Chapitre 5

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Jeudi 19 décembre 2019, 18h37

   Nathan fut le premier à atteindre le premier étage de l'unité des Petits. Toujours éclairé, le couloir lui semblait infiniment long, et infiniment vide. Il n'était jamais passé par l'unité des Petits, arrivé trop tard pour y être intégré, mais l'avait toujours vu battre d'une vie chaude et puissante.

Où étaient passés les rires et les cris au cœur de ces chambres d'enfants ?

Jon le talonnait, encore plus mal à l'aise que lui. Il avait les bras serrés autour de son torse, comme s'il cherchait à se protéger du silence ou de l'imprononçable. Ses cheveux noirs lui retombaient en rideau devant les yeux, tandis que sa tête baissée semblait trembler au rythme des frissons qui le secouaient.

— Tu vas pleurer ?

— Hein ? Non, pourquoi ?

— Je sais pas, tu as l'air prêt à chialer.

Jon ne releva pas, se contentant de le rejoindre en trottinant, la distance qui les séparait devenu trop dure à encaisser das le contexte actuel. Au coin du couloir, dans la direction du placard à balai, ils trouvèrent effectivement Maëlle, toujours étendue au sol, une contusion courant de sa tempe jusqu'au milieu de sa joue gauche.

— Putain, il l'a pas loupé la Maëlle.

Jon se couvrit la bouche de la main, en considérant l'éducatrice inerte, et sûrement déjà morte.

Il se pencha néanmoins pour prendre son pouls, qui résonna bien trop creux sous ses doigts.

Derrière eux, Eden et Jason ne tardèrent pas à arriver, et purent constater la même chose qu'eux. Au teint de la jeune femme, la froideur de sa peau et l'absence de pouls, elle avait bien succombé au coup. Ou bien avait-elle succombé au virus qui l'avait fait attaquer les petits ? Qui sait.

— Je voulais pas la tuer, murmura Eden après un long silence.

— T'es sûr ? Parce que t'as quand même bien visé la tête.

La remarque de Nathan ne fit rire que lui. L'éducateur, sensible au visage déconfit de son jeune, posa ses mains sur ses épaules, et le rassura d'une pression. Les deux grands yeux de l'adolescent se relevèrent vers lui, et il put constater une brillance qui n'était pas coutume chez lui.

— Oh pleurs pas, c'est le rôle de Jon de chialer comme une gonzesse.

— Nathan, la ferme, cracha presque le concerné en s'approchant de Eden.

Ils restèrent ainsi quelques minutes, dans le silence et la contemplation du premier tableau de mort auquel ils auraient tous pensé ne jamais assisté. Pas en ce lieu, pas en ce contexte en tout cas. Jamais ils n'auraient imaginé un jour, constater la présence d'un cadavre dans le couloir des chambres de l'unité des Petits du Phoenix.

Après un moment cependant, Jason se redressa tout de même et s'éclaircit la gorge.

— Hors de question que les gamins dorment ici cette nuit. Combien ils sont les Petits ?

— Cinq, répondit Eden dans un souffle froid.

— Ok, tous les trois, vous récupérez les matelas, couette, oreillers, peluches et pyjamas des petits. Nathan tu gères Mehdi, Jon Vasco, Eden Erwan, et je m'occupe des affaires de Théo et Gabi. Allez.

En un battement de cil, l'équipe s'était dissoute. Chacun connaissait par cœur la disposition des chambres, leurs occupants. Jason fit un premier tour, déverrouilla les chambres. Les portes s'ouvrirent à la volée, dévoilant des chambres pour la plupart mal rangées, e désordre, saturées de jouets et autres peluches sur le sol.

Nathan, ordonné, attrapa un sac en plastique pour y fourrer le pyjama de Mehdi, ainsi qu'une drôle de peluche en forme de singe et sa brosse à dent récupérée dans la salle de bain. Enfin, il y coinça l'oreiller, balança la couette sur son épaule, et pris le matelas sous son bras, à la manière d'une pochette à dessin. Qu'emporter d'autre ?

