Chapitre 6

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Jeudi 19 décembre 2019, 21h39

   Les petits et Yannick avaient quitté l'unité depuis dix minutes et pourtant, les garçons du groupe des Petits étaient toujours en train de cavaler en tout sens au rez-de-chaussée de l'unité des Grands.

Les matelas avaient été installés les uns à côté des autres, les doudous prêts à rassurer leurs enfants, les couettes en place. Les enfants eux s'activaient toujours entre brossage de dents et mise en pyjama, sous les ordres fatigués d'une Amali au bord de la rupture.

Elle n'en pouvait plus. Depuis son départ de la pharmacie, jusqu'à cette tentative de couché plus que moyenne, elle n'avait qu'une envie : dormir, et se réveiller du cauchemar diurne qui l'animait.

— Erwan les dents, viens souffler.

Il souffla avec un léger tremblement, et fut immédiatement renvoyé aux lavabos.

Les premiers à se faufiler sous leurs couettes, Gabriel et Mehdi, s'étendirent avec mollesse, les visages défaits et les muscles tendus.

— Je suis crevé, murmura Mehdi tandis que leur éducatrice s'approchait d'eux.

— Tout le monde je crois. Ça va vous deux ?

— … non.

La petite voix de Gabriel serra la gorge de la jeune femme bien qu'elle n'en montra rien. Elle ne pouvait tout simplement pas se le permettre. Qu'adviendrait-il d'eux si les figures adultes, si les modèles, commençaient à défaillir ?

— Tout va bien sa passer mon petit chat.

— Tu dis ça pour nous rassurer, mais tu en crois pas un mot.

— Vasco par pitié, est-ce que pour une fois tu pourrais te taire ?

Elle se retourna brutalement pour faire face au jeune garçon, qui les mains dans les poches, les fixait d'un sale œil.

— J'ai raison et tu le sais.

— Même si c'était le cas, ce n'est pas ton rôle de gérer ce genre de situation. Va te coucher.

— J'ai pas sommeil, et en plus, j'ai pas super envie qu'un autre éduc contaminé tente de nous buter. On est sûr que Maëlle est bien clamsée ?

C'en fut trop pour Amali, qui se leva d'un bond et entraîna Vasco avec elle, à l'écart des enfants secoués par les paroles de leur camarade. Une fois à bonne distance, elle lui attrapa les épaules, et le secoua légèrement.

— Qu'est-ce que tu cherches à faire exactement ?

— Moi ? Rien du tout. J'apprécie juste pas la façon que vous avez de nous prendre pour des demeurés. On en a parlé avec les grands, et on est d'accord sur un point : vous nous cacher des trucs, et on a passé l'âge pour être mis à l'écart.

— Toi peut-être. Mais pas Gabi. Pas Théo, pas Erwan. Pense un peu à eux.

— Je pense à eux lorsque je te dis ça, cracha t-il en se défaisant de la prise. Eux s'en inquiètent pas trop mais, ils sont où les autres ? Je te rappelle juste au cas où tu t'en souviendrai pas, qu'on est dix sur ce groupe, pas cinq.

Amali le considéra quelques secondes, avant de reculer pour s'adosser au mur.

Les autres. Bien sûr qu'elle y pensait, depuis les longues heures passées à téléphoner aux familles, aux écoles, aux IME qui accueillaient les enfants. Personne ne répondait, personne.

Dès le lendemain, ils s'organiseraient pur rejoindre les lieux d'apprentissage des enfants en voiture, pour comprendre et surtout, tenter de les retrouver. Mais là, tout de suite, elle ne pouvait pas les laisser là, et ce même si ça revenait à abandonner ceux qui se trouvaient à l'extérieur du foyer.

— Dès demain...

— Ils seront peut-être morts demain.

— Et on fait quoi alors, Vasco ? On vous laisse ici, à la merci de n'importe quel fou furieux qui serait contaminé par cette... cette merde et... et quoi ? On ne peut pas vous laisser là !

Un frisson parcourut la colonne de Vasco, tandis qu'il venait s'adosser à côté de son éducatrice. Il comprenait ce qu'elle tentait de lui dire bien sûr, mais son inquiétude à ce moment-là, était plus grande que sa raison. Ses amis étaient là, dehors, sans personne, et sûrement terrorisés de ne pas comprendre. Et il ne pouvait rien faire.

Nouveau frisson orsqu'il sentit la main de la jeune femme se poser sur le haut de son crâne, rassurante.

— Vasco, je sais que tu n'es pas rassuré, que tu n'es pas à l'aise avec le fait de savoir les autres dehors, loin de toi, mais il va falloir être fort et surtout, prendre soin de ceux qui sont là. De Théo, de Erwan, de Gabriel. Eux aussi ont besoin de toi.

En sentant le sanglot remonter le long de sa gorge, il se hâta de tourner le dos à l'éducatrice, et lui indiqua qu'il montait dire bonne nuit aux Grands.

