La primavera

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Chapitre 1 : April

1

Avez-vous déjà ressenti que votre place n'est pas là où vous vivez? Connaissez-vous cette attirance pour un autre lieu ou un autre pays alors même que, peut-être, vous ne l'avez jamais visité? Une attirance si forte qu'elle peut devenir une obsession. Si la réponse est oui, alors nous avons déjà un point commun. Mais en êtes-vous arrivé à vous entourer de photos et d'objets en rapport avec ce pays, au point que certaines pièces de votre intérieur ressemblent à un musée ? Avez-vous appris à cuisiner les spécialités locales ou à parler cette langue étrangère qui chante à vos oreilles? Imaginons à présent, que vous ayez l'opportunité de partir vous installer là-bas pour plusieurs mois, le temps de vous imprégner de tout ce que vous n'avez fait qu'imaginer. Le temps d'être sûre que cette attirance n'est pas qu'une illusion romanesque. Que feriez-vous?

Pour moi, la question ne se pose plus ! Et si actuellement je vous dis que j'ai la tête dans les nuages, ce n'est pas seulement une façon de parler ! Je viens juste de survoler les Alpes enneigées et de m'émerveiller devant la beauté effrayante de ses sommets. Une vision magique, rendue possible par le ciel clair de cet après-midi d'avril. A présent, l'appareil glisse vers des terres en pentes douces et à perte de vue, ce ne sont que des champs parsemés de maisons formant ici un village et là une ville. En levant les yeux, j'aperçois la mer au loin, horizon d'un bleu à peine plus soutenu que celui du ciel. Assise à côté du hublot, un sourire idiot sur les lèvres, je ne perd pas une miette des paysages de ce pays qui sera le mien pour les 12 prochains mois. L'Italie m'apparaît au rythme des miles que l'avion avale, dans le bruit ronronnant des moteurs.

Il s'est écoulé à peine plus d'une heure depuis le décollage et déjà nous amorçons la descente. Les zones d'habitation sont plus nombreuses, les routes et les enseignes des grands magasins en périphérie se distinguent de mieux en mieux. Puis, tandis que je le guette depuis plusieurs minutes déjà, le voilà qui se dévoile, l'imposant Dôme de la basilique Santa Maria del Fiore. Exactement comme il m'était apparu il y a deux ans, lors de mon premier voyage dans la cité des Médicis. Et tout comme la première fois, je suis submergée par une émotion impossible à dissimuler. Firenze, ma Firenze! Comme tu m'as manqué! J'ai toujours eu une connexion particulière avec cette ville, sans trop savoir pourquoi. C'est un peu comme avoir un coup de foudre pour quelqu'un, ça ne s'explique pas. De nouveau, je ressens cette sensation étrange de rentrer à la maison, d'être enfin à ma place, tout comme je l'avais ressentie la première fois, alors que je ne connaissais cette ville que d'après des photos.

Il est 19h30. Mon avion atterrit à l'aéroport Peretola. J'attrape mon sac rangé dans le porte-bagages et je fais gentiment la queue entre les rangées de sièges qui se vident lentement. J'ai hâte de pouvoir enfin savourer la douceur de l'air Toscan . Le couple de français qui était assis à mes côtés pendant le vol, s'impatiente. Ils ne sont là que pour 4 jours et ils n'ont pas de temps à perdre ! Pour moi, c'est différent. Où ai-je trouvé le courage de tout laisser derrière moi et de partir m'installer un an en Italie ? Je n'en reviens pas d'avoir osé ! Concours de circonstances, parfois les choses se débloquent, les opportunités se présentent et il faut savoir les saisir. J'ai passé ma vie à avoir des peurs stupides qui ont conditionnées mes choix. Je ne suis pas mariée, je n'ai pas d'enfant, rien ne me retenait en France. Et puis, j'ai l'impression que mon existence a réellement débutée il y a seulement quelques mois. J'ai toujours aimé écrire. A 13 ans, quand on me questionnait sur ce que je voulais faire plus tard, je répondais : « Écrivain ». Jamais je n'emploierai le terme « écrivaine » que je trouve laid et absurde ! Je suis pour la cause des femmes, bien entendu, mais pas quand cela revient à tout féminiser juste pour le plaisir. Et ce nom "Écrivaine", quelle horreur! Il m'a toujours hérissé le poil! Pendant des années, j'ai gribouillé des textes sur des tas de cahiers. J'ai commencé je ne sais combien de romans que je n'ai jamais terminés, par faute d'imagination et de courage. Jusqu'à ce qu'un jour, j'arrête d'inventer des histoires et que je parle de moi. Je vivais alors quelque chose de douloureux et j'avais besoin de l'exprimer par écrit, car finalement, qui a vraiment envie d'écouter un cœur en peine ? Les amis saturent rapidement et ils n'ont pas toujours les mots qu'il faut. Les conseils sont légion alors qu'on a juste besoin de parler, d'exprimer sa douleur, de la partager avec quelqu'un qui saura l'accueillir, sans juger et parfois même, sans parler.

J'ai souvent entendu dire qu'il faut d'abord écrire pour soi, même si on espère forcément que les autres vont aimer vous lire. Ce premier roman m'a permis de comprendre que le seul sujet que je maîtrisais, c'était moi ! Ma vie, mon histoire, mes émotions. Des choses toutes simples mais qui me permettaient d'aller au bout de ce que je souhaitais écrire. Une histoire ordinaire mais dans laquelle tout le monde pouvait se retrouver. Quand j'ai eu terminé de mettre des mots sur mes maux, j'avais de quoi faire un livre. J'ai trouvé le courage ou la folie, d'envoyer mon manuscrit à plusieurs éditeurs. Je n'en ai parlé à personne, tant j'étais persuadée de ne recevoir que des refus. J'ai d'abord eu quelques réponses encourageantes mais malheureusement sans suite. Et puis, une jeune maison d'édition s'est montrée intéressée. Je les ai rencontrés et ils ont décidé de publier mon récit. Je suis fière de dire que les ventes ont été honorables! Suffisamment pour que mon éditeur me remette un joli chèque, ainsi qu'une petite avance pour mon prochain livre. C'était ma chance! J'avais désormais assez d'argent pour vivre un an sans avoir à travailler à autre chose qu'à l'écriture. Et comme rien ne m'obligeait à rester en France, j'ai choisi d'aller trouver l'inspiration à Florence. Je n'ai pas d'idées précises sur le contenu de ce nouveau roman mais nul doute que ma vie Florentine me fournira bon nombre d'expériences à partager.

J'ai pour tout bagage une énorme valise qui contient le strict nécessaire. Quelques vêtements, mon Pc portable et des photos que j'ai envie d'avoir avec moi pendant les 12 mois à venir. En franchissant les portes de l'aéroport, mon cœur se serre. Mon regard s'attarde sur ce pilier contre lequel il était adossé, la première fois que je l'ai vu. Surtout, ne pas me laisser envahir par les émotions. A quelques mètres de là, je découvre le sourire de Maria qui me fait de grands signes près de la sortie.

- Ciao Sabina ! S'écrit-elle alors que je la rejoins, Benvenuto a Firenze!