Eden et Jon firent de même, à la différence que le premier eut à prendre deux sacs, le premier prêt à craquer sous le poids de toutes les peluches de Erwan.

— Ok, on est bon, constata Jason. On y va.

   Le premier soir fut évidemment le plus déroutant.

Lorsque Jason et les ados revinrent de l'unité des Petits avec leurs matelas et leurs peluches, la proportion inquiétante de la situation commença doucement à monter en eux. Yannick les aida à disposer leurs matelas dans la salle commune, avant qu'ils ne montent prendre leurs douches sous la surveillance de Amali. En bas, les odeurs de pizza auraient dû apaiser tout le monde, il n'en fut rien : pire, les tous petits, peu habitués à partager ce genre de moment avec les autres enfants, se renfermèrent peu à peu sur eux-même.

À table, personne ne parla vraiment. Ils échangèrent tous de discrets regards en coin, cherchant réponses, soulagement dans les yeux de l'autre pour au final n'y voir que le reflet de ses propres angoisses. Les enfants mangèrent un peu, picorèrent pour la plupart. Les adolescents eux dévorèrent plus, mangèrent leurs sentiment avec l'avidité de remplir le vide qui grandissait en eux à chaque nouvelle seconde qui s'écoulait.

À la fin du repas, Yannick proposa à Mehdi, Théo et Jon de faire la vaisselle. Les autres partirent s'installer devant un film à la télévision pendant que les éducateurs retournaient s'enfermer dans le bureau pour faire le point.

Jason et Amali s'assirent sur les chaises d'ordinaire réservées aux enfants devant le bureau, tandis que Yannick prenait place derrière ce dernier, l'air grave.

— Bon, commença Jason. J'imagine que vous vous en doutez déjà, mais Maëlle...

Il n'acheva pas sa phrase, son expression parlant pour lui.

— La question maintenant est de savoir quoi faire. Qu'est-ce qu'on fait des gamins ? Qu'est-ce qu'on fait de nous ? Je veux dire, dormir ici, entre les gosses terrorisés ça... ça pourra pas durer. Et puis pour le moment ils se posent pas trop de questions, mais on va vite se retrouver dos au mur.

Amali hocha la tête, plus mal à l'aise qu'anxieuse, car Jason avait raison. Ils avaient agi dans l'urgence, sans prévoir la suite, et ils étaient là désormais, coincés au Phoenix avec près d'une quinzaine de jeunes, sans avoir d'explications ou pire, de solutions.

— Déjà demain, il faut qu'on se fasse les collèges et les écoles. Essayer de retrouver les autres.

Les deux jeunes éducateurs hochèrent la tête à la proposition de leur doyen, et se concertèrent d'un regard entendu. Pas besoin de mots, lorsque ce qu'ils partageaient se rapprochait plus de la fusion que de l'amour.

Ils s'étaient rencontrés à l'école, en première année de formation. Elle avait dix-huit ans, lui vingt-et-un. Elle sortait du bac, il sortait de l'armée. Le contact n'était pas passé tout de suite, leurs caractères trop forts pour parvenir à se tempérer. Amali, impulsive, sûre d'elle et bien trop fière. Jason et l'impression de pouvoir tout anéantir de ses mains, de pouvoir surmonter n'importe quel obstacle au détriment de ses pairs. L'un comme l'autre n'appréciant pas forcément le travail en équipe à vrai dire. Alors, pour les calmer mais surtout pour les faire mûrir, l'école les avait positionnés sur un même stage en CEF – Centre Éducatif Fermé – pour des jeunes qui normalement, auraient dû se retrouver en prison.

Plus que formateur, ils en étaient ressortis grandis, changés, ensemble.

— Jay, lança Yannick avec un soudain éclat dans les yeux. Tu as toujours des contacts chez l'armée ?

— Bien sûr, je suis réserviste.

— Essayes de les appeler. N'importe qui, juste pour savoir ce qui se passe, ce qui faut qu'on fasse. Et puis, il faudra aussi aller voir à l'hôpital pour Elies.

Le jeune homme ravala sa salive, mais hocha tout de même la tête.