— Pas la peine, ils doivent descendre dans cinq minutes pour vous dire bonne nuit.

Arrêté dans sa progression, il changea alors de direction, et regagna le dortoir aménagé dans la salle commune.

Restée seule, Amali contempla ses ongles à la lumière crue des néons du plafond, sans vraiment y porter grande attention.

Jason lui avait indiqué que ses parents ne répondaient pas. Elle n'avait même pas essayé d'appeler les siens.

Des pas résonnèrent dans les escaliers. Jon s'arrêta face à elle, en pyjama, l'air piteux.

Elle aimait beaucoup ce gamin : lorsqu'elle était arrivée, lui et Eden se trouvaient sur le groupe des Petits, alors âgés de douze et treize ans. Et, si l'un lui avait fait la vie dure au démarrage, elle avait réussi à créer avec Jon une relation de confiance solide, et réciproque.

Il avait maintenant quinze ans, avait pris de bons centimètres et s'était heurté de plein fouet à la puberté, mais gardait toujours ses yeux d'enfants perdu, ceux qui l'avaient fait fondre lors de son arrivée au Phoenix. Ces grands yeux trop bleus, trop grands, trop sensibles pour être ignorés.

Sans échanger de paroles, il descendit les quelques marches qui lui restaient, et vint se nicher contre elle, le menton sur son épaule. Inspirant à pleins poumons, il soupira ensuite d'aise en sentant la chaleur de la jeune femme mais surtout, et c'était le plus important, sa présence.

Les doigts de l'adolescent se crispèrent sur le sweat en coton noir de Amali, alors que sa propre prise se faisait trop désespérée pour son propre bien.

Se raccrocher, encore. Essayer de palier l'impensable par le tangible.

L'odeur du savon du jeune garçon lui rappelait beaucoup celle de Jason, lorsqu'il lui arrivait de se doucher au foyer après un service un peu trop physique.

— C'est qu'un mauvais moment à passer, hein ?

— … j'en sais rien Jon, répondit-elle doucement en se défaisant de sa prise.

— Et pour une fois qu'elle n'a pas la réponse, vous devriez en profiter.

Jason apparut à son tour, escorté des deux autres jeunes de son groupe. Bras croisés sur son large torse, sourcils haussés, il arborait un air de détachement factice, quelque chose qui avait toujours fasciné Amali. En toute circonstances, il arrivait à donner le change, à faire semblant. Poker face, aptitudes extraordinaires, la jeune femme se posait toujours la question. En tout état de cause, à ce moment précis, son sourire en coin et ses yeux plissés la rassurèrent : au fond, s'il souriait de cette façon, c'était bien que tout n'était pas définitivement perdu, n'est-ce pas ?

D'un mouvement du bras, il indiqua à Nathan et Eden d'aller saluer les plus jeunes avant de rejoindre sa petite amie et Jon, toujours planté à ses côtés.

D'un regard doux, l'éducateur couvrit l'adolescent, passa une main dans ses cheveux, les ébouriffa avant de le congédier à son tour.

En face à face, souffles entremêlés, les deux éducateurs se considérèrent un long moment, avant que comme pour Jon, l'étreinte ne se trouve être la seule issue. Plus forte, plus pressante, Amali imagina son corps se fondre dans celui de Jason alors que ses ongles s'enfonçaient dans la matière de son pull gris. Son petit ami était bien plus grand qu'elle, ce qui faisait que son nez se retrouvait à hauteur de ses pectoraux. L'odeur de leur lessive la rassura, un bref instant, avant de lui renvoyer ses souvenirs de la veille avec la violence d'un coup de poings.

La veille, à la même heure, ils regardaient un film dans leur lit, sur Netflix. La veille, à la même heure, le monde tournait encore rond, et les seules créatures de cauchemars qui pouvaient exister dans l'esprit humains provenaient de films, de romans et de séries.

— Va dormir, lui conseilla t-il en se reculant, avant de déposer un baiser sur ses lèvres.

— Oui chef.

Maigre salut militaire avant de tourner les talons. D'un pas lent, elle rejoignit la salle commune, y trouva Nathan écraser sous Erwan, Théo et Gabriel, Jon étendu épaule contre épaule avec Mehdi. À l'écart, Vasco et Eden les regardaient avec u drôle d'air, à mi-chemin entre l'exaspération et l'attendrissement.

— Avouez que vous être jaloux de notre soirée camping-pyjama, lança t-elle avec un sourire en coin.

— À mort, je peux rester ?

Le ton enjoué de Nathan étonna quelque peu la jeune femme, bien qu'elle n'en montre rien. Oui qui d'habitude se la jouait adulte en devenir arrogant et prétentieux, voilà qui avait de qui la surprendre.

Cependant, pouvait-elle encore réellement être choquée par quoi que ce soit ?

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