CHAPITRE 11

5 minutes de lecture


CHAPITRE 11

Le cinquième jour

Alors que le soleil n’était pas encore levé et que le château dormait encore, mère Gontrande et Anophèle qui n’avaient pas fermé l’œil de la nuit, se retrouvèrent comme d’ordinaire à la cuisine. Mère Gontrande qui généralement s’attelait à son travail dès potron-minet, était assise sur le banc de la cuisine. Figée, les yeux dans le vague, elle restait là sans bouger. Anophèle quant à lui, avait le regard perdu et une pomme de terre dans le creux de la main. Non remis de l’épisode de la veille, la cuisinière et l’apprenti étaient hagards... sans réaction. Toujours sous le choc, ils avaient du mal à parler de ce qu’ils avaient vus, mais profitèrent de la tranquillité de l’aube pour partager leurs impressions. Mère Gontrande rompit le lourd silence.

— Anophèle, nous voilà bien embarrassés avec un tel secret... murmura-t-elle.

— Oui mère Gontrande, murmura le garçon.

— Le mariage est pour demain Anophèle... Cela ne peut se faire...

— Non, mère Gontrande.

— Il est de notre devoir d’empêcher cette union...

— Oui mère Gontrande.

— Comment procéder, Anophèle ? Nous risquons de perdre notre place... et qui sait... notre vie... avec cette... chose.

— Oui mère Gontrande, cela est bien possible.

Quittant sa torpeur, la cuisinière secoua la tête puis frappa rudement la table avec sa paume.

— Anophèle ! s’exclama-t-elle. La nature ne m’a pas doté de forces et d’une carrure telle que la mienne pour rester à trembler dans mon coin ! Il nous faut demander audience au Prince Philibert-Armand et sans délai !

Le « nous » impliquait l’adolescent moins téméraire et plus pleutre que mère Gontrande.

— Mais... mais il doit dormir, bredouilla-t-il. Il est encore très tôt...

— Et alors ? L’affaire est urgente et l’heure tourne vite. Nous n'allons pas attendre que tout le monde soit réveillé pour se décider et agir. Non, c'est maintenant !

— Et Blanche-Prudence ?

— Justement, cette petite est peut-être en grand danger. Nous devons nous presser car la... Cette... cette chose lui a peut-être déjà fait du mal... ou bien risque de lui en faire.

— Espérons qu’il ne soit pas trop tard et qu’on la retrouvera…

— Je l’espère mon garçon... Je l’espère... Allez, ôte vite ton tablier et en route !

Entraîné par la volontaire cuisinière et conduit par l’image de Blanche-Prudence et le doux souvenir de son visage apaisant, Anophèle reposa son tubercule sur le tas de légumes, puis tel un soldat obéissant qui partirait au front, il se leva prestement. D’un pas décidé, les deux « va t’en guerre » allèrent frapper à la porte du valet de pied du jeune Prince. Celui-ci, debout depuis peu et se préparant pour sa journée de travail, vint leur ouvrir.

— Mère Gontrande ? Anophèle ?

— Bonjour Pierrot-Guillou, dit la cuisinière. Nous avons besoin de ton aide.

À mi-voix, elle relata toute l’histoire au valet de pied qui parut d’abord sceptique, blêmit et ouvrit des yeux comme des soucoupes. Au-delà de sa confiance envers mère Gontrande qui travaillait au château depuis plus de vingt années, ces incroyables révélations mettaient le domestique dans une situation délicate. Réveiller aux aurores le Prince Philibert-Armand parce que la cuisinière et son apprenti souhaitaient lui parler instamment, le fit longuement hésiter.

Mère Gontrande sut se montrer convaincante. Au nom de Blanche-Prudence, la petite jeune fille disparue sans laisser de traces, Pierrot-Guillou accepta et s’enferma dans sa chambre pour finir de s’habiller. Quelques minutes plus tard, accompagné des deux requérants, il emprunta les escaliers conduisant aux appartements princiers et se fit ouvrir la porte gardée de deux sentinelles. Il entra seul et ressortit un quart d’heure après. Mère Gontrande et Anophèle allèrent à sa rencontre. Il les informa :

— Déranger le Prince au saut du lit m’embarrassait grandement, mais lorsque j’ai dit au que l’affaire était urgente et qu’elle concernait la jeune fille disparue, il a aussitôt réagit et m’a demandé de vous faire patienter, le temps de s’habiller.

