Autunno

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Pour nous rendre de Florence jusqu'à Rome, Francesco a décidé que nous prendrions le train. Les deux villes sont distantes d'environ une heure trente et le bel italien m'a assuré qu'il est impossible de circuler en voiture dans Rome, si l'on n'est pas romain. Le reste du temps, lors de nos déplacements, nous prendrons les transports en commun.

A Rome, nous descendons à la bien nommée station Termini. De là, nous rejoignons la gare routière attenante et prenons le bus en direction de la Via Santa Croce in Gerusalemme. C'est là que se trouve notre hôtel. Les romains ne font plus attention aux merveilles qu'ils croisent sur leur chemin, mais pour ma part, je suis en admiration chaque fois que j'aperçois le moindre monument ou vestige disséminé un peu partout en ville. Ici, nous passons sous une arche datant de l'antiquité, là se tient une basilique qui doit receler mille merveilles et ici, quelques colonnes grignotées par la pollution. Francesco, toujours heureux devant mon enthousiasme historique, se fait une joie de m'expliquer de quoi il s'agit. Une vingtaine de minutes plus tard, il m'informe que nous allons descendre au prochain arrêt. Face à nous, des marches montent vers une petite place qui débouche sur le parvis d'une imposante église. Francesco se dirige droit vers celle-ci. Est-ce qu'il compte me faire visiter le lieu alors que nous avons encore nos bagages avec nous ? Ne serait-il pas plus judicieux d'aller d'abord à l'hôtel avant de commencer à faire du tourisme ? Mais d'ailleurs, où est-il cet hôtel, car j'ai beau tourner la tête dans tous les sens, je ne vois aucune enseigne, ni rien qui y ressemble. A quelques mètres du parvis, Francesco tourne sur la droite. C'est alors que je me rends compte, que la basilique est entourée de part et d'autre, par un édifice couleur de sable. Je l'aurai sans doute remarqué, si la façade monumentale et légèrement avancée de l'église n'avait attiré toute mon attention. Et effectivement, les multiples fenêtres de ce bâtiment n'ont rien à voir avec les vitraux des églises. Au-dessus d'une porte aux vitres fumées, je peux lire sur un panneau discret "Hôtel Santa Croce in Gerusalemme". Incroyable ! Francesco, à qui je fait part ma surprise m'explique que la basilique est encastrée dans l'hôtel et que toute la partie hôtelière est en fait l'ancien couvent où vivaient les moines.

Nous entrons dans le hall éclairé par une lumière douce qui donne un air chaleureux à l'ensemble. Derrière le comptoir de la réception, une jeune femme nous souhaite la bienvenue et tandis que Francesco nous enregistre, je détaille les lieux. Le plafond est très haut et le sol dallé de pierre. Une table en bois immense, probablement un vestige du mobilier de l'ancien réfectoire, se trouve près du mur sur ma droite. Dessus, trône un petit écriteau indiquant qu'ici se situe le point Wi-Fi. Quelques personnes y sont attablées avec leurs ordinateurs ou leurs tablettes, tandis que d'autres, sont installées en face, sur des fauteuils, leur téléphone en main. Il n'y a pas de Wi-Fi dans les chambres, nous explique la réceptionniste. Francesco m'avait déjà informé de ce petit désagrément mais peu m'importe, j'aurai sûrement mieux à faire que de passer mon temps sur internet. La jeune femme, vêtue de noir et blanc remet les clefs à Francesco et propose de nous accompagner jusqu'à notre chambre. Mais celui-ci décline, expliquant qu'il connaît bien l'hôtel. Nous montons quelques marches pour franchir une immense porte en bois qui, étrangement, donne sur le parvis intérieur de la basilique. Presque aussitôt, après avoir marché quelques mètres, nous pénétrons par une porte sur la droite dans un couloir où un grand escalier de pierre s'élève vers je ne sais où et nous arrivons dans un minuscule patio. Un nouvel escalier nous fait face. Le patio est rustique, entouré de quatre murs hauts et très abîmés. Au centre, quelques plantes subsistent comme elles le peuvent et une légère odeur d'humidité s'élève de l'ensemble. La pluie doit s'engouffrer plus facilement que le soleil dans cette sorte de grand tube de pierre. Nous descendons une dizaine de marches et nous arrivons dans un long couloir. Le plafond vouté et les objets religieux qui sont exposés dans des vitrines ici et là, me rappellent que nous sommes désormais dans l'ancien couvent. Je peux facilement imaginer les moines marchant lentement, sandales aux pieds et chantant des cantiques. Tout au bout de cet interminable couloir, apparait une porte et derrière, un ascenseur ultra moderne qui contraste avec l'ensemble du bâtiment. Il est entièrement vitré et se trouve au centre d'un splendide escalier en pierre, doté d'une très jolie rambarde en fer forgé. Nous entrons dans la vaste cabine et l'ascenseur s'élève lentement. Je comprends l'utilité des parois transparentes en découvrant les tableaux religieux, anciens et gigantesques qui sont exposés sur les murs. Ils nous accompagnent tout au long de notre ascension et il me semble impossible de les admirer convenablement lorsqu'on emprunte l'escalier.

Arrivés à notre étage, je suis Francesco dans un nouveau couloir, plus étroit et assez sombre. De part et d'autre se trouvent des portes, toutes identiques, qui ouvrent sur des chambres et justement, Francesco s'arrête enfin devant la notre. J'entre dans une pièce exiguë où un grand lit s'empare quasiment de tout l'espace, encadré par deux tables de chevet. Un bureau où trône une télévision ainsi qu'une armoire contenant un petit coffre-fort, composent le mobilier de la pièce. L'ensemble est un peu vieillot et le bois vernis est blessé d'avoir reçu trop de coups de valise. Le tout est assez austère mais s'accorde parfaitement avec le lieu. Dans une pièce attenante, tout en longueur, se trouve la salle de bain agencée d'un lavabo, d'une douche, d'un WC et bien entendu, de l'indispensable bidet si cher aux Italiens. Il n'y a pas de fenêtre dans cette pièce mais celle qui se trouve dans notre chambre donne sur des jardins et sur ce qui me semble être un ancien clocher munit d'une énorme horloge, qui visiblement ne fonctionne plus.

Pour Francesco, tout cela est du déjà vu. Il range quelques affaires dans l'armoire, va se rafraichir dans la salle de bain puis s'écroule sur le lit en m'attirant dans sa chute ! Le soir tombe et j'ai un peu faim, mais de toute évidence, c'est une autre sorte de faim qui tenaille mon bel italien. Je proteste mollement, tout en expliquant que j'aimerais moi aussi me rafraichir avant d'aller dîner. Mais, je finis par céder sous ses caresses et je me laisse dévorer par un Francesco qui, pour une fois donne dans la "restauration rapide". Peu m'importe, nous avons plusieurs nuits devant nous pour nous rattraper.

Bien que nous ne soyons pas dans un quartier touristique, il y a tout de même plusieurs restaurants proches de notre hôtel. Francesco m'emmène dîner dans l'un d'entre eux et commande deux plateaux d'antipasti ainsi qu'un verre de Spritz chacun. Les plateaux qui nous sont servis quelques minutes plus tard, sont composés de petites verrines, de bruschetta, de charcuteries italiennes, de petites tartes salées, de feuilletés et de tranches de fromages. Les Spritz sont présentés dans des bocaux faisant office de verre, agrémentés d'une paille. L'ambiance ici est décontractée et les serveuses sont sympathiques. Les clients sont des locaux qui s'apostrophent d'une table à l'autre, sans forcément se connaitre. Je suis étonnée de découvrir les Romains si aimables. Je m'étais imaginée que, comme bon nombre de personnes vivant dans une capitale, ils auraient une fâcheuse tendance à être désagréables et stressés.

- Demain matin, me dit Francesco en terminant une tranche de Prosciutto, nous irons voir le Colisée. Malheureusement nous ne ferons ni la visite des ruines, ni celle du Forum Romain car cela nous prendrait des heures. L'après-midi, je t'emmènerai visiter le Panthéon qui n'est pas très éloigné du Colisée. Mais, prévois de bonnes chaussures car nous allons beaucoup marcher. Tu verras, c'est une belle balade et elle te réservera quelques surprises.

Je laisse à Francesco le soin d'établir le programme qui lui semble le plus adapté, car n'ayant jamais visité Rome, j'ai tout à découvrir. Le repas terminé, nous rentrons directement à l'hôtel. Le quartier n'offre ni distractions, ni lieux agréables où nous promener. Quant aux poubelles qui s'amoncellent sur les trottoirs, elles n'invitent pas vraiment à la flânerie. Dans la chambre, Francesco allume la télévision pour regarder un programme de variétés sur la RAI. Bien que je sois en Italie depuis des mois, j'ai toujours du mal avec ce style d'émissions. Surtout avec les présentatrices qui semblent sortir tout droit d'un monde fantasmé par les hommes. La plupart sont affublées de tenues d'un goût douteux plus que provocantes. Mon sang Français réagit de façon épidermique aux mauvais goûts et à la vulgarité. Francesco lui, semble grandement apprécier cette foire aux décolletés, aux jupes trop courtes et aux blondes décolorées maquillées comme des camions volés. Je me garde bien de critiquer son choix. Peu m'importe du moment que je sens la chaleur de son corps nu contre le mien, de son bras qui entoure mon épaule et que ma tête repose contre son torse. Je respire son parfum, j'entortille ses poils autour de mon doigt et à nous voir ainsi, presque comme le serait un couple amoureux, je ne peux m'empêcher d'espérer que cette petite escapade romaine nous rapprochera davantage. Mais pour commencer, j'aimerais qu'il s'occupe de moi un peu mieux qu'il ne l'a fait avant que nous allions dîner. Ma main s'aventure sous les couvertures. Francesco reste impassible et concentré sur son programme télé. Mais sous le drap, qui se soulèvent légèrement, j'ai la preuve indiscutable que mes caresses ne le laissent pas indifférent. Je glisse mes doigts jusqu'à son membre dressé et je lève les yeux vers lui. Il me fait signe du regard qu'il aimerait regarder son émission tranquillement. Mais je remarque le petit rictus amusé sur le coin de ses lèvres. S'il veut jouer, nous allons jouer ! Ma bouche remonte jusqu'au lobe de son oreille où elle s'attarde sensuellement avant de descendre le long de son cou. Il frissonne mais garde les yeux fixés sur l'écran. Ma main accélère son mouvement de va-et-vient tandis que de mes doigts, j'agrémente cette caresse de petites pressions qui finissent par lui soutirer un soupir de plaisir. Il est tendu comme jamais, il respire fort et bientôt ses paupières se ferment un peu, comme s'il allait se laisser submerger par le plaisir. Alors, je me retourne brusquement de l'autre côté tout en lui souhaitant une bonne nuit. Surpris, il prend une demi-seconde pour comprendre ce qu'il lui arrive avant de me sauter dessus, comme un fauve sur sa proie et de se montrer enfin à la hauteur de mes attentes.

Au petit matin, j'ouvre les yeux et je sens immédiatement le corps de Francesco lové contre le mien. Un de ses bras entoure ma hanche et sa jambe est emmêlée entre les miennes. Il semble encore dormir et sa respiration est régulière. C'est tellement bon de sentir sa chaleur et de partager cette intimité avec lui. Je suis si émue par ce réveil câlin que je n'ose pas bouger. Le bel italien n'a jamais été adepte des réveils à deux, il me l'a confié un jour. Pour lui, cela donne un côté un peu trop sérieux à une relation. Pourtant, il va se réveiller plusieurs fois près de moi, dans les jours qui viennent et je ne peux m'empêcher de voir cela comme une preuve que je compte un peu plus que ses conquêtes précédentes. Je sors de mes rêveries en entendant du bruit dans le couloir. Il fait jour dehors et nous avons des visites de prévues, alors je me tourne délicatement et je caresse son visage et ses boucles brunes. Il ouvre les yeux et me sourit. Il me demande aussitôt l'heure qu'il est et pousse un soupir rassuré en apprenant qu'il n'est pas encore 8 heures. Il me serre dans ses bras et me demande si j'ai bien dormi. Puis, il attrape son téléphone posé sur la table de chevet, commence à lire ses messages et afin de pouvoir y répondre, il défait son étreinte. Je suis un peu déçue qu'il ne prenne pas le temps de savourer notre premier réveil ensemble, mais je n'ai pas envie de passer pour une râleuse, alors je me lève et je file sous la douche. Lorsque j'en sors, il vient tout juste de poser son téléphone et se lève pour aller se laver à son tour. Nous échangeons peu de mots et je me rassure en pensant qu'il est probablement de ces personnes qui ne sont pas du matin. Nous nous rattraperons dans la journée.

