La chaumière

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L'homme entra dans la chaumière sombre. A la lueur d'une simple bougie, une jeune femme cousait et semblait ne pas avoir remarqué l'arrivée de ce soldat tant elle était absorbée par son travail. Autour d'elle s'étalait du tissu, des vêtements tant bien terminés qu'inachevés, du fil et quelques aiguilles. En observant plus attentivement on pouvait voir des cartes posées sur la table, des bougies de différentes couleurs disposées en ronds de plusieurs tailles ainsi que d'étranges fioles sur toutes les étagères. Au-dessus de l'âtre était suspendu un chaudron dans lequel mijotait on ne sait quelle mixture. La jeune fille chantonnait une musique populaire sans se préoccuper de son invité. Un corbeau noir de jais scrutait l'intrus de ses yeux où brillait une lueur d'intelligence.

—Que me vaut l'honneur de votre visite capitaine ? demanda la jeune fille sans lever les yeux de son ouvrage.

—Vous ne le savez pas ?

—Non, je ne suis qu'une simple couturière dans ce petit village. Je vis à l'écart et loin des nouvelles. Mais allez-y, surprenez-moi, dit-elle en plantant ses prunelles obscures dans les yeux gris de son interlocuteur.

L'homme était déstabilisé par son apparence. Elle ne ressemblait en rien à ce qu'on lui avait raconté. Les gens parlaient d'une femme puissante et vieille comme le monde, terrifiante et rusée. Pourtant devant lui se tenait une demoiselle d'à peine une vingtaine d'année. Ses cheveux noirs, tout comme ses yeux, étaient ornés de plumes et de bijoux aux motifs païens lui rappelant les récits d'une époque révolue où les dieux vivaient encore parmi les humains. Elle avait un regard doux et accusateur à la fois. Son regard transperçait le capitaine, et scrutait les tréfonds de son âme. Malgré ce trouble, l'aspect innocent et enfantin de la fille le laissait penser qu'il n'était pas encore arrivé au bout de ses peines. Il cherchait une puissante sorcière et se retrouvait face à une petite couturière. Peut-être était-elle la servante de la magicienne, ou son apprentie. Non, cela ne se pouvait, l'information sur sa position venait de ses supérieurs directs et était donc fiable, la sorcière vivait ici et seule.

—Sans vouloir vous offenser capitaine Froz, vous me soustrayez à mon travail en restant ainsi perdu dans vos pensées. Alors asseyez-vous et restez pour la nuit ou bien partez immédiatement. Après il sera trop tard.

—Pourquoi cela petite ?

—Une tempête approche, elle sera là d'ici peu de temps.

—Et comment connaissez-vous mon nom ? Je ne connais même pas le vôtre.

Un petit sourire amusé s'étira sur le visage de la jeune femme.

—Vous savez, beaucoup de gens viennent ici, des gens de tous les horizons, des gens qui parlent pour combler le silence. Et vous ? Qu'avez-vous à me dire capitaine Augustin Froz ?

Quelque peu déconcerté, Augustin reprit rapidement ses esprits. La fille n'avait pas tort, après tout il était connu et les gens avaient tendance à en dire plus qu'il n'en faut lorsqu'ils se sentaient seuls même si cela n'expliquait pas le fait qu'elle connaisse son patronyme.

—Vous avez parfaitement raison capitaine, dit la jeune fille.

—Pardon ?

—Vous avez raison, les gens en disent beaucoup lorsqu'ils ressentent de la solitude.

—Comment avez-vous ? s'étonna le capitaine.

—Vous l’avez dit à voix haute, dit-elle d'une voix calme.

Augustin essaya de garder la tête froide en s'asseyant en face de cette jeune femme si mystérieuse.

—Alors, reprit-elle d'une voix ferme. Que voulez-vous ?

—Je cherche une prêtresse. Et je vous ai enfin trouvé.

—Qu'est-ce que vous dit que je suis bien celle que vous cherchez ? demanda-t-elle d'un air innocent.

Le regard de l'homme passa malgré lui du corbeau aux cartes pour enfin revenir se poser sur la jeune fille. Celle-ci prit un faux air blessé.

—Oh vraiment ? A cause de l'animal et des cartes. Voyons Monsieur Froz, vous valez mieux que ce genre de superstitions et préjugés. Il y a bien autre chose.

