L'estate

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Chapitre 4 : Luglio

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Le ciel est gris depuis quelques jours et bien que la pluie se soit invitée sur Florence, rien ne freine les hordes de touristes qui ont payé leur séjour et doivent en profiter quelle que soit la météo. Le mauvais temps m'a servi d'excuse pour rester chez moi et avancer dans l'écriture de mon roman. Une fois de retour en ville, Francesco m'a envoyé un message ainsi qu'une photo de son visage qui n'est presque plus marqué. Il a repris le travail mais nous ne nous sommes pas revus. Est-ce qu'un jour nous irons plus loin que des baisers volés ? Je n'en sais rien. Avec lui, je n'ai rien à attendre sauf l'inattendu. Il paraît que dans la vie, tout arrive pour une bonne raison. Encore une phrase tout faite qui sert surtout quand on n'a aucune autre réponse à donner. Mais, ce qui est certain, c'est que depuis que Francesco est entré dans ma vie, je suis beaucoup moins préoccupée par Marco. Bien entendu, lorsque ce dernier publie une vidéo, je la regarde. Je suis toujours incapable de m'en empêcher. Il serait pourtant temps que je donne à mon ex la place qui lui revient, c'est-à-dire loin de mes pensées. Il y a plus d'un mois et demi qu'il n'a pas écrit, mais je sais qu'il le fera tôt ou tard. Lui, pas moi, car je suis désormais assez forte pour ne plus lui envoyer de premier message.

Comme me le répète Maria, il est grand temps que je rencontre un homme différent, qui soit à l'opposé de tout ce qui m'a attiré chez Marco. Un homme prêt à vivre quelque chose de sérieux ou du moins de régulier ! Et cet homme, ce n'est pas Francesco, de toute évidence. Pourtant, je reste persuadée que l'homme de ma vie sera italien. C'est une intuition très forte qui je ressens depuis plusieurs années. Enfant déjà, lorsque j'imaginais mon prince charmant, il était étranger, grand et plutôt très mince. En grandissant, je suis restée attirée par ce style d'homme. A quelques exceptions près. Marco est italien certes, mais il est petit et grassouillé. Pas du tout le style "grande asperge" que j'aime en général. Mais l'Amour fait de nous ce qu'il veut. Il nous rend aveugle et change nos plans ainsi que nos goûts. Pourquoi suis-je encore amoureuse d'un homme qui m'a menti, qui m'a fait espérer, qui s'est moqué de moi et qui m'ignore la plupart du temps ? Pourquoi en sachant tout cela, l'Amour n'est-il pas mort ? La réponse est toute simple: c'est le coeur qui décide, pas le cerveau ! Plus les sentiments ont été profonds et plus il faut du temps pour combler le vide que l'autre nous a laissé. Et moi, j'ai aimé Marco plus que ma propre vie.

Maria déboule chez moi, en sueur et vraisemblablement de mauvaise humeur.

- Je n'en peux plus de cette foule ! s'écrit-elle. J'ai tellement hâte d'être en vacances et de méloigner de la ville. Vraiment, je te plains de devoir rester ici pendant toute la période estivale.

Comment lui faire comprendre que puisque c'est mon premier été à Florence et sans doute le seul, que j'aurai la chance de passer ici, la foule, la chaleur et le bruit sont des choses dont je réussis encore à faire abstraction.

- Encore un peu de patience et j'irai me reposer à la campagne chez ma tante. Ajoute-t-elle.

Si tu voyais le domaine où vit ma famille, je suis certaine que tu adorerais ! La maison est très ancienne, tout en pierre et entourée de vignes et d'oliviers à perte de vue. Une ancienne villa Toscane typique, mais avec le luxe suprême: une grande piscine. Vraiment, c'est un endroit magique. Oh ! Dit-elle en marquant un temps d'arrêt, pourquoi ne viendrais-tu pas y passer quelques jours avec moi ?

- Probablement parce que je ne connais pas ta famille et que je me vois mal débarquer sans y être invitée. Dis-je en lui servant une boisson rafraichissante.

- Ceci n'est qu'un détail, ils adorent recevoir du monde. Mais j'y pense, samedi il y a un grand repas de famille pour fêter l'anniversaire de mon cousin, je vais demander à ma tante si elle accepte que tu m'accompagnes. Ce sera l'occasion pour toi de faire une vraie plongée dans une fête de famille italienne ! Avec les tatas, les tontons, les cousins et les cousines, les grands-parents et même les voisins, i tutti quanti ! De quoi te fournir des tonnes de détails croustillants pour l'écriture de ton roman.

- J'aimerais beaucoup mais je ne veux pas m'imposer, ni que tu m'imposes !

- Tu plaisantes ? Ce n'est pas un couvert de plus qui va les déranger, crois-moi ! Et si tu fais bonne impression, ce dont je ne doute pas une minute, je leur proposerais que tu viennes passer quelques jours avec moi au domaine. Et puis, mon cousin est célibataire et il est charmant ! Un peu sauvage, mais charmant ! Dit-elle en éclatant de rire.

- Tu ne vas pas encore essayer de me caser ? Tu sais bien que ça ne fonctionne jamais ce genre de plan !

- Arrête de faire ta mauvaise tête ! Ça finira bien par fonctionner un jour ! J'appelle ma tante tout de suite !

Et sans attendre ma réponse, elle compose le numéro. Quelques minutes plus tard, après une bonne dizaine de " ciao, ciao ciaooo ", Maria m'annonce que je suis officiellement invitée à l'anniversaire de son cousin Biagio.

- Tu comptes t'habiller comment ? dit-elle en jetant un coup d'oeil réprobateur à ma tenue un peu trop décontractée à son goût. Dans ma famille, nous faisons quasiment un concours d'élégance pour ce genre d'occasion.

- Dis tout de suite que je ne sais pas m'habiller ? Dis-je en faisant mine d'être vexée. Mais j'avoue, je n'ai pas grand-chose qui soit vraiment élégant.

- Montre-moi, me dit Maria, en se dirigeant vers ma chambre.

Après un rapide coup d'oeil à ma garde-robe, elle confirme que rien ne lui semble assez chic pour l'occasion

Bene ! Il ne nous reste plus qu'à aller faire un peu de shopping ! Il y a un beau centre commercial en périphérie de Florence. Je passe te prendre demain en début d'après-midi ? Pour le moment, j'ai trop besoin d'une douche et d'un bon spritz ! Au fait, pas de nouvelle du beau Francesco ? Demande-t-elle alors qu'elle s'apprête à partir.

- Si. Il est de retour en ville et comme toujours, il est très occupé.

- Je vois. De toute façon avec lui, tu n'as rien à attendre !

- Seulement l’inattendu. Dis-je dans un murmure, tout en embrassant Maria.

- A domani ! J'ai hâte de te voir vêtue autrement que dans tes vêtements confortables ! Tu es une belle femme Sabina, il serait temps que tu le revendiques !

La porte refermée, je regarde mon reflet dans le miroir accroché près de l'entrée. Mon amie a raison, je ne fais absolument aucun effort de toilette. Probablement parce que j'ai toujours espéré que l'on m'aime pour ce que je suis et non pas pour ce dont j'ai l'air. Mais peut-être que pour amorcer un changement dans ma vie sentimentale, il faut que je change également de style. Et pour cela, je peux faire confiance à Maria, elle sera un excellent coach vestimentaire !

7

Je déteste faire les boutiques et je déteste les essayages ! Mais Maria tient absolument à ce que je trouve la tenue idéale pour la fête de samedi et puisque nous y sommes, pourquoi ne pas refaire entièrement ma garde-robe ? Elle n'a rien dit mais j'ai deviné à son regard brillant que je n'allais pas m'en tirer avec un seul achat. J'ai l'impression qu'elle ne se fatiguera jamais de me dénicher des robes, des tuniques et des jupes dans les rayons des magasins où elle m’entraîne. Comme je m'y attendais, tout ce qu'elle me propose n'a absolument rien à voir avec les vêtements que je porte d'ordinaire et la plupart du temps, j'ai l'impression d'être déguisée. Maria tente de me rassurer en m'assurant que je n'ai simplement pas l'habitude de me voir habillée de cette façon.

- Il est temps qu'on te féminise un peu, Sabina et que tu te mettes en valeur en montrant les formes généreuses que la nature t'a données !

- La nature ? Le gras et le sucre tu veux dire ?

- Peu importe ! Les hommes aiment les femmes avec des courbes généreuses mais encore faut ils qu'ils les voient !

- Mais enfin, regarde cette robe ! J'ai la moitié des seins à l'air ! Tu crois vraiment que c'est une tenue pour rencontrer ta famille ? Dis-je en sortant de la cabine en sueur .

- Non en effet ! Répond-elle en éclatant de rire. Je vais te trouver quelque chose d'un peu moins provocant, mais de sexy quand même ! Ne fais pas cette tête, ma famille ne sera pas choquée, je les ai habitué à bien pire !

Il est vrai que Maria adore porter des tenues très prés du corps, mais à elle, tout lui va, ce qui n'est visiblement pas mon cas. Après une après-midi de shopping, je rentre chez moi les bras chargés de sacs contenant des vêtements, des chaussures et même des accessoires. Mon budget en a pris un coup mais Maria a réponse à tout :

- Écoute, si tu viens passer quelques-temps dans ma famille, tu n'auras pas de courses à faire. Et si tu ne viens pas et bien, il va faire de plus en plus chaud et tu n'auras pas très faim de toute façon. Donc, dans tous les cas, tu vas faire des économies !

Le jour de la fête, nous prenons la route peu après le déjeuner. Comme Maria me l'a demandé, j'ai préparé un petit sac avec ma tenue pour ce soir mais aussi quelques affaires de toilette, car elle a prévu que nous passions la nuit sur place. J'ai également pris mon maillot de bain, même si je ne promets pas de m'en servir.

- Arrête de complexer ! Me dit Maria, tu es très bien comme tu es !

- Encore une phrase toute faite ! Dis-je en soufflant. Je déteste ça ! Ça ne veux rien dire " tu es très bien comme tu es " ! C'est juste quelque chose qu'on place quand on n'a pas d'argument !

- Ah ! Tu veux des arguments ? Francesco !

- Quoi Francesco ?

- Il est évident que tu lui plais !

- Quelle femme ne plaît pas à cet homme, dis moi ?

- Oui tu as raison ! Dit-elle en riant, c'est un mauvais argument ! Bon, alors disons que tu es comme tu es, qu'il fait 35 degrés et que prendre un bain va te rafraîchir ! C'est un bon argument ça, non ?

- Probablement le meilleur ! Dis-je sans être vraiment convaincue.

La campagne Toscane est magnifique, même sous une chaleur accablante. L'herbe est déjà très sèche et elle contraste avec le feuillage vert des vignes devant lesquelles nous passons. Les hirondelles font du rase motte et les cigales emplissent l'atmosphère de leur chants si particulier. Il n'y a pas un jour depuis mon arrivée ou je n'ai pas eu l'impression de vivre un rêve. Que ce soit grâce à la beauté de la nature qui m'entoure, de la splendeur de la ville où je vis, ou de la présence de mes nouveaux amis. Ma vie ici est très différente de celle que je menais avant. Beaucoup plus riche et agréable. Quitter ce pays dans quelques mois risque fort d'être un véritable crève-cœur. La route s'entortille autour d'une colline et en prenant de la hauteur, la vue sur Florence au loin est tout simplement époustouflante. Si je me trouvais dans une Fiat rouge décapotable avec un foulard sur les cheveux, j'aurai l'impression d'être dans un film italien des années 50. Maria tourne bientôt dans un chemin bordé de cyprès et j’aperçois au fond, une grande bâtisse en pierre. Deux énormes piliers surmontés de vases Médicis encadrent un portail en fer forgé resté grand ouvert. Maria gare la voiture à l'ombre d'un auvent. Nous prenons nos sacs, puis elle me précède jusqu'à la maison. Nous longeons la bâtisse haute de 2 étages. Nous passons sous une voûte en pierre qui donne sur une coure fermée où, d'une porte grande ouverte, s'échappe des odeurs de cuisine et des bavardages animés.

- Nonna est déjà entrain de donner des ordres ! Me dit Maria en levant les yeux au ciel. Les grands-mère italiennes sont les seules à avoir plus de pouvoir que les mamas !

Dès que nous entrons, toutes les personnes présente dans la cuisine cessent ce qu'elles sont en train de faire pour venir à la rencontre de Maria avec des exclamations de joie. Mon amie me présente à sa famille. Il y a là sa tante Louisa, quelques cousines, la mère de Maria, des voisines venues prêter main-forte et, assise dans un grand fauteuil probablement presque aussi âgé qu'elle, la Nonna. Maria me prend la main pour me présenter à sa grand mère qui m’accueille avec un mince sourire. Son regard bleu recèle autant de force que de tendresse.

- Nonna, je te présente mon amie Sabina, elle habite à Florence pour quelques mois mais elle vient de France. Le regard de la vielle femme s'éclaire subitement. Je lui tends la main, qu'elle prend entre les siennes, fraîches et ridées.

- Soit la bienvenue, me dit elle dans un français parfait !

Je suis très surprise et je lui répond dans ma langue maternelle que je suis honorée d'être invitée dans cette magnifique demeure. Elle garde ma main dans la sienne et me regarde longuement mais ce n'est pas moi qu'elle voit, elle semble perdu dans ses pensées.

- Nonna a appris le français pendant sa jeunesse, m'explique Maria. A l'époque, il y avait beaucoup de travailleurs qui venaient de ton pays pour faire les vendanges.

La tante de Maria nous demande de la suivre jusqu'à la chambre qu'elle nous a préparé:

- Il faudra partager la même, Mesdemoiselles. Beaucoup d'invités ont souhaités rester pour dormir et j'ai eu du mal à trouver de la place pour tous.