Lorsque nous sommes prêts, Francesco m'entraine pour un petit déjeuner sur le toit de notre hôtel, où se trouve une grande terrasse avec une vue fort agréable sur une partie de Rome. Le petit déjeuner est en libre-service, composé de toutes sortes de produits laitiers, de viennoiseries et de pains, mais également de charcuteries, de fruits et de céréales. Francesco se sert généreusement et me conseille d'en faire autant, car une longue journée au grand air nous attend. Nous sommes installés au soleil, parmi d'autres touristes heureux d'être là et prêts eux aussi à aller visiter les merveilles de la ville. Les pigeons vont et viennent entre les tables à la recherche de quelques miettes. Francesco, dont les boucles brunes s'agitent au moindre souffle d'air, illumine à lui seul ce tableau idyllique. Je suis heureuse qu'il m'ait demandé de l'accompagner à Rome. L'aurait-il fait si je n'avais pas un peu d'importance à ses yeux ? Soudain, il me semble entendre Maria qui, du fond de mon esprit, me met une fois de plus en garde contre le bel italien et plus encore, contre mes attentes vis-à-vis de lui. Je souris malgré moi et je fais immédiatement taire cette petite voix rabat-joie, car quoi que Maria en pense, c'est bien avec moi que Francesco se trouve et avec personne d'autre ! Etrangement, le fait de penser à Maria réveille le souvenir de Biagio. Je ne sais pas pourquoi car je n'ai plus de nouvelle de lui depuis que j'ai quitté le Domaine. Cela m'a peiné au début mais après tout, qu'il aille au diable ! Je n'ai rien fait de mal. Lui et moi nous étions seulement des amis et il n'avait aucune raison de réagir comme il l'a fait après ce repas où Francesco a débarqué sans crier gare. Maria trouve des excuses au silence de son cousin en disant qu'il un grand projet en cours et plus vraiment le temps de se divertir. Comme s'il en avait eu le temps un jour ! Je me demande si ce besoin de travailler sans relâche ne lui sert pas à masquer la solitude dans laquelle il s'est enfermé. Jamais Biagio n'aurait pris le temps de passer quelques jours à Rome avec moi. Et de toute évidence, au vu de son silence, il n'en aurait, de toute façon, jamais éprouvé le désir.

Le déjeuner à peine terminé, nous quittons l'hôtel et sautons dans le premier bus en direction du Colisée. La circulation est dense et le trajet loin d'être rapide. Mais finalement, au bout d'une longue avenue, j'aperçois enfin l'enceinte de pierre, qui s'agrandit au fur et à mesure que nous approchons. Comme la plupart des personnes, nous descendons à l'arrêt suivant. Face à nous, l'antique Colisée est impressionnant. Francesco me laisse l'admirer un moment avant de m'entrainer pour en faire le tour. Une foule de touriste patiente dans une queue interminable qui se prolonge longtemps une fois dans l'enceinte. Je comprends mieux pourquoi le bel italien a préféré que nous nous contentions de l'admirer de l'extérieur.

- Tout ça pour voir des pierres alors qu'il y en a partout dans Rome ! Me dit Francesco d'un air moqueur.

Plus nous approchons de la foule et plus nous sommes assaillis par des rabatteurs et des vendeurs à la sauvette, qui nous proposent des casquettes, des perches pour nos téléphones ou encore des bouteilles d'eau. Ils sont souvent insistants et c'est pénible d'être sollicités de la sorte. Nous faisons le tour complet du Colisée et de temps à autre, j'arrive à voir l'intérieur. C'est vrai qu'il ne semble rien y avoir d'autre que des ruines et des gradins de pierres. J'admire la splendeur de ce monument que je n'imaginais pas si imposant. Je suis toujours impressionnée de voir ce que des hommes ont pu construire avec si peu de moyens techniques. Lorsque nous avons terminé, Francesco m'entraine sur la Via dei Fori Imperiali, qui relie le Colisée à la Piazza Venezia. C'est une immense avenue où des ruines et des vestiges de l'Antiquité s'offrent aux yeux des touristes. Là encore, des vendeurs de toutes sortes et des hommes déguisés en gladiateur, centurion et même en cupidon, arrêtent les touristes et leur proposent de faire une photo en leur compagnie, contre quelques pièces. Tout au bout de l'avenue, un imposant monument tout de marbre blanc, me laisse sans voix ! Je ne sais rien de cet édifice dont j'ignorais purement et simplement l'existence ! C'est une profusion de colonnes et de fontaines avec en son centre une statue équestre. Sur le toit, de part et d'autre du bâtiment, se trouvent deux immenses chariots tirés par des chevaux et guidé chacun par un ange. Une fois arrivés en face de l'édifice, Francesco s'arrête au pied d'un grand escalier. Et pendant que j'admire chaque détail de l'ouvrage, il m'explique:

- Ce bâtiment a été construit a été construit entre 1885 et 1911. Il est encore tout jeune par rapport au reste des monuments de Rome. Il est dédié au premier roi d’Italie, Victor-Emmanuel II et à travers lui, à l’unité de l’Italie. La façade comporte de nombreux symboles de cette unification. Tu vois les 16 sculptures du fronton ? Elles représentent les régions d’Italie réunies. Au milieu, sur le perron, c'est le monument au soldat inconnu. Et là, me dit il me levant son doigt vers l'immense statue, c'est la statue du Roi, qui fait 12 mètres de hauteur !

- C'est grandiose ! Je n'avais aucune idée de son existence ! C'est une magnifique découverte !

- Magnifique, vraiment ? Sais-tu comment les Romains l'appellent ? « La machine à écrire » ou encore le « Gâteau de mariage » ! Dit-il en riant, et c'est vrai que si tu l'observes bien, ça y ressemble un peu ! Un énorme gâteau de mariage pleins de crème ! L'architecture italienne dans tout ce qu'elle a de plus tape-à-l'oeil !

- Sans doute, mais quand même, c'est magnifique ! Dis-je totalement sous le charme

- Ici tu as toute l'histoire de l'Italie sur quelques mètres, reprend le bel italien. Regarde, en face c'est le Palazzo di Venezia, c'est là où Mussolini faisait quasiment tous ses discours. Et tu vois là, il y avait tout un quartier habité qui, aujourd’hui, n’existe plus, rasé sous Mussolini pour bâtir la Via dei Fori imperiali. Mais, avoue que c'est une belle avenue qui dégage la vue sur les plus belles ruines de Rome !

Nous nous attardons un moment, sans toutefois monter le grand escalier qui mène sur la terrasse du bâtiment. D'après Francesco, la seule chose intéressante dans ce monument, c'est la vue depuis le toit terrasse. Seulement, il faut payer près de 10 euros juste pour emprunter l'ascenseur ! Francesco ajoute qu'en tant que guide, il comprend mieux que personne qu'il faille verser une contribution pour l'entretien de tant de merveilles, mais que pour cette fois, nous allons passer notre tour ! Il m'entraine aussitôt vers d'autres découvertes. En chemin, des monuments, des églises, des ruines ou un chantier de fouilles attirent notre attention. La matinée passe sans que je m'en rende compte, jusqu'à ce que mon ventre se souvienne de l'heure. Il grogne de mécontentement ! Heureusement, les restaurants ne manquent pas. Par contre, en trouver un avec deux places de libre en terrasse, se révèle un peu plus compliqué.

Finalement, nous trouvons une table en extérieur sur un bout de trottoir, dans une sorte de cantine, qui ne vend que des plats surgelés et réchauffés. Peu importe, nous sommes face à une jolie place où quelques vestiges émergent d'anciennes fouilles. Tandis que je termine mon assiette, Francesco me parle du programme qu'il a prévu pour le lendemain. Nous irons au Vatican où il sera guide pour un groupe de touristes. Nous avons rendez-vous sur la place Saint Pierre et ensuite nous irons visiter le musé. Malheureusement, la visite ne comprend pas la découverte de la Basilique. Il faudra que je revienne à Rome pour découvrir tout ce que je ne peux pas voir pendant ce séjour. Peut-être que Francesco me proposera une autre escapade ? Mais, tandis que je rêve tout éveillée, je constate que les yeux de mon bel italien traînent sur les paires de jambes qui défilent sur le trottoir et parfois même sur les fessiers. J'essaie de ne pas m'en agacer et je me mords les lèvres afin de ne pas lui faire une réflexion. A la place, je décide de suivre son exemple en regardant de façon très appuyée un homme qui passe près de nous. Mais Francesco ne semble pas s'en offusqué, pas plus que de mes sourires mielleux au serveur lorsqu'il nous apporte notre dessert.

Après un ristretto stimulant, la visite reprend. Nous suivons une petite rue ornée de magasins de souvenirs, avant de déboucher sur la Piazza della Rotondo. C'est ici que se trouve le Panthéon. Le temps superbe une heure plus tôt tourne à présent à la pluie et je suis impressionnée par la vitesse avec laquelle les marchands ambulants et ceux à la sauvette troquent les casquettes marquées Roma pour des imperméables en plastique eux aussi imprimés au nom de la capitale italienne.

L'entrée du Panthéon est gratuite. Ce bâtiment circulaire, bien que rempli par la foule, dégage une impression de paix de par sa dimension et son côté sacré. Sa coupole percée d'une vaste ouverture, attire tous les regards.

- C'est le bâtiment antique le mieux conservé de la ville, m'explique Francesco. Sa construction a commencé en 27 avant JC mais par la suite, il a été très endommagé par deux incendies. Le temple et la coupole ronde caractéristique ont été construits au deuxième siècle sous l’empereur Hadrien. Cette ouverture a été pensée pour que les fidèles soient directement en contact avec le ciel car à l’origine, le Panthéon était un temple dédié à toutes les divinités de la religion Antique. Au VIIe siècle, il fut converti en église et aujourd'hui encore, la messe y est célébrée.

Tandis que nous faisons le tour en admirant l'architecture et les statues, la pluie qui s'est mise à tomber, pénètre par le trou de la coupole. Un attroupement se forme aussitôt afin d'admirer le spectacle des gouttes d'eau s'engouffrant dans l'édifice. Une imposante flaque apparait bientôt sur le sol en marbre. Certains touristes se laissent mouiller volontairement, comme si l'eau entrant dans le bâtiment était bénite. La plupart des têtes sont levées et semblent subjuguées par ce spectacle un rien mystique et tellement imprévu.

Mais une fois dehors, la pluie n'a plus du tout le même charme ! Afin de continuer la balade dans les meilleures conditions, nous investissons dans l'un de ces hideux impermeables en plastique, que les marchands du temple essayent de nous vendre à chacun de nos pas ! Recouverts l'un et l'autre par cette bâche à capuche estampillée Roma, verte pour moi et jaune pour Francesco, nous voilà prêts à affronter l'averse. Nous nous mêlons à la foule encapuchonnée et bariolée, qui marche à pas rapides dans les rues devenues glissantes.

Au bout de la rue, se trouve une fontaine. Et quelle fontaine ! Gigantesque, fabuleuse ! Un véritable joyau : La fontaine de Trevi. Probablement l'une des plus belles du Monde et certainement, la plus connue ! Elle ramène immanquablement à la scène du bain d’Anita Ekberg et Marcello Mastroianni dans le classique du cinéma « La Dolce Vita ». Nul besoin d'avoir vu le film pour connaître cette scène. Entrer dans la fontaine est interdit, même le temps d'une photo. Une foule impressionnante se masse près du bassin. Et malgré la pluie, munis de leur téléphone, ils immortalisent l'instant d'une photo rapide, capuchon en plastique vif toujours sur la tête !

Francesco a lui aussi sorti son téléphone, mais pas pour prendre des photos. Il envoie des messages à je ne sais qui. Trevi pour lui, c'est du déjà vu. Il est resté à l'écart tandis que je me suis approchée pour admirer les sculptures et les jets d'eau. Lorsque je le rejoins, il me demande si j'ai pensé à jeter une pièce dans l'eau et il m'explique :

- La légende dit que si tu jettes une pièce, tu reviendras à Rome. Si tu en jettes deux, tu trouveras l'amour auprès d'un bel italien ou d'une belle italienne et si tu en jettes trois, tu te marieras avec la personne que tu aimes. Mais au final, tout ce folklore est né d'un film de 1954, " La fontaine aux amours " et l'argent jeté dans le bassin sert à aider les associations caritatives de la ville, ce qui est déjà pas si mal !

Non, je n'ai pas jeté de pièce. Je ne connaissais pas cette légende et de toute façon je ne suis pas superstitieuse. Je crois néanmoins, qu'il me faudrait plus que quelques pièces pour réussir à trouver l'homme de ma vie ! Sans que je le souhaite, le sourire de Marco me revient en mémoire. C'est souvent ce qu'il m'arrive quand je pense à l'Amour. Vite ! Le chasser de mes pensées ! Ne pas m'attarder sur des souvenirs ! Si un jour il vient à Rome avec sa petite amie, j'espère qu'elle aura fait le plein de petites monnaies. Il lui en faudra une bonne quantité en supposant qu'elle fasse le vœu d'épouser Marco!

La pluie semble ne plus vouloir s'arrêter, aussi Francesco propose-t-il de rentrer à l'hôtel. Il voudrait préparer sa visite de demain avant l'heure du dîner. Il trace rapidement un chemin à travers les touristes, me laissant souvent à un mètre derrière lui. Mes beaux espoirs de la veille, concernant un rapprochement entre nous, semblent n'avoir plus aucune raison d'être. A-t-il compris ce que j'espérais secrètement et est-ce sa façon de me montrer que je ne suis qu'une sexe-friend ? Une fois de plus, je pense à Marco. C'était son style aussi, de marcher un mètre devant moi. Mais aujourd'hui, hors de question que cela m'atteigne ! Je n'aime pas Francesco et cela fait toute la différence. Aucun risque de faire une petite dépression une fois de retour chez moi et encore moins de remise en question sur la femme que je suis ou ce que j'ai pu faire de mal. Je n'éprouverai qu'une petite déception de ne pas avoir réussi à partager plus de choses avec lui. Je décide de ralentir l'allure et de regarder les vitrines qui m'intéressent. Il finira bien par se rendre compte qu'il m'a perdue et si ce n'est pas le cas, je suis tout à fait capable de retrouver mon chemin ainsi que le bus à prendre pour rentrer à l'hôtel.

Francesco finit par se retourner et me cherche du regard. Il sourit, comprenant très bien en voyant mon allure d'escargot, que je fais exprès de ne pas aller aussi vite qu'il le souhaite. Il attend que j'arrive à sa hauteur et me dit avec un sourire narquois :

- Il fallait me demander de m'arrêter. J'ai l'habitude de marcher vite mais, je vais ralentir un peu pour vous, Bella Ragazza.

