C'est bizarre - Semaine 11

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Cher papa Noël,

Je ne crois plus en toi, mais j’ai besoin de toi. Tu dois m’aider. J’ai une question un peu inhabituelle, mais que je dois te poser. C’en est une différente des autres. Je me pose beaucoup de questions, mais le fait que l’on ne sache pas tout, je sais pas, moi, ça m’a toujours fait bizarre. Les gens trouvent étrange que je trouve ça bizarre, mais j’y peux rien. Je ne comprends pas. Oh ça, et plein d’autres choses encore. J’ai des tonnes de questions. Par exemple, si l’univers est infini, est-il le contenu ou le contenant ? Et contenu dans quoi ? Ou encore, si je pète, est ce que ça fait une tempête en Amérique ? Certains préfèrent le battement d’ailes de papillon, moi le pet. Me demande pas pourquoi.

Mais ça, alors ça, c’est trop bizarre. Bizarre, vous avez dit bizarre. Commençons par le début. Moi c’est Pholien et j’ai huit ans ! Je m’applique beaucoup pour écrire cette lettre, même que je suis allé chercher des mots alambiqués dans le dictionnaire ! Alambiqué, ça veut dire compliqué. Mais attention, c’est pas parce que j’ai huit ans que je suis bête et naïf hein ! Naïf, c’est comme crédule, ça veut dire que l’on croit facilement tout. Je sais plein de choses. Comment on fait les enfants, que le père Noël n’existe pas… En plus je suis en CM1, et mon maître m’apprend plein de choses ! Je connais toutes les tables de multiplication, jusqu’à treize ! Je l’aime beaucoup, mon maître, je veux être comme lui plus tard ! Il est très intelligent. Mais je ne sais pas encore tout et il faut tout savoir pour être maître ! Alors du coup, je fais plein d’efforts pour comprendre toutes les choses. Ma maman dit que je suis ouvert au monde, parfois un peu trop. C’est vrai que je pose beaucoup de questions. Mais c’est pas ma faute, il y a beaucoup de mystères !

En ce moment, j’avais quelque chose qui me taraude, qui me dérange. Que je trouve bizarre… Ma grande sœur dit « chelou », elle, mais j’aime pas ce mot. Quand je comprends pas, je pose des questions. Mais parfois, je sais qu’il ne faut pas. Par exemple, pourquoi maman pleurait-elle en criant sur papa ? Je ne sais pas, mais je ne lui ai pas demandé. Un jour, peut-être que je lui demanderai. J’attends qu’elle n’ait les yeux gonflés et rouges. Cette question-là par contre, celle qui m’embête, je savais que je pouvais la poser. Papa était pas là. Du coup, je l’ai posée à maman. Quand j’ai fini, elle m’a regardé avec de grands yeux tout ronds et elle a rigolé. Elle m’a pris dans ses bras et elle m’a caressé les cheveux. J’ai senti qu’elle faisait ça autant par attention que pour se réconforter elle-même. Je lui ai demandé où était papa. Elle m’a dit qu’il était au travail. C’est bizarre, à cette heure-ci, il est rentré depuis longtemps, normalement. Elle m’a fait un bisou, un tout doux, et elle m’a dit d’aller me coucher. J’ai grimpé dans mon lit. J’ai pas réussi à dormir. Je comptais les moutons en me demandant pourquoi il fallait compter des moutons, et pas des vaches, per exemple, quand j’ai entendu papa rentré. Maman l’a grondé. Elle essayait de ne pas faire de bruit, mais j’entendais qu’elle était en colère. Vous savez, c’est quand les chuchotements partent dans les aigus et qu’ils sont tranchants.

Le lendemain, c’était maman qui était pas là. Mais là, c’était normal : elle part tôt dans à son travail. Papa était dans la cuisine et ma sœur au collège. Pourquoi elle me parle plus, d’ailleurs ? Ça doit être à cause de son téléphone. Papa avait l’air triste. J’ai escaladé ses jambes et je me suis glissé sur ses genoux. Il m’a fait un câlin qui pique. J’aime bien ses câlins. Alors je lui posé ma question. Lui aussi a rigolé, mais il ne riait qu’avec la bouche, sans les yeux. Et il m’a emmené à l’école. À l’école, on a appris la naissance chez les animaux. Je le savais déjà. J’ai alors trouvé que c’était le bon moment, j’ai posé ma question. Le maître aussi a souri. Puis il m’a dit qu’il ne savait pas. C’est bizarre, je croyais qu’il savait tout.

Le soir, c’est ma sœur qui est venue me chercher. Elle était très gentille avec moi. J’étais content, car souvent elle veut pas me parler. Mais elle avait les yeux tout triste, alors j’ai compris qu’elle voulait me protéger. Elle m’a ramené à la maison. Elle m’a dit de poser mon cartable à l’entrée et m’a proposé de venir au trampoline. J’ai refusé : je voulais voir papa et maman ! Elle s’est énervée et m’a dit que je devais venir. Alors je suis venu : je voulais pas qu’elle me crie dessus, puis j’étais content de jouer avec elle. On a sauté. Enfin, j’ai sauté. Elle est restée assise, elle disait qu’elle avait mal à la tête et qu’elle voulait se reposer. Elle mentait. Quand elle se repose, elle regarde son téléphone. Là, elle regardait dans le vide. Je ne lui ai pas demandé pourquoi. J’ai arrêté de sauter et je lui ai fait un câlin. Un gros câlin. Elle me l’a rendu. Comme je sentais que ce serait un des seuls moments où elle m’écouterait, je lui ai posé la question. Elle m’a dit qu’elle savait pas mais que parfois elle aussi doutait. Soudain, on a entendu la porte claquer. Maman est sortie en criant, papa criait aussi. Elle a pris la voiture et elle est partie. Ma sœur pleurait. J’ai pleuré.