Louisa nous souhaite une bonne installation et retourne immédiatement en cuisine. La chambre est située à l'étage et elle est si vaste qu'elle aurait pu sans problème accueillir deux personnes de plus. Il y a deux lits en bois, une grande armoire, un miroir ancien et une petite salle de bain attenante. Les murs en pierre gardent la fraîcheur tout comme les volets à demis clos. Par l'ouverture, j'admire la vue sur les vignes qui inondent le paysage de leur feuillages vert tendre. Au loin, quelques maisons n'ayant rien à envier à celle ci, complètent ce décor si typiquement Toscan. Remontant la petite route en direction de la maison, une camionnette s'avance.

- Je crois qu'il y a encore des fournisseurs qui arrivent, dis-je à Maria qui s'approche de la fenêtre.

- Non, ça, c'est mon cousin, me dit Maria ! Il n'arrête jamais de travailler, même le jour ou on fête son anniversaire ! Mais c'est grâce à lui que le domaine est aussi prospère et commence à se faire un véritable nom parmi les grands vins Italien. Et c'est aussi à cause de sa boulimie de travail qu'il n'est toujours pas marié ! Viens, il faut qu'on déballe nos affaires et qu'on pende nos robes si on ne veut pas qu'elles soient toute froissées ce soir.

Je suspends la mienne sur son cintre au dessus d'une porte entre ouverte. Mon choix s'est finalement porté sur une robe longue et blanche, avec de fines bretelles en dentelle. Elle est serrée sous la poitrine par en empiècement ajourée en forme de coquille Saint-Jacques. Le décolleté est outrageusement provoquant, surtout sur une poitrine généreuse comme la mienne, mais Maria m'a affirmé que c'était acceptable pour un repas de fête. Le bas est fluide, très large et le tissus est si léger que cette tenue est à la fois simple, élégante et très confortable. Maria à opté pour une robe bleu nuit courte et près du corps, attachée sur une seule épaule et marquée à la taille par une ceinture doré .

- Je me demande combien de temps tu va supporter ces objets de torture ! Dis-je ne lui tendant ses escarpins dorés qui ont au moins 12 cm de talons.

- Aussi longtemps que je serai sobre ! Me répond-elle le plus sérieusement du monde. Toi par contre, tu ne risques pas d'avoir mal aux pieds avec tes espadrilles.

- Ce ne sont pas des espadrilles ! Dis-je en faisant mine d'être vexée. Ce sont des ballerines, très confortables et que je vais pouvoir porter toute la nuit, contrairement à toi !

- Je finis toujours pieds nus de toute façon ! Et puis, reconnais que j'aurais été idiote de ne pas acheter ces petites merveilles, dit elle en embrassant ses chaussures avec tendresse.

Une fois nos affaires en place, Maria et moi repassons par la cuisine pour proposer notre aide. Mais Louisa décline, affirmant que je suis une invitée et que je dois savourer le temps que je passe au domaine.

- Je crois surtout qu'elle préfère que les choses soient faite à sa manière et par les femmes qu'elle à l'habitude de voir dans sa cuisine. Me dit Maria, qui décide de me faire visiter la maison, avant que nous commencions à nous préparer.

Le bâtiment en pierre s'articule autour de la courre que nous avons traversée à notre arrivé. La bâtisse à été construite sur une petite colline, ce qui permet d'admirer les vignes et les oliviers qui y ont été plantée il y a des générations. Je ressens un sentiment de plénitude en admirant ce paysage qui n'a pas dû vraiment changé depuis un siècle ou deux. Écrire ici, face à cette campagne Toscane dont le calme est seulement perturbé par le chant des cigales et des oiseaux, ce doit être très inspirant. Mon esprit y serait moins dérangé que via dell'Agnolo où les éclats de voix et les klaxons incessant perturbe mon inspiration. Maria m’entraîne un peu plus loin. Une immense piscine asymétrique apparaît, à moitié cachée par des oliviers.

- Ce serait dommage de ne pas en profiter, tu ne crois pas ? Me dit-elle. De toute façon, c'est souvent ici que se termine les soirées, en tout cas pour les plus jeunes !

- Cette maison est tout simplement incroyable ! Tu as beau me l'avoir décrite avec enthousiasme, je t'avoue que je ne m'attendais pas à ça !

- Et ce n'est pas fini ! Viens, je vais te montrer quelque chose que tu vas adorer. Maria me conduit derrière la bâtisse ou se trouve une petite chapelle surmontée d'un cloché. Elle ouvre une porte en bois, qui n'a pas dû être entretenu depuis longtemps et qui craque autant qu'elle grince. La lumière pénètre en même temps que nous dans cette petite pièce fraîche. Le temps que mes yeux s'habituent à la pénombre et je découvre, émerveillée, que cette vieille chapelle a des murs couverts de fresques et de dorures anciennes. Sur l'autel en pierre, deux vieux candélabres en bronze patiné supportent encore des cierges sans âge. Dans des niches creusées dans la pierre, les statues de la Vierge et des divers Saints, n'en finissent plus de contempler le temps qui passe. Le sol est carrelé de marbre rose. Quelques rares ouvertures dans les murs laissent passer un filet de lumière. D'anciennes chaises recouvertes de tissus en velours sont disposés ça et là. Et de part et d'autre de l'autel, deux prodigieux pique-cierge avec leur bougies à colliers de cire, attendent qu'on les rallument un jour.

- Ma famille ne se sert quasiment plus de cet endroit, m'explique Maria. Quand j'étais enfant, j'aimais venir m'y réfugier pour lire ou chanter, l'acoustique n'y est pas trop mauvaise !

Je me laisse imprégné par la paix incroyable qui règne dans cet endroit laissé sans vie depuis si longtemps. Je m’assoirai bien sur une chaise, si je n'avais pas peur de la voir se rompre ! Les fresques ont perdu de leur superbes mais, par endroit, les couleurs sont encore étonnement vives.

- C'est incroyable ! Dis-je en rompant le silence. Une chapelle privée, c'est comme un trésor ! Pourquoi ne pas l'entretenir d'avantage ?

- Tu sais, me dit Maria, des chapelles comme celle ci, il y en a un peu partout en Toscane et dans le reste de l'Italie. Même si tu la trouve belle, elle n'a rien d'exceptionnelle et aucun grand maître n'a travailler à sa réalisation. Les peintures sont celles d'artistes locaux, tout comme les sculptures. Elle n'a qu'une valeur sentimentale pour notre famille car beaucoup de nos ancêtres y ont été baptisés, s'y sont mariés puis y ont eut leur cérémonie funèbre ici. Mais il y a bien longtemps qu'elle n'a plus servie. Tu peux y venir quand tu le souhaites, la porte n'est jamais fermé à clef. Mais maintenant, retournons dans la maison et voyons si nous pouvons nous rendre utile d'une façon ou d'une autre.

8

Le soir s'annonce sans apporter plus de fraîcheur. Dans la cuisine, tout est prêt. Les femmes sont allées se rafraichir ou se reposer. Dans la cour centrale, de grandes tables sont dressées, couvertes de nappes blanches tombant jusqu'au sol. Elles sont garnies de bouquets de fleurs des champs et d'assiettes blanches aux rebords décorées de feuilles de vigne. Les verres colorés en différentes teintes mettent une touche de gaité à cet ensemble champêtre, complété par des guirlandes de lampions suspendues d'un arbre à l'autre, ainsi que sur les murs de la maison, afin d'éclairer les convives à la tombée de la nuit.
Il a été convenu que je serai la première à me préparer, ainsi Maria n'aura ensuite qu'à s'occuper d'elle-même. Une fois ma douche prise, elle entreprend de me coiffer en relevant mes cheveux en un chignon flou, très bohème qui ira parfaitement avec ma robe. Je suis bluffée par le résultat ! J'ai toujours été incapable de me coiffer et la plupart du temps, je me contente d'entortiller mes cheveux longs et de les maintenir par un élastique en forme de ressort ! A présent, Maria s'improvise maquilleuse. Elle hésite entre farder mes yeux de façon prononcée pour terminer par un rose léger sur mes lèvres ou bien faire l'inverse. Ma bouche est petite, joliment dessinée, mais je trouve que le rouge vif me donne l'air d'une de ces poupées japonaises qui n'ont qu'un point carmin à la place des lèvres. A mon grand soulagement, mon amie se décide pour un maquillage appuyé des yeux tout en finissant par une teinte bois de rose sur ma bouche pour la souligner en douceur. Le reflet que me renvoie le miroir est plutôt flatteur. Mais une fois la robe enfilée, la métamorphose est spectaculaire ! Je reste bouche bée tandis que Maria se félicite de ses talents ! Maintenant, c'est à son tour de filer sous la douche et c'est alors qu'elle réalise qu'elle a oublié son sac de lingerie dans la voiture. Elle est à moitié nue et me demande si je peux le lui rapporter. Je descends les escaliers en pierre, tout en relevant le bas de ma robe longue d'une main, afin de ne pas me prendre les pieds dedans. Je suis presque arrivée en bas des marches, quand un homme déboule en courant et manque de me percuter. Il se serre précipitamment sur le côté du mur ou se trouve la rambarde et s'excuse. Je lève les yeux vers lui, surprise par sa voix qui ne m'est pas inconnue. Quant à lui, je constate à ses yeux plissés qu'il cherche également où il a bien pu me croiser. De toute évidence, le fait que je sois habillée et maquillée ne l'aide pas. Mais moi, je le reconnais immédiatement !

- Vous ? Décidément, c'est une habitude de ne pas faire attention où vous allez ! Dis-je en espérant éclairer sa lanterne. Il me dévisage et soudain son expression change.

- La fille à la Vespa ! Me dit-il après avoir réalisé qui je suis! Mais que faites-vous là ?

Il a l'air incroyablement surpris de me revoir et que je sois si différente que lors de notre première rencontre.

- Je suis invitée à la soirée, pourquoi d'autre serais-je dans cette tenue ?

- En voilà une nouvelle ! Et par qui ?

- Par Maria, la cousine de celui pour qui cette fête est donnée. Et vous, qui a eu la bonne idée de vous inviter ?

- En fait, je travaille ici. J'avoue que je ne m'attendais pas à vous voir de nouveau !

- Et bien moi non plus et surtout pas dans cette maison. Excusez-moi, mais j'ai quelque chose à faire alors je vous laisse. De plus, vous aviez l'air d'être pressé. Dis-je d'un air ironique.

- En effet. J'espère que vous apprécierez votre soirée au domaine ! Conclut-il avant que je m'éloigne.

Je le remercie d'un sourire un peu forcé et je file en direction de la voiture. Je n'en reviens pas de croiser une nouvelle fois ce personnage ! Mais, je me félicite que ce soit au moment où je suis incontestablement à mon avantage !

De retour dans la chambre, je raconte à Maria ce qui vient de se produire.

-Non ? L'homme qui a failli te renverser est ici ? C'est fou comme le monde est petit ! Il est beau ? Demande-t-elle en me faisant un clin d'oeil.

- Qu'est ce que j'en sais ! Il a été si désagréable lors de notre première rencontre que son physique n'a pas réussi à me faire oublier son caractère !

- Mais à l'instant, il n'a pas été désagréable, alors il est comment ?

- Et bien, il est très grand, mince et plutôt mignon, je crois !

- C'est quand même étrange que le destin vous mette deux fois de suite sur le même chemin. Me dit Maria l'air de rien.

- Le hasard ! Il ne faut rien voir de plus que du hasard dans tout ceci.

- Si tu veux. Il n'empêche que parfois, le hasard fait bien les choses. Il sera parmi les invités, ce soir ?

- Je ne le lui ai pas demandé. Mais si c'est le cas, je n'ai pas l'intention de rechercher sa compagnie. Dis-je pressée de passer à un autre sujet. Et maintenant accélère la cadence, sinon nous allons être en retard pour l'apéritif !


Lorsque Maria est enfin satisfaite de son apparence, nous descendons rejoindre la famille et les amis qui sont déjà réunis dans la cour. Maria me présente chaque invité et tout le monde a un mot gentil ou une anecdote au sujet de la France à me raconter. Il fait chaud et les verres se vident rapidement. Pour ma part, je fais attention à boire lentement, parce que je connais parfaitement l'effet que l'alcool a sur moi ! Mes joues vont d'abord virer au rouge, ensuite je vais m'esclaffer pour un rien et raconter n'importe quoi et enfin, je vais pleurer de rire à la moindre bêtise, sans pouvoir m'arrêter ! Or, je tiens à garder l'esprit clair et à ne pas me ridiculiser devant cette assemblée.

Des exclamations se font entendre vers la porte d'entrée où les invités s'avancent afin de saluer l'arrivée de celui pour qui tout ceci a été organisé. Il apparaît, souriant et vêtu avec beaucoup d'élégance. Il embrasse Louisa tandis que mon sourire se fige. Biagio salue des parents et des amis, mais c'est de mon côté qu'il regarde et qu'il tente de se diriger entre deux salutations. Je me retourne vers mon amie et le souffle court, je questionne :

- C'est lui ton cousin ? C'est une blague ! Dis-moi que c'est une blague ?

- Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui se passe ? Me demande Maria intriguée

- C'est l'homme à la camionnette ! Celui que j'ai croisé dans les escaliers tout à l'heure !

- Non ? Tu es sûre ? Et elle éclate de rire tout en faisant signe à son cousin de nous rejoindre. Biagio parvient à s'extirper des bras d'une vieille tante un peu trop tactile et arrive à notre hauteur

- Biagio ! Auguri ! Dit-elle en levant son verre ! Je ne te présente pas mon amie Sabina, je crois que vous vous êtes déjà rencontrés !

- En effet, rencontrés mais pas présentés ! Il me sourit et bien qu'il n'ait plus rien en commun avec l'homme colérique que j'ai pu croiser, j'ai un peu de mal à me détendre.

- Je suis enchanté de faire officiellement ta connaissance, Sabina. Ajoute-il avec un grand sourire amusé.