Et à ma plus grande surprise, il s'empare de ma main et reprend son chemin. Je cale mon pas sur le sien, essayant de ne pas avoir l'air trop ravie que nous marchions ainsi comme deux amoureux. Après tout, peut-être que j'ai raison de croire qu'il veut se rapprocher de moi !

***

Le lendemain matin, nous prenons le métro en direction du Vatican. Francesco doit récupérer son groupe à 13 heures, sur la place Saint-Pierre. Nous flânons un moment dans les rues adjacentes, avant d'aller déjeuner dans une cafétéria. Puis nous nous rendons sur le lieu du rendez-vous et tandis que le bel italien, muni d'un bâton où un foulard bleu a été noué en signe de reconnaissance, attend que son groupe se constitue, j'admire cet endroit que j'ai si souvent vu à la Tv. Lorsque tout le monde est là, Francesco se lance dans des explications en anglais et en français, tandis que les touristes photographient plus qu'ils n'écoutent.

- La place mesure 320 mètres de long et 240 mètres de large, déclame Francesco. Elle peut accueillir plus de 300 000 personnes lors des événements religieux les plus importants. Elle est composée de 284 colonnes et ses 88 pilastres et tout en haut, on peut apercevoir 140 statues de saints, réalisées par les disciples de Bernini, en 1670. Au centre de la place se trouvent un obélisque et deux fontaines, l’une de Bernini qui date de 1675 et l'autre de Maderno datant de 1614. L’obélisque, qui mesure 25 mètres de haut, a été amené à Rome depuis l’Egypte en 1586.

Je me tiens à distance de Franceso, préférant me fondre dans le groupe. Je me dois d'être discrète. Pas question que quelqu'un se rende compte que j'accompagne le guide gratuitement. Nous nous rendons ensuite, en file indienne, jusqu'au musée du Vatican. A l'intérieur, la foule se presse et il faut être attentif afin de ne pas perdre le groupe. Il y a tant de merveilles à découvrir mais impossible de nous arrêter sur chaque oeuvre. Alors, Francesco cible les plus représentatives, celles des plus grands artistes. Le musée du Vatican me rappelle un peu celui de la Galerie des Offices à Florence. C'est un enchainement de salles, de tableaux, de statues qui nous éblouissent. Les gardiens sont assis dans un coin et semblent blasés de tout. Nous déambulons, passant d'une salle à l'autre, piétinant sur place le plus souvent, et bien que je sois chaussée de baskets, je commence à avoir mal aux pieds. Chacun de nous attend le clou de la journée : la découverte de la chapelle Sixtine ! Nous y arrivons plus d'une heure après le début de la visite. Les gardiens, cette fois très attentifs, nous font entrer l'un après l'autre, comptant le nombre de personnes et donnant des instructions concernant la prise de photos, strictement interdites dans cette salle. Francesco entraine le groupe au centre de la pièce. Je perds un peu de vue le foulard bleu, car mon regard est happé par trop de merveilles ! La salle étant fermée, je ne risque pas de me perdre. Francesco entraine le groupe au centre de la pièce.Tout le monde a les yeux en l'air et cherche avant tout cette scène où Dieu et Adam ont les index qui se frôlent. Interdit d'appareil photo, chacun se laisse happer par la beauté de ces peintures. L'émotion est palpable. Cette salle, pourtant remplie de centaines de touristes surveillés par des gardiens qui nous rappellent à l'ordre sans arrêt, a quelque chose d'indéfinissable ! C'est comme se retrouver au centre de l'Histoire. Celle passée et celle plus récente, car c'est également dans cette chapelle que les papes sont élus par le conclave. Je suis tellement submergée par l'émotion que je suis au bord des larmes. Je sens soudain une main effleurer la mienne. C'est celle de Francesco qui s'est rapproché sans que j'y prête attention. Il me sourit et je vois dans son regard qu'il est ému à son tour par ma réaction. Parce que je ressens l'Art comme il doit le ressentir lui-même. Il sait que je savoure chaque instant passé au milieu de ce chef-d'oeuvre. Mais ce moment est fugace car déjà, il nous faut quitter la salle pour laisser la place à d'autres visiteurs.

Près de deux heures plus tard, la visite du musée se termine près de l'escalier de Bramante, cet incroyable escalier en colimaçon construit en 1932.

- Il est à double révolution, explique Francesco. Cela signifie qu’il y a deux escaliers, l’un pour monter et l’autre pour descendre. Mais ils sont construits de telle sorte que ceux qui montent ne peuvent pas croiser ceux qui descendent. Le fait qu'il soit construit comme un entonnoir, plus étroit dans sa partie inférieure, fait qu'il en ressort un effet visuel exceptionnel !

Eclairé par la clareté d'une verrière faisant office de puits de lumière au sommet, ses balustrades en métal décorées d'armoiries papales et de cornes d'abondance, rajoutent encore à la magnificence de l'oeuvre. Le groupe s'y attarde longuement, chacun essayant de photographier l'escalier pour en tirer le meilleur effet possible. Puis nous nous dirigeons vers l'extérieur où Francesco salue les participants qui s'éparpillent après lui avoir remis un pourboire.

- Pas de numéro de téléphone cette fois ? Lui dis-je, me souvenant qu'il m'a plusieurs fois raconté que des femmes avaient glissé leur numéro dans un billet tendus à la fin de la visite

- Je n'en ai pas l'impression, me répond-il et peu importe, je suis avec toi. Je ne vais pas te faire l'affront d'accepter un rendez-vous avec une autre !

- Vous me faites trop d'honneur, Monsieur !

- Alors, qu'as tu pensé de cette visite ?

- J'ai adoré ! Mais comme toujours, il y a tellement de choses à voir qu'on n'a pas le temps d'apprécier comme il le faudrait ! J'ai du passer à côté de la moitié des oeuvres ! Et puis, plus de 3 heures de marche, c'est beaucoup, la fatigue finit par prendre le dessus..

- Je sais, je suis épuisé moi aussi. Dit-il en soupirant. Alors si nous rentrions à l'hôtel directement ? Nous pourrons prendre une douche et nous reposer avant d'aller diner.

Mais il semble que le temps du trajet, la fatigue de Francesco soit retombée. En sortant de la douche, alors que je m'allonge à ses côtés sur le lit où il est nu comme un ver, il m'enlace et, du bouts de ses doigts, se lance dans l'exploration minutieuse des contours de mon corps.

- J'aimerais beaucoup te dessiner ou te sculpter, dit-il le plus sérieusement du monde. Reproduire toutes ces rondeurs enivrantes, le galbe de tes seins lourds, la rondeur de tes hanches, les plis voluptueux de ton ventre, tes fesses si rebondies, tes cuisses charnues. Tu es une comme une de ces magnifique sculpture de déesse de la Préhistoire.

Mon esprit, sublimement anesthésié par les caresses du bel italien, n'a pas l'opportunité de faire plus longtemps le rapprochement entre Marco, qui m'appelait "sa déesse" et le beau compliment de Francesco. Je m'abandonne entre ses mains expertes dans l'Art de donner du plaisir. Je me laisse emporter dans un tourbillon de sensations, qui se termine en apothéose sous le contact chaud de ses doigts et de sa langue. Sans attendre que je reprenne mon souffle, il se glisse en moi lentement. Il relève mes jambes pour me pénétrer plus profondément. Son sexe est dur et si tendre à la fois. Le plaisir monte, encore et encore, chacun guettant l'approche de la jouissance de l'autre et espérant qu'elle nous emportera au même moment. Bientôt, je me laisse submerger, le suppliant de me rejoindre, ce qu'il fait dans un cri que les murs, pourtant épais, de notre chambre ne peuvent contenir.

****

C'est déjà notre dernier jour à Rome. Encore sous le charme de notre nuit et de toute la passion dont Francesco a su faire preuve, je le dévore des yeux sous mes lunettes de soleil, tandis qu'il boit son café sur la terrasse de notre hôtel. Dans un soudain élan de tendresse, je pose ma main sur la sienne. Il me sourit, mais la retire au bout de quelques secondes.

- Il est temps d'aller faire un tour, me dit-il en se levant.

Je suis un peu refroidie par sa réaction. Je ne pensais pas que mon geste lui serait à ce point désagréable. Francesco m'emmène visiter la Basilique di Santa Croce in Gerusalemme, attenante à notre hôtel. Une fois encore, la beauté des églises italiennes m'hypnotise ! Rien à voir avec l'austérité de celles que j'ai visitée en France. Ici, tout est décoré, du sol au plafond et mes yeux ne savent plus quoi admirer.

Tout en m'expliquant l'histoire de la basilique, Francesco m'entraine à la découverte des lieux. Nous avançons dans plusieurs salles et autres petites chapelles. Dans l'une d'entre elles, sont exposées des reliques de la Sainte-Croix, ainsi que d'autres objets que les fidèles viennent prier.

- Ici, poursuit Francesco, est préservé un tiers de l'Elogium, c'est-à-dire le panneau pendu à la Croix du Christ. Le fragment montre le mot "Nazaréen" écrit en Hébreu, en latin et en Grec. Il y a aussi deux épines de la Sainte Couronne, un clou incomplet, un grand fragment de la croix du bon larron et trois petites pièces de bois de la Vraie Croix elle-même ! Mais, il y a également l'os de l'index de saint Thomas, que l'apôtre aurait placé dans les plaies du Christ ressuscité, ainsi qu'un reliquaire contenant des petits morceaux du pilier de la flagellation, du Saint-Sépulcre et de la grotte de Bethléem. Il est étonnant qu'avec toutes ces richesses chrétienne, les touristes ne soient pas plus nombreux à venir ici.

Francesco me propose ensuite, de faire un circuit touristique dans un de ces bus proposant la visite guidée de la cité. Nous montons nous installer dans la partie supérieure ouverte, afin de pouvoir profiter au mieux de la vue et du soleil de cette belle journée. La visite de Rome en bus est vraiment très agréable. La circulation, toujours très dense, nous laisse le temps d'admirer monuments, places et fontaines. La voix enregistrée d'un homme sur fond de mandoline, nous donne les informations sur ce que nous découvrons. Nous dépassons le Colisée encerclé de ses touristes puis nous nous dirigeons vers le cirque Massimo, en prenant soin d'éviter les branches des arbres bordant la rue qui souvent se rompent au passage du bus. Sur la piazza Venezia, j'admire une dernière fois le magnifique monument dédié à Victor- Emmanuel II. Puis nous nous dirigeons vers le Vatican et rapidement nous sommes en vue de la place d'Espagne, puis de la villa Borgese que j'aurais tant aimé visiter. Tout au long du trajet, le bus marque des arrêts pour laisser monter ou descendre des personnes. Notre billet est valable toute la journée ainsi nous pouvons descendre où nous voulons, visiter un quartier et prendre le bus suivant. Justement, Francesco me propose de descendre dans une rue très commerçante où il aime aller faire du shopping. Elégant, comme le sont souvent les Italiens, il s'arrête devant chaque magasin de vêtements et me fait entrer dans certains. Je traine un peu les pieds, n'ayant jamais éprouvé de plaisir à faire les boutiques. La plupart du temps, je fais mes achats en ligne, au plus grand désespoir de Maria, qui aimerait tant m'entrainer dans des virées shopping, sans que je passe mon temps à chercher une chaise pour m'assoir pendant qu'elle essaye des dizaines de vêtements.

Nous déjeunons ensuite dans une pizzeria où le service est un peu long etnous donne l'occasion de discuter.

- Je suis heureuse que tu m'aies proposé de t'accompagner. Dis-je à Francesco. Même si je ne sais pas vraiment pourquoi tu m'as choisi moi et pas une autre.

- Tu n'avais jamais visité Rome alors cela m'a semblé être l'occasion rêvée.

- C'est gentil mais sans moi, tu serais retourné plus vite à Florence.

- J'adore Rome. Ce n'est jamais un problème pour moi de venir ici. Tu sais aussi à quel point j'aime partager ma passion pour l'Histoire et l'Art avec des personnes réceptives comme tu l'es !

Devant mon silence et mon petit sourire de circonstance. Francesco un peu inquiet poursuit :

- Sabina, j'espère que tu n'as rien imaginé de plus à notre sujet ?

- Eh bien, en fait si.

- Mais, dit-il en devenant soudain tendu, je t'ai toujours expliqué que je n'ai pas envie d'une relation sérieuse. J'aime ma vie telle qu'elle est et je tiens plus que tout à ma liberté.

- Oui, tu me l'as expliqué. Mais moi, je n'aurais jamais proposé à un homme de m'accompagner, si je n'avais pas eu quelques sentiments pour lui. Donc, oui, j'ai imaginé que peut-être...

- Nous sommes différents, toi et moi, Sabina. Je me suis simplement dit que tu apprécierais ces quelques jours à Rome et que, comme nous avions déjà été amants, nous pourrions joindre l'utile à l'agréable.

- Je vois. Et je comprends mieux certaines de tes réactions à présent.

- Je suis désolé s'il y a eu un malentendu. Ce n'était pas ce que je souhaitais. J'ai réellement cru que tu avais compris qu'il n'y aurait jamais rien de plus que de bons moments entre nous.

- Ne t'inquiète pas, tu n'es pas le premier qui me dit que j'imagine des choses qui n'existent pas !

- Tu es beaucoup trop sentimentale Sabina ! Les hommes peuvent être effrayés par cela ou, à l'inverse, tu peux attirer ceux qui ne voudront que d'une relation sexuelle mais, qui parviendront sans problème à te faire croire qu'ils sont prêts à vivre une belle histoire avec toi. Il leur suffira de te dire des mots doux et de faire rêver.

- Je le sais. C'est d'ailleurs ce qui m'est arrivé avec Marco.

- L'homme qui a le même tatouage que toi ?

