CHAPITRE 20

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CHAPITRE 20

Au château, les domestiques disposaient, organisaient, arrangeaient et préparaient la cérémonie des épousailles. Tous connaissaient leurs tâches et tous s'activaient en ballets coordonnés. Depuis le rez-de-chaussée, leurs petits pas pressés résonnaient dans les étages. Mètres de dentelles bleu ciel, nuages de tulle blanc, gerbes de roses pastel et tables de buffets aux couleurs de l’azur, ornaient les pièces de réception. Des brassées de roses pastel cueillies dans les jardins — thème pensé et souhaité par la Reine — parfumaient les salles somptueusement décorées pour l'occasion.

Réveillée tôt, Berthe-Conteuse s'admirait dans la glace de sa coiffeuse tandis qu’un artiste capillaire à la tenue excentrique, tressait ses longs cheveux et repoudrait sa perruque façonnée en buisson de roses pastel.

— Cessez dé bouyer Prrrincesse, piaffait le coiffeur avec un accent italo-hispanique, yé n'en ai plou pourr trrès longtemps.

— C'est long. Si long, s'agaçait Berthe-Conteuse. Ces nattes vous prennent un temps fou et j'ai tant de choses à faire.

— Si, yé le sais bien Prrrincesse. Y'ai bientôt terminé et dans quelques minoutèsses, vous serrrez ABSSOLOUMENT divine !

— Divine, je vais être, la la la, chatonna Berthe-Conteuse souriant à son reflet. Divine, divine...

— Divine, vous l'êtes assourrrément, mais maligné, vous l'êtes zaussi, ajouta le coiffeur en riant comme une Catafiore.

— Voyons Miguèle, modérez-vous un peu, vous faites trembler mon miroir. Ce n'est pas le moment de le briser, j'ai encore besoin de contempler la perfection de mon visage.

— Si, vous z’êtes soublime, mais ye vous prrréfèrrre quand vous z’êtes natourrrelle. Vous z’êtes la plous belle des Tarentoulles.

Berthe-Conteuse retira le couvercle d'une boite de porcelaine posée à côté de ses brosses et de ses poudres. A l'intérieur, il y avait des dizaines d'insectes morts et des chenilles desséchées.

— Quelques petites douceurs, Miguèle ? proposa-t-elle au coiffeur qui avait les mains prises, mais déroula et étira une longue langue gluante pour prendre la poignée de cadavres proposée par la Princesse et la mettre dans sa bouche.

— Mmm... se régalait-il en croquant ses friandises. Y'adorrre...

— Lorsque je serai sur le trône, mon cher Miguèle tu auras tout loisir de savourer les centaines de créatures qui font leurs nids dans ce château et se développent dans ces immenses jardins

— Y'ai hâte. Le your de votre courrronnement, yé vous férez la plus extrrravagante des coiffourrres.

— Bientôt mon cher Miguèle, soupira-t-elle. Bientôt tout m'appartiendra. Je jouirai seule de cette fortune, des titres et du pouvoir, pendant que mes imbéciles et naïfs bienfaiteurs seront chassés et finiront leurs jours dans un monastère, choisi par mes soins à des lieues d'ici. En attendant, il me faut épouser ce Prince souffreteux pour qui je n'ai aucune attirance et qui me donne la nausée.

— Comme yé vous comprends. Ce Prrrince est abssolument dégoûtant.

— Oui, dégoûtant c'est bien le mot. De toute façon, je ne l'aurai pas longtemps dans mes jupons. Sa maladie ne résistera pas à quelques allergènes supplémentaires avec lesquels j'aurai plaisir à le mettre en contact...

À quelques mètres de là, dans le même couloir, la Reine avisée par son époux du plan échafaudé tard dans la nuit, sollicita sa femme de chambre pour venir la coiffer et lui enfiler sa robe de cérémonie. Le Roi en fit de même. Face à son valet de pied qui l'aidait à s'habiller, il se comporta le plus naturellement du monde, se montrant même plutôt joyeux. Dans ses appartements, le Prince Philibert-Armand se paraît de son costume de marié en s'enquérant depuis son vestiaire de l'état de la malade.

— Comment va-t-elle, Pierrot-Guillou ? demanda-t-il en élevant la voix.

— Rien ne change, répondait tristement le valet de pied.

— Sa santé se dégrade-t-elle ?

— Non, Prince.

— Sa santé s'améliore-t-elle ?

— Non plus. Rien n'est différent.

— Hum... maugréa le Prince. Souhaitons que les gardes soient à l'heure pour la sauver et... aussi pour me sauver...

Un étage plus bas, c'était l'agitation. Dans la salle de préparation, mère Gontrande désossait, cuisait, salait et orchestrait le repas prévu pour plus d'une centaine de convives. Brièvement informée par Anophèle du déroulé de la veille, elle se questionna sur la suite de la journée, mais responsable de la cuisine et du travail des servantes, des maîtres queux, des sommeliers, des rôtisseurs et de tous les domestiques engagés en renfort, elle mit de côté ses interrogations et se concentra sur son ouvrage. A l'aise dans sa fonction de cuisinière en chef, mère Gontrande supervisa la brigade nouvellement embauchée. Elle organisa les tâches de chaque employé d'une main de maître et aucun couac ne fut à déplorer. Mère Gontrande excellait dans la tâche attribuée et Anophèle l'admirait.

En ce matin du sixième jour, toutes les têtes couronnées avaient répondu à l'invitation et s'en venaient au Pays de Providence pour assister au mariage princier. Escortés de soldats et d'écuyers, toutes arrivaient en carrosse reluisant au château célébrant. Cousins, neveux, oncles par alliance et autres germains, nobles, évêques, chevaliers, monarques et dauphins de la famille royale élargie avaient fait le déplacement par politesse, protocole et affection - se réjouissant de marier Philibert-Armand qu'on disait malade depuis sa tendre enfance- mais aussi par curiosité. Le Pays de Maux et ses souverains étant méconnus de tous, la plupart étaient impatients de rencontrer la Princesse Berthe-Conteuse et d'en apprendre davantage.

Introduits dans le hall magnifiquement décoré de roses pastel, de dentelles et de tulles, les arrivants étaient conduits aux salons de détente ou accompagnés dans leurs chambres attribuées. Certains avaient fait un très long voyage sur des chemins bosselés et réclamaient une sieste avant la cérémonie programmée l'après-midi. Les autres, de bonne éducation, courtois ou simplement heureux de se revoir, se regroupaient pour se donner des nouvelles, s'entretenir de leurs fonctions, parler de leurs contrées respectives, de leurs familles, de leurs projets, de leur santé, mais aussi et surtout... de Berthe-Conteuse, la Princesse inconnue qui suscitait l'intérêt.

On annonça aux invités qu'un déjeuner en commun était prévu dans la salle des ancêtres et que le Roi et la Reine de ces lieux les y rejoindraient. Il fut précisé à chacun que ce repas autour d'une table n'était en rien obligatoire et que ceux qui le désiraient — pour raisons de fatigue ou de confort — pouvaient se restaurer dans leurs chambres d'un plateau servi et garni selon leurs goûts, et ne s'associer aux autres qu'à l'heure de la célébration. Seul l'évêque de la famille désigné pour bénir les mariés devait être présent à l'agape afin de s'entretenir avec les parents des futurs époux du déroulement de la messe. Il devait leur faire part de son prêche et s'accorder avec eux des prières et des chants.

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