- Merci ! Moi aussi. Dis-je en bégayant un peu. J'étais loin de me douter que Maria et toi étiez de la même famille. Oh ! Joyeux anniversaire, dis-je en français et merci pour l'invitation, cette maison est tout simplement incroyable !

- Pour l'invitation, je n'y suis pour rien ! Mais je suis heureux que quelqu'un en ait eu l'idée ! Et encore plus heureux que tu trouves cette maison à ton goût, elle a beaucoup d'importance à mes yeux.

- Je ne peux que le comprendre, je suis là depuis quelques heures seulement et le charme agit déjà ! Il s'en dégage une telle sérénité et toute l'histoire de cette famille lui donne une véritable âme !

Biagio me regarde avec curiosité, un peu comme s'il cherchait à savoir si tout ce que je dis est sincère ou simplement une façon d'être polie.

- Alors, il faudra revenir Sabina. Tu es la bienvenue ici. Dit-il en me fixant droit dans les yeux.

Puis il s'éloigne afin d'aller saluer d'autres invités. Maria m'observe un instant en silence avant d'ajouter :

- Et bien, ça alors ! Comment imaginer que tu parlais de mon cousin quand tu m'as raconté ce petit accrochage en ville. Je reconnais qu'il est souvent un peu grognon, voire colérique, mais c'est un amour quand on le connaît bien. Il se couperait en deux pour les gens qu'il aime.

- Je ne suis pas certaine de faire un jour partie de cette catégorie !

- Et bien moi, je n'en suis pas si sûre. Après tout, la destinée vient de vous remettre sur le même chemin.

- Maria, laisse la destinée où elle est et allons nous servir un autre verre, j'en ai vraiment besoin !

9

Au moment de passer à table, Louisa m'installe entre un tonton glouton et une cousine adolescente, qui trompe son ennui en jouant sur son téléphone. Maria est en face de moi, ce qui nous permet de discuter. Quant à Biaggio, il est en bout de table, entouré de ses parents. Je l'observe à la dérobée. Il sourit, il parle fort et j'entends les intonations de sa voix cassée si reconnaissable. Nous sommes trop loin pour pouvoir échanger mais nos regards se croisent à plusieurs reprises. Au début, nous détournons les yeux, un peu honteux d'être surpris en pleine observation mutuelle mais cela finit par devenir un jeu. Plus le repas avance, plus nous entretenons une sorte de conversation silencieuse, de regard à regard. D'une mimique, il me propose de me resservir d'un plat, me conseille de goûter le vin, ou me fait comprendre que la conversation des gens autour de lui l'ennuie. Je lui réponds de la même façon, comme si nous étions dans un film muet. Mais il n'est pas le seul à m'observer, car sa grand-mère, assise tout près de lui, a surpris notre petit manège et s'en amuse de toute évidence. Elle ne dit rien mais ses yeux sont aussi expressifs que ceux de son petit-fils.

A la fin du dîner, la nuit est tombée et les lampions diffusent une douce lumière dans la cour. Avant de passer au dessert, servi sous la forme d'un buffet, tout le monde se regroupe autour du gâteau d'anniversaire dont Biagio souffle les bougies sous un tonnerre d'applaudissements. Il ouvre les paquets que les invités lui tendent. Maria et moi lui avons fait un cadeau commun et c'est elle qui l'a choisi. Biagio éclate de rire en découvrant une figurine à son effigie qui dodeline de la tête. Il nous remercie en nous serrant tour à tour contre lui et assure que notre cadeau aura une bonne place sur son bureau.

La musique accompagne les va-et-vient des gourmands qui vont remplir leurs assiettes de petits gâteaux et certains d'entre eux se laissent emporter par les notes entraînantes qui s'élèvent des enceintes. Maria a enlevé ses chaussures et elle m'entraine vers la piste. Libérer de ses échasses, elle se déchaîne au rythme d'un vieux succès d'été italien. Elle a un peu bu et je suis heureuse que nous ne reprenions pas la route ce soir. J'avoue que je me sens moi aussi un peu plus gaie que je ne devrais ! Cet anniversaire est une vraie réussite et tous les invités rient et s'amusent. Biagio danse à quelques mètres de moi. L'homme colérique qui a manqué de me renverser a disparu et a laissé la place à quelqu'un qui semble être apprécié de tous. Il dégage une force tranquille et l'assurance de ceux qui savent que d'autres personnes comptent sur eux. Entouré de sa famille, je le trouve rassurant et protecteur. Un homme charmant mais loin d'être un charmeur. Biagio n'est clairement pas un séducteur. Ce n'est ni un Francesco, attractif comme un aimant, ni un beau parleur comme Marco. Biagio est dans la réserve, dans le silence et sans doute dans le secret. Il est le calme, alors que Francesco et Marco sont des tempêtes.

Je suis sur le point de retourner m'asseoir quand les premières notes d'une tarentelle s'élèvent. Maria attrape ma main, bien décidé à me faire entrer dans la ronde.

- Non ! Dis-je, un peu affolée, je ne connais aucun pas !

- Et bien tu vas apprendre ! Me dit-elle tandis que Biagio se saisit en riant de mon autre main. Ce n'est pas compliqué et très répétitif. Et cela fait partie de la culture Italienne alors, aventi popolo !

La plupart des invités se sont joins à la ronde sans se faire prier. Mes débuts maladroits laissent rapidement place à une succession de petits pas cadencés et mécaniques, en avant, en arrière, à gauche puis à droite, mes mains toujours accochées à celles de mes voisins. Je trouve facilement le rythme et c'est finalement très agréable.

- Tu vas devenir une véritable italienne, me dit Biagio lorsque la musique s'arrête

- Rien ne me ferait plus plaisir. Dis-je, heureuse de pouvoir enfin discuter un peu avec lui. Mais un cousin s'approche et l'accapare aussitôt. Biagio me fait comprendre d'un regard qu'il est désolé et s'éloigne de la piste.

Il est tard à présent et je décide de remonter dans la chambre. Maria n'est pas encore prête à monter se coucher. En passant non loin de Biagio, nos regards se croisent encore. Je lui souris et lui fait comprendre que je monte me coucher. Il me fait signe d'attendre et s'approche :

- Sabina, j'espère que tu ne pars pas parce que tu t'ennuies ?

- Non absolument pas, c'était une soirée très agréable, mais je suis fatiguée.

- Bene, j'espère qu'il n'y a plus d'animosité entre nous. Je sais que j'ai pu te paraître un peu rustre lors de notre première rencontre. J'ai parfois des journées difficiles et mon caractère s'en ressent.

- Il n'y a plus d'animosité. Et je suis désolée, moi aussi, pour mon attitude ce jour-là.

Il me sourit et pose un baiser sur ma joue.

- Alors, bonne nuit Sabina, repose-toi bien et probablement nous nous verrons demain.

- Merci, bonne nuit Biagio, à demain.

Je n'entends pas Maria lorsqu'elle rentre enfin se coucher. C'est un léger bruit venant de la cour qui me réveille. Louisa est déjà en train de préparer le petit déjeuner. Maria dort comme un loir, alors je décide d’aller prendre un bain dans la piscine en attendant qu'elle soit disposée à prendre le petit déjeuner. Je suis seule de ce côté de la maison où le soleil chauffe déjà les dalles de pierre. L'eau est encore fraîche et je m'y glisse prudemment avant d'entamer quelques brasses qui finissent de me réveiller. Je glisse sous l'eau pour sentir la fraicheur sur mon visage, lorsqu'une masse s’introduit brutalement à quelques mètres de moi. Je refais surface immédiatement et je découvre Biagio qui visiblement n'avait pas vu que je me trouvais là.

- Sabina, ciao ! Désolé, je ne t'avais pas vu ! Je ne t'ai pas fais peur j'espère ?

- Ce n'est rien. J'ai été surprise mais il n'y a pas de mal.

- Molto bene, comment vas-tu ce matin ? Mieux j'espère que n'ira notre chère Maria à son réveil. Ajoute-il avec un clin d'oeil complice.

- ça, il n'y a pas aucun doute ! Dis-je en riant. J'ai préféré la laisser dormir paisiblement et j'ai eu envie de prendre un bain au calme, en attendant qu'elle se réveille. C'est finalement une agréable façon de commencer la journée.

- Si, c'est souvent de cette façon que commence la mienne, même si généralement c'est un peu plus tôt. Est-ce que tu as déjeuné ?

- Non, j'attends Maria mais je vais bientôt aller la réveiller, il faut que nous reprenions la route.

- Rien ne presse ! Pourquoi ne pas rester pour le déjeuner, il reste encore beaucoup de choses à manger

- Je ne voudrais pas abuser de l'hospitalité de ta famille, c'est déjà tellement gentil de m'avoir accueillie de cette façon.

- Non ti preoccupare! Mama ne verra pas la différence s'il y a une personne de plus ou une personne de moins. Quant à moi, de toute façon, je dois aller visiter les vignes et je ne serai pas là pour déjeuner. Peut-être que tu seras déjà partie lorsque je reviendrai, alors je te remercie encore d'être venue et probablement que nous aurons l'occasion de nous revoir.

Et sans plus attendre, il sort de la piscine et s’entoure d'une serviette. L'espace d'un instant, je découvre son corps long et effilé, ou seulement une petite touffe de poils s'étale au creux de sa poitrine. Son corps est sculté par le travail qu'il fourni dans les vignes et sa peau dorée par le chaud soleil italien. Il a la beauté simple d'un homme en pleine santé, qui ne cherche pas à plaire mais que la nature à doté dès le départ de certains atouts. Avant de rentrer, il me salue d'un geste de la main et d'un sourire qui me fait regretter de ne pas avoir pu passer plus de temps en sa compagnie. Un sentiment étrange s'immisce en moi, probablement dû au manque de sommeil et au reste d'alcool de la veille ! Je me sens comme nostalgique à l'idée de devoir quitter le domaine.

Finalement Maria et moi partons juste après avoir mangé un cornetto et bu un grand café noir. Elle ne se sent pas en forme et préfère me laisser le volant. Lunettes noires sur le nez, elle se tient la tête, accoudée à la fenêtre et ne prononce pas un mot pendant quasiment tout le trajet. Un lendemain de soirée habituelle pour mon amie italienne. Dommage pour moi, car j'avais des tas de questions à lui poser concernant son cousin, mais je sens que ce n’est vraiment pas le moment.

Florence nous attend dans son agitation habituelle. Je dépose Maria chez elle et je rentre à pied jusqu'à mon appartement. Retrouver la foule des touristes dans les rues me replonge rapidement dans la réalité de ce pourquoi je suis ici. J'ai matière à étoffer mon roman avec tout ce que j'ai vécu ces dernières 48 heures et je décide de me mettre immédiatement au travail.

10

En publiant sur Instagram les photos de mon weekend au domaine et plus particulièrement celle que Maria a faite après m'avoir maquillée et coiffée, je sais que je prends le risque d'avoir un retour de Marco. Depuis notre dernier échange, il se contente de regarder toutes mes publications sans jamais les commenter. C'est suffisant, car je redoute encore ses mots. Le pouvoir et l'attraction qu'il exerce sur moi, alors que nous ne nous sommes pas revus, ni même réellement parlé depuis si longtemps, me font toujours un peu peur. Il m'arrive de croire que je n'arriverai jamais à me débarrasser de mes sentiments pour lui.

Effectivement, moins d'une heure après ma publication, Marco envoie un like uniquement sous mon portrait. Cela ne demande aucune réaction de ma part, mais face à mon silence, il ne tarde pas à m'envoyer un «  Tu vas bien ? ». J’aurais préféré qu’il se contente d'un smiley, plus facile à ignorer qu'un message. Répondre à mon ex me perturbe. Je réfléchis à chaque mot que j'écris, ne sachant jamais comment je dois me comporter mais persuadée qu'être naturelle n'est pas la bonne solution. Pendant longtemps, le simple fait d'entendre la sonnerie attribuée à son numéro déclenchait en moi une poussée d'adrénaline. Aujourd'hui encore, ces quelques notes de harpes font naître un sentiment de joie aussitôt teintée d'angoisse. Je sais que je peux me montrer terriblement faible face à lui et qu'il sait quoi dire pour me rendre aussi sucrée qu'un loukoum. Le plus raisonnable serait de demander à Marco de ne plus m'écrire. Pas de sortir de ma vie mais simplement ne plus essayer d'entrer en contact avec moi, tant que je ne suis pas capable de voir en lui un ami. Même un simple " Tu vas bien ? " me renvoie à des souvenirs et des désillusions que je n'ai toujours pas surmontés et qui me bouleversent. Seulement, je connais Marco. J'aurai beau lui expliquer les raisons qui me poussent à lui demander de ne plus m'envoyer de messages, il va dire qu'il comprend, mais cela ne sera pas une garantie qu'il va respecter ma décision. J'essaie tout de même et comme je m'y attendais, il se montre très compréhensif. Quelques instants plus tard, il m'envoie une photo de son tatouage. Ce tatouage que nous avons chacun sur notre bras et que nous avons fait ensemble, ici, à Florence. Il ajoute que cela le fera toujours penser à moi et qu'il le gardera toute sa vie. C’est long une vie et je sais que je ne dois pas prendre ce qu'il me dit pour argent comptant. Mais sur le coup, cela me rassure et me fait du bien. Je réponds simplement par un cœur sous son message et je coupe Instagram. Un jour, je serai capable de faire de lui un simple souvenir. Un jour, il n'aura plus le moindre pouvoir sur mes émotions. Je n'aurais jamais cru que je puisse aimer aussi fort quelqu'un que j'ai si peu vu. Dire que dans quelques mois, cela fera 4 ans que je suis tombée follement amoureuse de lui. Comment un amour si peu consommé, si peu partager peut-il tenir autant de place ? Marco était mon rêve, il était ce que je souhaitais vivre, il m'a nourri d’illusions et de fausses promesses, mais même lorsque j'en ai pris conscience, je n'ai jamais réussis à lui en vouloir, ni à le chasser de ma vie. Marco, c'est le regret d'un amour que je n'ai pas réussis à vivre. Mais finalement, qu'est ce qui est le plus important ? La fin heureuse qu’aurait pu avoir notre relation, ou seulement le fait d'avoir vécu cette histoire ? Le problème avec Marco, c'est qu'il n'y a jamais eu de mot fin et j'ai compris depuis longtemps qu'il ne souhaite pas que je passe à autre chose. Il me tient sous le coude, sans que je sache vraiment pourquoi. Quelques jours après cet échange, en consultant mon téléphone avant d'aller me coucher, je découvre un fichier audio qu'il m'a envoyé une heure plus tôt sur WhatsApp. Il chante sur une chanson italienne dont les paroles disent :

"Une autre comme toi, je ne pourrai pas l'inventer. Il me semble clair que je suis toujours attaché à toi. Et cela devient de plus en plus évident ".