- Oui. Comme nous vivions loin l'un de l'autre, je me raccrochais aux mots qu'il me disait. Et il savait parfaitement quoi me dire.

- Certains hommes sont doués pour les belles paroles. Mais tu ne peux pas me reprocher de t'avoir fait espérer ou d'avoir dit quoi que ce soit qui te fasse imaginer que nous pourrions vivre une véritable histoire, toi et moi.

Francesco à raison, je le sais. Nous terminons notre repas avant de retourner arpenter les rues commerçantes. Puis, nous reprenons le bus qui nous dépose à la station termini.

Plus tard, au cours de notre dernier dîner à Rome, Francesco et moi faisons le bilan de notre séjour. Je suis enchantée par notre escapade romaine. Francesco est heureux de me l'entendre dire.

- Finalement, nous nous sommes plutôt bien entendus, dis-je.

- Tu en doutais ?

- Un peu. C'est différent de rester quelques heures avec une personne et de passer plusieurs jours dans le même espace qu'elle.

- Tant que ce n'est que pour quelques jours, ça reste agréable. Dit-il avec un petit sourire que je ne sais pas comment interpréter. Dois- je comprendre qu'il a hâte de retrouver son espace ?

- Ce n'est pas par rapport à toi, Sabina, poursuit-il, ayant compris que j'étais en train de m'interroger. Je suis comme ça, un solitaire.

- C'est étrange tout de même, comme deux personnes peuvent vivre la même chose mais de façon complètement différente ! Car moi, j'aurais pu passer encore quelques jours avec toi sans que cela me dérange.

- Je l'ai bien compris. Nous ne sommes pas faits pareils, voilà tout !

- En effet ! Je n'ai pas le même besoin de liberté que toi. J'espère que ces quelques jours ne t'ont pas paru trop pénibles ?

- Sabine ! Je n'ai jamais dit que c'était pénible ! Dit-il au bord de l'exaspération.

- Non, mais tu es heureux que cela soit terminé.

- Bene, je pense qu'il vaut mieux changer de sujet...

Mais ensuite, un silence gênant s'installe entre nous et même une fois de retour dans notre chambre, nous échangeons seulement des banalités concernant notre départ demain matin. Francesco prétend être fatigué. Il se couche et s'endort immédiatement. Quant à moi, je ressens un profond malaise. Pour la première fois depuis que nous sommes ici, j'ai hâte de retourner à Florence. Demain, il faudra que je sois claire avec lui. Soit nous sommes amis, soit nous sommes amant. Mais mélanger les deux, cela ne me convient vraiment pas.

****

Le lendemain, Francesco et moi quittons l'hôtel, puis Rome, dans une ambiance étrange. Chacun de nous évite clairement de parler en dehors de banalités d'usage et de celles concernant notre trajet jusqu'à Florence. Probablement que le bel italien a réalisé que je serai toujours incapable de prendre notre "relation" avec légèreté. J'aimerais que nous en discutions, car j'ai peur que les non-dits mettent en péril notre amitié. Je cherche, tant bien que mal, une façon d'aborder les choses, tandis que les heures passent dans ce bus qui nous ramène dans notre belle cité toscane. Mais rien ne me vient. Une fois à Florence, nous marchons côte à côte dans les rues animées, jusqu'au croisement où nous prendrons une route différente pour rejoindre nos appartements respectifs. Nous nous faisons une bise amicale et je trouve enfin le courage de lui dire :

- ça ne va pas fonctionner, nous deux. Soit nous sommes amis, soit nous sommes amants, mais je ne peux pas mélanger les deux.

- Je l'ai bien compris. Dit-il.

- Très bien, alors j'espère que nous n'allons pas arrêter de nous voir et que ce que nous avons vécu ne va rien changer entre nous ?

- Mais bien sur Sabina ! S'exclame Francesco en me prenant la main. Être amis est la meilleure solution pour nous deux. Je t'apprécie énormément et j'aurai toujours du plaisir à discuter ou à visiter des musées avec toi. Et puis, il y a une chose que j'aimerais beaucoup faire, si tu acceptes.

- Quoi donc ? Dis-je, intriguée.

- Accepterais-tu de poser pour moi, d'être mon modèle pour une sculpture ? Ton corps m'inspire de bien des façons. Mais, comme tu le sais, je ne fais que des nues.

- Je le sais et je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée que je me retrouve si vite nue devant toi !

- L'Art c'est l'Art ! Je sais me tenir. Dit-il d'un air faussement offensé.

- Laisse-moi y réfléchir. Mais pour le moment, c'est vraiment un peu trop tôt .

- Bien entendu. Je te contacterai d'ici une semaine ou deux.

Francesco pose un nouveau baiser léger sur ma joue, me serre dans ses bras chaleureusement puis s'éloigne d'un pas décidé. Je m'engage dans la rue opposée à la sienne, tout en trainant ma valise dont les roulettes font un bruit infernal sur les pavés Florentins

Chapitre 7 : Ottobre

Je n'ai plus de nouvelle de Marco depuis le mois de juillet. Mais son souvenir n'est jamais loin, ravivé par la vision d'un lieu, celle d'un homme lui ressemblant ou bien par une chanson d'Eros Ramazzoti qui me surprend à la radio. L'été s'est éteint, ma relation avec Francesco a fait long feu et j'ai replongé dans une solitude mélancolique qui, je le sais, est propice aux regrets que mon amour pour Marco ne cesse de provoquer. En y réfléchissant bien, je suis encore incapable de dire que je ne l'aime plus et cela me désespère ! J'avais espéré que Francesco m'aiderait à tourner la page, mais l'absence de sentiments entre nous et l'impossibilité de considérer ce que je vivais avec le bel italien comme une véritable relation, m'en a probablement empêché.

De mémoire, Marco n'est jamais resté aussi longtemps sans m'écrire. Contrairement à moi, il y a déjà longtemps qu'il est passé à autre chose. Pourtant, il continue de regarder chacune de mes stories, sans jamais les commenter. Durant la journée, il est constamment en ligne, ce qui me laisse supposer qu'il n'a pas mis un terme à son activité de séducteur. Il n'y a que le soir qu'il semble se comporter en parfait petit ami. Le fait qu'il vive désormais en couple n'y est sûrement pas étranger.

Mettre installé dans l'appartement que nous avions loué lors de nos vacances ensemble, ne m'aide pas à l'oublier, bien que les deux souvenirs qui reviennent de façon récurrente n'aientt rien à voir avec ce lieu. Le premier, c'est Marco adossé contre un pilier, dans le hall de l'aéroport, attendant patiemment que j'arrive. Et le second, c'est son visage un soir, au restaurant au bout de la rue. Il était tellement beau et solaire ce soir-là, que j'ai immortaliser cet instant dans mon esprit. Bien que je n'aie pas revu Marco depuis très longtemps, je me souviens de la douceur de ses mèches de cheveux bouclées entre mes doigts, ainsi que de sa position préférée pour dormir ou encore des contours de son corps rondelet. Je me souviens aussi de sa démarche, que j'ai eu le temps d'admirer tant de fois quand il marchait un mètre devant moi !

Je sais que j'ai toutes les raisons de le détester, mais comme dit le poète, il me manque la déraison. Sentiment étrange que celui de ne pas être maîtresse de mes émotions. C'est un peu comme assister, impuissante, à une lutte entre mon coeur et mon cerveau. Jusqu'à présent, mon coeur a toujours pris le dessus. Pourquoi ? Pourquoi la raison n'a-t-elle aucun pouvoir sur l'amour ? Ces gens qui semblent capables de passer à autre chose dès qu'ils ont pris conscience que l'autre n'est pas tel qu'il le pensait, sont-ils plus intelligents que moi ? Ou bien n'ont-ils jamais aimé avec la même force que j'ai aimé Marco ?

***

Quelques semaines sont passées depuis mon séjour à Rome, lorsqu'un matin, Francesco m'invite à boire un café. Je suis un peu stressée sur le chemin qui mène au bar où nous avons rendez-vous, mais rapidement, il semble évident que notre amitié est au beau fixe. Je suppose que pour lui, cette situation n'est rien d'autre que de la routine. Me voyant détendue, il me parle à nouveau de son projet de sculpture. Je ne sais toujours pas quoi en penser et comme il me voit réticente, il ajoute :

- Ecoute, tu peux venir avec quelqu'un si tu veux, comme cela tu seras certaine que nous ne cèderons pas à la tentation.

Son petit sourire à la fin de cette phrase est assez explicite. J'ai beau faire mine de ne pas craindre qu'une telle chose arrive, en mon fort intérieur, je sais à quel point je peux être faible !

Je me décide à appeler Maria et à lui parler du projet de Francesco. Pour elle, c'est une merveilleuse opportunité que de servir de modèle à un artiste, même inconnu. Elle me dit que je serais folle de refuser et m'assure qu'elle m'accompagnera, pour me servir de garde-fou.

Ce dimanche matin, le temps est clair et la température encore douce lorsque nous retrouvons Francesco dans sa chambre-atelier. Il a disposé des caisses recouvertes de draps blancs et de coussins, près de la fenêtre. Maria s'installe dans un coin tandis que Francesco m'invite à me déshabiller. C'est un moment un peu génant, car si le bel italien connait mon corps nu, ce n'est pas le cas de Maria. Mais je doute que cela la gène plus que moi ! Franceso me montre comment m'installer. Assise de côté, les jambes légèrement pliées, il pose mon bras droit sur une caisse surélevée, le menton en appui sur le dessus de mes premières phalanges. De l'autre bras, il souligne l'arrondi de mon ventre, le mettant bien en évidence. Une fois satisfait de ma position, il s'installe devant son bloc d'argile. Il sculpte la matière molle d'abord rapidement, puis avec de plus en plus de précision. L'oeuvre ne sera pas très grande et l'artiste m'annonce qu'une seule séance de pose devrait être suffisante. La petite statue tient sur un tour de potier, qu'il fait tourner suivant l'angle qu'il souhaite travailler. Bien qu'il soit parfaitement concentré sur son travail, il discute avec chacune de nous. C'est la première fois que je vois Maria et Francesco ensemble plus de quelques minutes. Francesco ne m'a jamais vraiment parlé de Maria, alors que mon amie m'a souvent mise en garde contre le bel italien. Je me rends compte que si pour lui, Maria semble être une quasi inconnue, ce n'est pas le cas pour mon amie. Maria ne m'a pas caché quelle trouvait Francesco très attirant, mais nous n'avons jamais évoqué l'hypothèse d'une relation entre eux. Pourtant, ils se ressemblent un peu, au moins dans leur façon de vivre leurs relations avec le sexe opposé.

A les écouter parler, il est évident qu'une complicité est en train de naître entre ces deux là. Ils sont souvent d'accord, ils rient ensemble et finissent par ne plus parler qu'entre eux. C'est une étrange sensation qu'être là, nue sous l'oeil de Francesco, ainsi que sous ses mains en quelque sorte, et d'être soudain dépossédée de mon côté sexuellement attractif. Pourtant il y a peu de temps encore, mon bel italien me dévorait avec gourmandise. Je le regarde adoucir la courbe d'un sein du bout des doigts, sans que cela l'émeuve le moins du monde ! Idem quand il façonne mes fesses, qu'il semblait pourtant adorer. Ce qui aurait pu être un moment de grande sensualité, n'est plus qu'un travail pour lui. C'est certainement mieux ainsi. Maria tient son rôle de garde fou au-delà de mes espérances.

Quelques heures plus tard, la sculpture a grandement avancé quand Francesco m'autorise à me rhabiller. Je suis impressionnée par le résultat que je trouve déjà remarquable.

- Il faut que je peaufine les détails, que je fasse quelques retouches, mais je peux le faire de mémoire, me dit-il en me souriant sans y mettre la moindre ironie. Dès que j'aurai terminé, je te le ferai savoir afin que tu viennes me donner ton ressenti, Sabina.

Maria et moi quittons son studio, non sans que je remarque le regard que Francesco et elle échangent.

Et que dire de cet étrange petit sourire que mon amie ne quitte pas tandis que nous marchons dans les rues de Florence.

- Depuis quand connais-tu Francesco, dis-je l'air de rien. Tu m'as souvent mis en garde contre lui mais, je n'ai pas l'impression que lui te connaisse vraiment. En vérité, j'ai même l'impression qu'il vient de te découvrir !

- Oh, cela fait quelques années que nous nous croisons sans nous connaître vraiment. Me répond Maria. Florence n'est pas une si grande ville et finalement nous fréquentons tous plus ou moins les mêmes lieux. De plus, j'ai quelques amies qui ont fait des études d'Art en même temps que lui et elles m'en ont parlé. La plupart ont eu une aventure avec lui, c'est pour cela que je sais que c'est un séducteur et qu'il faut s'en méfier quand on est un coeur d'artichaut tel que toi !

- Et est-ce que je me trompe ou il vient de réussir à te séduire toi aussi !

- Moi ? Dit-elle en éclatant de rire ! Non absolument pas, mais disons qu'il y a une complicité naturelle entre un séducteur et une séductrice

- Probablement, dis-je un peu dubitative.

- Est-ce qu'il y a un souci ? Reprend Maria. Ne va spas t'imaginer ce qui n'existe pas Sabina, et puis Francesco est ton ex et je ne m'aventure pas sur ce terrain-là.

- Non, il n'y a aucun souci. J'ai simplement été surprise de vous voir subitement si complices. Probablement plus complices qu'il ne l'a jamais été avec moi. Mais notre relation est claire à présent, nous sommes simplement des amis et de toute façon, je n'ai jamais eu de sentiments amoureux pour Francesco.

- Vraiment ? Me questionne Maria sans sembler me croire. Tu en es sûre ?

- Sûre de ne pas l'avoir aimé ?

- Oui !