Le soir, on a mangé devant la télé ! On a regardé Gulli, c’était trop bien. Même ma sœur semblait contente que l’on mange ensemble. Enfin, ensemble tous les trois. Maman était pas là. Papa nous a dit qu’elle avait un rendez-vous chez des copines et qu’elle y mangeait. On avait des pizzas, en plus. D’habitude, on n’en mange jamais, ou pas souvent. Elle était au chorizo, ma préférée. J’en avais oublié mes questions. Mais à un moment, en plein pendant le dessin-animé, le téléphone de papa a sonné. Il avait pas l’air content. Il est parti dans le bureau en fermant la porte. Ma sœur a augmenté le volume de la télé. Je l’ai quand même entendu. Il criait. J’ai compris que c’était maman. Et aussi qu’elle n’était pas chez des amies. Je ne savais pas pourquoi, par contre. Je ne l’ai pas demandé. Ma sœur avait l’air trop triste.

Il a téléphoné longtemps, on a eu le temps de regarder trois dessins animés ! Je suis même allé au lit très tard, à vingt-et-une heure. Quand il est revenu, il avait les yeux tout rouge et il souriait pas. Il nous a dit d’aller nous coucher. Ma sœur a même pas protesté ; elle aussi avait les yeux rouges. Moi je me demandais pourquoi j’étais pas triste. Enfin, si, j’avais une boule désagréable dans le ventre qui me serrait la gorge mais c’était tout. C’était peut-être parce que je ne comprenais pas. Je savais que papa et maman était fâché l’un contre l’autre, mais je ne savais pas pourquoi. Je ne savais pas non plus qui était cette Véronique dont maman parlait tout le temps quand elle grondait papa. Du coup, j’ai compté les vaches et je me suis endormi. Le lendemain, quand je me suis levé, papa, maman et ma sœur étaient assis sur le canapé. Ma sœur était dans les bras de maman. Ils avaient l’air chagrin. Moi, je ne savais pas, alors j’ai sauté sur eux en criant pour leur dire bonjour. Ils m’ont fait un bisou, mais un bisou sans le cœur. Ils m’ont dit de m’asseoir sur le canapé. J’ai cru que j’avais fait une bêtise, alors j’ai pleuré. Ils ont pleuré aussi.

Ils m’ont dit de ne pas pleurer, que ce n’était pas à cause de moi. Ils ont dit qu’ils devaient me parler. Ils nous ont annoncé que à partir de maintenant, papa irait vivre dans une autre maison, mais qu’on continuerait de le voir. Maman resterait ici. J’étais tout content : j’allais avoir deux maisons ! Et en plus, papa aurait une autre dame avec lui. J’aurais deux mamans, j’espère qu’elle serait gentille. Du coup, j’ai souri. Ma sœur a pleuré encore plus, papa et maman aussi. J’ai compris que c’était pas bien, alors. J’ai arrêté et je n’ai rien fait. C’était bizarre. Normalement, quand on est tous les quatre, on sourit, on joue, on discute. Là, tout le monde avec le visage gris, les yeux rouges et des pensées noires. C’est ça qui m’a fait le plus pleurer : mes larmes ont coulé toutes seules et j’ai couru dans ma chambre.

Ma sœur est venue me voir après. Je voulais pas la voir, ni personne, en fait, alors je lui ai crié dessus. Mais elle est restée. Elle m’a caressée les cheveux. Ça m’a tout de suite fait du bien. J’adore quand elle est gentille avec moi. J’ai réussi à sourire. Ensuite, elle m’a dit que toute façon, même si on avait pas papa et maman en même temps, on les aurait tous les deux tout de même. Ça nous ferait deux fois plus d’amour. Je l’ai crue : elle ne sait pas mentir. Elle était un peu chagrine, alors je lui ai fait un bisou. Ça lui a fait plaisir, je crois. Elle m’a fait un câlin et elle m’a chuchoté : « Tu sais, pour répondre à ta question, je pense que rien n’est moins sûr. Les animaux sont sûrement plus humains que nous. ». Je crois qu’elle a rajouté « papa » après, mais je suis pas sûr. En tout cas, j’ai enfin trouvé une réponse à ma question. C’était « Est-ce que c’est sûr que les humains sont des humains, les animaux des animaux, et pas l’inverse ? ».

D’habitude, je suis content quand je trouve des réponses. J’ai l’impression d’être devenu plus intelligent. Mais là, c’est bizarre, ça ne me rend pas heureux. Au contraire, je pense que je n’aurais jamais dû me la poser. Pourtant, je ne peux pas m’interroger. Alors comme je te l’ai dit, j’ai besoin de toi. J’ai une question. Est-ce que tu as un livre avec toutes les réponses du monde ? Si oui, je le veux bien. Comme ça, je saurais tout, et je n’aurais pas besoin d’embêter mes parents avec de mauvaises questions qui rendent malheureux. Merci papa Noël, même si ma question est bizarre, je sais…

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