Bien entendu, il n'a pas choisi cet extrait au hasard. Tout comme ce n'est pas un hasard s'il s'agit d'une chanson d'Eros Ramazzotti. Lors, de ce qui reste pour moi notre plus belle soirée à Florence, il m'avait chanté plusieurs chansons de cet artiste. Je le revois encore, adossé à la fenêtre de ce qui est aujourd'hui ma chambre, fumant une cigarette tout en chantant d'une voix chaude et juste, tandis que je le regardais comme on regarde une idole. Il s'était alors exclamé en riant : "Mais vois comme tu me regardes !". Je n'ai jamais su cacher mes sentiments, je suis un livre ouvert, je suis une excessive, je suis ce que la plupart des hommes détestent ! Parce que je donne, je donne, sans qu'on me le demande et sans demi-mesure ! Je suis acquise, je suis dans l'attente comme un gentil toutou docile qui ne voit plus que son maître. En fait, quand je suis amoureuse, je suis tout simplement pathétique !

Cette fois encore, il a gagné. Je souris bêtement en écoutant plusieurs fois de suite son message, puis, je lui réponds que cela me rappelle une merveilleuse soirée. Mais il est déjà tard et Marco a éteint son téléphone. Le lendemain matin, il m'envoie un smiley avec un cœur auquel je ne réponds pas. J'ai passé une partie de la nuit à penser à lui, à notre histoire, à son attitude, à tout ce qu'il a fait et qui a contribué à me faire tant souffrir. Je sais que je dois me tenir à distance, même si mon cœur hurle qu'il a envie de retrouver les mots de Marco.

*

Mi juillet. Il fait une chaleur torride sur Florence. Plus de trente-cinq degrés aux heures les plus chaudes de la journée, vingt-cinq en pleine nuit. La plupart des magasins sont fermés de treize heure jusqu'au milieu de l'après midi, mais tout reste ouvert tard le soir. Les touristes s’adaptent. Beaucoup vont faire une sieste, d’autres dégoulinent de sueur dans les rues sans ombres ou en faisant la queue à l’entrée des musées. Florence vit la nuit plus encore que d'ordinaire.

La chaleur, la foule, le bruit, tout cela rend Maria de plus en plus irritable. Elle n’a qu’une hâte, être en congé et partir prendre ses quartiers d'été au domaine. Je l’envie de pouvoir quitter cette fournaise et retourner dans cette fabuleuse demeure. Je vais m'ennuyer sans elle . Nelly et Luca travaillent sans arrêt et Francesco ne donne quasiment plus de nouvelle. Son compte instagram se rempli jour après jour de photos en compagnie des touristes ayant loués ses services et il ne semble plus avoir une minute à lui.

Ce midi, Maria s'invite pour le déjeuner et franchit la porte avec un grand sourire. Il y a longtemps que je ne l'ai vu d'aussi excellente humeur

- Devine qui vient avec moi au domaine, s'écrit elle en posant un sac contenant deux salades composées sur la table de la cuisine ?

Je n’ai pas le temps d'y réfléchir que déjà elle m’annonce:

- Toi ! Et elle se mets à sautiller sur place d'un air ravi. Figures-toi que l’autre jour, j’ai téléphoné à ma tante pour lui donner les dates de mon séjour chez eux et elle m’a demandé de tes nouvelles. Elle a proposé que tu m’accompagnes. Tu as été très appréciée et ma grand-mère a vraiment envie de te revoir.

- Tu es sérieuse ? Dis-je enchantée par cette nouvelle. Je suis très touchée de cette invitation ! Mais pourquoi ta grand-mère a-t-elle envie de me revoir ?

- Va savoir ! Elle est probablement un peu frustrée de ne pas avoir pu faire réellement ta connaissance. Il parait qu’elle pose des tas de questions sur toi ! Elle adore la France, tu sais. De plus elle est enchantée que tu ais sympathisé avec mon cousin.

- Sympathisé ? C’est vite dit ! Nous n'avons pas réellement eu le temps de sympathisé.

- Justement, ce sera l'occasion de faire plus ample connaissance, me répond Maria en me donnant un petit coup de coude.

Devant le profond soupir que je laisse volontairement échapper, elle poursuit :

- De toute façon, il ne sera pas là souvent alors quelle importance ! On va seulement se détendre, profiter de la piscine, être au calme et au frais. Tu ne vas pas rester à Firenze, avec cette chaleur et sans personne pour te tenir compagnie ? Et puis cette fois, tu auras ta propre chambre ! Sans oublier que si vraiment tu veux retourner en ville, ce n’est pas si loin et mon cousin y va reguliérement. Il pourra te déposer ! Allez dis oui ! Je sais que tu adores cet endroit !

Maria à raison, j'aime le domaine, j'aime les vignes et les oliviers, j'aime le calme qui entoure la bute sur laquelle la maison est construite et j'aime les gens qui y vivent. Pourquoi refuserais-je cette invitation ?

- D'accord ! Je me demandais justement comment occuper mon temps libre quand tu ne seras pas là. Et je suis certaine que l'inspiration me viendra plus facilement au domaine que dans cet appartement.

- Perfetto ! Me dit mon amie en me serrant dans ses bras. Prépare tes valises et dans moins de deux semaines, à nous les vacances au bord de la piscine !

11

Ce jour là en début d'après midi, je reçois un appel de Francesco.

- Sabina, ciao ! Tutto bene ? Che fai ?

- Francesco ! ça fait longtemps ! Je vais bien, je suis chez moi au frais.

- Bene, écoute, j'ai une cliente qui vient d'annuler sa viste de la Galleria degli Uffizi et comme nous avons parlé de visiter ce musé ensemble, ça te dirai de me rejoindre, tout de suite ?

Lors de mon premier séjour à Florence, j'ai visité la galerie des offices avec Marco. Cela nous avait pris trois heures tant il y a de choses à voir. A la fin, je n'appréciais plus rien et j'avais hâte de sortir. Mais faire la visite avec un guide, surtout lorsque ce guide est Francesco, c'est autre chose. Je le rejoins sans me faire prier. La journée est déjà bien avancée mais il reste encore beaucoup de touristes qui patientent devant l'entrée. Heureusement, Franceso dispose de billets coupe-file et nous entrons après quelques minutes d'attente seulement. Sachant que j'ai déjà visité les lieux, Francesco me laisse choisir les oeuvres sur lesquelles je souhaite m'arrêter, tout en attirant mon attention sur celles qui lui semblent importantes. Nos choix sont souvent les mêmes. Cette visite est beaucoup moins ennuyeuse que celle que j’ai faite en compagnie de Marco. Il n’avait pas quitté son téléphone des mains, tout en restant la plupart du temps à l'opposé de l'endroit ou je me trouvais. Francesco et moi nous arrêtons longuement devant la naissance de Vénus de Sandro Botticelli.

- C'est drôle, lui dis-je, ce tableau est magnifique et pourtant Venus est un peu bancale.

Francesco me regarde aussi surpris qu'amusé. Je poursuis :

- Elle est mal proportionnée, tu ne trouves pas ? Mais son visage est d'une douceur et d'une lassitude impressionnante. Il me semble que plusieurs femmes représentées par Botticelli ont un visage très similaire à celui de sa Venus. Je crois me souvenir qu'il s’agit de celui de la belle Simonetta Vespucci, maitresse de Giuliano di Medici qui était l'ami du peintre. Son expression toujours mélancolique en dit long sur son histoire d’amour tourmentée, à moins que l'artiste ai simplement refleté en elle la tristesse qu’il éprouvait de ne pas être l’élu de son cœur.

- Sabina, me dit Francesco en enlevant les yeux au ciel, tu es une incorrigible romantique ! Peut être que tout simplement la belle Simonetta avait cette expression.

- Une mine triste alors qu'elle était la maitresse de l'homme le plus riche de Florence, réputé pour sa beauté de surcroît, ainsi que la muse de Botticelli ? Dis-je perplexe.

- Mais mariée à un homme qu'elle n'aimait pas, comme bon nombre de femmes à cette époque. Ceci pouvant expliquer cela. Allez viens, continuons la visite, il nous reste beaucoup de chef-d'oeuvres à découvrir.

Lorsque nous quittons le musée, il est quasiment l’heure de dîner. La visite à été des plus agréables et Francesco me propose d’aller manger un morceau. Seulement avant, il doit passer chez lui et me demande de l’accompagner. Il loue une chambre sous les toit dans le quartier de Santa Maria Novella. Avant d'atteindre son ântre, il faut monter quelques étages en empruntant un escalier de pierre, puis de bois qui se rétrécit au fur et à mesure. Chez lui, les murs en pierre aident à conserver un peu de fraîcheur. Les volets sont clos et le parquet craque sous nos pieds. La découverte de l'appartement de Francesco est une surprise totale. Rien à voir avec la chambre de bonne dans laquelle je pensais me retrouver. C'est un endroit vaste, probablement un ancien grenier, qui sert également d'atelier au bel italien. Je découvre ses oeuvres pour la première fois et j'étais loin d'imaginer qu'il était aussi doué. Quelques tableaux sont disposés ça et là, certains sont terminées, d'autres semble avoir été abandonnés depuis longtemps.

- Je préfère la sculpture, me dit-il avant que je pose la moindre question. Et son regard se tourne vers un établi ou sont disposées quelques statuettes en argile, représentant toutes des femmes bien en chair et totalement nues. Elles sont rondes et lisses, voluptueuses à souhait ! Je suis étonnée par le choix des modèles de Francesco, qui est décidément un homme pleins de surprises. Il me laisse admirer ces statuettes avant de me demander comment je les trouve.

- Et bien, je les trouves magnifiques ! Tu as beaucoup de talent !

Dans un coin de la pièce, mon regard est attiré par une statue plus grande que les autres, dotée d’une poitrine exubérante et d'un fessier callipyge. Je m'en approche et Francesco me regarde attentivement. Cette sculpture dégage une sensualité brute assez troublante.

- C’est un fantasme auquel tu as donné corps ? dis-je le plus sérieusement du monde.

Francesco éclate de rire:

- C’est bien possible ! Dit-il. Je ne suis qu’un homme après tout !

Il me rejoins face à la statue et sa main se pose sur le ventre rebondi. Ses doigts se referme sur le bourrelet qui surplombe la hanche.

- Une femme doit avoir des formes, dit-il, elle doit avoir de la chair à serrer entre ses doigts, elle doit être une gourmandise qu’on a envie de dévorer. La chair appelle la chair ! Quand je mange une cuisse de poulet, j’aime qu’elle soit bien charnue alors avec les femmes c’est un peu pareil, même si je sais que la comparaison n’est pas des plus heureuse !

Sa main caresse l'argile et remontre vers un sein qu'elle englobe entièrement. Cela me rappelle une scène de film qui m’a beaucoup troublé lorsque je n'étais qu'une toute jeune adolescente, cette période de la vie où la sensualité s'éveille. L'héroine se trouve dans un beau jardin, agrémenté de plusieurs belles statues de femmes nues. Un homme est à ses côtés, il veut la séduire et caresse le seins d'une statue avec beaucoup de sensualité. La femme manque de défaillir. Je me sens exactement comme elle en ce moment et je sais que Francesco ne fait pas cela sans arrière-pensée. Je vois le feu qui s'allume dans son regard lorsqu'il perçoit mon trouble. Il s’approche plus près, me contourne et d’une main soulève mes cheveux. Je ferme les yeux et je déglutie tandis que sa bouche se pose sur ma nuque. Je me mord la lèvre tandis que tout mon corps est parcourus d'un frisson de plaisir. Voyant que je n’oppose aucune résistance, il me fait pivoter face a lui, entoure mon visage avec ses deux mains et me regarde droit dans les yeux.

- Pour changer, c’est moi qui vais t’embrasser aujourd’hui, dit-il en faisant réfence à mes baisers passés. Il joint aussitôt le geste à la parole. Nos langues sont frénétiques et il presse si fort sont corps contre le mien, que je sens son désir contre mon ventre. Mon corps me trahit, affamé par des mois de disette. Il réclame des caresses, des baisers, de l’amour. Mes mains parcours le corps du bel italien avec frénésie. Nos vêtements léger sont enlever à la hâte, la chemise de francesco s’envolle au travers de la pièce et ma robe tombe sur mes chevilles. Nos mains s’affairent à toute vitesse pour se débarasser du peu de tissus qu'il reste sur nos corps et nos yeux prennent à peine le temps de savourer le spectacle. Le lit est juste là qui nous acceuille. Les caresses de Francesco sont ennivrantes, brulantes, avides de découvertes. Les miennes sont timides mais curieuses. Je suis affamée de sa peau et de son corps qui s’allonge sur moi et me prend d’un coup, entièrement. Cette sauvagerie m’excite d’avantage, je n’ai pas besoin que nos préliminaires dures des heures, pas cette fois, pas avec tout ce désir refoulé depuis si longtemps. Mon corps s’accorde à la danse que mène Francesco. Son regard est braqué dans le mien, il est concentré et se maitrise encore et encore jusqu’a ce qu’enfin j’atteigne le point de non retour et que je me laisse submergé par une vague de plaisir que j’étouffe au creux de son épaule. Il me rejoins aussitôt, donnant des coups de hanche plus violents, plus profonds qui finissent de me faire chavirer. Puis le calme revient, seuls nos respirations se font entendre. Nos cheveux et nos corps sont collés par la sueur. Le plaisir nous a épuisés. Francesco s’allonge près de moi. Il ne me prends pas dans ses bras mais il me tient la main et regarde le plafond en reprenant son souffle.

