CHAPITRE 9

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CHAPITRE 9

Lèvres pincées, Berthe-Conteuse s'approcha de Blanche-Prudence et la tira rudement vers la sortie en lui comprimant le bras. La jeune fille ne put résister à cette poigne de fer. Repoussée et jetée comme une malpropre dans le couloir, des larmes mouillèrent son doux visage. Puis, là où Berthe-Conteuse l'avait enserré, elle remarqua des traces de doigts semblables à un chapelet de boutons rouges. Surprise, elle plaqua une main sur sa peau irritée et fila se cloîtrer dans sa chambre.

Le Prince qui avait tout vu de la scène en fut indigné.

— Je n'apprécie guère ce type d'intrusion dans mes appartements !protesta-t-il. De plus, votre comportement vis-à-vis de cette damoiselle est indigne et tout-à-fait intolérable ! Au Pays de Maux, ne vous a-t-on point inculqué la politesse et le respect ? Si donc c'est par la force et l'autorité que vous envisagez de prendre soin de moi, apprenez que l'outrecuidance et le despotisme me sont en horreur !

— Ne vous fâchez pas, dit Berthe-Conteuse d'une voix doucereuse. Je voulais seulement vous protéger de cette impertinente qui n'a d'innocent que son air... Un air trompeur et faussement candide... Par affection pour vous, je me suis renseignée sur elle. Des limiers à ma solde ont enquêté dans le village qui l'a vu naître et grandir. Ils m'ont rapporté que toute sa famille versait dans la magie, et qu'elle même avait la réputation d'une ensorceleuse qui envoûtait les hommes avec ses charmes et ses potions pour mieux les dépouiller.

— Une sorcière ? Mais comment donc ?

— Une sorcière, vous dis-je ! Comprenez-vous enfin, pourquoi il m'a fallu intervenir au plus vite et vous éloigner d'elle ?

— C'est impossible... Ça n'a pas de sens...

— Vous êtes en grand danger avec cette fille dans les parages ! Prenez les mesures adéquates et chassez-là sur-le-champ !

Le Prince était abasourdi. Ce que racontait Berthe-Conteuse lui était difficile à croire. Spontanément, il prit cette réaction excessive et ses accusations pour une crise de jalousie, mais sa verve et son assurance semèrent un doute dans son esprit. Perturbé, le Prince demanda à Berthe-Conteuse de le laisser pour réfléchir. La réaction fut surprenante. Celle qui s'était imposée quelques minutes auparavant tourna promptement les talons et, un sourire au coin des lèvres, quitta la pièce en se frottant les mains.

Dans la salle de préparation, occupée à pétrir sa pâte, mère Gontrande entendit Anophèle arriver derrière elle.

— Eh bien, tu en as mis du temps pour me remonter quelques patates... grogna-t-elle.

— C’est que... bafouilla-t-il.

— Que quoi ?

— En bas... à la cave... je me suis fait prendre... dans…dans une toile d’araignée.

— Une toile d’araignée ! s’exclama mère Gontrande qui pouffa de rire. Mais enfin, que dis-tu mon garçon ? Comment pourrais-tu t'être fait prendre dans une petite toile d’araignée ?

— Et pourtant... je crois bien que si...

— Ah ! Ah ! Ah ! Mais quelle invention m'as-tu trouvé pour excuser ta flânerie. Dis-moi plutôt que tu as lambiné dans les couloirs ou dans le jardin, et là, je te croirai ! dit mère Gontrande en regardant Anophèle par-dessus son épaule. Mais ? Mais où donc t'es-tu roulé ?

— Je ne me suis roulé nulle part, mère Gontrande. Je vous l’assure. À la réserve aux légumes, je me suis bel et bien pris dans ce que je crois être une toile d’araignée géante.

Mère Gontrande regardait le marmiton recouvert de fils blanchâtres collants et entremêlés. Coiffé de ce maillage, des larves desséchées pendaient à hauteur de ses oreilles.

— Je ne sais pas où tu t'es frotté mon garçon, mais sors dehors pour secouer tes galoches et profites-en pour frotter ta culotte et ta vareuse ! Allez ouste ! Je vais te faire chauffer de l'eau pour que tu te laves le corps et les cheveux. Allez dépêches-toi, nous avons de l'ouvrage aujourd'hui et tu as suffisamment traîné !

Deux étages plus haut, Blanche-Prudence sanglotait sur son lit lorsqu'on frappa à sa porte. Elle s'essuya les yeux du revers de la main puis se leva pour ouvrir au visiteur. C'était Berthe-Conteuse. Celle qui venait de l'injurier et de la traiter comme une malpropre.

— Vous ?

— Moi ! Je n'en ai pas terminé avec vous, jeune fille !

Berthe-Conteuse repoussa la demoiselle à l'intérieur de la pièce et claqua la porte d'un violent coup de rein.

— Alors petite garce, on profite de la faiblesse du Prince pour l'attirer dans ses filets ?

— Quoi ? Mais pas du tout, je ne lui veux que du bien !

— Que du bien ? Que du bien, alors que tous les jours vous vous introduisez chez l'homme que je dois épouser ! Vous n'êtes qu'une sorcière qui lui veut du mal !

— Je ne suis pas une sorcière ! C'est vous la sorcière ! Aucun homme, aucune femme ne peut provoquer d'inflammations de la sorte en l'empoignant par le bras ! Je ne sais pas ce que vous êtes, mais assurément vous n'êtes pas humaine !

— Perspicace demoiselle, vous voilà une autre preuve de ma nature ! s'écria Berthe-Conteuse en dressant sa paume droite face à la jeune fille qui se figea comme une statue.

— Que m'avez-vous fait ? Par quelle diablerie, suis-je ainsi paralysée ?

Berthe-Conteuse eut un rire effrayant. Sa bouche s'ouvrit démesurément et en jaillit un long fil noir semblable à de la soie qui enroba la jeune fille comme une toile d'araignée.

— Qu'est-ce que vous faites ? interrogea Blanche-Prudence d'une voix étranglée. Libérez-moi.

Toujours bouche ouverte, Berthe-Conteuse régurgita ce qui ressemblait à un essaim de minuscules pucerons. Effarée, la captive fixait cette nuée d'insectes qui flottaient dans sa direction.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle, affolée.

— Pour votre information, ces magnifiques petites choses de quelques nanomètres en forme de crochet, sont en réalité des poils urticants dont le venin va s'infiltrer dans vos chairs et empoisonner votre sang. La suite, mademoiselle la paysanne, sera une lente agonie. Heure après heure, vous allez sentir votre corps cloquer, enfler, s'affaiblir puis se délabrer jusqu'à ce que mort s'ensuive... Évidemment, le mieux pour vous serait d'étouffer pour en finir au plus vite, mais il se peut que votre trépas soit bien plus long et douloureux... Cela dépendra de votre résistance, jeune fille.

— Mais enfin, qui êtes vous ? Vous êtes quoi ? Une bête ?

— À vous de deviner ce que je suis... répondit la Princesse en poussant la prisonnière derrière un épais rideau. Voyez comme je suis bonne. Grâce à ce tissu protecteur, je vous laisse un temps de répit avant que mes poils adorés, pour le moment dociles et en suspension dans l'air, ne vous retrouvent tôt ou tard. Pour le moment, quelques mètres vous séparent encore d’eux, mais vous ne pourrez bientôt plus leur échapper.

Prisonnière des mailles visqueuses, Blanche-Prudence entendit le monstre ricaner, puis refermer la pièce à double tour et descendre l'escalier menant à la salle à manger.

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