S'en suivent une accolade appuyée et un flot ininterrompu de paroles qui demandent en vrac comment je vais, si j'ai fait bon voyage, si c'est tout ce que j'ai apporté avec moi, d'où vient cet adorable chemisier, est-ce qu'il fait beau en France, est-ce que j'ai changé la couleur de mes cheveux? Et tout ça sans jamais me laisser le temps de donner une réponse plus longue qu'un oui ou qu'un non. C'est un bonheur de la retrouver! Elle est la seule personne que je connaisse ici. Maria est une belle italienne fine, longue, souriante avec une chevelure brune dont les boucles m'ont toujours faites pâlir d'envie! Elle pétille et croque la vie sans se poser de questions. Amicale avec tout le monde, chaleureuse, nous nous sommes appréciées immédiatement lors de notre première rencontre et nous avons gardé le contact. C'est un peu grâce à elle si je peux m'installer à Florence. Lors de mon premier voyage, elle s'occupait de recevoir les hôtes dans le logement où j'avais réservé une chambre. L'appartement appartenait à sa grand-tante qui le louait à la nuit, aux touristes désireux de résider en plein cœur du centre historique. C'était une femme âgée, malade, qui est morte quelques mois après ma venue. Maria a hérité de l'appartement. Mais entre son travail, ses parents et sa vie sociale plus que chargée, elle a parfois du mal à être disponible pour accueillir les locataires qui peuvent arriver à n'importe quelle heure du jour et jusque tard dans la nuit. Aussi, quand je lui ai demandé si elle pouvait m'aider à trouver un logement dans le centre de Florence, elle m'a aussitôt proposé de louer le sien, à l'année. L'appartement est entièrement meublé et je connais le quartier, c'était la proposition idéale! Tout en discutant avec animation, Maria me guide jusqu'à sa voiture. Nous avons 30 minutes de trajet durant lesquels elle ne cesse de parler ! J'avoue que je ne comprends pas tout. Mon italien est assez basique et Maria parle vite. Mais peu importe, je souris au simple fait d'entendre cette langue que j'adore. Vivre une année en écoutant chaque jour les gens parler italien suffirait presque à mon bonheur !

Via dell'agnolo, impossible de se garer. Cette rue est toujours très fréquentée et les places sont chères. Maria me dépose avec ma valise devant l'entrée de l'immeuble. Elle me remet les clefs et part se garer dans une rue parallèle, tout en m'invitant à monter sans l'attendre. Je me débats avec l'ancienne porte en fer forgé, qui finit par s'ouvrir sur le couloir sombre et étroit dans lequel je m'avance. Tout au bout, il y a les escaliers et le vieil ascenseur exigu, dans lequel on entre après avoir ouvert deux portes manuellement. Je sais qu'il est capricieux, souvent en panne mais heureusement, aujourd'hui, il ne m'obligera pas à monter les 3 étages avec ma valise dans les bras. J'appuie sur le bouton. Entre chaque étage, il y a une petite pièce qui sert de buanderie et un seul logement par palier. La porte de l'appartement s'ouvre comme si j'ouvrais un album de souvenir, m'obligeant à prendre une grande respiration avant de franchir le seuil. Est-ce réellement une bonne idée de venir m'installer ici ? Le magnifique carrelage jaune et vert au motif étoilé mets un peu de gaîté dans cette entrée vaste aux murs blancs comme tout le reste de l'appartement. Les 4 portes en bois sombres sont ouvertes. La première, sur ma gauche, donne sur la salle de douches, avec ses WC et son bidet si cher aux Italiens ! En face de moi, se trouve ma chambre et celle que Maria a transformé en salon. Et à côté du salon, il y a la cuisine, carrée, avec sa fenêtre donnant sur la cour intérieure de l'immeuble et sur les fenêtres des salles de bains et des cuisines de mes nouveaux voisins. Il y a le même carrelage partout sauf dans ma chambre où il est encore plus beau, bleu et blanc avec des motifs floraux. C'est là que je vais déposer ma valise.

- La disposition a changé me dit Maria, que je n'ai pas entendu entrer. J'ai déplacé le lit dans le coin le plus éloigné de la fenêtre, pour t'isoler un peu du bruit de la rue. Je souris car je ne pense pas que cela change grand-chose. L'animation dans cette rue semble ne jamais vouloir s'arrêter. Je me souviens parfaitement des nuits courtes que j'y ai vécues. Les deux fenêtres de la chambre n'ont pas de double vitrage. Il faudra absolument que je m'habitue au bruit.

- Je t'ai installé un bureau près de la fenêtre, mais tu peux changer la disposition si tu le souhaites. C'est le même mobilier qu'il y a deux ans. Les meubles viennent tous de chez Ikea. Moi aussi, j'ai acheté cette armoire il y a quelques années, en France. Cela a un côté rassurant, de se retrouver au milieu d'objets familiers.

- J'ai supposé que tu aimerais garder cette chambre, me dit Maria avec un petit sourire qui n'exprime ni la joie, ni la tristesse, alors j'ai transformé l'autre en salon et puis elle est plus proche de la cuisine! L'ancienne chambre est à peine plus grande que l'autre. C'est la seule pièce que je ne connais pas, car elle était toujours occupée lors de mon précédent séjour et je n'ai pas pu la visiter. Pour tout mobilier, je découvre un canapé, deux fauteuils, une table basse et un meuble ou trône la télévision que Maria me montre fièrement, comme s'il s'agissait du trésor de la maison. Il y a deux ans, il n'y avait pas de télé. La plupart les touristes qui viennent ici préfèrent sortir et profiter de la ville. Mais cette fois, je ne peux plus être considérée comme une touriste et j'apprécie que Maria ait pensé à mettre à ma disposition ce poste qui me permettra de m'immerger davantage dans la culture populaire italienne.

- Je t'ai laissé toute la vaisselle. Les balais, l'aspirateur et quelques autres petites choses sont dans le placard qui est dans l'entrée. Pour la machine à laver, elle est toujours dans la buanderie, entre les 2 étages, tu te souviens ?

- Oui, je m'en souviens. Tout est parfait ! Merci beaucoup Maria. Quel bonheur d'être ici, je n'arrive pas à y croire !

- C'est un bonheur pour moi aussi de te retrouver, me dit Maria en me serrant les doigts amicalement. Oh! Je t'ai aussi fait quelques courses de première nécessité, mais tu as toujours l'épicier pakistanais au bout de la rue, en face il y a le bar qui propose des salades et des burgers et une très bonne pizzeria, que tu n'as pas dû oublier, qui se trouve à quelques mètres sur ta gauche.

- PizzAgnolo ? C'était devenu notre "cantine" quand nous étions ici ! Si tu savais comme j'ai envie d'une pizza à la Burrata ! J'en rêve depuis que j'ai quitté Florence ! Viens! je t'invite, je meurs de faim !

Vingt trois heures viennent de sonner quand je rentre, seule, dans ce qui est désormais mon appartement. Je m'allonge sur le lit. La pizza était aussi bonne que dans mon souvenir mais le vin additionné à la fatigue du voyage m'a un peu tourné la tête. Je n'ai pas le courage d'aller déambuler dans Florence. Je n'ai même pas celui de défaire ma valise! J'attrape seulement mes affaires de toilette et je file sous la douche. Il fait doux ce soir d'avril. Du dehors montent des conversations en anglais, allemand, espagnol, français et italien. Les gens traînent et savourent la douceur de cette soirée de printemps. Si je veux réussir à dormir, je n'ai pas d'autre choix que de fermer les volets et les fenêtres. A présent, seul l'éclat des phares des voitures et celui des néons lumineux des enseignes animent la pièce d'une lumière mobile. Et soudain, son visage se dessine sur le plafond de cette chambre où nous nous sommes aimé, telle l'ombre d'un amour passé que je ne réussis pas à oublier.
2

Un "Vaffanculo" sonore, lancé par un automobiliste impatient, me tire de mon sommeil. Les yeux clos, je souris en me souvenant que cette insulte, typiquement Italienne, était déjà celle qui me réveillait il y a 2 ans ! ça et la sensation de son corps contre le mien, mais je préfère chasser illico cette pensée de mon esprit. La nuit a été courte, entrecoupée de réveils furtifs, occasionnés par les sirènes des ambulances se rendant à l'hôpital le plus proche. Je n'ai jamais compris pourquoi, en pleine nuit et dans une rue quasiment déserte, les ambulances italiennes ne passaient pas silencieusement! Sans sortir de mon lit, j'attrape mon sac à main, j'en sors un stylo et un petit carnet dans lequel j'écris : " Acheter des bouchons d'oreilles." Je sais très bien que je pourrais enregistrer une note dans mon téléphone, mais je suis écrivain et de ce fait, J'apprécie de garder le contacte avec le papier et le stylo.

