La mandoline - Semaine 7

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La brise agitait doucement le feuillage du chêne contre lequel j’étais adossée. Il bruissait et murmurait au monde les siècles qu’il avait connus, et me dispensait son ombre généreuse pour lutter contre le soleil écrasant. L’herbe éclatante brillait de mille feux, ondulant comme si elle était un océan. Des tâches de lumières perçant la cime de l’arbre dansaient sur mon visage. La tête renversée en arrière, j’admirais les nuances de verts parmi les branches, souriant dès que le bleu du ciel se découvrait. L’écorce rugueuse me griffait le dos mais je ne m’en souciais pas. Chaque sensation, chaque frémissement m’emplissait de joie et gravait un peu plus ce moment dans ma mémoire.

S’élevant au milieu de ce décor, les notes valsaient, chantaient, s’envolaient et s’évaporaient dans le vent après avoir répandu leur son de cristal. Assis à côté de moi, il jouait de la mandoline, souriant lui aussi, ses mèches brunes voltigeant au gré du souffle. Ses doigts couraient le long des cordes, les pinçaient, les grattaient pour en extraire cette mélodie angélique. Elle éclatait comme des bulles de savon, et me laissait voir un ciel sans nuage, un champ de blé pourpre sous le crépuscule, des vertes prairies dans lesquelles un ruisseau coulait, pressé, les ailes immaculées d’un ange. Elle prenait le dessus sur tout autre chose, et m’aurait-on montré l’Eden que je l’aurais ignoré. Rien ne devait, rien ne pouvait troubler ce moment. Il devait rester ainsi à l’infini, jusqu’à l’éternel, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il était pour moi tout, il était pour moi le bonheur.

Alors que les notes enflaient, éclataient, explosaient en mille illusions, je me levai, et tournoyant parmi les marguerites, ma robe blanche en auréole, j’y mêlai ma voix. L’air me venait tout seul, m’était inspiré par le vent, le ciel et sa mandoline. Mon timbre s’élevait, suivant la mélodie, escaladait les aigus pour chercher les étoiles, chutant dans les graves pour mieux se relever. Lui leva les yeux vers moi, et sans cesser de jouer, me regarda émerveillé et surpris. Il me sourit de toutes ses dents et ferma ses paupières, mais ses doigts ne tirèrent que des sons plus merveilleux. Nos deux musiques se prirent par la taille, et voltigèrent au-dessus des fleurs, mélancoliques dans leur union, forte dans leurs sauts, et oniriques par leurs apparences. Chaque fois qu’elles touchaient le sol, des fleurs éclosaient, et le soleil brillait plus fort.

Je dansais dans le vide, la main sur la poitrine, et mes longs cheveux suivaient mon mouvement. Mes pieds sautillaient d’un endroit à un autre, et je ne voyais plus que nous deux, les notes nous auréolant. Lui aussi s’était levé, et il tournait sur lui-même. Les cordes vibraient et ce n’était plus une mandoline, mais un orchestre qui jouait. Le chêne derrière nous soudain fleurit, des fleurs multicolores n’ayant pourtant pas leur place sur lui , et tout autour naquirent des cerisiers, leurs pétales roses se mêlant à la danse. Le sol n’était plus qu’un tapis floral, et l’on marchait sur des roses, des jonquilles et des œillets. Le monde se parait d’infinies couleurs, et à chaque note une nouvelle apparaissait. Les pétales des cerisiers se déposait sur nos vêtements et décoraient l’air de leurs confettis flamboyants. Les effluves et senteurs par centaines nous enivraient de leurs parfums entêtants, et nous entaînaient dans un improbable voyage d’îles en îles, de monts en monts, de contrées en contrées. Sur nos chevilles nues se pressaient des plantes douces et soyeuses, et alors j’en cueillais, les humais puis les libérais au vent.

La nature qui s’était tue comme pour nous écouter éclata alors dans un concert de pépiements, bruissements et autres sons divins. Ce n’était plus un, mais des milliers de musiciens qui jouaient, et sans qu’aucun ne prenne le dessus sur un autre, sans qu’aucun ne brise l’harmonie féérique, chacun se rajoutait, et je continuais de chanter, et lui continuait de jouer. Violons, flûtes, et chœurs s’unissaient à la mandoline pour emplir le monde de leur enchantement musical, et il n’était plus un lieu où l’on n’entendait point cet orchestre. Je frémissais, mon corps était parcouru de frissons d’extase, la chair de poule me venait dans cette émotion.

Sur les branches se pressaient les oiseaux, et aux merles se mêlaient les aigles, les moineaux rivalisaient avec les houppes, et tout ce monde était surplombé par des anges. Au sol s’amassait renards, cerfs, chats, lombrics, serpents, sangliers et biches, mais aucun n’émettait un seul bruit. Toute la nature était au rendez-vous devant nous, et nous fixait silencieusement. Dans le ciel les rares nuages laissaient place aux divinités admirant le spectacle ; le soleil dardait ses rayons pour mieux nous éclairer. On devina même la lune écoutant. La musique toute puissante, à son apogée, était partout, et chacun le sentait.

Cependant, peu à peu, les notes baissèrent, la mélodie désenfla, et tout en conservant leur harmonie, elle passa de fleuve à rivière, puis à torrent, puis à ruisseau. Je continuais de chanter, mais ma voix fléchissait également. Alors, les larmes me vinrent. Je regardais tout autour de moi, ce paysage mirifique, et en retins chaque élément. Les fleurs, les senteurs, les cieux, les animaux ; je gravai à jamais tout cela dans mon esprit et souhaitai ne plus jamais l’oublier. Alors que la dernière note résonnait, alors qu’une de mes larmes s’écrasait sur le sol, tout cela sembla s’incliner comme pour nous remercier, et une cloche sonna. Puis tout disparut. L’enchantement s’était brisé, l’illusion avait été rompue. Il ne restait plus que nous, la mandoline et l’arbre. Calant son instrument sous le bras, il me sourit tristement, et me tendant la main, on se dirigea vers le domaine. Dix-huit heures sonnaient, nos maîtres nous attendaient. Je jetai un dernier regard brouillé de larme vers l’arbre et dis adieu à ce rêve. Tout cela était terminé. Pourtant, lorsque je m’essuyai les yeux et remis de l’ordre dans mes cheveux, j’en ressortis un pétale de cerisier.

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