Même s'il lui coûtait de l'admettre, elle avait raison. Cette fille et même cette chaumière dégageaient quelque chose, une sorte d'aura qui le laissait penser qu'il était au bon endroit.

—Si je puis me permettre ma dame, quel est votre nom.

—Admonestia, messire.

Augustin restait perplexe, jamais encore il n'avait entendu de pareil nom et il se demandait si elle ne se moquait pas de lui.

—Vraiment? demanda-t-il, sceptique.

—Vraiment, répondit la jeune fille avec un petit sourire.

Sa réponse n'avait pas plus éclairé le capitaine qui ne savait à présent plus quoi faire. Devait-il la pousser à révéler sa nature ? Le suivrait-elle sans discuter ou devrait-il lui expliquer les raisons de sa venue ? Est-ce qu'elle le croirait au moins ? Avec toutes ces questions en tête, Augustin fut surpris lorsqu'elle reprit la parole.

—Je me permets d'insister capitaine, pour connaître les raisons de votre venue.

Voilà qu'elle lui posait une bien fâcheuse question. Il n'avait toujours pas trouvé de solution à toutes ses interrogations. Il n'eut pas le temps d'esquisser la moindre réponse qu'elle se recommençait à parler.

—Serait-ce ce cher Henry qui vous envoie ? Décidément, cet enfant aura toujours besoin de moi. Que lui arrive-t-il cette fois ci ? Il s'est de nouveau perdu dans la forêt noire ?

—Mais...que...je veux...comment pouvez-vous ..?

Augustin avait la bouche collée au sol, sa surprise n'avait d'égal que sa curiosité. Qui était donc cette femme pour connaître l'empereur et surtout pour se permettre de telles familiarités à son égard. C'était tout bonnement incroyable. Sur le continent elle aurait pu se faire faire enfermer pour avoir été aussi offensante envers sa Majesté, voir pire.

—Et ne vous en faites pas mon brave, je connais bien votre petit empereur, je ne risque pas la potence pour si peu.

—Mais comment savez-vous ce que j'ai pensé ?

—Ça se lit dans vos yeux capitaine. Vous transpirez la crainte et le doute depuis tout à l'heure. Contrôlez-vous je vous prie.

La jeune femme, au plus grand étonnement du capitaine, reposa son ouvrage et commença à s'affairer dans tous les coins de la bâtisse.

—Mais que faites-vous ? demanda-t-il intrigué.

—Eh bien je prépare mes affaires. Vous ne pensiez tout de même pas que j'allais partir sans prendre la peine de faire mes bagages ?

—Euh à vrai dire je suis plus qu'étonné. Je ne vous ai encore rien dit.

La femme le regarda tendrement, comme on regarde un enfant pour lui expliquer quelque chose.

—Voyons très cher, je ne puis me résoudre à laisser mon Henry dans une quelconque situation qui pourrait le mettre en danger ou lui causer du désagrément.

Augustin la regarda donc, sans voix, préparer ses affaires. Le regard se perdant dans le vide, il ne revenait pas de la façon dont elle parlait de l'empereur et aussi de sa rapidité à accepter une telle expédition. Ils étaient à au moins deux semaines de bateau de la capitale. La voir plantée devant lui le réveilla quelque peu de ses divagations et il vit qu'elle avait trois sacs bien remplis. Pour soulager la jeune femme, il avança la main pour prendre deux de ses bagages mais elle lui tapa la main avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit.

—Non, vous vous prenez ces valises-là. L'autre, disons que je préfère la garder près de moi. Pour éviter toutes actions ayant des conséquences fâcheuses vous voyez, dit-elle en chuchotant.

Sans discuter, Augustin prit les sacs et sortit de la maisonnée. Dehors, la nuit les entourait, ils arriveraient au port durant l’après-midi du jour suivant, pensa-t-il. En se tournant vers celle qui semblait désormais être sa protégée, il vit qu'elle ne fermait pas la porte de la maison, chose qu'il ne manqua pas de lui faire remarquer.

—Ne vous inquiétez pas messire, j'ai pris tous ce qu'il y a d'important. Et de toute manière, les gens ont beaucoup trop peur pour venir jusqu'ici. Bien, ceci étant fait, allons-y ! s'exclama-t-elle.

Augustin alla donc à sa suite, s'enfonçant dans la nuit noire en se demandant si ses supérieurs avaient bien pris la bonne décision.

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