Je me lève et j'ouvre les volets. Il est encore tôt, le soleil brille et la rue s'anime doucement. Ma première journée à Florence doit commencer dignement, par un café et un cornetto ! Après une toilette rapide et vêtue des vêtements les moins froissés que j'ai pu trouver dans ma valise, je quitte mon appartement. Je sais exactement où je dois me rendre pour prendre ma colazione. À deux rues de là, en coupant par une ruelle, j'arrive directement sur la place Santa Croce. C'est l'un de mes endroits préférés à Florence. Probablement parce que c'est ici que lui et moi avons passé de longs moments à discuter. Les terrasses des cafés et des restaurants sont dressées. Les pigeons sont déjà en quête de miette auprès des touristes lève tôt, qui déambulent en croquant dans une viennoiserie. La basilique domine le lieu de toute sa splendeur. Erigée juste à côté, la statue de Dante regarde la ville qui l'a exilé, en tournant le dos à cette église où se trouve son monumental tombeau vide. Je me dirige vers un petit snack, tout au bout de la place et je commande un café, un jus d'orange fraîchement pressé et un croissant remplis d'une crème à la pistache. Le fameux Cornetto, recouvert d'un glaçage vert et parsemé d'éclats "di pistacchi" . Je m'installe à une table comprimée entre la route et le trottoir. Je ressens une certaine excitation en pensant que ma vie florentine commence aujourd'hui. Mon rêve est finalement devenu une réalité. Ces deux dernières années, Florence m'a tellement manqué ! Je n'ai fais qu'attendre le jour ou je pourrais y revenir et pour m'aider à patienter, je me suis imprégnée de cette ville par tous les moyens possibles : Photos sur les réseaux sociaux, actualités de la cité sur les pages Facebook et même de longues minutes quotidiennes à regarder les webcams dissimulées dans la ville. Mais je vais très certainement me comporter comme une touriste pendant quelque temps avant de réaliser que je n'en suis plus une ! Surtout, ne pas perdre de vue que je ne suis pas en vacances et que j'ai un livre à écrire. Transcrire mon année à Florence ne devrait pas être trop difficile. Encore faut-il que je remplisse suffisamment ma vie pour avoir matière à raconter.

J'ai prévu d'aller acheter un cahier dans la journée. Je pourrais taper mes textes directement sur mon PC mais j'apprécie de pouvoir écrire n'importe où, sans avoir à me soucier du niveau de ma batterie ou de la sauvegarde de mon texte. Et puis, j'aime le côté romantique de l'écriture manuelle. Les gens sont toujours curieux quand ils vous voient griffoné dans un cahier. Ils se demandent ce que vous notez et pourquoi vous le faite ! Qui y a-t-il de si important pour que vous souhaitiez le conserver par écrit? La plupart du temps, personne n'ose me le demander mais parfois certains essaient de lire par-dessus mon épaule.

Après être retournée brièvement dans mon appartement, pour défaire ma valise, ranger mes affaires et me faire un deuxième café avec la Bialetti trouvée dans la cuisine, il est temps que j'aille arpenter la ville. Ce n'est pas encore la pleine saison touristique mais en voyant la foule déambuler dans les rues, je me demande si Florence sera encore vivable cet été. Je sais que Maria part se mettre au vert plusieurs semaines dans la campagne Toscane où sa famille possède un domaine. Et si quelqu'un d'aussi fêtard et noctambule que Maria décide de s'éloigner de la ville, ce n'est certainement pas sans raison . Mes pas me conduisent jusqu'à l'imposante Basilique Santa Maria Del Fiore. Je ne vois d'abord que la partie d'un mur de marbre blanc que je longe sur plusieurs mètres. Plus j'avance, plus la basilique se dévoile en grandeur et en splendeur. En passant devant l'immense porte en bois, qui sert de sortie aux visiteurs du Dôme, je me souviens que la toute première photo que j'ai de moi à Florence a été faite ici, par lui, le soir de notre arrivée. C'était aussi en avril, mais il faisait nuit. La porte était fermée, les touristes ne faisaient que passer devant la basilique, sans provoquer les attroupements et les files d'attente qu'il y a à cette heure de la journée. Je sais qu'ici, tout va me rappeler mon amour passé. Je sais que les souvenirs vont ressurgir au détour d'une rue, à la terrasse d'un café, y compris ceux que je pensais avoir effacé de ma mémoire. Mais je n'ai plus peur des souvenirs. Le pire est derrière moi.

Je dépasse la guirlande des touristes qui font la queue des heures durant, pour avoir le plaisir de découvrir l'intérieur de Santa Maria del Fiore. Peut-être seront ils déçuent, comme je l'ai été. Pas que la basilique soit laide, loin de là, mais quand on a commencé par découvrir les autres lieux prestigieux comme Santa Maria Novella ou Santa Croce, l'intérieur de Santa Maria del Fiore paraît bien tristounet. Même les somptueux décors du dôme n'avaient pas réussi à me faire changer d'avis. Je m'attendais à quelque chose de plus clinquant, plus doré, plus coloré! Mais le gris dominant de l'intérieur m'avait surpris et laissé sur ma faim. En passant devant une grande librairie à deux pas de là, j'entre acheter ce cahier qui servira de brouillon à mon roman. Mon choix se porte sur un ouvrage épais, avec une couverture en cuir rouge, marqué de la fleur de Lys, symbole de la ville. Florence est connue pour la qualité de son cuir, on en trouve partout et sous toutes ses formes. J'ajoute quelques cartouches d'encre et un stylo plume que je paie sûrement trop cher mais peu importe ! J'ai tout le temps nécessaire pour découvrir les bonnes adresses et faire des affaires. Plus loin, dans une pharmacie, je trouve les bouchons d'oreilles qui vont sauver mes nuits des réveils malencontreux.

Alors que je flâne dans les grandes artères piétonne, Je reçois un message de Maria qui en plus de prendre de mes nouvelles souhaite m'inviter à la rejoindre demain soir. Elle sort avec quelques amis pour prendre un verre. Je sais que Maria est un peu le sauf conduit qui me permettra de vivre pleinement ma vie Florentine, aussi j'accepte volontiers. Je lui suis reconnaissante de s'inquiéter pour moi et de souhaiter m'aider à rencontrer des gens. Florence sera plus belle lorsque j'aurai des amis avec qui y vivre. Je passe le reste de la journée à reprendre contact avec la ville, comme on le ferait avec une amie qu'on n'a pas vu depuis longtemps. J'essaie d'intégrer le fait que demain et après-demain et dans une semaine, je serai toujours là ! Que je vais pouvoir contempler la ville autant qu'il me plaira et pendant chaque saison de l'année à venir.

