Chapitre 6 - Retour dans le passé

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— Alphgar, montre-toi ! Arrête de jouer ! Si tu as quelque chose à me dire, il est temps.

Je tenais fermement les rênes de Vif Argent, à l'arrêt au bord de la falaise. Le vent soufflait sur les arbres de la forêt derrière moi, faisant un bruit qui ressemblait à un gémissement.

— Je sais que tu m'entends, où que tu sois. J'ai besoin que tu m'éclaires.

J'attendis avant d'avouer.

— J'ai besoin de ton aide.

Un souffle plus fort plaqua mes cheveux vers l'avant. Je me courbai sur l'encolure de mon cheval. Lorsque la bourrasque se calma, je me retournai pour découvrir le sorcier à quelques mètres de moi, ses cheveux blancs, plus long que dans mon souvenir attachés en tresse de chaque côté de sa tête, son éternel costume gris affichant l'insigne rouge du dragon, son katana accroché à sa ceinture.

— Alphgar, murmurai-je.

Je descendis de ma monture et le saluai en me penchant en avant.

— Heureux de te revoir.

Un fin sourire se dessina sur ses lèvres.

— Tu es devenu encore plus sérieux que dans mon souvenir, dit-il. Tant d'épreuves te sont arrivées. Mais tu les as surmontées.

— Alphgar, je ne peux vraiment pas dire que je sois heureux de te revoir cependant...

Il leva la main, la paume en l'air.

— Ne dis rien. J'ai été appelé à nouveau sur Fleed pour une mission. Seulement, cette fois, mon esprit est enveloppé dans un brouillard et je n'ai pas les clés pour te guider.

— Tu ne sais donc rien de ce qui se passe en ce moment ? répondis-je, déçu.

— Non. J'ai juste entendu la disparition d'Artus avec le remue-ménage que cela a causé au Ranch. Oh, félicitations pour ton mariage. Tes parents auraient été heureux du choix que tu as fait.

La mention de mes parents me fit un pincement au coeur.

— Merci. Mais, tu étais au mariage, non ? As-tu vu quelque chose en particulier ? demandai-je revenant au sujet qui me préoccupait.

Il hocha la tête, le regard perdu dans la vallée en contrebas.

— Laisse-moi m'occuper de retrouver Artus.

— Sais-tu qui a fait ça ?

— Oui. Toutefois, il s'est passé quelque chose d'étrange. Je dois vérifier certaines choses.

Il releva la tête et me fixa de son regard perçant.

— Je reviendrai vers toi si j'avance dans mes recherches. En attendant, retourne sur Fleed, cette planète est à nouveau en danger.

Je fermai un instant les yeux. Cette planète qui avait tant souffert. Qui lui voulait encore du mal ?

— Que sais-tu ?

— Rien j'ai dit.

— Des perceptions, des images, n'importe quoi que tu as vu dans tes visions, m'énervai-je. La vie de mon fils est en danger. Tout indice m'aidera à avancer.

Il soupira.

— Tu es têtu.

— Oui, tu me l'as déjà dit. T'en souviens-tu ?

— Mon pendentif m'a réveillé, m'avoua-t-il soudain.

— Hein ?

Je le regardai, les sourcils froncés, essayant de me remémorer ce bijou.

L'image de la salle d'entraînement du palais royal où il m'initiait me revint en mémoire. Il m'avait expliqué que l'énergie perdue lors des combats pouvait être récupérée par un objet fétiche. Chez moi, le médaillon princier servait à me ressourcer. Chez Alphgar, c'était le dragon de jade pendu à son cou qui ne le quittait jamais.

— Je dormais dans une grotte quand sa chaleur m'a poussé à reprendre mon bâton de pèlerin, avoua-t-il. Tu restes l'Elu, celui qui défend les peuples des monstres de l'Univers.

— Encore avec cette histoire, soupirai-je. Moi qui pensais vivre des jours heureux et tranquilles et ne regarder Goldorak que de loin. Je vais devoir le reprendre ?

— Peux-tu demander à un robot guerrier le repos éternel ? Il fait partie de toi et surtout, il est le messager des Dieux de Fleed.

Je secouai la tête en m'asseyant sur l'herbe, les jambes croisées.

— Et à travers ton pendentif, as-tu eu un message divin ?