- Absolument ! Il m'a séduite pour tout ce qui me rappelait Marco et il m'a perdue pour les mêmes raisons. Mais nous avons vécu des moments très agréables et grâce à lui j'ai pu reprendre confiance en moi. De toute façon, comme tu me l'as si souvent dit, Francesco est incapable d'avoir une relation sérieuse avec qui que ce soit.

- Parfait ! Alors n'en parlons plus et allons manger un morceau, je meurs de faim !

***

Maria et moi n'avons plus abordé le sujet Francesco. Je me suis rapidement convaincue qu'en effet, j'avais imaginé des choses, probablement parce que cela me dérange de voir que Francesco me traite si rapidement comme une simple copine. Ce qui est certain, c'est que ni Maria, ni le bel italien ne souhaitent vivre une relation durable. Peut-être qu'un jour, ils assouviront un désir aussi violent que fugace, mais les choses n'iront jamais plus loin entre eux. Pourtant, quelques jours plus tard, en recevant un coup de téléphone de Francesco qui souhaite joindre Maria, j'ai de nouveau l'impression que quelque chose se passe entre eux. Sous un fauteuil, Il a retrouvé l'écharpe en tissu que mon amie portait en arrivant chez lui. Il souhaite la lui rendre mais il n'a pas son numéro. Je lui dis alors :

- Tu n'as qu'à passer chez moi prendre un café et déposer l'écharpe, je la lui rendrai lorsque je la verrai.

- Ce serait plus rapide si je la contactais directement, tu ne penses pas ?

- C'est-à-dire que je ne peux pas te donner son numéro sans qu'elle m'y ait autorisé. Mais, je peux lui transmettre le tien, si tu préfères ?

- Oui c'est parfait, faisons comme cela, répond Francesco que je sens emballer par cette idée.

- Parfait. Et sinon, ta sculpture, ça avance ? Est-ce que je pourrais bientôt la voir ?

- Si, Si, elle avance mais il faut que tu sois encore un peu patiente. J'ai eu beaucoup de travail avec les touristes et je ne suis pas encore pleinement satisfait du résultat. Maintenant, il faut que je te laisse, j'ai un groupe qui ne va pas tarder. Buona Giornatta Sabine, a presto

Le soir même, Maria débarque chez moi à l'improviste, comme elle le fait souvent. Elle ne semble pas plus surprise que cela quand je lui explique que Francesco souhaite la joindre et que je lui donne son numéro. Je la soupçonne même d'avoir tout manigancé. Elle rit quand je lui en fais la remarque mais ne nie pas.

- En fait, tu as fais exprès de laisser ton écharpe chez lui !

- Et bien oui et non, me répond- elle. J'avoue que l'idée m'a traversé l'esprit mais ensuite, je n'y ai plus pensé et j'ai réellement oublié mon écharpe.

- Mais pourquoi n'es-tu pas retourné la chercher ?

- C'est évident ! Me dit Maria étonnée que je pose la question. Je voulais voir si Francesco allait essayer de me joindre. Il pouvait très bien te la donner à l'occasion ou bien attendre que nous retournions voir sa création.

- Je ne te comprends pas, dis-je, un peu sonnée par cette révélation. Pendant des années, tu as eu l'occasion de le draguer sans jamais t'y intéresser et subitement, tu lui sors le jeu de la séduction !

- Cela t'embête que je l'envisage ? Il faut que tu me le dises sincèrement, car je ne veux pas que notre amitié souffre pour un simple coup d'un soir.

- Parce que c'est tout ce que tu souhaites ?

- Ou de plusieurs soirs, peut-être mais, tu sais bien que lui et moi nous nous ressemblons et que nous ne sommes pas des sentimentaux.

- Personne n'est mieux placée que moi pour le savoir, mais ça me fait quand même bizarre, je dois bien te l'avouer. Pas que je refuse que tu aies une aventure avec Francesco, mais si je dois être honnête cela m'embêterait que tu réussisses là où j'ai échoué.

- Je n'ai pas l'intention d'arriver à quoi que ce soit de plus que de passer un bon moment.

- Mais si finalement, cela devenait plus qu'une aventure entre vous ? Ce serait difficile pour moi d'être une fois de plus celle qui n'a pas été choisie.

- Que veux-tu dire ? Me demande Maria en fronçant les sourcils.

- Tu le sais bien. Marco ne m'a pas choisi et ...

- Encore en boucle sur Marco ? Mamma mia ! S'écrie Maria. Je pensais que cela t'était passé ! Tu n'es pour rien dans l'échec de cette relation, c'est lui qui n'a jamais souhaité qu'elle fonctionne. Tu aurais pu faire bien plus que ce que tu as fait, ça n'aurait rien changé. Et cela n'a rien à voir avec toi, ni avec ta personnalité mais simplement avec le fait que vous n'étiez pas fait l'un pour l'autre. Pourquoi ? Personne ne le sait ! C'est comme ça. Le karma, le destin, appelle cela comme tu veux. Marco est probablement entré dans ta vie pour une bonne raison, mais cette raison n'était pas de vivre sa vie avec toi.

Les mots de Maria me font réfléchir. Effectivement Marco est entré dans ma vie pour une bonne raison. Sans notre histoire, jamais je ne me serais lancée si totalement dans l'écriture. Jamais je n'aurais écrit mon premier roman et rencontré un joli succès. Jamais je ne serais allée à Florence et jamais je ne serais revenue pour y vivre. Sans parler que, dès le début de notre relation, j'ai commencé à apprendre l'italien, ce qui me sert au quotidien aujourd'hui. Marco a été le déclencheur de tout cela. D'abord, il a allumé la mèche, puis il a tout fait pété ! Mais après l'explosion, j'avais découvert un fabuleux trésor en moi. Finalement, je devrais lui dire merci ! Non, il ne faut pas exagérer non plus !

Quant à Maria et Francesco, peut m'importe qu'ils aient une aventure. Tout cela ne me concerne plus et désormais, il est temps que je me concentre sur ce que je veux vraiment, comme terminer ce deuxième roman et ensuite, il sera toujours temps de trouver celui qui me voudra moi et personne d'autre !

- Tu sais que mon cousin m'a demandé de tes nouvelles, reprend Maria.

Je sors immédiatement de ma rêverie. Depuis nos vacances au Domaine, je n'ai pas revu Biagio et nous n'avons eu aucun contact. J'en ai d'ailleurs été très agacée les premières semaines après notre séjour.

- Il était temps qu'il en demande, tu ne crois pas ? Dis-je sans cacher une légère rancune. Je n'ai toujours pas compris son attitude le jour de notre départ.

- Je lui en ai parlé justement et il se trouve que le problème serait lié à Francesco. Aussi, j'ai évité de lui dire que tu étais partie avec lui à Rome.

- Mais que s'est-il passé avec Francesco pour que cela le mette dans un tel état ? De plus, je n'ai pas l'impression que Francesco connaisse ton cousin.

- Je te laisse poser la question à Biagio quand tu le verra, réponds Maria en se levant pour prendre congé. Je dois te laisser, j'ai encore des choses à terminer avant de rentrer chez moi. Et non, promis, je ne vais pas rejoindre Francesco, dit-elle en me faisant un clin d'oeil complice.

- Pfff ! Fais ce que bon te semble, ma belle. Et quand tu verras Biagio, dis-lui que cela me ferait plaisir qu'il prenne de mes nouvelles directement, la prochaine fois.

Maria passe la porte en faisant mine de ne pas avoir entendu. Quant à moi, je retourne d'un pas décidé juqu'à mon bureau afin de continuer l'écriture que j'ai laissée en plan lorsqu' elle est arrivée.

Chapitre 8 : Novembre

Ce mois de novembre est particulièrement doux, si j'en crois ce qu'en disent les habitants avec qui j'aime discuter, lorsque je me promène en ville. Le ciel est bleu, les manches sont longues mais, les blousons n'ont pas encore remplacé les vestes. Entre l'été et les fêtes de fin d'année, c'est la période idéale pour venir à Florence sans faire exploser son budget. De nombreux couples profitent des vacances de la Toussaint pour s'offrir une escapade romantique et flânent dans les rues où la foule est moins dense. Il est enfin possible d'admirer les boutiques ou de s'arrêter prendre un simple café en terrasse, ce que je fais en ce moment même. J'aime regarder passer les gens, tout en essayant de deviner si ce sont des touristes ou si ce sont des locaux. C'est un jeu assez simple, les Florentins avancent plus vite, l'air un peu blasés et en regardant droit devant eux. Les autres ont le nez en l'air et s'extasient devant un magasin ou un bâtiment. Les amoureux marchent mains dans la main et je ne peux m'empêcher de les envier. Je suis en manque d'une relation qui m'apporterait cette tendresse, ce partage, cette fusion avec un homme. J'évite de m'attarder trop longtemps sur la contemplation de ces couples amoureux. Et finalement, je constate qu'il y a beaucoup plus de couples qui avancent sans se prendre la main et parfois même sans rester côte à côte. Souvent, j'entends l'épouse interpeller son compagnon, qui trace sa route, alors qu'elle aimerait admirer les bijoux de cette vitrine ou les vêtements à la dernière mode italienne de celle-ci. Les maris s'arrêtent un bref instant tout en soupirant, puis font semblant de s'intéresser. Il n'y a bien que devant la boutique de la Fiorentina, l'équipe de foot de la ville, que la majorité des hommes font une halte. Mais pour le reste, ont-ils peur pour leur carte bleue, ces hommes allergiques aux vitrines des magasins ?

Justement, une jeune femme vient de s'arrêter devant la maroquinerie qui se trouve à côté de la terrasse où je suis installée. Elle cherche quelqu'un du regard, probablement son compagnon, qui a déjà parcouru plusieurs mètres sans se rendre compte qu'elle s'était arrêté.

"Liebling ! warte auf mich !" lance-t-elle d'une voix aiguë. Machinalement, je cherche du regard l'homme à qui elle s'adresse. Pas très grand, un téléphone à la main qu'il ne quitte pas des yeux, il se retourne pour lui répondre d'un ton sec. Mon coeur se serre brutalement et dans une espèce de cri entre douleur et surprise, je laisse échapper un "Marco" ! Il est si proche de moi, qu'il ne peut que m'entendre, tout comme la jeune femme. Pendant une fraction de seconde, je perçois la surprise dans le regard de mon ex, qui semble réfléchir à toute vitesse à la réaction qu'il doit avoir. Sa compagne, car c'est bien d'elle qu'il s'agit, nous regarde à tour de rôle. Finalement, Marco s'avance vers moi, avec un sourire un peu forcé et je me lève en priant le ciel pour que mes jambes ne se dérobent pas sous moi.

- Sabine ! Qu'elle surprise ! Comment vas-tu ?

Une partie de mon cerveau est subitement devenu totalement irrationnel et ne voit que le visage de Marco, n'entend que la voix de Marco. L'autre partie essaie de se contenir du mieux qu'elle peut, essayant de ne pas montrer d'émotion excessive. Marco frole à peine mes joues, dans un bonjour qu'il essaie de rendre aussi distant que possible. Sa copine nous a rejoins et le voilà dans l'obligation de faire les présentations.

- Mel, je te présente Sabine, une amie Française qui vit à Florence depuis quelques mois. Cela fait longtemps que nous nous sommes vu, n'est ce pas ? Me demande-t-il alors que je vois dans son regard qu'il espère que je ne vais pas faire de gaffe.

- Ni vus, ni écris. Dis-je sans réfléchir.

La jeune femme me fait un immense sourire et ajoute :

- Enchantée Sabine, je suis la fiancée de Marco.

- Fiancée ? Dis-je avec la voix plus tremblante que je ne le voudrais, tout en espérant qu'elle s'ait octroyé un titre qui n'ait rien d'officiel.

- Oui, c'est tout récent, ajoute-t-elle, en me montrant une bague fine surmontée d'un ridicule petit diamant. Nous sommes venus à Florence pour fêter cela ! Je ne connaissais pas, quelle ville magnifique !

J'ai l'impression que mes jambes ne vont plus tenir, alors je me rassois

-Toutes mes félicitations, dis-je en m'éforçant de sourire, Florence est magnifique en effet, mais je pensais que Venise était la destination favorite des amoureux, non ?

Et je jette un regard oblique à mon ex qui ne relève pas. Marco sait très bien que, pour moi, Florence c'est NOTRE ville ! Comment a-t-il osé y ammener sa "fiancée" tout en sachant que j'y vis désormais ?

- J'espère que nous irons à Venise pour notre voyage de noce, dit Mel en regardant Marco tendrement. On peut se joindre à toi , je meurs de soif ?

Les voilà qui s'assoient et tandis que Mel commande, Marco me regarde du coin de l'oeil.

- Comment se passe ta vie ici ? Me demande-t-il . La France ne te manque pas trop ?

- J'adore ma vie ici, tu sais que cela à toujours été mon rêve d'habiter à Florence.

- Oui, je m'en souviens et Je suis heureux que tu ais pu le réaliser. Et ton livre, ça avance ?

- Doucement.

- J'ai encore le temps de lire le premier alors ! Dit-il en sachant très bien que cela va me blesser qu'il ne l'ait pas lu.

- Pas la peine de te donner cette peine. Les deux livres sont totalement différents.

Mel se joint à la conversation :

- Tu es écrivain ? C'est super! Tu écris quel genre de livre ?

- Des livres autobiographique et plutôt sentimentaux.

- Oh ! C'est pour cela que Marco n'a pas lu le premier, ce n'est pas trop son truc !

- Quel dommage, il pourrait apprendre beaucoup de chose en lisant mon livre.