Mais je dois aussi apprivoiser mon appartement ou je n'ai pas passé beaucoup de temps! Je dîne à la maison, en tête à tête avec les programmes de la RAI, qui sans être passionnant ont le méritent de me tenir compagnie pendant mon repas solitaire. Je me suis souvent sentie seule lorsque je vivais en France, mais la solitude que je ressens ce soir est accentuée par le fait que je suis loin de tout ce qui a fait ma vie jusque-là. Une sensation mêlée d'angoisse qu'il me faut écarter pour ne pas qu'elle me submerge. Il faut que je m'intègre le plus vite possible. Mon dîner terminé, je débarrasse la table puis j'ouvre mon cahier rouge. Immédiatement, la plume glisse sur le papier, attrapant au vol les mots qui s'échappent de mon esprit. Les pages blanches se couvrent d'encre bleue et façonnent, petit à petit, le début d'une histoire.

3

Ce matin il pleut et c'est la première fois que je vois Florence sous un plafond de nuages. Lors de mon précédent séjour, le temps était digne d'un mois de juillet alors que nous étions au printemps. Aujourd'hui, ma rue est presque vide et d'ici la ville ressemble à n'importe quelle autre ville un jour de pluie, mélancolique à souhait.

C'est aussi en avril que j'ai découvert cette ville pour la première fois. Et c'est avec lui que j'ai visité toutes les beautés de Florence. Mais son attitude avait focalisé toute mon attention et m'avait empêchée de savourer pleinement les trésors exposés dans les musées. La plupart du temps, j'avais posé un oeil distrait sur une oeuvre tandis que de l'autre je cherchais où il pouvait être, l'observant de dos tandis qu'il avançait sans m'attendre, son téléphone toujours en main. J'ai longtemps regretté que chacun de mes souvenirs dans cette ville soient rattachés à un moment avec lui, un moment où très souvent, je ne m'étais pas senti pleinement heureuse.

Pour casser le silence de mon appartement, j'allume la radio. "Radio Italia, solo musica italianna" clame la voix du jingle toutes les 10 minutes. Les anciens hits se mélangent aux nouveaux, avec pour unique règle le fait de ne passer que des chansons en italien. C'est pour cela que j'écoutais déjà cette radio lorsque je vivais en France, avide de me plonger dans une ambiance italienne. Je m'affale sur le canapé avec un café. Il serait temps que je relise ce que j'ai écrit la veille et que je tape tout ça sur mon ordi. Mais je manque de motivation et je décide de m'accorder une pause avant de me mettre au travail sérieusement. Hier, lors de ma balade en ville, j'ai pris quelques photos que je souhaite publier sur mon compte Instagram. Je sais que ma famille et mes amis sont impatients de découvrir ma nouvelle vie.

Dehors, j'entends le bruit étouffé d'une fanfare. Je me lève et j'ouvre la fenêtre. La pluie s'est arrêtée mais le ciel reste lourd. Les musiciens doivent être tout proche et les voilà qui entament les notes de cette chanson italienne connue dans le monde entier;

"Una mattina, mi sono alzato. O Bella ciao, Bella ciao, Bella ciao ciao ciao.."

C'est vrai que nous sommes le 25 avril, anniversaire de la libération de l'Italie. Mes souvenirs me renvoient immédiatement à un autre 25 avril, sur la place Santa Croce. La fanfare jouait cette musique et il était avec moi. Mais si nous sommes le 25, cela veut dire que c'est également le jour de sa fête: la Saint-Marco. Machinalement, je remonte ma manche pour découvrir le tatouage que nous avons fait ensemble, ici même. C'était son idée. Une proposition à laquelle je ne m'attendais pas, faite au lendemain de notre arrivée. Nous étions attablés sur la terrasse du bar, juste en face de notre appartement. Il buvait une bière et moi un coca. Et le plus naturellement du monde, il m'a proposé de faire un tatouage identique, qui nous rappèlerait notre séjour à Florence. Il avait dû y penser bien avant car qu'il m'a aussitôt fait voir le motif qu'il avait en tête et précisé qu'il avait l'adresse d'un bon tatoueur. Il ne l'a jamais su, mais ce moment restera à jamais l'un des plus marquants de mon existence. Probablement parce qu'il a eu pour moi un sens qu'il n'a jamais eu pour lui. Seul un homme ayant des sentiments sincères et profonds pouvait me faire une telle proposition. Ce n'est pas anodin d'avoir à tout jamais un tatouage en commun. Marco avait choisi la fleur de Lys qui symbolise la ville et j'avais accepté immédiatement, certaine de ne jamais regretter d'avoir le Giglio di Firenze tatoué sur mon bras. Mais cela ne m'a pas pour autant fait occulter le fait que ce tatouage me rappèlerait Marco jusqu'à la fin de ma vie et cela quoi que notre histoire devienne. A présent, je me demande si de son côté, il le regrette.

Et si je lui écrivais pour lui souhaiter une bonne fête ? Mauvaise idée ! J'ai eu tellement de mal à tirer un trait sur cette histoire, en supposant que j'y sois réellement parvenue. Alors, comme chaque fois que je pense trop à lui, je focalise mon esprit sur autre chose. C'est ma méthode pour ne pas me laisser submerger par les "Mais si ?" et les "Pourquoi pas ? ". J'allume mon PC, j'ouvre mon cahier rouge et je me concentre sur la rédaction de mon texte. La journée passe, sans que je mette le nez dehors.

Il est 19 h et Maria est en bas de chez moi. Cela me fait du bien de voir un visage ami. Les rues sont à nouveau pleines de vie . Le ciel est complètement dégagé et la douceur est revenue. Maria m’entraîne d'un pas vif vers un bar fréquenté par les locaux, de jeunes étudiants en Arts pour la pluspart. Elle salue sans s'attarder quelques connaissances et m'entraine vers le fond de la salle où un couple nous fait signe. Elle embrasse rapidement ses deux amis puis se retourne vers moi et dit

"Je vous présente mon amie française Sabine qui est à Florence pour quelques mois. Sabine voici Nelly et Luca".

Ils me saluent d'un sourire, sans se lever de leur chaise. Je m'installe entre Maria et Nelly. Un serveur vient aussitôt enregistrer la commande et prise au dépourvu je choisis un Spritz. Maria ajoute des antipasti pour tout le monde en plus des boissons commandées par chaque convive.

" Luca vient d'ouvrir une fabrique de pâtes fraîches à quelques rues d'ici, m'explique Maria, "

"Oh vraiment ?" dis-je d'un air sincèrement intéressé. J'aurais adoré avoir une mamma italienne qui m'apprenne des heures durant comment façonner la pasta dans les règles de l'art. Mais je ne dis rien à ce sujet, sachant très bien que je vais passer pour une touriste de base avec ce style de références.

"ça démarre doucement, enchaîne Luca, un garçon au physique passe partout mais qui inspire la sympathie et j'ai bon espoir que les affaires deviennent rapidement rentables ! Nelly m'aide à la boutique, quand elle a le temps ! ". dit-il avec un petit rictus, suivi d'un regard en biais sur sa compagne qui n'a pas levé le nez de son téléphone.

"Nelly a créé un blog sur Florence, m'explique Maria, elle y parle des activitées à faire, des endroits branchés, des bonnes choses à manger, des boutiques ."

