14. Voyage

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 La route vers Bangkhut était agréable, quelques jours auparavant les champs clairsemés de bosquets avaient laissé place aux vignobles. Les vins de Venti et les liqueurs dont ils étaient issu étaient réputés, certains crus étant très prisés des connaisseurs. Le paysage nostalgique ravivait des souvenirs chez Arsen, que sa dualité cherchait à étouffer, sans réussite. Peut-être qu'à destination il pourrait orienter l'expédition vers le Fou du Roi… Sa famille lui manquait tellement ! Il aurait donné n'importe quoi, ne serait-ce que pour entrapercevoir les siens..

Depuis leur départ, Arsen avait réussi à inverser la tendance. Tout le monde semblait l'apprécier, et Gregorias se tenait à l'écart de lui. Il savait très bien qu'il ne pourrait pas éternellement se cacher du duc. Mais après mûre réflexion, il en avait conclu que jamais de Bushnell ne trahirait sa véritable identité. Le risque que la vérité éclate compromettrait son statut actuel ou du moins entacherait sa réputation laissant planer le doute… Il serait plus avantageux pour lui que le barde disparaisse sans laisser de trace. Cette pensée accroissait sa méfiance envers son ancien compagnon de route. Il espérait déjouer les plans de Gregorias avant que cela ne lui coûte la vie… Les voyageurs avaient quitté l'auberge tôt avant l'aube, marchant sans s'arrêter. Le temps chaud semblait contredire l'arrière-saison, les chevaux fourbus par une journée de trot peinaient sur le chemin. Finalement, un éclaireur revint de l'avant avec un endroit où installer le campement. A environ une lieue, se trouvait une combe masquée par les arbres. Des rochers émergeaient de son sous-bois, verrues granitiques érodées par le temps. Un site parfait à l'abri du vent et pouvant masquer le feu de camp. Idéal pour passer la nuit. Chacun avait pris ses marques et une certaine routine était née... Comme au premier soir, Arsen se tenait toujours à l'écart du groupe. Il avait installé sa tente sous un large chêne à l'allure centenaire, et avait attaché sa monture qu'il avait renommée "Nonchalante" à une branche basse de l'arbre. Celle-ci, comme à son habitude, semblait marquée par la fatalité et le montrait par son manque d'entrain. Un lièvre rôtissait au-dessus de son feu crépitant. Quelques chevaliers s'entraînaient faisant s'entrechoquer leurs armes, et le reste du groupe vaquait à ses occupations. De loin, Arsen remarqua le regard de Solis posé sur lui. Depuis le début, le jeune garçon l'avait évité, préférant rester aux côté de Sigismond. Contre toute attente, Solis se leva et se dirigea vers le barde. Alderic et Jehain observèrent la scène du coin de l’œil.

« Bonsoir sieur Arsen.

– Bonsoir sieur Solis. Un silence gêné s'installa.

Arsen se servit de son expérience acquise, pour détailler le jeune archer prodige. Il était plus vieux qu'il ne paraissait… Seules sa petite taille et sa carrure chétive accompagnées de ses traits fins, lui donnaient des allures androgynes dignes de certains adolescents qu'il avait déjà observés. Des cheveux blonds coupés court, un visage et un nez délicat. Pour couronner le tout, de longs cils paraient ses yeux bleu vert turquoise… Il semblait évident que dans un futur proche, il ferait tourner les têtes des femmes, à condition qu'il s'étoffe un peu…

– Souhaitez vous goûter au lièvre ? Reprit-il

– Non merci, nous avons déjà dîné…

Nouveau silence.

– Que me vaut votre visite ?

– La curiosité.

– Tiens donc… Et en quoi puis-je satisfaire cette curiosité ?

– Vous semblez doué pour attirer la sympathie malgré votre allure…

Voilà un petit qui n'a pas sa langue dans sa poche. Le jeune homme savait où il voulait en venir. Tentant de gagner son amitié, il contrôla ses vêtements.

– Il est vrai que mes habits ne sont pas de première fraîcheur !

Solis esquissa un sourire, à l'inverse du ton réprobateur qu'il utilisa.