— Non… Seulement que je devais te rejoindre afin d'unir à nouveau nos efforts pour combattre un ennemi. Et celui-là est sur Fleed.

— Penses-tu qu'Artus ait été transporté aussi là-bas ?

— Non, c'est plus compliqué pour Artus. Et là, je n'ai pas encore de réponse pour toi. Je dois faire une recherche plus approfondie.

— Mais encore ? As-tu eu des indices ?

— Oui, et ceux que j'ai nous amèneraient dans le passé. Je dois... Alphgar fit un signe de la main. Partir...

Ce fut son dernier mot avant de s'évaporer sous la lumière orangée de cette fin d'après-midi.

Je contemplai ce ciel, les yeux dans le vague. Qu'avait-il voulu dire ? Alphgar était toujours entouré de mystères que je ne comprenais toujours pas. Mais fallait-il le comprendre ? Un éclat lumineux attira mon attention. La première étoile apparut dans le ciel. L'étoile du Berger ou plutôt Vénus, la représentante de l'amour dans la mythologie romaine. Pris d'un élan subit, je portai mes mains en porte-voix :

— Aphélie ! Veille sur Artus pour moi. Aide-le !

Comme ce jour de notre dernière rencontre où je lui avais fait découvrir l'écho sur Terre, ma voix rebondit sur le flanc des montagnes.

— Aphélie... Désolé... Je n'ai pas pu protéger notre enfant... Mon fils, où es-tu ? Où es-tu ?

Je me détournai et repris les rênes de Vif Argent. L'image d'Artus amaigri, couvert de terre, les yeux ternes et vides, le jour de son arrivée au palais me hantait. Je ne devais pas me laisser abattre. Je devais lutter pour lui et trouver ceux qui me l'avaient enlevé.

***

Lorsque j'arrivai au ranch, Alcor avait rejoint Phénicia et Riguel dans la cuisine. Le vieux bonhomme était silencieux. Il vidait son saké verre après verre, son petit corps affalé sur la table. Alcor tenait ma soeur dans ses bras et lui caressait les cheveux, tout en murmurant à son oreille.

Quand je fermai la porte, ils se séparèrent un peu honteux.

— Ne vous occupez pas de moi. Je monte directement voir Vénusia.

— Je lui ai donné un calmant. Elle dort dans le lit d'Artus, me prévint Phénicia.

— Ah, comment va la petite ?

— Dame Antonella s'est occupée d'elle toute la journée. Elle a été assez difficile. Elle s'est endormie quand Vénusia l'a prise dans ses bras.

— Je monte alors. Bonne nuit.

Elle marmonna tandis qu'Alcor me faisait un signe d'encouragement de la main.

J'étais épuisé, émotionnellement et physiquement. Notre nuit de noce n'avait que 24h mais j'avais l'impression qu'elle remontait à un siècle. Et pourtant peu de choses avaient eu lieu.

Vénusia dormait recroquevillée sur elle-même, une peluche d'Artus dans les bras. Je remontai la couverture qui avait glissé sur ses épaules et me penchai pour l'embrasser. J'entendis Hoshi bouger dans son berceau. Je m'approchai pour découvrir ses yeux bleus grands ouverts. Elle me sourit en me voyant et tendit ses bras. Je l'emportai dans ma chambre en lui chantonnant doucement une berceuse. Sa tête reposait sur mon épaule, une main tenait une mèche de mes cheveux dans son poing tandis que l'autre cherchait le contact de ma peau sur mon cou. Ses doigts légers m'apaisèrent. Avant d'entrer dans la pièce, j'aperçus Dame Antonella dans le couloir. Je la rassurai d'un signe de tête avant de fermer la porte. Je déposai Hoshi sur le centre du lit pour me rafraîchir le visage à la salle de bains. Je m'allongeai ensuite à ses côtés, en m'assurant qu'aucune couverture ne bloquait sa tête. Elle vint la coller contre la mienne, ses mains s’accrochèrent à mes cheveux. Je gardai longtemps les yeux fixés au plafond, essayant de recouper les informations que j'avais.

Ma nuit fut entrecoupée de réveils brusques. Je somnolais entre deux mondes, apercevant des silhouettes plus floues les unes que les autres.