"Absolument pas un blog historique ou sur les lieux culturels prisés des touristes, précise Nelly ! Il y en a déjà tellement ! J'ai un compte instagram si tu veux . Comme ça tu pourras juger par toi-même et si tu as envie que je te fasse découvrir quelque chose en particulier n'hésite pas à me contacter "

Sans attendre ma réponse, elle me donne le nom de son compte et j'attrape mon téléphone pour m'y abonner. Cela peut être utile d'avoir dans mes contacts quelqu'un qui connaît les bonnes adresses de la ville. Nelly est une femme de caractère, cela se remarque au premier coup d'oeil. Grande et mince, brune, habillée avec classe, le nez légèrement tordu et les yeux trop rapprochés pour être vraiment belle. Quand elle sourit, c'est comme si elle grimaçait. Elle en a probablement conscience et c'est sans doute pour cela qu'elle s'abstient la pluspart du temps.

"Et toi Sabina, qu'est-ce que tu es venue faire à Florence ? " questionne Luca.

J'explique mon projet d'écriture, mon envie de connaître la vraie vie florentine, mon amour pour cette ville et pour l'Italie en général. Tout le monde m'écoute poliment en ayant l'air intéressé, même si Nelly n'a pas quitté une seule seconde son téléphone des mains. Puis les 3 amis se lancent dans une conversation animée, oubliant rapidement que l'italien n'est pas ma langue natale. J'essaie de suivre, de comprendre et de participer avant de décrocher complètement. J'avale un Spritz, puis deux. Je bois un peu trop vite, j'engloutis ma part d’antipasti tout aussi rapidement. Laissant Maria, Luca et Nelly discuter entre eux, j'observe les gens autour de moi. L'alcool, même en petite quantité me monte rapidement à la tête. Mon sens critique s'aiguise. En observant les hommes présents dans la salle, je me dis que les Italiens ne sont pas aussi beaux qu'on le croit ! Je l'avais déjà constaté il y a deux ans alors que, naïvement, j'avais espéré être charmée à tous les coins de rue. Comparés à Marco, italien lui aussi, ils m'avaient tous semblé fades même si mon jugement était inévitablement faussé par l'amour fou que j'éprouvais pour lui. Car en fait, Marco est petit et trapu. Sa véritable beauté vient de ses yeux que j'ai toujours trouvés fascinants, des yeux verts terriblement myopes qui lui donnent ce regard si particulier et de sa bouche charnue, quoiqu'un peu molle sous mes baisers. Ses cheveux bruns et bouclés, qu'il porte longs, lui donnent un style bohème alors qu'il ne l'est pas du tout. Mais surtout, Marco possède la séduction de ceux qui savent exactement quoi dire pour faire craquer une femme. Les hommes présents ce soir ne m'ayant pas adressé la parole, je peux au moins leur laisser le bénéfice du doute concernant la possibilité de me charmer avec leurs mots. Quant aux jeunes femmes, elles ont l'air superficiel et sont toutes beaucoup trop maquillées . Pour elles, paraître semble plus important qu'être. Mais comment leur en vouloir ? Si je me base sur les nombreuses présentatrices de la télévision Italienne, les femmes ici doivent être fines avec une forte poitrine et passablement provocantes pendant leur jeunesse, pour ensuite se transformer en mamma respectacles une fois mariées. Je détonne un peu au milieu de cette foule. Je n'ai pas fait d'effort de toilette, ni de maquillage. Je camoufle mes kilos en trop sous des hauts assez amples et je coiffe mes cheveux comme je peux, sans jamais réussir à en faire ce que je souhaite. Si les amis de Maria s'attendaient à voir arriver une femme élégante, soignée comme le veut la réputation des françaises à travers le Monde, ils doivent être passablement déçus!

"Sabina, il faut que tu viennes nous voir à la fabrique ! " me dit Luca pour essayer de me ramener dans la conversation. Si tu veux vivre à l'italienne, il faut que tu saches comment faire des pâtes ! " "Je viendrai avec grand plaisir, merci ! " Luca me tend une petite carte de visite que je range dans mon portefeuille. J'ai le nez dans mon sac quand une voix chaude et sensuelle lance un tonitruant "Ciao amici!" derrière mon dos. Une voix qui me pénètre instantanément et me donne des frissons. Je stoppe net ce que je fais tandis que chacun des convives répond par un Ciao chaleureux.

"Sabina, je te présente, Francesco" me dit Luca, " c'est l'un de mes plus vieux amis ! "

" Vieux par la durée de la relation, pas par l'âge ! " précise la voix chaude en partant dans le rire le plus harmonieux qu'il m'a été permis d'entendre.

En me tournant légèrement, je me retrouve nez à nez avec l'archétype du bel italien ténébreux. Le type d'homme auquel aucune femme ne doit résister ! Celui-là même que j'imaginais trouver à tous les coins de rue de Florence ! Francesco est d'une beauté à couper le souffle. Et j'ai beau essayer de me contenir, je suis certaine qu'en ce moment, je ressemble au loup de Tex Avery bavant devant la Pinup ! Son sourire où deux belles rangées de dents blanches apparaissent ainsi que le regard qu'il pose sur moi, me font comprendre qu'il a l'habitude de produire cet effet sur les femmes. Il se penche pour me faire la bise et m'entoure d'une touffe de cheveux bruns frisés qui sentent divinement bon! La caresse douce de ses cheveux sur mes joues me rend électrique et je remercie l'éclairage feutré de la salle de dissimuler le rouge qui me monte aux joues.

"Piacere" me dit-il en tirant une chaise pour s’asseoir à mes côtés. Il y a peu de place et sa jambe est collée à la mienne ce qui n'arrange pas mon trouble. Il termine un verre qu'il a apporté avec lui et échange quelques mots avec son ami. Luca lui fait une petite présentation à mon sujet. Francesco me regarde de ses yeux presque noirs et me dit en français :

"J'adore la France! Tu vives dans quelle ville ? "

Chacune de ses petites erreurs grammaticales me fait fondre ! L'italien est une langue terriblement sensuelle mais pour moi rien n'est plus sensuel qu'un italien parlant français! Et cet accent doublé de ces fautes font que je craque complètement !

" Je vis en Normandie, près de Caen"

"Si, je connais la Normandie, le débarquement, j'ai étudié !"

Ce que la plupart des gens connaissent de la Normandie, c'est cette partie de l'histoire: les plages du débarquement, les cimetières américains. Un peu comme Florence est connue pour les Médicis et son dôme. Francesco se montre curieux au sujet de ma région et des choses à voir mais la conversation ne s'éternise pas. Rapidement, il se lève et s'excuse car il doit rejoindre des amis en ville. Il pose une main longue et fine sur mon épaule. Le tissu de mon chemisier laisse passer la chaleur de sa paume et cette sensation presque intime me trouble davantage.

"J'espère on va se revoir vite !" me dit-il dans un sourire. Je fais oui de la tête mais déjà il file en lançant un dernier Ciao sonore. Je n'ose pas me retourner mais je surprends Maria qui soupir en le regardant s'éloigner. Je ne suis visiblement pas la seule à qui le bel italien fait de l'effet !

Quant au reste de la soirée ? Agréable, sans doute. En fait, je ne sais plus ! Une tornade brune vient d'entrer dans mon esprit pour y chasser le peu de concentration dont j'étais encore capable après mon troisième spritz!

4

08h08. Le bruit étouffé de la rue parvient à mes oreilles. J'enlève mes bouchons. Le soleil traverse les persiennes. J'aime ce moment où j'ouvre les volets sur la ville déjà en activité. Les toits de tuiles brunes se détachent sur le bleu du ciel. La journée promet d'être belle.