– Je ne serai pas aussi facile à duper que les autres... Même si le sieur de Sigismond ne vous voit que comme un importun, je garde un œil sur vous…

[ Il va nous poser problème... Occupe t'en… ]

– D'accord, d'accord, je suis démasqué ! Je cherchais juste à amuser un adolescent. Posez vos questions et j'essaierai de dissiper vos craintes...

– Donc si j'ai bien compris vos cicatrices et votre œil proviennent d'un de vos voyages ?

– Oui, c'est cela... D'où l'intérêt de faire route avec des compagnons d'armes.

– Et ça ne vous a pas servi de leçon?

– Et pourquoi ? Je ne sais pas faire autre chose. Vous me voyez en paysan à travailler la terre. Et puis les gens aiment ce genre d'histoire…

– Cela a dû être douloureux…

Les scènes de torture lui revinrent. La douleur s'insinuant partout dans son corps, la peur et la honte marquant son esprit… Le sang tiède coulant le long de sa peau… Et la solitude continue et interminable…

[ Le maître nous protège maintenant… Nous n'avons plus rien à craindre… ]

Solis reprit :

– En nous accompagnant, vous allez au-delà des problèmes.

Arsen réaffirma son assise sur la bûche qui lui servait de tabouret, chassant l'engourdissement qui gagnait ses mollets. Le garçon commençait à l'agacer.

– J'ai une dette envers sieur de Sigismond et sieur de Montespant. Qui plus est, dès lors où j'ai vu votre expédition, j'ai fait le lien avec l'attaque de Guersac... Je pense que votre groupe a une mission importante. Je pourrais en tirer une chanson à ajouter à mon répertoire. Une ôde épique qui me ferait connaître ! Je pourrais peut-être jouer dans à la cour des nobles. Chez le roi peut-être, qui sait ? Sa dualité jubilait devant cette facilité à inventer des histoires, créant un personnages de toute pièce.

– J'en doute. L'empereur a déjà son lot de troubadours attitrés...

– Puis-je vous donner un conseil ? Sans attendre la réponse, il continua. Vous devriez laisser sieur de Sigismond gérer son groupe comme il l'entend... On peut voir qu'il est parfait pour ce rôle.

Alors qu'il allait sortir son refrain sur ses conquêtes, la déconvenue avec Alderic lui revint. Se ravisant, il regarda le jeune homme dans les yeux. Celui-ci attendait la suite de ce conseil avec méfiance.

– Avez-vous déjà aimé ? Il lui avait posé la question sans même comprendre pourquoi elle avait traversé ses lèvres. Peut-être espérait-il créer un lien d'amitié ainsi… Solis rougit, faisant ressortir ses deux pierres précieuses dans un lac de lave.

– Cela ne vous concerne pas ! Troublé, il repartit vers sa tente sans demander son reste, il avait fuit tel une vierge effarouchée.

Arsen resta assis face à son feu, perplexe. Dill avait observé la scène, juché sur une branche au-dessus d'eux.

– Je ne suis pas pour les hommes, mais c'est un beau brin que ce Solis. Il ne lui manque que les atouts d'une femme et je pourrais comprendre que tu aies le béguin pour lui…

Il n'eut pas le temps d'envoyer paître la minuscule portion féerique qu'il remarquât le chef de l'expédition se lever et venir vers lui. Il s'assit naturellement près du feu de camp prit une branche et attisa les braises. Les manières d'Alderic semblaient suspicieuses. Puis, il s'adressa au barde.

– Solis paraissait énervé, de quoi parliez-vous ?

– Rien de spécial…

– Ecoutez attentivement, car je ne me répéterai pas. Si vous voulez me suivre et mourir dans ma compagnie, grand bien vous fasse ! Mais j'ai l'obligation de préserver les plus jeunes. Est-ce que je me suis fait comprendre ?

– N'ayez crainte, vous ne risquez rien de moi...

[ Menteur! Bravo! ]

– Selon mes estimations, nous arriverons demain dans la soirée, libre à vous de rester ou de partir. »

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