- Dio ! J'en avais tellement envie ! J’espère que je n’ai pas été trop brutal ?

Il me regarde et sa main replace une mèche de mes cheveux.

- C’était parfait ! Exactement ce dont j’avais besoin ! Dis en riant ! Il rit avec moi tout en caressant mon sein du bout des doigts. Il prend enfin le temps de me regarder, de dessiner les contours de mon corps avec ses doigts et malgré la chaleur, il me fait frissonner. Et que dire de son corps, que je prends moi aussi le temps d'admirer. C’est une œuvre d’art. Je l’avais déjà partiellement aperçu le jour du Calcio mais la, dans cette chambre, nu sur le lit, il est tellement beau.

-Tu as soif me demande-t- il ?

- Terriblement !!

Il se lève et va chercher deux boissons dans le réfrégirateur. Je souris, il me demande pourquoi.

- Tu ressembles à une statue antique, Le David de Michelangelo à de quoi être jaloux !

- Hum, j'ai surtout de moins grandes mains et un sexe un peu plus développé, merci papa et maman ! Celui de David est peut être en marbre mais il n’aurait pas été suffisant pour te satisfaire.

Il est vrai que la statue comme tant d’autres a un sexe minuscule. A l'époque de sa création, c'est ainsi que les Hommes devait être représenté afin de mettre à l’honneur un corps sain et une tête bien faite et bien pleine. Seul les satyre avait un sexe developpé signe d'une sexualité débordante. Les gros sexe était ainsi assimilé à des hommes sans culture et de peu d'intelligence. Mais il se trouve que pour mon plus grand bonheur, Francesco à tout ce qu’il faut d’intelligence et se virilité !

Après avoir pris une douche rapide, nous sortons chercher quelque chose à manger. Francesco n'aime pas cuisiner et son frigo est presque vide. Nous achetons des paninis que nous dégustons à l’ombre des ruelles de Florence tout en nous dirigeant vers le Ponte Vecchio. Nous sommes redevenus le couple amical que nous étions, déjà loin de cette parenthèse inattendue. Francesco m’a assez répété que je ne devais rien attendre de lui, qu’il ne souhaitait pas avoir une véritable relation avec une femme. Peu importe, je sais qu’il m’apprécie et j’ai adoré faire l’amour avec lui. Peut-être que nous recommencerons, peut être pas, cela dépendras de nos envies et de la situation jee présume. Il me racompagne jusque chez moi après m'avoir offert un verre sur la place Santa Croce. Je l'invite à monter mais il refuse poliment. Il m'embrasse sur la joue, me serre dans ses bras, et reprend le chemin de son appartement. Le message est clair. Je ne dois rien espérer, je dois juste savourer ce qu'il me donne quand il aura envie de me le donner.

12

Depuis cette soirée torride avec Francesco, j'ai l'impression de m'être libérée d’une chaine avec laquelle je m’étais moi-même entravée. Une chaine qui portait le nom de Marco, bien que je ne puisse pas lui en imputer la responsabilité. Je me suis entêtée à l'attendre n'ayant jamais réussi à perdre l'espoir, même infime, qu'il me revienne un jour. Francesco est le premier homme que je désire depuis mon ex et je suis surprise de constater que le fait de ne pas avoir une relation sérieuse avec le bel Italien me convient tout à fait ! Depuis cette torride soirée, nous nous écrivons de façon plus régulière, sans que je puisse réellement dire que notre complicité ait évoluée. Nous ne nous sommes pas revus mais je songe à l’inviter chez moi pour dîner, et voir ce qu’il adviendra. Quoi qu'il en soit, cela attendra mon retour car aujourd'hui, je pars pour quelques semaines au Domaine. Lorsque Maria klaxonne pour m'informer qu'elle est en bas de chez moi, je ferme mon appartement et je descends rapidement les escaliers, heureuse de pouvoir échapper à la chaleur étouffante de Florence. Je profite du trajet pour raconter à mon amie mon aventure avec Francesco.

- Incredibile ! Tu as finalement cédé ? Me dit-elle, mais qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?

- Les circonstances ! Je n'ai pas réfléchi, ça s'est fait comme ça.

- Et c'était comment ? Dit-elle avec un petit sourire lubrique.

- C'était sauvage, terriblement intense. Et ça m'a fait énormément de bien !

- Tu m'étonnes ! Depuis le temps que tu étais chaste ! Dit-elle en ouvrant de grands yeux, comme si pour elle une telle période de diète était inenvisageable. Vous allez vous revoir ou c'était juste un coup de folie ?

- Je vais l'inviter à dîner lorsque je serai de retour à Florence mais pour l'instant, rien n'a changé entre nous.

- Pour l'instant ? Je ne veux pas faire ma rabat-joie mais il y a peu de chances que les choses changent.

- Je le sais ! Et ça n'a pas d'importance ! Finalement, ne pas éprouver de sentiments pour la personne avec qui on couche, c'est assez reposant !

- Mais depuis le temps que je te le dis ! Dit-elle en levant les yeux au ciel. Tu vas peut-être t'amuser un peu à présent !

- On verra ! Je ne suis pas certaine de pouvoir "m'amuser" avec n'importe qui. Mais j'avoue que si je pouvais profiter du corps de Francesco de temps à autre, ce serait déjà une bonne chose !

Et sur ce fait, j'envoie un message au bel Italien pour l'informer de mon départ et lui proposer de nous revoir lors d'un dîner chez moi, dans quelques semaines. Il répond que ce sera avec plaisir, en insistant sur le mot "plaisir" qu'il écrit en majuscules et entre guillemets ! Je souris, sous le regard interrogateur de Maria.

Chapitre 5: Agosto

Le domaine m'est rapidement devenu familier, tout comme ceux qui y vivent. Je m'y sens chez moi et réellement adoptée par la famille de Maria. Ici, les jours passent dans la douceur, loin des bruits de la ville, des touristes et de toute cette animation si spécifique à Firenze. Il y a pourtant continuellement du passage, des voisines, des tantes, des amies, accompagnées ou non de leurs époux. Les femmes aiment se retrouver pour faire la cuisine. Les hommes visitent les vignes et s'occupent des raisins qui se gorgent doucement de sucre sous le soleil brûlant. Biagio est absent la plupart du temps. Il se déplace dans les grandes villes de Toscane et des régions environnantes pour promouvoir le vin du domaine. Quand il rentre, l'entente entre nous est amicale mais il n'est pas assez libre de son temps pour que nous puissions faire réellement plus ample connaissance. Il est évident que pour lui, seuls sa famille et son travail comptent.

Maria et moi passons des vacances on ne peut plus reposantes. Je n'imaginais pas que mon amie puisse aimer le calme ! Elle qui d'ordinaire ne cesse de sortir, semble avoir laissé de côté sa vie sociale avec grand plaisir. Elle se lève tard et passe le plus clair de son temps au bord de la piscine, à faire dorer sa peau, d'origine déjà bien plus mâte que la mienne. Je n'ai jamais été adepte des longues expositions au soleil. J'aime me baigner, mais une fois que je suis allongée sur ma serviette, j'ai rapidement envie d'autre chose. Je laisse Maria sur son transat et je vais faire un tour du côté de la cuisine, désormais constamment ouverte sur la cour. Je retrouve Louisa et quelques-unes de ses amies qui s'activent à préparer le repas. Ici, je découvre la véritable cuisine italienne, bien loin de celle que j'ai pu goûter en ville. Louisa décide de m'apprendre à confectionner tout un tas de pastas différentes. Elle me montre les gestes longs et précis, de comment rouler, et étaler puis découper la pâte. Je vois qu'elle est heureuse que je m'intéresse à ce qu'elle fait. Tout en cuisinant, nous discutons de tout et de rien. Elle me pose des questions sur ma vie en France. Elle est curieuse de savoir pourquoi l'Italie me fascine au point que j'ai choisi de venir m'y installer. Elle n'a jamais quitté sa région plus de quelques jours, et elle ne l'envisage pas. Le domaine, c'est son pays ! Néanmoins, elle comprend mon désir de vivre en Toscane, qui à ses yeux est le paradis sur Terre. Evidemment, elle me parle régulièrement de Biagio. Elle est tellement fière de ce fils qui a dépassé toutes ses espérances. Louisa sait que grâce à lui, le domaine va prospérer et qu'il le léguera ensuite à ses enfants, qui avec un peu de chance, le légueront aux leurs.

- Mais bien entendu, pour cela il faudrait d'abord qu'il trouve une femme. Me dit Louisa et au vu du soupir qu'elle pousse, je comprends que cela ne fait partie des priorités de son fils.

- Le domaine est sa seule préoccupation, poursuit-elle, et trouver une femme sérieuse, qui voudra l'épauler, une femme qui voudra vivre ici, loin des magasins et des distractions, ce n'est pas si facile.

Même si je ne dis rien, je ne peux m'empêcher de penser que cela me conviendrait tout à fait. Vivre ici serait comme un rêve. Je pourrais aménager un bureau faisant face aux vignes et écrire pendant des heures. Je me contenterais de cette douceur de vivre, tout en regardant les saisons modifier les couleurs de cette terre que j'aime comme si elle était la mienne. Mais si cela veut dire épouser Biagio, c'est une tout autre histoire. Pourrais-je supporter un homme aussi absent que lui, un homme aussi silencieux ? Je n'en suis pas certaine. Un caractère comme celui de Francesco me conviendrait-il mieux ? Difficile à dire. Un mélange des deux, voilà qui serait parfait. Ni trop secret, ni trop expressif, ni trop sérieux, ni trop insouciant. Louisa me regarde perdue dans mes pensées et me ramène sur terre.

- Sabina ! Fait attention, tu malaxes trop la pâte ! Mais à quoi penses-tu donc ?

- Je pensais à ce que vous venez de dire. Je crois que trouver la bonne personne, c'est une chose compliquée pour tout le monde.

Louisa lève les yeux au ciel tout en acquiesçant et me tend aussitôt une roulette en bois pour découper les bandes qui serviront à confectionner les farfalles.

Vers la mi-août, Biagio s'accorde enfin un peu de repos et bien qu'il appelle cela des vacances, il ne se passe pas une journée sans qu'il aille visiter ses vignes et ses oliviers. Nous nous croisons dans la journée, au bord de la piscine et au cours des repas. Il est toujours aimable et attentionné avec tout le monde, moi-y compris. Ce jour-là, voyant que je délaisse un peu l'écriture de mon roman, il me propose de l'accompagner dans sa visite journalière des vignes, ce que j'accepte bien volontiers. Grâce à lui, je découvre le Domaine sous un autre angle, celui qui lui tient à coeur, celui du travail et de l'attachement à cette Terre, dont le sol sec se disperse en une légère poussière à chacun de nos pas. La chaleur colle les vêtements sur nos peaux et Biagio, vêtu d'un bermuda léger et d'une chemise à manches courtes, n'hésite pas à se mettre à l'aise en dévoilant son torse sec. Finis les costumes qu'il est obligé de porter tout au long de l'année. Le Biagio "paysan" est une découverte fort agréable à regarder. Il a coupé ses cheveux très courts, presque à ras et cela lui va bien. Mais il n'est pas facile de créer un lien avec cet homme. Il me parle essentiellement de son travail et de sa famille mais rarement de lui. Lorsque je le questionne, il s'arrange pour détourner la conversation ou pour me retourner la question, sans y répondre. Par contre, il semble intéressé par ma vie à Florence et il est curieux de savoir comment est née mon amitié avec sa cousine.

- Cela remonte à quelques années, j'avais loué l'appartement de sa tante pour une semaine et c'est Maria qui nous a accueilli.

- Avec qui étais-tu ?

- Avec un homme. Mon petit ami. C'est avec lui que j'ai découvert Florence.

- Et cet homme t'attend en France ?

- Non, c'est terminé entre nous. Et il ne vit pas en France mais en Suisse. Nous ne nous sommes pas vu très souvent.

- Je suppose que ce n'est pas simple de faire vivre une histoire quand il y a tant de distance ?

- Non, en effet. Mais, je ne suis pas certaine que si nous avions vécu dans la même ville, notre relation aurait mieux fonctionnée.

- Pourquoi ? ça aurait été tout de même plus facile.

- Oui, s'il avait eu envie que notre relation fonctionne, ce qui n'était pas le cas.

- Je vois. Mais je me doute que ma cousine a dû te présenter beaucoup d'hommes depuis que tu vis à Florence !

- Oh ! Elle a essayé plus d'une fois, dis-je en riant, mais je ne crois pas aux rendez-vous arrangés. Et puis, à quoi bon entamer une relation alors que je vais partir dans quelques mois ? Le temps passe si vite depuis que je suis ici.

- Tu n'es pas adeptes des aventures sans lendemain ?

- Malheureusement non !

- Pourquoi malheureusement ?

- Je ne sais pas, dis-je en soupirant. Regarde Maria, elle ne se prend pas la tête, elle papillonne et elle semble très heureuse comme cela.

- Je ne suis pas pour le papillonnage. Bien entendu, ma cousine fait ce qu'elle veut et je ne la juge pas, mais je pense que j'aurais du mal à aimer une femme qui n'aurait vécu que des relations éphémères. J'aurais l'impression qu'à tout moment, elle pourrait recommencer à aller de l'un à l'autre. Tu dois me trouver vieux jeu, mais j'ai besoin d'une compagne qui sait ce qu'elle veut et surtout ce qu'elle ne veut pas.