12h12. J'ai envie d'une bruschetta. Je l'achète dans une petite échoppe qui a son comptoir directement sur la rue. Les "tartines" sont empilées les unes sur les autres. La présentation n'est pas des plus appétissante mais je me fie aux nombreux Italiens qui attendent pour être servis, s'ils font la queue, c'est que cela doit être bon ! Je m'installe sur un muret au bord de l'Arno, afin de déjeuner loin de la cohue de la rue. Ici, j'ai réellement la sensation d'être dans une carte postale. De part et d'autre, des petits immeubles aux tons ocres et chauds, typiques de la Toscane font face aux flots apparemment tranquilles du fleuve. Ceux qui vivent là ont une vue imprenable sur les nombreux ponts de Florence et pour les plus chanceux sur le magnifique Ponte Vecchio qui a su traverser les siècles. Sa construction remonte en 50 avant JC, les Romains l'avaient tout d'abord construit en bois. Puis en 1080, le pont sera reconstruit en pierre. En 1220, il recevra l’épithète « vecchio » qui veut dire « vieux » . Les 1ères échoppes apparaissent au 15ème siècle et elles étaient attribuées aux artisans du cuir et de la peau ou bien aux bouchers, les historiens ne sont pas d'accord sur ce point. Ce qui est certain, c'est que lorsque les Grands de Florence empruntaient le corridor de Vasari, qui surplombe le pont pour se rendre du palais Pitti aux offices, ils étaient incommodés par les odeurs qui s’échappaient des échoppes. Il est facile d'imaginer la puanteur que devaient dégager les peaux qui tannaient dans l’urine de cheval, ou bien les morceaux de viande exposés à l’air attendant d’être vendus. On décida de remplacer ces échoppes nauséabondes par des orfèvres, ancêtres des bijoutiers encore en place aujourd’hui. Si j'en avais les moyens, j'achèterais un appartement avec vue sur le Pont Vecchio. Même une vue lointaine !

Il est 13h13. Je me suis installée à une terrasse, à l'ombre d'une tonnelle et je bois un café en savourant l'instant. En regardant mon téléphone qui me sert de montre, je réalise subitement que cela fait plusieurs fois que je vois une heure miroir aujourd'hui. Et il y a très longtemps que cela ne m'est plus arrivé. Mon cœur bat soudainement plus vite. Vous croyez aux signes ? Moi oui. Et ça, ça en est un ! Celui qui m'apparaît depuis des années peu de temps avant que je reçoive des nouvelles de Marco. Mais voilà des mois que je n'ai plus eu de message de mon ex, alors cette fois il est peu probable que ce que je prends pour un signe annonce qu'il va m'écrire.

Quelques heures plus tard, je fais quelques courses avant de rentrer chez moi. Il y a du monde à la supérette et j'attends mon tour en caisse. J'ai déjà faim ! Pourtant il ne doit pas être très tard ! Je sors mon téléphone de ma poche pour m'en assurer. 18h18 ! Ce n'est pas possible ! Je ne sais pas si je dois en rire ou m'en inquiéter. C'est sûrement un hasard. Les signes ont peut être changé où je les interprète mal.

Mon repas terminé et après avoir rapidement rangé mon appartement, je m'installe sur mon PC pour mettre au propre mes idées du jour. Comme toujours, je me connecte à internet, pour pouvoir faire des vérifications d'orthographe et l'exactitude de mes notes sur les lieux que je cite. De temps à autre, j'ai une notification qui apparaît, m'informant qu'une personne a aimé une de mes photos sur Instagram. Heureusement, c'est assez rare, pas de quoi me déranger dans mon travail.

"Marco a aimé votre publication"

Mon cœur manque un battement. ça y est ! Nous y voilà ! Je ne me suis pas trompée et les signes n'ont pas changé ! Voir le sourire de mon ex sur sa photo qui apparaît dans la notification, me fait encore frissonner. C'est la même depuis des années. Celle qu'il avait lorsque je l'ai connu. Il sourit de façon idiote au côté de son cousin, dans les rues de Barcelone. Il y a tellement longtemps que nous n'avons plus rien commenté ou aimé sur nos profils respectifs que je ne me souviens pas de la dernière fois que cela s'est produit. Par contre, je me souviens que notre dernier échange a été terriblement désagréable. Je m'étais moquée gentiment de la défaite de la Juventus contre un club de foot français ! Sacrilège ! Ne JAMAIS plaisanter au sujet du foot avec un italien et surtout pas quand cela concerne SON équipe fétiche ! Avec le recul, je pense que Marco s'est servi de cela comme excuse pour ne plus avoir de contact avec moi. Et c'est finalement une bonne chose car chaque fois qu'il m'écrit, je reprends espoir. Un espoir aussi débile qu'inutile car Marco a désormais une femme dans sa vie. Une histoire plus sérieuse que les autres, m'a-t-il avoué un jour, sans se rendre compte de la lame qu'il venait de m'enfoncer dans le cœur. Mais de toute évidence, cela ne l'empêche pas de penser à moi, ni de ressentir un manque de temps à autre. "Entre nous, il y a quelque chose d'inexplicable" m'avait-il ajouté ce jour-là. Mais pour moi, la seule chose réellement inexplicable, c'est qu'il ait refusé de s'investir dans notre relation qu'il avait pourtant souhaitée plus que moi au départ. Il disait que notre histoire était compliquée parce que nous vivions dans 2 pays différents, lui en Suisse et moi en France. Oui, elle était compliquée mais pas impossible ! La vérité, c'est que Marco ne m'a jamais réellement aimée. En est-il seulement capable ? Même si sa copine est une histoire sérieuse, je ne l'ai jamais senti vraiment amoureux. Et elle non plus ! Plusieurs fois, je suis passée sur le profil public de la demoiselle et en 2 ans, elle n'a publié que 2 photos où Marco est à ses côtés ! Quand elle fait une story, c'est au sujet de son plat de pâte, de son hamburger ou encore d'une soirée entre amis où parfois je vois furtivement le visage de Marco. Aucun statut en couple sur les réseaux, aucun commentaire amoureux. Ces deux là se sont bien trouvés, aussi peu démonstratif l'un que l'autre ! Il est clair que moi, avec mon besoin de clamer sans cesse mon amour, de lui écrire des textes, de faire des publications qui lui étaient dédiées, j'étais beaucoup trop démonstrative pour lui.

"Marco a aimé votre publication"

Encore ! Je clique sur la photo qu'il a aimé, c'est celle du Ponte Vecchio que j'ai faite tout à l'heure. J'ai dans mes fichiers un cliché de nous deux pris au même endroit. S'en est-il souvenu ? Pourquoi mon cœur s'emballe-t-il de la sorte ? Ce n'est qu'un "like" ! Est-ce parce qu'hier je n'ai pas envoyé de message pour sa fête, comme je l'avais fait les autres années, qu'il a subitement pensé à moi ? Non, Marco ne s'embarrasse pas de ce genre de détails. De toute façon, j'ai bien fait de ne pas lui écrire et je ne le ferai pas maintenant non plus. Ce que je ressens, ce n'est plus de l'amour, c'est seulement de l'habitude. Je suis célibataire depuis trop longtemps et puisque Marco est le dernier à avoir vraiment compté, c'est forcément vers lui que mon coeur s'envole les jours de mélancolie. ça passera dès que j'aurai un homme dans ma vie. Je dois m'en persuader et ne pas accorder plus d'importance qu'il n'en faut à ses "likes".

Tout le reste de la soirée, j'écris et réécris la suite de mon roman, jusqu'à ce que mes yeux aient du mal à rester ouvert. Aucune autre notification ne vient me déranger mais mon esprit est en éveil et mon coeur dans l'attente. C'est plus fort que moi ! Tant que je n'aurai pas réussi à tuer la plus infime trace d'espoir, Marco aura ce pouvoir sur moi. Il est tard lorsqu'enfin je me glisse sous les draps. Je mets mes bouchons d'oreille et je tends le bras pour éteindre la lampe de chevet. Mes yeux se posent sur l'horloge digitale. Il est 00h00....