Dans la salle télé, à seulement quelques mètres du bureau, les plus jeunes s'extasiaient devant le Roi Lion, tandis que les plus grands ruminaient, plus ou moins bien entassés sur les fauteuils en mousse.

— Ça pue, murmura Eden.

— Plus que ta piaule le vendredi matin ?

Il fusilla Vasco du regard, et inspira par le nez, tout en continuant de laisser courir ses doigts dans les cheveux de Erwan, qui s'était endormi contre son épaule.

— Ta gueule Vasco, je plaisante pas là.

— Tu penses qu'ils vont nous abandonner ? Les éducs j'entends, demanda Nathan avec un soupçon d'incertitude dans la voix. Enfin, si c'est tant la merde que ça, ils ont peut-être une famille à retrouver et...

Vasco haussa les épaules, tandis que Eden fronçait les sourcils.

— J'espère pas.

— Et s'ils deviennent comme Maëlle ?

La question de Mehdi, que personne n'avait encore entendu jusque là, surpris les trois adolescents qui lui coulèrent un regard suspect.

Il avait raison.

Ils n'avaient eu que très peu d'informations sur ce qui se tramait dehors, mais une chose était certaine : c'était grave, et il n'y avait rien de naturel.

Au collège, ils avaient essayé de glaner quelques informations, de s'informer auprès de ceux qui avaient de quoi aller sur internet. Sur les réseaux sociaux, on parlait de virus ayant muté, de vaccin défectueux, de rage, de vache folle améliorée. Les gens parlaient de complot, de réduction de la population, de fin du monde, d'attaque chimique extra-terrestre.

Ce qui était sûr en revanche, c'était qu'effectivement, un étrange virus se répandait un peu partout, infectait surtout les adultes. Ça commençait par de la fièvre et des vomissements. Puis soit on en mourait, soit on en guérissait, avec cependant cette subtilité qu'une sorte de folie furieuse prenait le sujet, et le faisait devenir une atrocité humaine. ''Humaine'', c'était à voir.

Il ne s'agit pas de zombies, avait insisté un médecin à la télévision. Ces personnes sont vivantes. Et de plus, n'ayez pas peur, ce versant du virus ne touche que les patients avec des antécédents psychiatriques.

Nathan n'y avait pas cru. Jon ne voulait pas y croire, et Eden s'en fichait.

Que pouvaient-ils faire à leur échelle de toute manière ?

— S'ils commencent à gerber, on pourra s'inquiéter, répondit finalement Eden.

— Super rassurant.

Vasco s'étendit plus confortablement sur son siège et considéra quelques longues secondes Gabriel, Erwan et Théo, tous endormis de façon plus ou moins ordonnée entre les trois adolescents. Une façon de se rassurer, de se sentir entourés. Les plus petits ne comprenaient pas, les plus grands ne comprenaient que trop bien, alors où était la place de ceux qui comprenaient sans comprendre ?

Vasco se tordit les mains : à huit ans, on avait d'autres choses à penser que le fait de potentiellement se faire abandonner par ses éducateurs. À huit ans, on jouait innocemment au foot dehors, on se bagarrait pour rire, on essayait de s'introduire en douce dans le bureau des éducs pour voler des bonbons.

Eden dû surprendre son regard, car il lui décrocha un sourire amer.

— Il va falloir qu'on se serre les coudes, lança Jon en avisant les deux autres garçons.

— Et qu'on prenne soin des petits surtout, ajouta Nathan avec un flegme inventé. C'est notre rôle.

Les cinq plus âgés hochèrent la tête, lorsque la porte de la salle télé s'ouvrit enfin sur Amali, les mains sur les hanches. Elle avait une sale mine, les traits tendues, mais aucun des adolescents n'osa en faire la remarque.

— Ok, les Tous petits vous partez avec Yannick, faire dodo dans vos chambres. Mon groupe, vous allez installer vos matelas et vos affaires ici, c'est moi qui vais dormir à cet étage avec vous. Les ados, on monte, c'est Jay qui va s'occuper de vous.

— Tu peux dormir à côté de moi ? s'exclama Théo en émergeant à peine du sommeil.

— On va voir. Pour l'instant, action. Il est déjà tard.

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