Marco sait parfaitement ce que raconte mon premier roman et je le sens mal à l'aise pour la première fois. Etrangement, cela me donne de la force. Qu'est-ce que j'ai a perdre à être cynique ou à dire certaines vérités ? J'ai passé des années à faire attention à tout ce que je lui disais, parce que je craignais de le perdre. Au final, je l'ai perdu quand même. Alors il est temps que la Sabine qu'il n'a jamais connu lui montre qui elle est. Quant à Mel, elle m'assaille de questions concernant ma vie en Italie. Quel dommage qu'elle ne s'en pose pas autant au sujet de son couple.

- Comment vous êtes-vous connus tout les deux ? Questionne-t-elle soudain.

- Sur internet, répond Marco, nous avons sympathiser parce que Sabine adore l'Italie depuis toujours.

Je souris. L'Italie n'a jamais été le sujet qui nous a rapprochés. Mais je comprends que reconnaître qu'il a été attiré par mes photos soit un peu plus délicat à avouer.

- En effet, dis-je sans chercher à le contredire mais en m'empressant d'ajouter, et nous avons discuter de longs mois tous les deux, parfois mêmejusqu'au beau milieu de la nuit.

Marco me fusille du regard, espérant m'empêcher d'aller trop loin. Il termine son café en vitesse et semble souhaiter que Mel en face autant. Mais contrairement à lui, elle ne semble pas presser de quitter la table.

- C'est quand même fou que vous vous soyez croisés ici ! Surtout si Marco ne t'a pas prévenu que nous allions venir ? Ajoute Mel.

- Non, il n'en a rien. Notre dernière conversation date du mois de juillet, vos fiançailles ne devait pas encore être au programme. Dis-je en regardant Marco droit dans les yeux.

Je suis certaine qu'il se souvient très bien de notre dernier coup de téléphone. Nous avions fait l'amour virtuellement, un dimanche où Mel était absente. Pauvre Mel, combien d'autres femmes passent dans la vie de Marco sans qu'elle n'en sache rien ? Et à combien d'autres a-t-il dit ce qu'il m'a dit ? Mel à l'air d'être une chouette fille et Je n'ai pas envie de la blesser. Par contre, je vais me faire une joie de piétiner Marco, comme la petite merde égoiste et menteuse qu'il est. L'annonce de ses fiançaille, c'est plus que je ne peux en supporter ! L'adrénaline des dernières minutes me donne chaud et je soulève les manches de mon pull, découvrant sans le vouloir le Lys de Florence tatoué sur mon bras. Mél le remarque et instantanément son sourire se fige.

- Vous avez le même tatouage ? Questionne-t-elle alors que la réponse est sous ses yeux.

Je regarde Marco, lui laissant le soin de trouver une explication qui tienne la route.

- Simple coïncidence, dit-il, nous aimons tous les deux cette ville.

Je ne peux m'empêcher d'avoir un petit rictus que Mel perçoit immédiatement.

- Comment expliques-tu que vos tatouages soient identiques en tout point ! Reprend-elle. Taille, couleur, graphisme ?

- C'est le lys de Florence, explique Marco, il n'y a pas 36 façons de le représenter !

C'est la première fois que je suis témoin de sa capacité à mentir en face à face et avec tellement d'aplomb ! Son attitude est si incroyable que je lève les sourcils tout en hochant la tête.

- Ne me raconte pas n'importe quoi ! S'exclame Mel de moins en moins crédule. Je me souviens de ton voyage à Florence, quelques semaines après notre rencontre.

Marco n'ose plus rien dire. Il est assez intelligent pour savoir qu'il ne faut pas s'enfoncer dans un mensonge, quand on est sur le point d'être découvert. Il avoue, sans se démonter, mais il garde une attitude détachée et sereine, essayant de faire croire que tout cela est vraiment sans importance, ce qui fait monter mon agacement d'un cran.

Le doute s'est immiscé dans l'esprit de Mel, je le vois à son regard et je devine les questions qu'elle se pose. Son esprit est en train de rassembler les pièces d'un puzzle expliquant la relation que son fiancé et moi avons réellement entretenue : une pièce pour Florence, une pour notre tatouage, une autre pour notre dernier message il y a quelques mois. Si elle n'est pas trop bête, ce dont je suis certaine, elle va rapidement comprendre. Personne ne sait mieux que moi ce qu'elle ressent. Je l'ai vécu le jour où je me suis rendue compte, quelques mois après notre voyage à Florence, que Mel était sur plusieurs photos de soirées que Marco publiait. J'ai su immédiatement. J'ai posé la question à Marco, qui m'a répondu qu'elle était la meilleure amie d'un couple avec qui il sortait souvent. C'était une demi-vérité, la grande spécialité de mon ex ! On a raison de dire qu'une femme qui a des doutes sur la fidélité de l'homme qu'elle aime, enquête mieux que le FBI ! En remontant plusieurs profils Instagram avec qui Marco était ami, j'ai trouvé celui de Mel qui, par chance, n'était pas verrouillé. Aucune photo de Marco, mais quelques semaines plus tard, elle a publié plusieurs stories qu'il n'a pas osé partager. Ils étaient ensemble en Ecosse, serrés l'un contre l'autre dans l'ascenseur d'un hôtel dont le nom apparaissait sur le miroir derrière eux, puis, déambulant dans Edimbourg, ou prenant un bon repas dans un restaurant. Marco m'avait parlé de ce voyage entre amis. Mais il n'y avait personne d'autre sur les storys qu'eux deux. Voilà comment notre histoire s'est terminé. J'ai dit à Marco que je savais, il n'a pas nié, point final. Alors oui, je sais exactement ce que Mel ressent à ce moment précis.

Si elle se décide à poser des questions, je lui dirai tout ! Après tout, ce n'est pas elle que Marco a trompé, mais bien moi ! Sauf qu'à la place des questions, c'est un long silence qui s'installe, un peu comme si personne n'osait dire un mot, de peur que la situation ne se dégrade. Tandis que je cherche un moyen de quitter la table sans perdre la face, j'entends quelqu'un m'appeler par mon prénom. Une voix un peu cassée et tellement reconnaissable ! Biagio est là, debout à côté de moi et aussitôt se baisse pour m'embrasser amicalement. J'aurais été heureuse de le revoir dans n'importe quelle situation mais là, il ne pouvait pas mieux tomber ! Je le présente à Marco et Mel et je lui propose de s'assoir avec nous. Il accepte de prendre un café rapide, avant de terminer ses livraisons de vins. Marco, trop heureux de changer de conversation, lui pose aussitôt des questions sur son activité. Mon ex a toujours eu la discussion facile, il attire la sympathie comme le sucre attire les abeilles. Mel reste silencieuse, les yeux fixés sur la rue. Quant à moi, je suis un vrai bouillon d'émotions. J'ai souvent imaginé mes retrouvailles avec Marco et forcément, c'est un moment que j'espérais intense et inoubliable. Rien à voir avec ce qui vient de se produire. Mais au final, c'est mieux ainsi. Si j'avais croisé Marco seul dans Florence, je me serais sans doute liquéfiée sur place. La présence de Mel, tout en réveillant une cicatrice douloureuse, m'a empêché de perdre mes moyens. Quand elle m'a annoncé qu'ils étaient fiancés, la brûlure que j'ai ressentie m'a presque donné l'envie de faire mal à mon tour. Mais Mel n'y est pour rien, elle ne m'a pas volé Marco. Elle ne connaissait même pas mon existence !

Biagio remarque mon silence et dans un geste rassurant, pose sa main sur la mienne tout en me demandant si je vais bien. Marco suit des yeux cette main tandis que son regard sur moi change subitement. Si je ne le connaissais pas, j'y lirais une étincelle de jalousie. Mais je sais que tout ce qu'il éprouve, c'est ce que ressent un enfant quand un autre s'intéresse à un jouet qu'il ne voulait plus. La balle est enfin dans mon camp. Je serre la main de Biagio dans la mienne et je lui réponds d'une voix un peu trop charmeuse, que je suis seulement fatiguée et que je vais rentrer. Bien que surpris par mon geste, Biagio semble réaliser que je cherche une échappatoire et propose de me déposer chez moi. Nous nous levons, en souhaitant un bon séjour à Marco et Mel qui se lèvent à leur tour. Mel est sûrement pressée de se retrouver en tête à tête pour mettre les choses au clair ! Quant à Marco, profitant que sa fiancée échange quelques mots avec Biagio, il me fait une bise que je trouve plus prononcée que la première. Je fais comme si je n'avais rien remarqué et je m'éloigne sans me retourner. Biagio et moi n'avons pas beaucoup de trajet avant d'arriver dans ma rue. Une place vient miraculeusement de se libérer et il se gare. Il coupe le moteur et se tourne vers moi :

- C'était qui ces gens ? Me demande-t-il.

- Mon ex et sa ... fiancée ! Dis-je, en appuyant sur ce dernier mot.

- Oh ! Je comprends mieux pourquoi tu n'avais pas l'air au mieux de ta forme !

- Je viens d'apprendre qu'ils se sont fiancés, c'est pour cela qu'il l'a emmené ici, à Florence où nous étions ensemble il y a quelques années...

- Je vois. La cicatrice est toujours douloureuse de toute évidence.

- Elle allait mieux mais je ne m'attendais pas à le revoir, pas ici, ni comme ça ! Je suis tellement en colère ! Je pensais que Marco avait fini de me faire du mal et BING ! ça recommence !

- Je ne peux pas rester Sabina et j'en suis désolé, mais je dois terminer mes livraisons. Demain, j'aurais moins de travail, alors je peux passer pour qu'on discute de tout cela ?

- Ne t'en fais pas, ça va aller. Dis-je sans y croire. Il faut juste que je me remette de mes émotions.

- Donc tu ne veux pas que je vienne ? Insiste Biagio.

- Ce n'est pas ce que j'ai dit ! Je suis toujours heureuse de passer du temps en ta compagnie, mais je ne sais pas si j'aurai envie de parler de Marco...

- Peu importe ! Il y a longtemps que nous n'avons pas pu discuter comme nous le faisions cet été et j'avoue que ça me manque un peu. Je passe chez toi dès que je suis libre.

******

Le lendemain, en début d'après midi, la sonnette de mon appartement retentit. Biagio a pu se libérer tôt et j'espère qu'il pourra rester un bon moment. Mais en ouvrant la porte, je me trouve nez à nez avec Marco. Il n'a pas oublié où se trouvait l'appartement que nous avions loué, quelques années auparavant.

- Je peux entrer ? Demande-t-il en voyant que je ne bouge pas de l'entrée.

- Tu es seul ? Dis-je en essayant de me remettre de ma surprise.

- Oui, Mel est allée faire les boutiques. Je crois qu'elle avait besoin d'un peu de solitude.

- Tu m'étonnes. Qu'est-ce que tu veux ? Dis-je, tout en le laissant entrer. Il avance en jetant un coup d'oeil autour de lui.

- ça n'a pas changé ici ! C'est exactement comme dans mon souvenir.

- Marco, qu'est-ce que tu veux ? Dis-je un peu impatiente.

- Tu ne m'offres pas un café ?

Je ferme la porte et je me dirige vers la cuisine. Il s'assoit tandis que je prépare le café dans ma Bialetti.

- Tu te souviens quand je t'ai montré ici même, comment faire de la mousse sur un café fait avec la Moka ?

- Avec cette mixture hyper sucrée ? Oui, je m'en souviens, mais je préfère toujours le café noir sans sucre.

- Toi, non plus tu n'as pas changé, ajoute Marco. Hier, ça m'a fait quelque chose de te voir, je ne pensais pas que ça me perturberait autant..

Comme je lui tourne le dos, il ne peut pas voir que je serre le couvercle plus qu'il ne faut, dans un mouvement nerveux.

- Tu sais que je vis à Florence, alors si tu avais voulu me voir, cela aurait été facile à organiser.

- Je sais, mais avec Mel qui m'accompagne, c'est compliqué.

- Je n'ai pourtant pas l'impression qu'elle te complique beaucoup les choses !

- Elle est cool, tu as raison. Mais hier, elle a vraiment mal réagi après notre conversation.

- Et ça t'étonne ? Tu ne lui as jamais parlé de moi et seulement quelques minutes après m'avoir rencontrée, elle s'aperçoit que nous avons le même tatouage.

- C'est vrai et ce n'était vraiment pas cool de ta part de le lui montrer, Sabina !

Je me retourne d'un coup, la Bialetti dans la main.

- Parce que tu crois que je l'ai fait volontairement ?

- Un peu oui, répond Marco en ajoutant un sucre dans sa tasse. Probablement que l'occasion était trop belle.

- J'ai énormément de choses à te reprocher Marco, dis-je sur un ton un peu plus énervé que je ne le voudrais, ça c'est une certitude. Mais est-ce qu'une seule fois, au cours des années passées, j'ai fait quoi que ce soit pour me venger ?

- Non, mais jamais tu ne t'étais retrouvée face à Mel ! Ajoute Marco sans se démonter. Peut-être que lorsqu'elle a parlé de nos fiançailles ça a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

- Tu crois que j'en suis encore là ? A hyper réagir à chaque coup bas que tu me fais ? Tu m'y as trop habitué pour que cela puisse encore me toucher. Dis-je en essayant d'être crédible. Car bien entendu, que cela m'a fait mal et peut-être que le fait que je relève ma manche et dévoile mon tatouage était une sorte d'acte manqué.

- Ne sois pas injuste Sabine, j'ai été honnête, tu sais que j'ai eu des sentiments pour toi. Nous avons vécu une belle histoire, alors ne salis pas tout.

- Honnête, toi ? Mais tu n'as jamais été honnête avec aucune femme ! Dis-je cette fois réellement en colère. Tu te sers de nous pour te valoriser, pour te rassurer sur ton pouvoir de séduction, rien de plus.

- Tu crois que je serais venu à Florence avec toi et que je te t'aurais proposé de faire ce tatouage, si tu n'avais pas compté pour moi ?