5

Ce midi, Maria et moi déjeunons en compagnie de Nelly qui nous a donné rendez-vous dans un tout nouveau restaurant, près du centre historique. Elle a pour habitude de tester tout ce qui ouvre à Florence: Coiffeur, Bijouterie, Mode, Restauration et boutique en tout genre, rien ne lui échappe ! En consultant son compte Instagram, j'ai constaté que son avis est toujours bienveillant et que quand quelque chose ne lui plaît pas, elle n'en parle pas. J'aime cette philosophie et je ne dois pas être la seule car Nelly a chaque jour plus de followers ce qui incite les entreprises à lui envoyer des invitations pour une dégustation ou une présentation de produits. Mais aujourd'hui, nous ne sommes pas invitées et chacune de nous paiera sa part. Les prix sont corrects et la carte très appétissante. Les produits de Toscane y sont mis à l'honneur, alors j'essaie de faire preuve d'un peu d'originalité dans mes choix. Je suis toujours tentée par les plats de pâtes, je ne m'en lasse pas ! Je pense que j'aurai goûté toute la gamme de pasta et de sauces possibles avant de rentrer en France !

Nelly ne fait pas attention à nous, elle passe son temps à discuter avec le chef et à prendre des photos des plats et de la salle. Je comprends mieux pourquoi Maria a insisté pour que je vienne.

- Alors Sabine, tout va bien depuis ton arrivée à Florence ? Tu ne regrettes pas la France ? me demande Maria tandis que nos plats arrivent.

- Tu plaisantes ? Pour le moment c'est comme si j'étais en vacances, je m'émerveille de tout ce que je vois et j'ai toujours du mal à réaliser que je vis ici.

- Mais tu ne te sens pas trop seule ?

- Non, pas plus qu'en France. Tu sais, depuis que mes parents ne sont plus là, je n'ai pas vraiment de lien avec le reste de ma famille et étant fille unique, être seule est dans mes habitudes. En fait, depuis que je suis ici, ma vie sociale est bien plus riche qu'avant et cela grâce à toi !

Nelly pose enfin son téléphone et me demande tout en dégustant son assiette:

- Et que penses-tu des Florentins ?

- Et bien à vrai dire, je n'ai pas eu l'occasion d'en rencontrer beaucoup, hormis Luca et Francesco.

- Ah! Francesco! dit-elle, c'est un beau spécimen, n'est ce pas ? Mais méfie-toi de lui ! C'est un charmeur! Il plaît beaucoup aux femmes et il le sait. Je ne lui connais aucune relation sérieuse ! À croire qu'il est incapable de s'attacher !

- Il a encore le temps pour ça, non ? dit Maria que je sens un brin irritée

- Oh! je crois qu'il prendra plus que le temps nécessaire avant de se caser ! Il a trop de tentation même dans son travail. Ajoute Nelly très sûre d'elle.

- Que fait-il ? Dis-je en mourant d'envie de savoir où je pourrais le croiser à nouveau

- Il est guide dans les musées et pour des circuits dans Firenze et les alentours. Il est à son compte et son physique, c'est sa carte de visite, sa meilleure publicité ! A côté de cela, c'est un artiste. Il peint et il sculpte plutôt bien. Il est diplômé de l'Académie des Beaux-arts de Florence et il adore choisir des femmes pulpeuses comme modèles, ajoute-elle avec un clin d'oeil qui semble dire que mes rondeurs pourraient avoir un attrait pour Francesco. Excellent ce pollo alla cacciatora ! Et, elle pointe son index sur sa joue en le faisant tourner comme le font les Italiens pour dire qu'un plat est délicieux.

Après le repas, Nelly file à un rendez-vous et j'invite Maria à prendre un café en terrasse. Tout près de notre table, trois hommes sont assis et ils nous dévisagent en riant et en parlant fort. Maria les remet rapidement à leur place.

- Je ne sais pas comment sont les hommes en France, me dit-elle, mais en Italie, ce sont des adolescents attardés ! Complètement immatures ! Sais-tu que la plupart d'entre eux vivent encore chez leurs parents à 30 ans passé ? D'accord, la situation économique de notre pays n'est pas facile mais pour beaucoup c'est surtout une question pratique. Chez mama, ils sont comme des rois ! Tout est fourni: linge, cuisine, ménage, pourquoi iraient-ils vivre ailleurs ? Ils attendent tranquillement de trouver la femme qui remplacera leur mère pour s'occuper de la maison et d'eux-mêmes. Pour les filles, c'est different, nous sommes habituées à faire les tâches ménagères et la cuisine, alors nous avons plus rapidement envie d'être indépendantes. Les mamas sont beaucoup plus indulgentes avec leurs fils. Il y a des traditions qui ont la vie dure ! C'est pareil en France ?

- Non, j'ai l'impression qu'en France, l'esprit de famille est moins présent. Les mères n'ont pas autant de pouvoir. À 30 ans, la plupart d'entre nous avons déjà pris notre indépendance depuis quelques années.

- Bene ! Ici la mama est toute puissante dans sa maison et dans la vie de ses enfants, des fils surtout ! Elles ont même leur mot à dire sur le choix de la future épouse ! Moi en tout cas, je ne suis pas pressée de trouver un mari et de devoir supporter que sa mère vienne chez moi pour me dire que je devrais faire les choses comme ceci et pas comme cela ! Oh non ! J'aime vraiment trop ma liberté !

De retour dans mon appartement, je fais un tour sur le compte instagram de Nelly où les photos du repas de midi ont déja une bonne centaine de likes. Je me sens un peu obligée de laisser une trace de mon passage en aimant ce qu'elle a publié. Machinalement, je fais défiler l'historique de son compte jusqu'à ce qu'une photo attire mon regard. Elle a été prise dans le Jardin de Boboli, avec en fond une vue de Florence et au premier plan, Francesco et son sourire éclatant. Nelly lui fait un peu de publicité en ajoutant un lien vers le compte professionnel du bel italien. Je clique et je comprends immédiatement pourquoi elle m'a précisé que le physique de Francesco était un peu sa carte de visite. Sur chaque photo prise dans les musés ou en ville, il pose en compagnie de personne qui ont eu recours à ses services. Et ce ne sont quasiment que des femmes ! Toutes ont un sourire ravi que je ne peux que comprendre. Découvrir les merveilles de Florence en compagnie de Francesco, c'est ajouter de la beauté à la beauté ! Je m'abonne à son compte, en espérant qu'il le remarquera.

Un message arrive sur mon téléphone et fait retentir cette sonnerie que je n'ai plus entendue depuis longtemps. Celle que j'ai attribuée au numéro de Marco et à lui seul.

"Ciao ma Déesse, tu es à Firenze ?"