Une montagne dont la paroi enneigée pénétrait les nuages gris chargés de pluie s'approchait de moi. Je ralentis vivement et remontai jusqu’au sommet. Celui-ci était creusé comme les volcans que j'avais tant survolé sur la chaîne du Yatsugatake. Cependant, je ne reconnaissais pas le paysage. Je fis le tour plusieurs fois avant de plongeai dans les profondeurs sombres. Bientôt je ne vis plus la lumière. La descente dura une minute ou dix minutes, je perdis la notion du temps quand j’atterris brutalement sur une surface plate. Mes yeux mirent un certain temps pour distinguer mon environnement. Des torches éclairaient les parois de la caverne. Des débris de machines jonchaient le sol sur la droite. Le bruit de ma chute avait dû alerter les personnes présentes dans ce lieu. Je me tendis et me préparai à un assaut. Mais au bout de longues minutes, je décidai de quitter ma machine d’un bond. Je marchai doucement vers la gauche, attiré par une faible lueur et guidé par le murmure de plusieurs voix. L'odeur fut la première chose qui agressa mes sens. Une odeur de renfermé, de sang et d'acier si puissante que je dus pincer mes narines. Une odeur qui me plongea à nouveau dans les affres de la guerre lorsque j'avais découvert les charniers que Vega avait laissé derrière chaque conquête. Qu'était-ce ? Les voix se firent plus distinctes. Mon arrivée ne semblait pas avoir éveillé de soupçon d’intrusion. Je passai ma tête vers l'ouverture. Je vis d'abord un homme trapu, habillé d'une blouse blanche. Il était penché sur un ordinateur et tapait rapidement tout en parlant. De temps en temps, il levait la tête pour regarder son interlocuteur. Celui-ci ou plutôt celle-ci était tout de noir vêtue. Elle avait des cheveux violets, attachés sur la nuque, une paire de lunettes fines sur le nez. Les bras croisés, elle martelait ses coudes avec ses doigts. La longueur de ses ongles peints en rouge vif capta mon attention. Elle avait un visage sévère, ne souriait pas et répliquai d'une voix sèche. Je distinguai quelques mots en fleedien. J'étais donc sur Fleed ? Qui était ces gens ? Je parvins à comprendre quelques mots.

— Tu ne peux pas parler du chef comme ça. S'il l'apprend, tu passeras un sale quart d'heure.

— Tu lui diras ?

— Bien sûr que non. Qu'y gagnerai-je ?

— Je n'aime pas ce qu'il se passe en ce moment.

— A quoi bon t'en préoccuper ? Concentre-toi sur ta mission, Barta. Et trouve une solution pour l'erreur de transplanage de la dernière fois. Il est revenu plus mort que vif en délirant. Tu dois analyser ce qu'il s'est passé.

— J'y travaille mais ce n'est pas évident.

— Tu ne le fais pas avec assez d'acharnement.

Je les laissai à leur discussion, continuant ma progression en frôlant le mur. La salle circulaire offrait un impressionnant matériel informatique plus imposant que celui du Centre ou celui des laboratoires de recherches de Fleed. Une étrange machine trônait au milieu : une sphère transparente, reliée à des ordinateurs par des gros câbles. De temps en temps, une lueur bleutée éclatait à l'intérieur dans un grésillement léger. Les deux personnes ne réagissaient pas au bruit ni à la lumière. Ils restaient concentrés sur leur travail et sur leur discussion.

Un cri détourna mon attention vers le fond. Je m’approchai de la petite porte entrebaillée. Mon corps se figea lorsque mes yeux s'habituèrent à la vision nocturne, replongé dans mes souvenirs. L'horreur des massacres, des corps éparpillés, déchiquetés par la déflagration des rayons lasers des puissants monstrogoths veghiens. Tout me revint en une seconde par la vue horrifiante qui se présentait à moi. Les bourreaux de mon emprisonnement* étaient là, en une seule personne. Personne ? Pouvais-je donner cette définition à l'être que je voyais, allongé sur un lit de fortune, la peau verte déformée par des excroissances, des membres démesurés, l'absence de cheveux qui laissait apparaître les os pointus de la boite crânienne. Cette vision me souleva le coeur. Je me penchai en avant pour vomir tout ce que mon corps contenait.

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* Voir "Planète Fleed"

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