- Je te crois capable de tout, Marco ! Florence, c'était ton rêve autant que le mien, alors pourquoi ne pas y aller avec moi ? Quant au tatouage, tu me l'as proposé dans l'exaltation du moment, avant de réaliser la portée de ta demande. N'oublies pas qu'avant notre rendez-vous chez le tatoueur, tu m'as dit que tu préférerais que nos tatouages soient légèrement différents, parce que tu n'aimes pas avoir la même chose que quelqu'un d'autre !

- Mais tu as refusé et finalement nous avons fait exactement le même !

- Bien entendu que j'ai refusé ! ça n'avait aucune importance pour moi d'avoir le Lys de Florence sur la peau. Ce qui m'importait, c'était de partager quelque chose avec toi. Ce qui comptait, c'était que tu me l'aies proposé ! En avoir un diffèrent n'avait aucun intérêt.

Ma voix trahit de plus en plus mon énervement et mon émotion.

- Tu m'en veux encore pour ça ?

- Pour ça et pour tellement d'autres choses ! Je t'en veux avant tout pour Mel, que tu m'as cachée pendant des mois, tout en continuant de me faire croire que j'étais importante pour toi !

- Sabine, tu as toujours été importante pour moi, mais nous vivions chacun dans un pays différent et je ne me voyais pas quitter ma famille, mes amis et mon job pour aller vivre en France.

- Mais peut-être que moi, j'aurais pu tout quitter pour toi, si tu me l'avais demandé ! Seulement, tu ne l'as pas fait parce que tu ne m'aimais pas assez pour tenter l'aventure.

- Nous nous sommes vu si peu souvent ! Je n'allais pas te demander de tout quitter au risque que finalement, les choses ne se passent pas bien entre nous !

- Donc tu as préféré me quitter pour une femme qui vit dans la même ville que toi ?

- Les choses se sont faites sans que je prémédite quoi que ce soit. Et de toute façon, j'étais trop jeune pour envisager de me caser sérieusement avec une femme. J'ai attendu deux ans avant de m'installer avec Mel. De plus, toi et moi, ça aurait été trop compliqué avec nos caractères si différents. Tu es si excessive parfois !

- Oh ! Je me doute qu'avec Mel tout doit se passer exactement comme tu le souhaites, elle est si soumise et effacée.

- Ne crois pas ça, c'est une gentille fille qui aime sa liberté autant que j'aime la mienne.

- Une fille qui ne doit pas souvent te prendre la tête, contrairement à moi. Tu vas pouvoir continuer à vivre ta vie de séducteur sans qu'elle ne te pose aucun problème ! Ton fan-club n'a aucun souci à se faire.

- Arrête avec mon fan-club ! Il n'y a pas de fan-club ! Soupire Marco.

- Bien-sûr qu'il y en a un ! Mais cela ne me concerne plus. Finalement, j'ai évité le pire quand tu m'as quitté. Je n'aurais pas supporté tes infidélités, réelles ou virtuelles ! Tu n'es pas l'homme que j'ai cru que tu étais. Je t'ai idéalisé pendant trop longtemps. Tu n'as fait que me décevoir, encore et encore. J'aurais préféré ne pas te revoir Marco et surtout pas ici, à Florence ! Parce que Florence, c'est nous ! Notre rêve, notre voyage, nos souvenirs. Mais, même cela tu n'as pas su le respecter. Tu as emmené ta fiancée ici, dans notre ville...

- C'est toi qui dis ça ? Alors que tu vis ici désormais et que tu n'as pas dû te gêner pour rencontrer d'autres hommes ! Comme ce Biagio par exemple. C'est qui exactement, ton petit copain ?

- Qu'est-ce que ça peut te faire ? Depuis quand ma vie t'intéresse, Marco ? C'est toi qui m'as quitté, alors ne viens pas me reprocher de vivre sans toi désormais.

- Et toi, ne viens pas me dire que Florence reste notre ville, alors que ta vie amoureuse s'épanouit ici désormais !

- Je crois qu'on s'est tout dit, finit ton café et va-t-en .

- Je n'ai pas terminé ! Mel m'a fait une scène hier, la première depuis que nous sommes ensemble. J'ai dû lui dire que tu n'as été qu'une aventure et que le tatouage était ton idée, que cela n'avait aucun rapport avec notre relation, mais bel et bien avec le fait que nous aimons Florence. J'aimerais que tu lui dises la même chose, si jamais elle te contacte sur les réseaux sociaux. Et je vais probablement devoir te supprimer de mes contacts. Si elle vérifie, je ne veux pas qu'elle tombe sur ton compte. Jusqu'a présent elle ne fouinait pas mais une femme qui a des doutes cherche mieux qu'un détective privé.

- Va-t-en ! Dis-je en serrant les dents.

- Sabine essaie de me comprendre ! Pendant quelque temps, c'est mieux ainsi. Mais quand je sentirai qu'elle ne se méfie plus, je te recontacterai.

- Va-t-en ! Dis-je en hurlant. Je ne veux plus jamais te revoir, ni avoir de tes nouvelles !

La porte que je n'avais pas fermée à clef s'ouvre brusquement sur le visage inquiet de Biagio, qui entre sans attendre d'y être invité.

- Sabine tout va bien ? S'inquiète-t-il aussitôt. Je t'ai entendu crier depuis le couloir.

- Oui tout va bien, dis-je en tentant de retrouver mon calme. Marco allait partir.

- Je suis désolé que ça se termine de cette façon. Ajoute mon ex en se levant enfin de sa chaise.

- Il y a longtemps que c'est terminé Marco! Très longtemps !

- Tu as raison. Et de toute évidence, tu m'as remplacé toi aussi. Dit-il en regardant Biagio qui le dépasse de deux bonnes têtes.

- Soyez heureux, ajoute Marco, avant de partir.

- Va au diable ! Dis-je en claquant la porte derrière lui.

***

Cette porte que je viens de refermer bruyamment est plus que symbolique. Je sais qu'il n'y aura pas de retour en arrière. C'est terminé ! Ce que je gardais au fond de moi depuis si longtemps vient d'être libéré et je me sens à la fois vide et épuisée. Biagio ne peut que constater combien je suis bouleversée. Il garde le silence mais je sens son regard sur moi et lorsque mes larmes se mettent à couler, Biagio m'accueille au creux de ses bras. Il me serre et me berce doucement dans un mouvement réconfortant. J'ai beau être triste et en colère, je me sens avant tout fière d'avoir réussi à dire tout ce qui aurait dû être dit depuis des années.

Biagio sèche mes larmes du bout des doigts et me propose de rester avec moi le temps nécessaire. J'accepte sans hésitation car je n'ai aucune envie de rester seule dans mon appartement. Je ressens même une aversion soudaine pour ce lieu où la présence de Marco a rendu l'air irrespirable. Je réalise la bêtise que j'ai faite en venant habiter dans notre ancienne location.

Qu'ai-je espéré en m'installant ici ? Recréer une sorte de cocon, tissé du fils d'un amour que j'ai été la seule à vivre ?

Biagio propose que nous allions prendre l'air. Il a raison, marcher me fera le plus grand bien. Nous nous promenons dans les rues de Florence et alors que nous arrivons sur les berges de l'Arno, Biagio me dit qu'il souhaite me montrer quelque chose. Nous traversons le Ponte Alle Grazie et nous voici dans le quartier de l'Oltrarno. C'est un quartier que j'aime beaucoup, bien différent du centre de Florence. Il a gardé l'âme d'un village avec ses ruelles typiques et il est très apprécié de bon nombre de Florentins. Biagio s'arrête devant la porte d'un immeuble qui fait face au fleuve, à mi-distance entre le Ponte Alle Grazie et le Ponte Vecchio. Il ouvre une grande porte en fer forgé, qui donne sur un couloir d'une blancheur immaculée et se dirige vers la loge de la concierge. Une vieille femme lui ouvre, le salut aimablement avant de lui tendre un trousseau de clef, suspendu sur un panneau de bois. Biagio la remercie, se tourne vers moi et me propose de le suivre. Un ascenseur nous dépose au dernier étage de ce bel immeuble. Lorsque nous quittons l'ascenseur, je constate qu'il n'y a qu'une seule porte sur ce palier. Biagio fait glisser la clef dans la serrure et s'écarte pour me laisser entrer dans un appartement qui n'est constitué que d'une seule et immense pièce. Seul la couleur des murs et l'ameublement définissent l'espace. Au centre se trouve le salon, ou un canapé fait face à une immense porte-fenêtre. Une table basse, deux fauteuils et une table entourée de six chaises en compose le mobilier. Sur la gauche se trouve une cuisine tout équipée, également éclairée par une immense fenêtre. Complètement à la droite de l'appartement, il y a un grand lit posé sur une estrade et offert à la vu de tous. Par une porte ouverte non loin du lit, je distingue une salle de bain lumineuse. L'ensemble respire le calme et la sérénité.

- Wow ! Dis-je, complètement subjuguée par l'endroit. Cet appartement est à toi ?

- Oui. Réponds Biagio, toujours avare de parole.

- Je ne savais pas que tu avais un pied-à-terre à Florence ! Maria ne m'en a jamais parlé !

- Je n'y viens quasiment jamais, d'ailleurs tu vois, je n'ai même pas les clefs sur moi. Comment le trouves-tu ?

- Il est tout simplement superbe et tellement lumineux ! Dis-je en m'approchant d'une fenêtre pour admirer la vue. Je suis subjuguée par la vision de l'Arno qui coule juste en bas. Florence et ses toits de briques rouges se déploie devant moi, avec ici le Dôme et là, la tour du Palazzo Vecchio. Biagio ouvre la porte-fenêtre qui donne sur une petite terrasse où deux chaises en métal et une petite table de bar son installées. Je m'avance, tandis que le bruit sourd de la circulation et des piétons remonte à mes oreilles. Soudain, sur ma gauche, le Ponte Vecchio apparaît si proche, que je peux distinguer les gens travaillant dans les ateliers des bijouteries. J'en ai le souffle coupé ! J'ai rêvé de cette vue toute ma vie ! Vivre dans un appartement donnant sur l'Arno, pouvoir admirer le Ponte Vecchio à ma guise, à toute heure de la journée ou de la nuit. Je suis tellement émerveillée que ma bouche grande ouverte laisse échapper de temps à autre une exclamation ravie. Biagio sourit, heureux de me voir si enthousiaste. Il retourne à l'intérieur, me laissant rêver un moment et prépare deux cafés avec la Bialetti qu'il sort d'un placard. Cet appartement, qui n'a visiblement pas été habité depuis longtemps, a certainement dû être utilisé quotidiennement à une époque. Biagio me rejoint sur le canapé, pose les cafés sur la table basse et m'explique avant même que je pose la question.

- Je viens ici quand je dois passer plus d'une journée à Florence ou quand j'ai besoin d'un peu de solitude, chose qui n'est pas évidente à trouver au domaine. Dit-il en souriant. Mais finalement, cela arrive assez peu souvent. Cet appartement est dans ma famille depuis très longtemps. Pendant une bonne décennie, il est resté vide et puis il y a quelques années, j'y ai fait faire quelques travaux.

- Tu as vraiment bien fait ! C'est gâcher que de laisser un tel endroit sans âme qui vive ! Mon Dieu ! cette vue, je ne m'en remets pas ! Je n'ose penser au prix que tu en tirerais en le louant.

- Je n'ai pas envie de m'embêter avec ça. J'ai pensé m'y installer à une époque, mais ma place est au domaine. Je dois rester proche des vignes et des oliviers. Ici, je trouve la solitude apaisante mais au domaine, je suis entouré par le calme. C'est paradoxale ! Ici, c'est l'un des quartiers les plus visités de Florence, même si les touristes se concentrent davantage de l'autre côté de la rive.

- Pourtant, il y a bien moins de bruit que dans mon appartement. Même en plein été, je suis obligée de fermer les fenêtres tant le bruit y est insupportable !

- Il faut bien qu'il y ait des désavantages à vivre dans le centro storico. Tu es dans une rue de circulation, qui plus est proche de l'hôpital. Ici, les seules voitures qui passent sont celles des habitants du quartier. Personne n'a besoin d'utiliser cette rue pour aller où que ce soit. Et puis, tu es également plus en hauteur que dans l'appartement de Maria.

- Et cette terrasse ! Quel bonheur ce doit être d'y prendre un café chaque jour ! Si j'avais cette vue et ce calme, mon roman aurait avancé un peu plus vite ! Je dois bien t'avouer que parfois je préfère sortir que de rester coincée chez moi, sans soleil et avec le bruit de la rue. Mais je ne remercierai jamais assez Maria d'avoir accepté de me louer son appartement à l'année, alors que je sais qu'elle devait gagner beaucoup plus en le réservant pour les touristes

- C'est comme ça que vous vous êtes connus, ma cousine et toi, n'est ce pas ?

- Oui, Marco et moi avons loué son appartement lors de mon premier voyage à Florence.

- Tu vis donc dans l'appartement où vous vous êtes aimé ?

- Aimé, c'est un bien grand mots en ce qui concerne Marco. Je ne sais pas pourquoi il est venu avec moi à Florence, je ne sais pas non plus s'il m'a aimé un jour. J'ai l'impression d'avoir imaginé toute notre histoire alors qu'au final, tout n'était que mensonge. J'étais aveuglée par mes sentiments, j'avais tellement besoin de croire en nos chances que je me persuadais qu'il y avait un lien inexplicable entre nous, quelque chose qui le ramènerait toujours vers moi.