- Et tu n'as rencontré personne qui corresponde à tes attentes ? Dis-je, bien que je crois connaître la réponse.

- Non. Je n'ai pas vraiment le temps de chercher avec mon travail. Mais je ne me plains pas, j'aime la vie que je mène. Je verrai plus tard, quand la situation du Domaine sera un peu mieux établie.

Nous sommes en vue de la maison quand Biagio s'excuse de devoir me laisser. Il a promis d'aller voir les ouvriers qui travaillent à quelques mètres de là. Je me dirige seule vers la belle bâtisse. De loin, j'aperçois Nonna, installée à l'ombre, sur la terrasse surélevée. Elle est confortablement assise dans un fauteuil en osier garnit de coussins. D'ici, elle a une vu d'ensemble sur tout le Domaine. Je m'assois près de la vieille dame, pour qui j'ai une profonde tendresse. Je sais que c'est réciproque. Nona me parle toujours en Français, ce qui est parfois bien pratique quand elle veut me dire des choses que ni sa fille ni Maria ne doivent comprendre. Elle m'accueille avec un large sourire et me demande :

- C'était Biagio qui marchait près de toi ?

- Oui Nona, mais il avait des ouvriers à voir avant de rentrer.

- Vous semblez bien vous entendre. Dit-elle en souriant. Je suis heureuse que le malentendu de votre première rencontre se soit totalement dissipé.

- Il vous en a parlé ? C'est vrai que nous avions mal commencé.

- Et à présent que tu le connais un peu mieux, que penses-tu de mon petit-fils ?

- Il est charmant, travailleur mais aussi très secret. En fait, je ne le connais pas vraiment et sûrement pas assez pour savoir qu'en penser.

- Tu lui plais beaucoup. Me dit Nonna le plus sérieusement du monde. Ma mine déconfite l'amuse et elle poursuit. Tu ne t'en es pas rendu compte ?

- Non, je ne crois pas. Il est gentil avec moi parce que je suis une amie de Maria, rien de plus. Je n'ai pas l'impression qu'il souhaite que nous devenions de vrais amis.

Nonna soupire aussitôt.

- Il n'a jamais su s'y prendre avec les femmes ! Et il ne fait aucun effort pour s'améliorer ! Mais tu lui plais, crois-moi, je sais quand cela lui arrive et ce n'est pas si souvent. Seulement, quelque chose l'empêche d'aller vers toi pour le moment. Comment cela se fait-il que tu ne sois pas encore mariée ? Dit-elle en sautant du coq à l'âne.

La question me surprend et je mets un peu de temps à trouver quoi répondre. Nona poursuit :

- Tu es une jolie femme, intelligente, tu ne me feras pas croire qu'aucun homme ne s'intéresse à toi ?

- Peut-être que ceux qui s'intéressent à moi, ne m'intéressent pas. Dis-je en essayant d'éluder la question.

- Tu n'as pas envie de vivre une belle histoire d'Amour et de trouver un homme avec qui fonder une famille ?

- Pour être honnête, j'ai aimé passionnément, il y a quelques années. Malheureusement, ce n'était pas réciproque et j'en ai beaucoup souffert. Alors, j'ai besoin de temps avant de pouvoir aimer à nouveau.

- Comme si tu pouvais décider quoi que ce soit ! Crois-tu que l'Amour se soucie des peines de cœur ? Il vient quand bon lui semble. S'il décide de tirer sa flèche maintenant, il tirera et il vaincra ! Me dit-elle avec une réelle conviction dans le regard.

- Alors disons que l'amour n'a pas le temps de s'occuper de moi en ce moment ! Dis-je en souriant.

- N'en sois pas si certaine. Peut être est-il en train de tisser sa toile sans que tu t'en rendes compte. Il n'y a personne dans ta vie ? Reprends Nonna.

Dois-je évoquer Francesco ? Sans doute que non. Il n'est pas dans ma vie à proprement parler. Nous avons échangé quelques messages depuis que je suis ici mais sans plus. Quant à évoquer le concept du sex-friend avec Nonna, cela ne me semble pas une bonne idée.

- Non, il n'y a personne. Dis-je en soupirant.

- Si ce n'est pas parce que tu as un petit ami que Biagio n'ose pas tenter de te séduire, c'est probablement parce que tu n'es pas sûre de rester vivre à Florence.

- Je ne pourrai pas rester à Florence. J'ai un livre à rendre à mon éditeur et je devrai rentrer en France pour un temps indéterminé. J'ai déjà vécu une relation à distance et je n'ai vraiment pas envie de recommencer.

Nona hoche la tête en signe d'approbation et retourne à sa contemplation du Domaine. Je la laisse à sa rêverie et je pars rejoindre Maria au bord de la piscine. Allongée sur le transat, après avoir pris un long bain rafraichissant, les paroles de Nona me reviennent en mémoire. Est-il possible que Biagio s'intéresse à moi ? A aucun moment il ne m'en a donné l'impression. Mais à bien y réfléchir, parfois, lorsqu'il me regarde, je sens passer quelque chose entre nous. Quelque chose qu'il sent probablement lui aussi, puisqu'il se détourne systématiquement. Quoi qu'il en soit, Biagio a beau être charmant, il est trop terre à terre pour moi. J'ai besoin d'un homme qui me fera rêver, qui me dira des mots qui me feront vibrer et qui sera présent. Et tout cela, Biagio ne peut pas me le donner.

***

J'aime les repas du soir que nous prenons tous ensemble sur la terrasse. Les discussions sont animées et les verres de vin se vident rapidement. Il n'est pas rare qu'il y ait des invités de dernière minute et que la soirée se prolonge. Dehors, sous la lumière des lampions, disposés tout autour de la cour, la fraicheur qui accompagne la tombée de la nuit est toujours très attendue. Le repas terminé, j'aime m'installer un peu à l'écart des lumières de la maison afin de contempler le ciel étoilé de la Toscane. C'est d'une beauté hypnotique et de temps à autre, une étoile filante me donne l'occasion de faire un voeu. Je n'ai jamais réellement cru qu'ils puissent se réaliser, mais cela ne coûte rien d'essayer. Même si j'apprécie la famille de Maria, j'ai besoin de ces moments de solitude qui me permettent de réfléchir à tout un tas de choses, qui n'ont la plupart du temps aucune importance. C'est souvent à cette période de la journée que je pense à Marco, qui une fois de plus, est aux abonnés absents. Quand ma curiosité l'emporte sur ma raison, je vais piocher quelques infos sur le profil Instagram de sa petite amie. C'est ainsi que j'apprends qu'ils sont ensemble en Italie, dans la région des Pouilles d'où Marco est originaire. Je me souviens qu'il m'avait promis que nous y irions ensemble, chose que nous n'avons jamais faite comme tant d'autres. Ils sont accompagnés d'un couple d'amis. Ces deux-là sont incapables de voyager ou de passer des weekends en tête à tête. Cela n'aurait jamais pu fonctionner entre Marco et moi, c'est de plus en plus évident. Nous n'avons pas la même conception d'une relation de couple. Je me surprends pourtant à me demander à combien d'heures de voiture de Florence se trouve la région des Pouilles ? Je secoue la tête pour tenter de chasser cette idée de mon esprit. Qu'est-ce que j'espère ? Croiser Marco par hasard au détour d'une rue ? Ridicule ! Il serait capable de faire comme s'il ne me connaissait pas et cela me rendrait dingue ! Dieu sait de quoi je serais capable alors. Il faut que je passe à autre chose. Mais pas la peine de compter sur Francesco pour m'aider. Lui aussi brille par son silence depuis plusieurs jours.

Ce soir, tandis que je m'attarde une fois encore à contempler le ciel, un air de guitare s'élève, suivi d'un chant dont la voix m'est familière. Curieuse, je me dirige vers l'endroit d'où provient la musique. Biagio, le pied sur un muret, fredonne, les yeux perdus dans le vide. Je fais attention à ce qu'il ne me voit pas m'approcher. Sa chanson mélancolique parle d'un absent, qui souhaite que sa belle se souvienne de lui au travers des signes que lui envoie la Nature, comme le vent, la pluie, la neige. Il souhaite qu'elle rêve de lui en regardant les nuages, parce qu'il est là, partout autour d'elle, dans toutes ses petites choses auxquelles on ne prête plus vraiment attention. Sa voix cassée rend chaque parole plus poignante. Je l'écoute sans bruit, dissimulée dans la pénombre et j'ai l'impression d'entrouvrir enfin la porte qui donne accès à ce que Biagio me cache avec force. Sa chanson terminée, il pose sa guitare contre le muret et sans se retourner demande :

- Que penses-tu de ma prestation, Sabina ?

- Oh ! Désolée. Dis-je un peu gênée d'être ainsi découverte. C'était très beau. Je ne savais pas que tu chantais aussi bien, ni que tu jouais si merveilleusement de la guitare.

- Grazie, c'est une chanson que j'ai écrite il y a quelques années, lorsque j'étais encore un jeune fou qui rêvait à des choses impossibles.

- C'est toi qui as écrit cette chanson ? Elle est vraiment magnifique ! J'étais loin d'imaginer que tu avais une âme d'artiste.

- Il y a tant de choses que tu ne sais pas de moi, dit il en me souriant. Lorsque j'étais adolescent, j'espérais pouvoir vivre de ma passion, écrire, composer et chanter mes chansons. Mais la vie et le Domaine onT eu raison de mes rêves de jeunesse.

- Mais rien ne t'empêche de continuer à écrire et à chanter. Parfois, nos rêves ont simplement besoin d'être modifiés, afin de s'intégrer à notre réalité. L'important c'est qu'ils continuent de nous faire du bien.

- Tu as raison, mais j'ai rarement le temps ou l'esprit assez libre pour pouvoir composer ou écrire. Mais toi, Sabine, c'était aussi ton rêve d'enfance de devenir écrivain ?

- Depuis mes 13 ans oui et je n'en reviens pas qu'il se soit réalisé ! D'ailleurs, j'ai toujours du mal à me considérer comme tel? car tout ceci est un véritable concours de circonstances.

- Raconte-moi comment tout a commencé. Dit-il en s'asseyant sur le muret.

- Et bien, j'ai d'abord écrit pour moi, pour évacuer mes émotions, mes souvenirs, ma souffrance, sans penser une seule seconde à publier ce que j'écrivais. Et puis, quand j'ai eu terminé, je me suis demandée si les personnes vivant la même chose que moi ne seraient pas intéressées par ce que j'avais couché sur le papier ? Sur un coup de folie, j'ai décidé d'envoyer mon manuscrit à plusieurs maisons d'éditions. Je n'avais rien à perdre. La chance a fait le reste.

- La chance ? Ne serai-ce pas plutôt le talent ?

- Je ne sais pas si j'ai réellement du talent, j'ai une écriture simple et je me contente de raconter ma vie. Sans doute que mes lecteurs se sont reconnus dans ce que j'ai écrit. Après tout, nous avons tous souffert par amour à un moment de nos vies.

- Certes, dit-il avec un petit sourire triste mais sans développer davantage. J'aimerais lire ton livre mais je ne comprends pas le français, à quand une version en italien ?

- J'adorerais ! Qui sait, si mes prochains bouquins se vendent bien, peut-être seront-ils traduits en plusieurs langues !

- Je te le souhaite ! Si j'ai bien compris, ton premier livre parlait d'un chagrin d'amour et tu es venue à Florence pour guérir ? Questionne-t-il en ayant soudain ce regard si attentif qu'il a quand quelque chose l'intéresse vraiment.

- Oui et non. Florence était un besoin. J'aime cette ville depuis toujours et j'avais envie de vivre la vie Florentine, mais il fallait également que je revienne pour dissiper les restes d'un amour qui a connu son apogée dans cette ville. Je savais que ce serait douloureux par moments et cela l'a été, mais de moins en moins désormais.

- J'en suis heureux. Je regrette que l'amour t'ait fait souffrir. Tu mérites tellement mieux, tellement plus !

Je le regarde étonnée et il devine toute la surprise que ces mots viennent de provoquer en moi,

- Personne ne devrait souffrir par amour. Dit-il en éclatant d'un rire soudain. Excuse-moi, c'est mon âme de poète qui parle, la nuit est si belle ce soir, toutes ces étoiles me tournent la tête. Mais il se fait tard et je vais aller dormir, Buona notte cara Sabina, sogni doro.

- Bonne nuit Biagio, je vais rester encore un peu pour profiter de la fraîcheur.

Il me fait un clin d'oeil et remonte en direction de la maison. Seule sous le ciel étoilé, une question tourne en boucle dans mon esprit : et si Nonna avait raison ? Si Biagio ressentait réellement quelque chose pour moi ? Non, je ne dois pas commencer à imaginer ce qui n'existe pas. Si je veux rêver, autant que ce soit dans mon lit en dormant. Et je retourne à pas lents jusqu'à ma chambre.