— Tu as bien fait, Pierrot-Guillou, répondit mère Gontrande. Et je te remercie pour ton aide.

— Je vais retourner voir s’il a besoin de moi. En attendant, restez ici, je reviendrai vous chercher.

Mère Gontrande faisait les cent pas dans le couloir et Anophèle était appuyé contre un mur, les yeux rivés sur ses chaussures, lorsque Pierrot-Guillou se montra à nouveau, et d’un mouvement de tête, les invita à entrer et les précéda dans la pièce principale. Le jeune apprenti emboîta le pas de l'énergique et déterminée cuisinière, tout en se dissimulant derrière elle.

— Prince, voici les deux personnes ayant sollicité un entretien. Ci-présente, mère Gontrande, cuisinière au château depuis vingt-deux ans et Anophèle, marmiton depuis bientôt un an.

— Hum... Bien, ronchonna le Prince en robe de chambre. Que me vaut l’honneur d’une visite aussi matinale ?

— C’est au sujet de Blanche-Prudence et de Berthe-Conteuse, informa la cuisinière dans une révérence un peu gauche.

— Blanche-Prudence ? s’étonna le Prince. Qu’a-t-elle ? Lui est-il arrivé quelque chose ?

— Eh bien, c'est précisément l’objet de notre visite. Cette petite a disparu depuis plusieurs heures et, selon les dires de Berthe-Conteuse, elle se serait enfuie du château pour de curieuses raisons.

— Enfuie ? Mais pourquoi ? Quelles sont ces raisons ?

Prenant Anophèle à témoin, mère Gontrande raconta ce que Manette lui avait rapporté et assura ne pas croire un traître mot de l’histoire. Bien que toujours troublé par les mots de Berthe-Conteuse certifiant que la jeune paysanne était une sorcière, le Prince eut cette fois-ci une réaction totalement différente. Sur un ton irrité, il jugea les accusations portées contre Blanche-Prudence comme fausses et parfaitement ridicules.

— Et mes parents, qu'ont-ils dits de cela ? interrogea-t-il. Ont-ils cru ces racontars ?

— Il semblerait que oui, renseigna mère Gontrande. Il paraîtrait même qu’ils ont félicité la Princesse pour son courage et son intelligence.

— Félicité ? Mais ma parole, cette fille les a ensorcelés ! C’est elle la sorcière, pas cette petite paysanne !

— En parlant de cela, je voudrais vous entretenir d’autre chose.

— Allez-y, je vous écoute.

Mère Gontrande expliqua qu’ils avaient été jusqu’à la chambre de Blanche-Prudence, qu’ils avaient toqué sans que personne ne leur ouvre et que, curieusement, sa porte était fermée à double tour.

— Étrange... marmonna le Prince, les poings serrés dans ses poches. Comment une jeune fille qui aurait pris la poudre d’escampette et abandonné toutes ses affaires personnelles, songerait à refermer sa chambre à clef... Cela n’est pas logique.

Mère Gontrande et Anophèle s’accordèrent à la pensée du Prince et lui expliquèrent avec force détails ce qu’ils avaient vu la nuit dernière dans les réserves du château. Passée la stupeur, le Prince Philibert-Armand devint fou de rage.

— Je sentais bien que cette Berthe-Conteuse n'était pas claire ! Dès le premier jour, j'ai vu son regard. Un regard terrible, haineux, monstrueux ! Je n'aurais jamais dû accepter ce mariage. J'aurais dû fuir cette... cette chose et prévenir mes parents ! Leur dire ! Leur expliquer ! Oui, j'aurais dû !

Silencieux, mère Gontrande et Anophèle regardèrent le jeune homme qui marchait de long en large en maugréant. Les poings serrés et le visage crispé, il se planta devant eux et gronda :

— Si cette jeune-fille est encore dans le château, nous la retrouverons ! Quant à cette... chose, je ne peux l’anéantir avant que mes parents ne connaissent sa véritable identité ! Après le dîner, je leur demanderai de me rejoindre à la nuit dans les sous-sols, sous le prétexte d'y voir un cadeau préparé pour ma future épouse, ignorante de ma surprise.

Annotations

Vous aimez lire Christ'in ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0