- On est souvent aveugle quand on aime ! Ajoute Biagio. C'est comme si subitement, nous devenions une autre personne, une personne qui n'est plus rationnelle, qui ne peut plus réfléchir ! Ce qui devrait nous sauter aux yeux, deviens invisible. On ne voit plus la réalité, on la transforme telle qu'on veut qu'elle soit.

- C'est exactement cela ! Dis-je un peu étonnée de découvrir Biagio si philosophe concernant les sentiments. J'ai aimé Marco au delà de tout. Il était mon univers, il était chaque minute de ma journée, tous mes rêves, tous mes projets. Et moi, je n'étais rien. Enfin, n'en parlons plus, aujourd'hui, j'ai tiré un trait définitif sur lui, que ce soit comme amour ou comme ami, car au final nous n'avons jamais été ni l'un, ni l'autre.

- J'ai aimé une femme passionnément, poursuit Biagio en posant sa tasse de café vide. Elle était Croate, elle s'appelait Ivana. Belle à ce damné, trop sans doute. Cultivée, elle étudiait les beaux-arts à l'Académie de Florence. J'ai été séduit en quelques minutes ! Moi qui ne regarde que très peu les femmes, au grand désespoir de ma famille, elle m'a complètement ensorcelé ! Elle logeait dans un appartement d'étudiant, avec d'autres filles, ce qui n'est pas idéal quand on veut un peu d'intimité. De mon côté, je ne pouvais pas l'emmener au domaine tant que notre relation n'était pas officielle. Alors j'ai fait remettre en état cet appartement et elle est venue s'y installer. Je passais tout mon temps ici, quand je n'avais pas de clients à voir en dehors de Florence. J'étais tellement sous son emprise qu'elle pouvait me demander n'importe quoi ! Alors quand Ivana m'a annoncé qu'elle devait repartir en Croatie, moins d'un an après notre rencontre, je lui ai demandé de m'épouser. Je ne pouvais pas imaginer ma vie sans elle. Elle a accepté. Je l'ai présenté à ma famille qu' elle a immédiatement séduit, sauf Nona. Entre ces deux-là, le courant ne passait pas.

- C'est étrange, nona est si douce, si maternelle.

- Avec toi et avec les gens qu'elle aime, oui. Mais son grand âge lui confère le droit de se montrer tout a fait antipathique envers les personnes qu'elle n'apprécie pas, et c'était le cas d'Ivana. Mes parents étaient ravis à l'idée d'avoir bientôt une belle-fille et plus tard des petits-enfants. Ils ont organisé un grand mariage à l'italienne, avec des centaines d'invités. Ma mère et Ivana voyaient les choses en grand, rien ne semblait trop beau ! Et moi, j'étais heureux de les voir organiser tout cela ensemble. Je nageais en plein bonheur ! Je me laissais porter par cette douceur de vivre. Quelques jours avant le mariage, je me suis absenté pour aller voir des clients dans le sud du pays. Mais quelques jours sans elle, c'était déjà trop ! Alors, j'ai expédié mes affaires au plus vite et je me suis empressé de revenir à Florence. Elle ne m'attendait pas, c'est le moins qu'on puisse dire. Quand j'ai ouvert la porte, je l'ai vu nue, chevauchant un homme, sur ce lit, dit-il me le montrant du doigt. Je suis devenu fou ! Je me suis jeté sur l'homme, comme s'il était le seul responsable de mon malheur et nous nous sommes battus. Mais la rage avait décuplé mes forces et j'ai failli le tuer de mes poings. Ivana hurlait et tentait de s'interposer entre nous pour que je lâche son amant. Elle s'est jetée sur lui pour le protéger. J'ai compris qu'entre lui et moi, son choix était fait. Je lui ai donné l'ordre de quitter l'appartement sur le champ. Elle a ramassé quelques affaires et tout en m'insultant elle a traîné son amant avec elle et ils sont partis, je ne sais où. J'ai appris quelques semaines plus tard, qu'ils s'étaient connus avant notre rencontre. Lui était un sans le sou, Croate tout comme elle. Je n'ai été qu'un pigeon, la poule aux oeufs d'or ! Ils se sont servi de moi dans l'espoir de pouvoir vivre à mes crochets et celui de ma famille. Une fois mariée, une fois qu'elle aurait eu un enfant qui, probablement, n'aurait même pas été le mien, elle aurait demandé le divorce et une énorme pension pour pouvoir vivre avec cet homme..

- Oh ! Biagio, je suis tellement désolée....

- Je ne sais pas ce qui a été le plus dur, d'avoir été trompé par cette femme que j'aimais plus que moi même ou d'avoir subi la honte d'annuler mon mariage et que toute la Toscane soit au courant. Familles, amis, voisins mais aussi nos meilleurs clients, tous avaient déjà fait des frais pour venir à ce mariage. J'ai eu tellement honte ! Honte devant mes parents, honte devant Nona qui avait parfaitement senti le coté malhonnête d'Ivana et qui m'avait mis en garde contre elle. Comment ai-je fait pour ne rien voir durant les mois où nous avons été ensemble ? Comme toi, je n'ai écouté que ce que je voulais écouter et j'ai construit ma propre réalité. Sais-tu que ton ami Francesco compte au nombre de ses amants ? Ils étaient aux beaux-arts ensemble, mais quand elle a réalisé qu'il n'avait pas d'argent, la liaison a tourné court. Ce qui n'a pas surpris ce belâtre, qui de toute façon ne fait que papilloner de l'une à l'autre. Bien entendu, je ne l'ai su que bien plus tard, tout comme beaucoup d'autres choses. J'ai été tellement aveugle.

- C'est pour cela que tu as si mal réagis quand tu as vu Francesco au restaurant cet été...

- oui. Parce que non seulement il a été l'amant d'Ivana, mais qu'il est le tien ! Et voir deux femmes qu'on aime coucher avec le même, c'est trop pour un seul homme

- Que tu aimes ? Dis-je un peu surprise...

- Enfin, je veux dire qui compte. Tu sais que tu comptes pour moi, que je t'apprécie, sincèrement. Tu es une femme épatante et j'aime le temps que nous passons ensemble. Tu comprends ce que je veux dire ?

- Oui, oui, ne t'inquiète pas, je comprend.

- Pendant longtemps, je ne suis plus venu dans cet appartement. Il m'a fallu des années pour me remettre de cette tromperie et de ce chagrin. Désormais, je n'ai plus mal, mais je crois que ma confiance vis-à-vis des femmes a été plus endommagée que mon coeur. C'est comme si j'étais constamment à l'affût de la petite chose qu'on essaie de me cacher. Comme si plus jamais une relation ne pouvait fonctionner dans la confiance. J'ai mis mon coeur dans une cage et celle qui parviendra à l'ouvrir devra montrer patte blanche.

- Crois-tu que l'amour prenne réellement en compte nos critères et nos désirs ? Lorsqu'il aura décidé de frapper, il frappera, et tu n'auras pas d'autre choix que d'y céder.

- Détrompes-toi, on a toujours le choix ! Avec de la volonté, on peut résister à tout, même à l'amour.

- C'est triste. Je préfère encore souffrir que ne plus jamais aimer. L'erreur fait partie de la vie, comme perdre fait partie du jeu. Je rêve d'un amour qui me transporte, qui me pousse à dépasser mes limites, qui me donne envie de réaliser ce que je ne pensais pas réalisable. Je veux un amour qui soit une force, jour après jour. Et je veux vivre pour cet amour et que l'homme que j'aime vive à travers moi, de façon à ne faire plus qu'un.

- Et que fais-tu de la liberté ?

- L'amour demande bien quelques sacrifices, non ? Ne t'inquiète pas, je n' ai pas envie d'assujettir l'autre, je veux qu'il soit heureux. Une certaine liberté ne me semble pas incompatible avec l'amour.

- Mais pour cela, il faut de la confiance.

- Pour cela, il faut de la confiance en effet. Crois-moi, s'il y a bien une chose que m'a apprise ma relation avec Marco, c'est que plus jamais je ne perdrai mon temps avec un homme qui dit m'aimer mais dont les actes ne sont pas à la hauteur des paroles. Dans ces cas là, on a tous un moment de lucidité comme un signal qui se déclenche au plus profond de nous. Un peu comme un panneau DANGER qui s'allume en rouge et qui clignote mais que l'on prefère ignorer, plutôt que de remettre en question la relation en cours. On a tort. Si j'avais réagi au moment ou le panneau s'est mis à clignoter, ma relation avec Marco n'aurait jamais commencé ! Et c'est pour cela que plus jamais je n'ignorerai cet avertissement.

- Et Francesco, qu'est-il pour toi ?

- C'est un ami et il a été mon amant, je ne veux pas te le cacher.Il est le premier et le seul homme que j'ai connu depuis Marco et il m'a aidé à reprendre confiance en moi. Il a toujours été honnête et jamais il ne m'a fait croire à une relation sérieuse entre lui et moi. On se voyait quand nous en avions envie. C'est un homme que j'apprécie énormément mais je n'ai pas de sentiment pour lui et il n'en a pas pour moi. Mais nous avons décidé que nous serions seulement des amis à présent. Ce genre de relation ne peut pas durer. J'ai envie d'une véritable histoire, envie de partage, d'échange, de projet, de temps qui passe doucement aux côtés de la personne que j'aime. Pas d'un homme qui ne veut pas passer la nuit avec moi et qui ira rejoindre une autre femme, dès qu'il aura franchit le seuil de ma porte.

- Tu as raison, il faut avoir l'esprit libre pour rencontrer celui qui t'attend. Il ne faut pas qu'il y ait de confusion. Mais changeons de sujet, j'ai quelque chose à te proposer. Dit-il en prenant un air encore plus sérieux que d'ordinaire. Pourquoi mon coeur manque subitement un battement, comme si un fol espoir venait de naître ? Ce n'est pas la première fois que j'ai cette sensation en présence de Biagio, un peu comme si j'attendais secrètement quelque chose venant de lui.

- Je t'écoute ? Dis-je en essayant de cacher mon trouble.

- Est-ce que tu voudrais t'installer ici ?

Je ne m'attendais vraiment pas à cette demande et je reste un moment sans pouvoir parler, avant d'articuler enfin:

- Dans... dans cet appartement ? Ici ? Tu es sérieux ?

- Oui ici, dans cet appartement ! Dit-il avec un franc sourire à présent. Tu serais plus au calme que chez Maria et cela te rappèlerai moins de souvenirs . Ce serait comme un nouveau départ dans ton aventure florentine.

- Oh mon Dieu ! J'adorerai vivre ici, bien entendu ! Seulement, que va dire Maria ? Je devais louer son appartement jusqu'en avril, je ne voudrai pas la mettre dans une situation délicate.

- Pourquoi ne pas continuer de lui payer un loyer tant qu'elle n'a pas trouvé un autre locataire ? Moi, je ne te demande rien, tu es ici chez toi aussi longtemps que tu le souhaites. Et je suis certain que ma cousine comprendra. Alors, c'est oui ?

Pas la peine d'y réfléchir à deux fois. J'ai eu un coup de coeur pour cet appartement dès que je suis rentrée et jamais plus je n'aurais l'opportunité de vivre dans ce quartier, avec cette vue incroyable ! J'accepte avec enthousiasme la proposition de Biagio, qui a l'air aussi heureux que moi. Il me propose d'emménager dès ce soir mais je préfère attendre un peu. Dans quelques jours, je pourrais déposer mes valises ici. Une partie de ma vie à Florence, encore trop pleine de Marco et de mes souvenirs se termine aujourd'hui. Une autre partie commence et elle sera belle, j'en ai le pressentiment !

Le soir venu, de retour Via dell'Agnolo, je me sens prête à faire une chose que j'aurais dû faire depuis très longtemps : Bloquer Marco de tous les réseaux sociaux. Je ne veux plus qu'il puisse voir mes publications, ni qu'il m'envoie de message lorsque la méfiance de sa copine sera retombée. Après tout, il m'a lui-même soumis l'idée ! J'attrape mon téléphone, j'ouvre les différents réseaux sociaux où nous sommes en contact ainsi que les messageries et je le bloque sans hésitation. Cette fois, Marco et moi c'est réellement terminé.

Le lendemain, Maria me rejoins dans ce qui est encore mon appartement, afin que je lui ai annonce les changements à venir.

- Bien entendu que je comprends, me dit Maria en me serrant dans ses bras ! Cours t'installer dans l'appartement de Biagio. Tu n'as pas idée à quel point cela me fait plaisir qu'il te le propose ! Cet appartement est magnifique, idéalement situé, c'était trop bête que personne n'en profite.

- Je suis tellement soulagée que tu comprennes!

- Mais entre nous, c'est complètement fou que mon cousin te l'ai proposé ! Vraiment, c'est la surprise de l'année ! Je pensais que jamais plus il ne ferait entrer une femme dans cet appartement. C'est un peu comme s'il ouvrait la porte de son coeur ! C'est une invitation, ma belle !

- De suite les grands mots ! Ta grand-mère et toi vous avez tellement envie que Biagio se case que vous prenez la moindre situation pour un signe !

- Ah bon ? Nona aussi ? Elle a dû sentir quelque chose, elle a un don pour ça !

- C'est ça. En attendant, je te rappelle que ton cousin m'a juste proposé d'occuper son appartement, pas de m'installer avec lui !

- ça viendra... ça viendra ! Dit-elle en éclatant de rire.

Profitant de la présence de Maria et n'ayant que peu affaires à déménager, je décide de m'installer le jour même chez Biagio. Sur le seuil de ce qui sera désormais mon ancien appartement, je m'arrête quelque instants. Cette fois, je quitte cet endroit sans regret et sans chagrin, contrairement à mon départ il y a quelques années. Le nouveau moi va s'épanouir dans l'un des plus beau quartier de Florence et les mois qu'il me reste à profiter de cette sublime citée ne seront plus parasités par le fantôme de Marco.

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