***

Les jours passés au Domaine sont emprunts de chaleur humaine et je me surprends à aimer infiniment cette vie de famille que je n'ai jamais vraiment connue. Dès le premier jour, tout le monde m'a immédiatement accepté et la tendresse que Nonna me porte n'y est certainement pas étrangère. Elle pose toujours sur moi un regard plein de douceur. C'est elle la première à rire quand mon italien imparfait me fait dire des bêtises. Et je sais que rien ne l'enchante plus que de voir qu'entre Biagio et moi, tout semble aller pour le mieux. Désormais, il me propose presque chaque jour de l'accompagner quand il se rend dans d'autres exploitations. Sur la route, il ne manque jamais de s'arrêter dans un village, souvent perché au sommet d'une colline, afin de me faire découvrir SA Toscane. C'est à ses côtés que je découvre la belle Volterra, ses églises médiévales, ses palais du XVIe siècle et ses tombes étrusques, datant de plusieurs siècles avant notre ère. C'est encore avec lui, que je visite Sans Giminiano et ses bâtiments du XIIIe et XIVe siècles, ainsi que Montepulciano, charmant village fondé il y a 1500 ans. Nous flânons dans les ruelles au milieu des touristes, mais dès qu'il en a l'occasion, Biagio se transforme en professeur d'Histoire. Malheureusement, il n'a pas le talent de comteur de Francesco pour intéresser son auditoire. Sa façon de raconter est trop académique pour que je reste attentive plus de quelques minutes. Néanmoins, je tente de cacher mon ennui, tout en me demandant pourquoi le Biagio poète et musicien, celui qui s'est révélé sous un sublime ciel étoilé, n'arrive pas à transparaître lorsque nous sommes seuls ? Et pourquoi ai-je encore le sentiment qu'il maintient cette distance entre nous ? Si je lui plais, comme le pense Nonna, pourquoi n'essaie-t-il pas de me séduire ? Nos moments en tête à tête, loin du Domaine seraient idéals pour cela. Mon manque d'attention doit être visible car Biagio s'interrompt et me demande à quoi je pense. Je mens, jurant que je suis attentive mais il n'est pas dupe. Par chance, il ne me demande pas de répéter ce qu'il vient de me dire.

- Tu pensais à ton petit ami ?

J'ouvre de grands yeux, complètement stupéfaite par sa question.

- Mon petit ami ? Quel petit ami ?

- Maria m'a parlé de ta relation avec un certain Francesco.

Je maudis Maria et sa façon de toujours trop en dire !

- Ce n'est pas vraiment une relation, c'est juste un ami un peu ... intime.

- Parfois les grandes histoires commencent de cette façon. Réponds Biagio d'un air stoïque.

J'éclate de rire. Avec Francesco ? Une grande histoire ? Je ne suis même pas certaine qu'il sache en quoi cela consiste ! D'ailleurs, je n'ai quasiment plus de nouvelles de lui et quand j'en ai, c'est seulement pour échanger quelques banalités.

- Non, je t'assure, Francesco ne compte pas plus pour moi que je ne compte pour lui.

Biagio me regarde, sans avoir l'air de me prendre au sérieux. Puis, il reprend son rôle de professeur d'Histoire et cette fois, il a réellement toute mon attention.

De retour au Domaine, je saute sur Maria qui traîne encore au bord de la piscine. Je lui demande immédiatement pourquoi elle a fait des confidences concernant Francesco et moi. Elle se défend en prétextant ne pas être au courant qu'il s'agit d'un secret d'Etat et m'assure avoir simplement répondu aux questions de son cousin.

- Et d'ailleurs, je ne vois pas en quoi cela te dérange qu'il le sache. Aurais-tu des vues sur Biagio ? Dit-elle avec un sourire en coin.

Je bredouille que non ! Et pour éviter d'avoir à donner plus d'explications, je commence à me dévêtir et lui propose de prendre un dernier bain avant le repas. Maria, qui a dû être un poisson dans une autre vie, ne se fait pas prier. Après cette baignade rafraichissante, nous nous faisons sécher sur les chaises longues mises à notre disposition.

- C'est quand même curieux que ton cousin souhaite savoir si j'ai quelqu'un dans ma vie. Lui dis-je, ne pouvant pas me sortir l'attitude de Biagio de la tête. Pourquoi ne pas me l'avoir demandé directement ?

- Bah, peut-être qu'il voulait connaitre ta situation avant de tenter quoi que ce soit !

- Pfff, dans ce cas tu m'as complètement court-circuitée, ma vieille !

Maria s'esclaffe avant d'ajouter ;

- Vous avez une attitude un peu étrange l'un envers l'autre. Un peu équivoque, il me semble. Mon cousin ne t'est pas totalement indifférent, n'est ce pas ?

- Peut-être pas complètement, en effet. Il a beaucoup de charme mais il est tellement sérieux ! Rien ne semble léger avec lui.

- C'est un homme responsable, il a l'avenir du Domaine entre ses mains, on serait sérieux pour moins que cela ! Mais bien entendu, si tu le compares à Francesco...

- Personne ne peut être comparé à Francesco ! Dis-je avec un sourire sarcastique

- Tu as de ses nouvelles ?

- Pas plus que ça, un message de temps en temps, rien de transcendant.

- Pour en revenir à mon cousin, vous êtes souvent ensemble et je dois t'avouer que je l'ai rarement vu accorder autant de son précieux temps à une femme !

- Sauf que le temps que nous passons ensemble ne nous rapproche pas. Je crois qu'il s'est mis en tête de m'apprendre toute l'Histoire de la Toscane ! Certes, il me fait découvrir beaucoup de choses, mais il n'y a pas d'opération séduction, si c'est ce que tu veux savoir !

- A vrai dire, je vois très mal Biagio jouer les séducteurs ! Il ne saurait pas comment s'y prendre. Mais peut-être qu'il attend que toi, tu le séduises.

- Alors, il est mal tombé ! J'ai un petit côté "vieille France" comme on dit chez nous, j'aime qu'un homme fasse les premiers pas. Pourquoi crois-tu que je tombe toujours sur des séducteurs ? Dis-je en souriant.

- Mouai, et ce n'est pas ce qui te réussit le mieux ! Il serait temps que tu changes de stratégie et que tu laisses leurs chances à des hommes différents.

- Comme ton cousin ?

- Comme mon cousin ! Mais sérieusement, imagine que ça fonctionne entre vous, tu pourrais rester vivre au Domaine, tu entrerais officiellement dans notre famille, nous deviendrions cousines ! ça ne mérite pas que tu mettes en place un plan drague ?

- Je ne peux pas rester vivre ici, même si j'en ai terriblement envie. Pas dans un avenir proche en tout cas. J'ai une carrière à mener moi aussi. Et puis, pour être tout à fait franche, je ne suis pas certaine de pouvoir supporter le côté rigide et sérieux de Biagio. Je pense que nous sommes trop différents pour qu'une relation soit possible entre nous.

- Si tu le dis. Réponds Maria que j'ai rarement vu déposer les armes aussi vite. Rentrons nous changer, il sera bientôt l'heure de dîner et je meurs de faim !

De la cuisine, l'odeur de ragù s'évade pour arriver jusqu'à nos narines. Ma faim se déclenche aussitôt. Bientôt, les vacances seront terminées et je devrai laisser tout cela derrière moi. Je retrouverai mon petit appartement de la via dell'agnolo. Finies les grandes tablées, les soirées à la belle étoile et la bonne cuisine de Louisa. Mais en attendant, j'entends bien profiter de chaque moment avec cette famille que j'adore ainsi que de cet endroit, qu'il me sera difficile de quitter.

***

La veille de notre départ, Biagio m'invite ainsi que Maria, à dîner dans un restaurant tenu par l'un de ses clients. L'endroit se trouve dans un petit village, peu connu des touristes, à mi-chemin entre le Domaine et Florence. Sur la belle terrasse, une pergola où la glycine déploie ses branches feuillues, procure de l'ombre aux clients qui s'apostrophent d'une table à l'autre. Les rires fusent, les enfants courent entre les tables et s'en vont jouer sur la place où coule une fontaine. Biagio est souriant et détendu. Comme à son habitude, il parle peu mais il écoute sa cousine qui elle, a toujours quelque chose à nous raconter. Nous buvons le vin du Domaine, fournisseur attitré de ce restaurant, tout en savourant ce moment un peu particulier. Demain, Maria et moi rentrons à Florence, qui fort heureusement, n'est pas si loin. Chacun de nous sait que nous nous reverrons très vite, ce qui ne rend pas la soirée plus triste qu'elle ne doit l'être. Et comme lors de chaque bon moment, le temps semble s'écouler plus rapidement. Nous attendons l'arrivée des desserts quand une voix derrière moi me saisit et me fait frissonner. Je sais très bien à qui elle appartient, mais ce serait incroyable qu'il soit ici, au moment précis où je m'y trouve. Je tourne la tête précipitamment pour découvrir à deux mètres de moi, une touffe de cheveux bruns et bouclés. Debout entre les tables, il discute avec quelques personnes, jusqu'à ce que nos regards se croisent. La surprise de Francesco semble aussi grande que la mienne. Mais aussitôt, il s'avance vers nous, colle deux baisers appuyés sur mes joues et lance un ciao rapide à Biagio et Maria, .

- Sabina ! Mais quelle surprise de te trouver ici ! Come stai ?

Tandis que je lui réponds que je vais bien, mon esprit se focalise sur ce qui vient de se passer. Francesco m'a fait la bise, comme si je n'étais qu'une simple connaissance. Mais qu'est-ce que j'espérais après ces semaines sans réels échanges ? Qu'à la prochaine rencontre, il m'embrasse passionnément et qu'il me dise que je lui ai manqué ? Décidément, je ne changerai jamais ! Toujours à imaginer un hypothétique futur. Vivre l'instant, ne rien espérer, j'ai déjà oublié de quoi il s'agissait.

Maria termine son verre de vin en me regardant du coin de l'oeil, tandis que Biagio semble attendre qu'on lui explique qui est ce bellâtre. Je me décide à faire les présentations et aussitôt, la mine de Biagio s'assombrit. Mais je le remarque à peine tant Francesco m'assaille de questions au sujet de mes vacances et sur la date de mon retour à Florence.

- Nous rentrons demain, en fin d'après-midi.

- Molto bene, il faut que je te vois, j'ai quelque chose à te proposer.

- Ah ? quoi donc ?

Mais, avant qu'il puisse me répondre, apparaît derrière Francesco une brune plantureuse, moulée dans une robe qui aurait mérité d'être achetée une taille au-dessus. Elle prend à peine le temps de nous saluer et demande à Francesco de la suivre car leur table est prête. Et ce faisant, elle se colle à lui comme une moule à son rocher. Je comprends rapidement que la période estivale et le surcroit de travail, n'ont pas empêché le bel italien de s'amuser un peu. Francesco la prend par le cou, ce qui fait glousser de satisfaction la poule pendue à son bras.

- Je t'appelle dans quelques jours, Sabine ! Dit-il tout en prenant congé. J'ai été content de te voir, à très vite ! Buona serrata.

Maria et Biagio grommèlent un ciao, tandis que je regarde Francesco s'installer à quelques tables de nous. Mais à la nôtre, l'ambiance de la soirée a changé. Maria, si bavarde, ne sait plus trop quoi dire. Biagio regarde ailleurs et moi, j'ai trop de questions débiles en tête pour m'intéresser vraiment à l'attitude de mes amis. Revoir Francesco m'a un peu remué, et que dire du fait qu'il soit accompagné. De temps en temps, J'entends son rire fuser, suivie de celui de la belle brune. Mais je leur tourne le dos et je ne peux décemment pas tourner la tête pour les espionner. J'essaie de faire comme si la présence du bel italien ne me faisait aucun effet mais c'est une torture de rester là et de donner le change. Nos desserts avalés et la note payée, nous reprenons rapidement le chemin du Domaine. Dans la voiture, la musique couvre un silence devenu pesant. Maria essaye bien de dire des banalités, mais nous lui répondons si brièvement que cela coupe court à toutes ses tentatives.

Arrivés au domaine, Biagio nous souhaite rapidement une bonne nuit et monte dans sa chambre. Maria m'accompagne dans la mienne où la porte à peine fermée, elle s'écrie ;

- Mais quel stronzo ce Francesco ! Et sa pétasse, non mais tu y crois toi ? Une vraie caricature ! Vraiment, il n'a aucune fierté de s'afficher avec ce genre de fille !

Je sais que Maria se sent obligée d'accentuer sa colère parce qu'elle sait que je rumine. Assise devant le miroir, je me démaquille en essayant de ravaler ma déception. Bien entendu, je me doutais que Francesco n'allait pas attendre mon retour, parce que finalement, nous n'avons pas de relation lui et moi, nous avons seulement fait l'amour une seule fois. De plus, il a toujours été clair sur le fait qu'il fallait profiter de l'instant, sans penser au lendemain ! Mais le savoir et le voir, sont deux choses différentes. Le voir, c'est douloureux ! Jusqu'à présent, j'avais gardé espoir que peut être, une fois de retour à Florence, nous nous verrions de façon plus régulière. Désormais, je sais que ce ne sera pas le cas. Parce que je suis incapable de partager ! Néanmoins, j'essaie de donner le change devant mon amie.

- Ecoute Maria, ce n'est rien ! Je le savais ! Francesco a toujours été honnête sur le fait qu'il ne souhaitait pas avoir une relation sérieuse.

- Et ça ne te fait rien de le voir avec cette pouffe ?

- Elle ou une autre, quelle importance ? J'aurais simplement préféré rester dans le doute.

- Et qu'est-ce que tu vas faire ?

- Rien ! Que veux-tu que je fasse ? Je ne vais pas lui reprocher de vivre sa vie alors qu'il m'avait prévenue.

- Mais tu vas continuer à coucher avec lui s'il te le propose?

- Ne rien prévoir sinon l'imprévisible, tu te souviens ? Pour le moment, je n'ai personne dans ma vie, alors pourquoi pas. Il a dit qu'il avait quelque chose à me proposer, j'attends de savoir de quoi il s'agit.

Après avoir cassé du sucre sur le dos de Francesco et des hommes en général, Maria retourne dans sa chambre. Allongée dans mon lit, j'ai du mal à trouver le sommeil. Je repasse la scène dans ma tête mais finalement, ce qui me revient le plus en mémoire, c'est le regard de Biagio et son silence. Nul doute qu'il a compris qui est Francesco, mais il a ainsi pu constater que ma relation avec le bel italien est tout sauf sérieuse. Alors, pourquoi s'est il montré si taciturne durant le trajet du retour ? Il faudra que je lui pose la question demain. Je ne veux pas rentrer chez moi sans avoir dissipé tout malentendu, si malentendu il y a.

***

Le lendemain matin, lors du petit déjeuner, Biagio brille par son absence. C'est la première fois depuis qu'il est en congé qu'il ne prend pas son café avec nous. Personne ne semble s'en inquiéter et je finis par croire qu'il ne s'est tout simplement pas réveillé. Je le croiserai certainement plus tard, dans la matinée.

