlock tendit une main en guise d'apaisement.

— Tu n'as plus rien à craindre mon garçon, tenta-t-il de rassurer en utilisant le français par habitude.

L’enfant ne répondit pas. Il s'enfonça un peu plus dans sa couche tout en serrant dans sa paume le pendentif de son collier.

— Comprends-tu ce que je dis ? Non, bien sûr. Ta blondeur et la pâleur de ta peau me font penser que tu es européen mais tu es trop jeune pour avoir fait le voyage ainsi.

Il essaya en anglais, en portugais ou en néerlandais sans succès. Il répéta sa question en japonais. Toujours aucune réponse. Il se gratta la tête d'incompréhension.

— Qui es-tu ? Que fais-tu à ton âge sur les routes désertiques de ce pays ? Pourquoi te poursuivait-on ? Et quels étranges vêtements ! Je n'en ai encore jamais vu taillés de la sorte… 

En effet, l'enfant portait une chemise fermée par des boutons jusqu'au col rond, une petite veste aux manches courtes la recouvrait. Son pantalon était étroit, effiloché à la base. Il avait perdu ses chaussures. Ses pieds recouverts de chaussettes devenues marron par la poussière et trouées aux orteils et au talon, étaient ensanglantés. Harlock pointa son doigt dessus.

— Tu dois avoir mal. Tu es blessé comme moi ici, lui dit-il en japonais et en lui montrant la balafre. Il se leva, récupéra un récipient, alla à la rivière pour le remplir, prit un linge propre et retourna auprès du petit. Il lui tendit une galette de riz.

— Je vais te nettoyer tes blessures aux pieds. Mange pendant ce temps.

L'enfant porta la main à sa bouche, le pouce pointé vers ses lèvres, le poing fermé, mimant la déglutition. Intrigué par cette première communication, l'Européen le regarda étonné. 

— Bien sûr, tu as soif, n'est-ce pas ?

Il dégrafa de son pantalon la gourde en peau de chèvre, la déboucha et la lui tendit. Le garçon s'en empara violemment et la porta en bouche. L'eau dégoulina sur son menton. Pendant ce temps, Harlock approcha sa main vers ses pieds et commença à retirer le tissu qui les recouvrait tout en gardant un oeil sur son nouveau protégé pour guetter ses réactions. Dès qu'il toucha sa peau, l'enfant se raidit. Il lâcha la gourde qui roula sur le sol et serra à nouveau des deux mains son pendentif. Les yeux agrandis par la frayeur, il luttait pour ne pas retirer sa jambe et s'enfuir.

Harlock lui parla doucement puis se mit à fredonner une berceuse que sa soeur Marina chantait pour endormir leur petit frère. Il reprit son activité sur les pieds, nettoya les blessures, les massa un peu avant de les envelopper d'un tissu propre qu'il avait puisé dans ses vêtements.

Entre temps, les hommes avaient fini d'enterrer les deux cadavres et revenaient au camp. L'enfant eut un nouveau sursaut de terreur. Harlock maintint sa poigne sur la jambe.

— Ne t'inquiète pas. Ces hommes sont avec moi. Ils te protégeront, le rassura-t-il.

— Chef, nous ne pouvons pas nous attarder.

— Oui, vous avez raison. Kin, peux-tu remplir à nouveau ma gourde ? Je vais porter le petit sur mon dos, vous devrez vous partager le paquetage.

— Ne vous inquiétez pas, nous avons déjà réparti les charges. Qu'allez-vous faire du petit ?

— Je vais l'emmener dans un village pour le soigner.

— Est-ce prudent ?

— Qu'en penses-tu, toi ? questionna Harlock

— Au dernier village, j'ai entendu qu'il y avait un bonhomme excentrique qui vivait en ermite derrière cette montage, intervint Yuki. Il serait guérisseur. En tout cas, il est appelé pour soigner certains maux que même les médecins les plus réputés n'arrivent pas à guérir.

— Tu crois que nous pouvons le joindre ?

— Ce sera plus sûr que d'aller dans un village d'où venaient peut-être ces samouraïs.

— Bien allons-y.

Harlock regarda l'enfant. Il lui expliqua tout en le lui montrant qu'il allait le porter sur le dos.  

— J'aimerais bien connaître ton prénom. Tu ne sais vraiment pas parler ?

Le garçon ouvrit la bouche, laissant échapper un son. Il déglutit et essaya à nouveau.

— Arutuse.

— Arutuse ? répéta Harlock.

Le petit secoua la tête.

— Artuse.

— Artus ?

Il hocha la tête puis tendit sa main qui tenait le pendentif. 

— Père...

— Tu veux dire que ce bijou est appartient à ta famille ?

A nouveau, il reçut un acquiescement.

— Kin, Yuki, Hitori, avez-vous déjà vu cette emblème ?

Les trois hommes secouèrent la tête. 

— Non. Cette étoile est fabriquée d'une étrange matière. Je ne l'ai jamais vue ici.

Harlock examina plus près l'objet.

— Moi non plus. Qu'est-ce que cela peut-être ?

Artus referma ses doigts sur le bijou et le remit sous sa chemise. Il baissa la tête, découragé. Il sentit une main se poser sur ses cheveux.

— Viens. Nous devons quitter cet endroit. Nous nous sommes trop attardés.

Harlock s'agenouilla, lui désignant son dos. Il sentit les petits bras entourés son cou et les jambes sa taille. Il déploya sa cape qu'il mit par-dessus pour le recouvrir puis passa ses bras sous les genoux de l'enfant pour le maintenir.

— Allez, en route.

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