CHAPITRE 21

4 minutes de lecture

CHAPITRE 21

À des milles du château, les frères de Blanche-Prudence renouvelaient leurs " tsk... tsk... " par un claquement de langue utile pour encourager leurs roncins* à trottiner sans s'arrêter, quand les gardes refrénaient les ardeurs de leurs nerveux destriers et s'agaçaient de ce trot au ralenti. Ils étaient d'autant plus irrités, qu'à cette cadence ils étaient des proies faciles pour les brigands, les pillards, les écorcheurs, les coupeurs de gorges ou de bourses qui faisaient commerce dans les sous-bois et sur les routes exiguës. À découvert et au pas, bien qu’armés de dagues et d’épées, les gardes étaient méfiants. Ils ouvraient l’œil, surtout lorsque leur route croisait celle de pèlerins et de colporteurs qui les engageaient à la prudence, les informant de traquenards évités à des coudées de leur parcours.

Le soleil était déjà haut et le temps était compté. Responsable de la mission, le capitaine des gardes alla se placer à hauteur des deux frères.

— Holà messieurs ! À quelle distance sommes-nous de la demeure de l'herboriste ? demanda-t-il.

— Holà capitaine ! répondit le plus loquace. Nous devrions voir son logis d'ici un mille.

— Deux... rétorqua l'autre frère sur un ton renfrogné.

— Deux ! Fort bien, je vais prévenir mes hommes que nous arrivons bientôt. Merci messieurs.

Sonnait l'heure du déjeuner. Les vingt-neuf qui avaient relégué leurs tuniques des derniers jours à la blanchisserie du château pour revêtir leurs robes cousues de rubans blancs et leurs belles jaquettes aux dégradés de bleu taillés sur-mesure par les habiles couturières, se rassemblèrent dans le hall. Fiers dans leurs beaux habits, ils se complimentèrent et partagèrent leur bonheur d'être ainsi honorés, avant de se mêler aux nobles convives qui connaissaient l'ouverture d'esprit des souverains du pays de Providence et les acceptèrent sans prétention.

Cette fête s'annonçait conviviale et plaisante. L'arrivée du Roi, de la Reine et du futur marié rajouta à l'excitation du moment. Tous les trois allèrent saluer les nouveaux venus, les remercièrent pour leurs présences et les assurèrent de leur joie de les revoir. Étant donné le grand nombre de convives, l'échange s'éternisa. Ce fut une torture pour les vingt-neuf qui reluquaient d'un œil gourmand la table riche d'appétissantes victuailles et se parlaient par coups d'œil complices et gargouillements d'estomacs.

Dans l'intervalle, alors qu'ils traversaient une clairière, les frères de Blanche-Prudence signalèrent aux gardes qu'ils arrivaient à destination. Le capitaine fut soulagé. Par chance, aucun de ses hommes n’avait eu à se battre contre des détrousseurs ni à se défendre contre les trancheurs de cous friands de menues pièces qui sévissaient dans la région. La maison de l'herboriste était modeste. Il y avait un toit de chaume à deux pans, une petite cheminée arc-boutée, une minuscule porte en chêne toute de guingois et une fenêtre étroite.

" ... Ainsi, songea le capitaine, voilà donc l'endroit où se terre le fournisseur de Blanche-Prudence. Celui qui récolte et utilise les nutriments du sol et du sous-sol... L'homme a l'air de vivre comme un ermite... Espérons qu'il soit dans sa tanière et n'est pas allé chercher des plantes spéciales on ne sait où... "

Les deux frères descendirent de leurs roncins* et toquèrent à la porte de la hutte pendant que les gardes abreuvaient leurs chevaux dans la rivière proche.

— Y'a quelqu'un ? interrogea le plus loquace des frères.

— Personne ne répondait. Le capitaine resté à proximité, s'avança vers la maison et, sur un ton autoritaire, il demanda :

— Quelqu'un là-dedans ?

— Qu'est-ce que c'est ? interrogea une voix nasillarde.

Blanche-Prudence nous envoie vers vous ! renseigna le capitaine.

— Qui ?

— Nous sommes des envoyés du Prince Philibert-Armand, l'herboriste ! Ce sont les frères de Blanche-Prudence qui nous ont guidés chez vous !

— Entrez, mais une seule personne...

Le capitaine poussa la fragile petite porte, courba les épaules et entra dans le gîte exigu et bas de plafond. Tête nue, il se présenta à l'homme chauve, pas plus haut que deux coudées et demi, qui avait les manches retroussés et malaxait une pâte filandreuse à la couleur du brou de noix et à l'odeur de beurre ranci.

— Bien le bonjour, l'herboriste !

— Bien le bonjour... Quel est l'objet de votre visite ?

— C'est Blanche-Prudence ! Elle est à l'agonie et nous manquons de menthe poivrée pour la guérir de son mal.

— De la menthe poivrée... grogna le petit homme.

— Si fait, de la menthe poivrée ! affirma le capitaine.

— Hum... Je ne sais s'il m'en reste...

— Ah... ?

— Je dois aller le vérifier, mais avant il me faut d'abord terminer ce que j'ai commencé.

— Vous en avez pour longtemps ? On m'a mandater pour mener à bien cette mission urgente et importante.

— Laissez-moi finir, voulez-vous ? s'énerva l'herboriste.

— Bien... Le Prince Philibert-Armand nous a aussi demandé de vous ramener au château.

— Mais comment donc ? N'y comptez pas ! Ah ça, Je resterai ici !

Le capitaine n'insista pas. Bras croisés et talons de bottes tapant le plancher poussiéreux, il regarda l'herboriste achever sa mixture, se nettoyer les mains puis farfouiller dans le tiroir d'un semainier rafistolé.

— Hum... Hum... grommelait-il en cherchant au fond des casiers. Hum...

— De menthe poivrée, l'herboriste semblait ne plus en avoir. Le capitaine retint son souffle et après plusieurs minutes de recherches, le petit homme s'exclama " Ah, en voilà quelques feuilles ! ". Soulagé, le capitaine arracha la menthe poivrée de ses mains et la fourra dans sa poche. Sans dire un mot, il ressortit de la hutte en rentrant les épaules et alla trouver deux gardes qu'il chargea de bâillonner et de kidnapper le petit homme s'il ne consentait pas à venir de son plein gré. Le temps d'aller faire boire son cheval, le capitaine eut la surprise de voir l'herboriste sortir libre de chez lui, son paletot sur le dos et un foulard enroulé comme un turban sur son crâne dégarni.

— Décidé à venir sans contrainte ? lança le capitaine en souriant. Vous m'en voyez bien heureux !

— Sachez que je ne le fais ni pour vous, ni pour vos maîtres, je le fais uniquement pour Blanche-Prudence. J'aime beaucoup cette jeune fille et je ne voudrais pas qu'il lui arrive malheur. Je l'ai bien souvent dépanné par le passé et elle m'a aussi souvent aidé, alors si je peux encore lui être utile, je le ferai avec plaisir.

Roncin* : cheval de labour pour les paysans

Annotations

Vous aimez lire Christ'in ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0