Mais lors du repas de midi, Biagio n'est toujours pas présent. J'en fais la remarque à Nonna qui me répond :

- Mon petit-fils est parti tôt ce matin. Il ne rentrera pas avant ce soir.

- Pas avant ce soir ? Dis-je avec déception. Ce qui signifie que je ne vais pas le revoir avant notre départ !

- Oui, c'est étrange qu'il n'ait pas souhaité rester, me dit Nonna avant de me questionner. Il s'est passé quelque chose entre vous ? Il avait l'air très renfrogné en quittant le Domaine.

- Non, il ne c'est rien passé. Enfin, si, peut être.

Dois-je parler de Francesco à Nonna ? Je ne l'ai jamais évoqué devant elle. Mais elle est bien la seule personne qui peut me dire ce que signifie la réaction de son petit-fils.

- Hier soir, au restaurant nous avons croisé un de mes amis et suite à cela, Biagio a eu l'air contrarié. J'aimerais comprendre pourquoi, surtout qu'il sait que cet homme n'a pas d'importance pour moi.

- Un homme ? Est-ce ton petit ami ? s'exclame Nonna qui visiblement ne s'attendait pas à ça. Tu m'as pourtant dit que tu n'en avais pas ?

- Non, Nonna, on ne peut pas appeler Francesco mon petit ami, c'est simplement quelqu'un que j'apprécie et avec qui j'ai eu une petite aventure, sans lendemain.

- Je vois. Réponds Nonna, soudainement aussi sombre que Biagio la veille. Elle prend une longue respiration puis elle reprend :

- En plus d'être un homme jaloux et possessif, comme beaucoup de mâles italiens, Biagio est aussi un homme bien plus sensible qu'il ne veut le montrer. De plus, comme chacun d'entre nous, il a ses secrets. Lui seul peut décider de te parler de son passé et j'espère sincèrement qu'il comprendra qu'il est important qu'il le fasse, s'il souhaite se rapprocher de toi.

- Il est tellement secret ! Je ne pense pas qu'il souhaite que quelque chose se passe entre nous. Et probablement que je ne le souhaite pas non plus. Nous sommes beaucoup trop différents.

- Vous n'êtes pas si différents, lui et toi. Crois-moi, vous avez plus de choses en commun que tu ne le penses. Mais il faut que vous le découvriez par vous-même. Et le temps ne semble pas encore venue.

- Je crois que vous vous faites de fausses idées, chère Nonna. Malgré le temps que j'ai passé au Domaine, Biagio n'a jamais eu une attitude qui aurait pu me laisser croire que je lui plais un tant soit peu.

- Et toi ma fille, en as-tu eu ? Est-ce que tu as essayé de lui montrer qu'il te plaît ?

- Non, mais à quoi bon si je ne suis pas certaine que nous puissions nous entendre sur le long terme ? Je suis sincèrement désolée si cette rencontre imprévue avec Francesco l'a blessé ou lui a donné une mauvaise image de moi et je regrette de partir sans avoir pu en discuter avec lui.

- Ne t'en fais pas, vous aurez d'autres occasions. Je te l'ai dit, le temps ne semble pas encore venu, mais il viendra ma fille, il viendra ! Me dit-elle en tapotant ma main d'un air convaincu.

Après le déjeuner, je monte dans ma chambre pour terminer ma valise. Cet endroit va me manquer. Tout comme la vue magnifique sur les vignes et les oliviers ainsi que le calme de la nature Toscane. Et que dire de la vie au Domaine, la préparation des repas avec Louisa, les baignades avec Maria et les après-midi en compagnie de Biagio. Bientôt, je serai seule dans mon appartement avec pour tout fond sonore, le bruit de la rue.

Quelques heures plus tard, je me sens terriblement mélancolique en laissant tout cela derrière moi. Ne pas avoir revu Biagio avant mon départ n'arrange rien. Maria n'est pas plus enchantée que moi de quitter son lieu de farniente préféré. Même si retrouver Florence reste tout de même un plaisir pour ma part, je sais que ce n'est pas le cas pour mon amie. D'ailleurs, nous avons à peine dépassé l'allée de cyprès qui conduit du Domaine à la nationale, qu'elle entame sa longue litanie concernant son peu d'envie de retourner travailler. Son humeur devient encore plus morose, quand nous entrons dans la ville et retrouvons la présence envahissante des touristes, pour qui la pleine saison n'est pas encore terminée.

CORRECTION

Settembre

Pendant les vacances, que j'avais imaginées studieuses, j'ai pris du retard dans l'écriture de mon roman. Au Domaine, je me suis contentée d'écrire sur mon cahier. La semaine suivant mon retour, je passe donc le plus clair de mes journées à taper mon texte. Et pour tout dire, j'y passe également une partie de mes nuits. Afin de ne pas rester cloitrée chez moi, j'ai pris l'habitude de m'installer à la terrasse d'un bar, situé sur la place Santa Croce. Le patron, qui adore la France, est toujours accueillant et bienveillant avec moi. Me voyant attablée pendant des heures, il met gentiment à mon unique disposition, une petite table ronde et une chaise. Je peux y rester autant que je le souhaite, sans prendre la place de clients potentiels et surtout sans être obligée de consommer régulièrement. De temps à autre, le patron me demande si mon histoire avance bien et si je vais le mentionner dans mon roman. Je lui assure que oui. Mes personnages ne sont ni plus ni moins que les personnes que je côtoie, pas seulement mes amis, mais également les commerçants. C'est un plaisir de mettre en scène ceux qui rendent mon année à Florence si merveilleuse. Je songe même à ajouter un lexique des bonnes adresses à la fin de mon livre.

J'aime écrire au-dehors, car l'inspiration surgit parfois en observant la vie autour de moi. Que ce soit la mine renfrognée de ce touriste qui, à la fin de la journée semble fatigué de marcher sous cette chaleur accablante ou le visage souriant de son épouse, toujours aussi alerte et s'extasiant sur chaque détail de la place. Je note tout dans un carnet pour y piocher des idées au besoin. J'ai envoyé plusieurs extraits à mon éditeur, qui semble satisfait, même si comme tout bon éditeur, il me suggère d'améliorer telle partie ou de couper tel passage qui lui semble non essentiel. Je tiens peu compte de ce qu'il me dit, car pour le moment, j'écris ! Le temps de la correction n'est pas encore venu et je sais d'expérience que ce sera long et fastidieux. Je ne m'en occuperai sérieusement qu'une fois rentrée en France. Combien de mois me restent-ils avant mon retour ? Sept. Ce qui me laisse largement le temps de profiter de ma belle Florence.

Tandis que je fais une pause en sirotant une limonade, mon téléphone sonne. Le numéro de Francesco s'affiche.

- Ciao Sabina! Come stai ? Tu es de retour à Florence ? Me questionne-t-il à peine ai-je décroché.

- Oui, depuis plusieurs jours. Tout va bien pour moi et toi, comment vas-tu ?

- Molto bene ! Il faut que je te vois rapidement, pour te parler de quelque chose, tu te souviens ?

Evidemment que je m'en souviens ! Je pensais que c'était lui qui avait oublié ou bien changé d'avis et à aucun moment je ne me serai permis de le relancer.

- Est-ce que tu veux venir dîner à la maison ce soir ? Lui dis-je sans croire qu'il puisse accepter. Le connaissant, il y a plus de chances qu'il me propose de le rejoindre pour prendre un verre.

- Con piacere ! Répond il à mon grand étonnement. Vers 20h00, c'est bon pour toi ?

- C'est parfait ! Cela me laisse le temps de faire quelques courses. Alors, à tout a l'heure.

Je n'ai aucune idée de ce que Francesco va me proposer et pour être honnête, je suis davantage curieuse de savoir comment va se dérouler ce repas en tête à tête. Nous n'avons plus été seuls depuis cette chaude après-midi chez lui. Mais, après notre rencontre au restaurant et la présence de cette femme à ses côtés, probablement que je ne dois m'attendre à rien de plus qu'à un simple repas amical.

Lorsque Francesco franchit le seuil de ma porte, son baiser sur ma bouche, aussi furtif soit-il, donne immédiatement une tout autre perspective de la soirée. Malgré ma surprise, j'essaie de rester naturelle. Je brûle d'envie de lui poser des questions concernant celle qui l'accompagnait la dernière fois que nous nous sommes vus mais, d'expérience, je sais que je dois m'abstenir. De plus, quelque soit sa réponse, comment pourrais-je être sûre qu'il me dit la vérité ? Aussitôt, mes conversations avec Marco, au sujet des heures où je le voyais connecté sans qu'il m'écrive, ainsi que tous mes soupçons concernant d'autres femmes, me reviennent en mémoire. Je ne sais pas combien de mensonges celui-ci a pu inventer, quand il n'arrêtait pas simplement de me répondre, pour bien me faire sentir son agacement. Il est donc hors de question que je fasse de cette soirée un interrogatoire qui risquerait de gâcher nos retrouvailles. Même si Francesco n'est pas Marco, je connais trop bien les séducteurs pour ne pas avoir conscience que la meilleure chose à faire est de ne poser aucune question. De toute évidence, cette fille ne compte pas plus qu'une autre, puisque c'est avec moi que Francesco passe la soirée. Soirée qui ne fait que commencer. Nous en sommes encore à l'apéritif, quand il m'expose ce pour quoi il est venu me voir.

- Je vais partir à Rome quelques jours. M'annonce-t-il. J'ai reçu une proposition pour m'occuper d'un groupe de touristes. Un de mes amis devait s'en charger mais il a un empêchement et il m'a proposé de le remplacer. Tu ne connais pas Rome, n'est ce pas ?

- Non, en effet, je n'y suis jamais allée.

- Bene, alors est-ce que tu aimerais m'accompagner ? C'est l'occasion rêvée de te faire découvrir la capitale ? Qu'est-ce que tu en dis ?

Je suis tellement surprise qu'il me faut un moment avant de comprendre.

- Tu veux que je t'accompagne ? A Rome ? Pour quelques jours ?

Il rit devant ma mine stupéfaite et ajoute;

- C'est exactement ce que je viens de te dire ! J'ai réservé une chambre dans un hôtel que je connais bien. Il est un peu excentré mais vraiment agréable. Tu pourras te joindre au groupe lors des visites et le reste du temps, nous nous promènerons tous les deux. ça te tente ?

- Bien entendu ! Je suis juste tellement surprise que tu me le proposes ! Merci !

- Je t'en prie ! Je suis sûr que tu vas adorer. Par contre, dit-il avec un petit sourire charmeur, nous partagerons la même chambre, j'espère que ce n'est pas un problème ? Et il pose ses lèvres sur les miennes avec gourmandise. Je suis plus troublée que je ne veux le montrer et je réponds sur un ton humoristique.

- Si ce n'est que pour quelques nuits, je devrais pouvoir survivre.

- Tu crois ? Même si je te fais l'amour chaque nuit et peut-être un peu plus ?

- Je vois ! En fait, c'est du tourisme sexuel que tu me proposes.

Francesco éclate d'un rire sonore.

- Nooo ! Disons que j'entends joindre l'utile à l'agréable. Dit-il en m'embrassant plus passionnément.

Je sens que le dîner va attendre. Je suis déjà à moitié nue quand il m'entraîne dans la chambre où mon lit, plus confortable que mon petit canapé, n'attend que nous. Je retrouve la même fougue que lors de notre premier ébat. Francesco n'a pas son pareil pour allumer le feu qui me consume. Le parfum épicé de sa peau et la douceur de ses cheveux caressant mon corps, rendent chaque effleurement terriblement sensuel. Son regard me renvoie l'image de la femme désirable que j'oublie si souvent que je peux être. Entre les bras de Francesco, mon corps exulte. Tout est parfait et intense. Je n'ai plus qu'à le suivre pour ressentir des sensations incroyables. Et le plaisir qui ne cesse de monter, finit par nous emporter tous les deux.

Finalement, ce petit entracte nous a mis en appétit. Nous dînons, encore à moitié nus, le regard brillant et pour ma part encore affamée du corps de mon bel amant. Je suis étonnée de me découvrir si gourmande des caresses de mon bel italien. Ce n'était pas le cas lorsque j'étais avec Marco. Il n'avait pas cette sensualité, cette envie de bien faire. Il baclait la chose la plupart du temps. Avec Francesco, le désir prend le temps de s'éveiller et de croître jusqu'à ce qu'il me pousse à m'abandonner totalement. C'est sans doute la raison qui me pousse à lui proposer de rester dormir. Mais comme je devais m'y attendre, Francesco m'explique qu'il ne peut pas car cette fois encore, il a des choses à faire. J'ai du mal à cacher ma déception. Il y a si longtemps que je n'ai pas dormi avec un homme. Le contact d'un corps chaud contre le mien au réveil me manque. Francesco me serre dans ses bras et me dit que d'ici peu, cette lacune sera comblée et que nous aurons plus d'une nuit pour profiter l'un de l'autre.

- Mais est-ce que je vais te revoir avant que nous allions à Rome ?

- Pourquoi pas ! Réponds le bel italien. Il faut qu'on organise notre escapade romaine. Mais en attendant, il me reste encore un peu de temps. Que dirais-tu si nous retournions un moment dans ta chambre ?

Un peu avant minuit, Francesco sort du lit et s'habille. J'admire son corps musclé à la lueur du réverbère qui, depuis la rue diffuse un peu de clarté dans la chambre. Une fois vêtu, il s'approche du lit, soulève le drap qui dissimule mon corps et sa bouche s'empare avidement de mon téton, nous faisant pousser, à l'un comme à l'autre, un soupir de contentement. Puis il m'embrasse et me propose de rester au lit, il claquera la porte derrière lui.

Et tandis qu'il quitte l'appartement, je me laisse glisser dans le sommeil, le corps repu de baisers et de caresses.



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