Tandis que mon coeur se serre en lisant le petit nom qu'il m'a toujours donné et qu'il continue d'employer, je ne peux m'empêcher de penser qu'il devrait le savoir, s'il avait suivi mes publications depuis quelques mois ! Sauf que bien entendu, il n'en a rien à faire. Je ne suis qu'en pointillé dans sa vie désormais. Comme il a dû être surpris de voir que ma vie avait radicalement changé ! Mais il ne doit pas se douter qu'il est en partie "responsable" de ce changement. Déjà parce que sans lui, sans notre histoire, je n'aurais pas appris l'italien et je n'aurais pas visité Florence. Mais surtout, je n'aurai jamais écrit mon premier livre qui fut un exutoire pour les sentiments douloureux que j'ai ressentis après notre séparation. Il paraît que dans la vie tout arrive pour une bonne raison et je sais désormais pourquoi Marco est entré dans la mienne. Mais il est dommage que certaines choses ne s'apprennent pas sans souffrance. A présent, je suis là, le téléphone à la main, à me demander quoi faire. Je ne devrais pas lui répondre ou pas tout de suite, mais je sais que je n'arriverai pas à l'ignorer et que finalement envoyer quelques mots maintenant ou dans 5 minutes, ça ne changera pas grand chose. Contrairement à moi, Marco n'a jamais attendu impatiemment que je lui réponde.

"Bonjour mon Apollon, oui je me suis installée à Florence pour un an..."

" Bene ! "

Continuer à s'appeler "ma Déesse" et "mon Apollon" c'est aussi idiot que mignon. Tant qu'il emploiera ce mot, je continuerai à croire qu'il me garde une certaine tendresse et je suis certaine que c'est aussi ce qu'il pense quand je l'appelle mon Apollon.

Hormis cela, Marco n'a rien de spécial à me dire. Je ne sais pas pourquoi il m'écrit. Il finit toujours par me répondre avec un simple smiley. Pourtant, il sait que je déteste ça ! Mettre un smiley à la place des mots, c'est comme mettre un point final à la fin d'une phrase. Qu'est-ce qu'on peut répondre à un smiley ? C'est si difficile d'écrire et de discuter, surtout quand c'est lui qui a envoyé le premier message. Mais à part les banalités d'usage "Tu vas bien ? " "Oui, et toi ?" Nous ne parlons pas beaucoup. Il est loin le temps où nous passions nos journées et une partie de nos nuits à discuter. S'en souvient-il seulement ? Il avait alors tant de choses à me dire. Marco a toujours les mots qu'il faut quand il souhaite séduire. Il sait exactement ce que son interlocutrice a envie d'entendre. Il m'a fait rêver plus qu'aucun autre homme, car hélas, j'ai toujours été trop sensible aux mots. Mais une fois que Marco se désintéresse d'une femme, les smileys remplacent les belles phrases. Combien a-t-il de conquêtes dans son Fan Club en ce moment ? Combien de femmes attendent comme je l'ai fait, qu'il fasse d'elles une priorité ?

Nul doute qu'une fois que notre échange a été terminé, il s'est empressé de répondre à l'une d'entre elles et qu'il m'a immédiatement chassé de son esprit. J'aurais aimé qu'il sorte aussi rapidement du mien. Mais c'est impossible. Les émotions qui surgissent après que Marco m'ait écrit me laissent toujours en vrac. Soit je suis dans l'attente qu'il écrive de nouveau en consultant mon téléphone toutes les 5 minutes pour être certaine qu'un message n'est pas arrivé sans que je m'en aperçoive, soit je suis triste qu'il n'ait pas dit les mots que j'espérais, parce que oui, j'espère encore, soit je suis agacée par son attitude comme quasiment chaque fois depuis près d'un an ! Dire que c'est lui qui a insisté pour entrer en contacte avec moi au tout début de notre histoire. Nous étions sur le même site de partage d'images et chaque jour, il laissait des dizaines de likes sous celles que je publiais. Je savais qu'il finirait par m'écrire et même, je l'espérais, parce que sa photo de profil me plaisait énormément. Mais lorsque j'ai reçu son premier message, j'ai aussitôt compris que j'avais à faire à un séducteur et j'ai préféré rester à distance. Pendant 6 mois, il a insisté en m'envoyant régulièrement quelques mots que je trouvais souvent sans intérêt. Et puis un jour, tout a changé ! Pourquoi ? Comment ? Je suis toujours incapable de l'expliquer. Nos messages se sont enchainés et nous avions soudain des tas de choses à nous dire ! J'ai eu envie d'apprendre à le connaitre sans rien espérer puisse qu'il ne vivait pas en France. Il évoquait souvent une rencontre à Paris mais il nous a fallu des mois avant de réussir à la concrétiser. Et pendant tous ces mois, je suis tombée éperdument amoureuse de lui ! C'était un sentiment incontrôlable ! Je n'avais plus toute ma tête. Je ne vivais que dans l'attente de ses messages, je calculais le temps qu'il allait mettre avant de m'écrire, j'analysais le moindre mot. Il pouvait me déranger à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, j'étais toujours disponible pour lui. Souvent, il s'éloignait, il m'a même quitté à plusieurs reprises, mais il revenait toujours et chaque fois, c'était magique ! Cette histoire était comme un rêve. Marco correspondait à tout ce que je voulais, du moins c'est ce que je croyais. Car le Marco que j'aimais n'existe pas. A force de l'attendre, je l'ai imaginé à ma façon et non tel qu'il est réellement. Parce que ce qu'il est, ce n'est absolument pas ce que je cherche. J'ai rapidement compris que malgré tout ce qu'il pouvait me dire et les promesses qu'il me faisait, Marco mentait. Il continuait à séduire des femmes sur internet comme dans la vie, il passait des heures en ligne sans m'écrire avec toujours une bonne excuse quand je demandais pourquoi. Je n'étais pas dupe, mais j'étais incapable de le quitter. Puis, il y a eu le voyage à Florence, qui aurait dû être la réalisation d'un rêve mais qu'il a transformé non pas en cauchemar, ce serait exagéré de dire cela, mais en une réalité triste qui m'a explosée au visage. Car c'est ici, à Florence, que j'ai compris que Marco ne m'aimait pas et que notre histoire allait bientôt se terminer. Malgré tout, pendant les mois qui ont suivi, j'ai continué à espérer, à attendre ses messages et à le regarder s'éloigner toujours plus, jusqu'à ce point de non-retour que j'avais tellement redouté. Ma souffrance à été a la hauteur de mon amour.

Heureusement, l'écriture m'a sauvé et du pire est sorti le meilleur avec la publication de mon livre et la possibilité de venir vivre ici. Mais Marco n'a jamais disparu totalement, même s'il lui arrive de rester des mois sans m'écrire, seulement il y a bien longtemps que je n'ai pas ressenti une émotion positive après lui avoir parlé. Aujourd'hui encore je me sens frustrée de ne pas lui avoir dit ce que je me suis promis de lui dire tant de fois. Tout comme je me sens blessée qu'il ne se soit pas davantage intéressé à moi et à ma vie depuis lui. Je passe la journée chez moi, à ruminer. De toute façon, Florence est sous la pluie et cela colle parfaitement à mon humeur. Il y a des jours où il faut juste attendre que la mélancolie passe. Mais croyez-moi, grâce à Marco j'ai aussi appris à gérer ma tristesse et à ne la laisser me bouffer que quelques heures d'affilée et non plus des jours entiers.

6

De Florence finalement, je ne connais que le centre historique, les beaux monuments, les touristes par centaines, les boutiques de souvenirs, quelques bars et restaurants et les magasins de sacs en cuir. Si je veux vivre la vraie vie florentine, il est temps que je parte à la découverte d'une Florence plus authentique. Le quartier San Lorenzo est le lieu idéal pour s'immerger dans la vie locale et pour flaner parmi les étales du marché. Ici, tout foisonne de vie, cette vie italienne comme je l'ai si souvent imaginée. Les stands sont colorés, les gens parlent fort, les vendeurs m'apostrophent en vantant la qualité de leurs produits. Des parfums savoureux flottent dans l'air et éveillent mon appétit. Je me laisse tenter par un peu de fromage, quelques légumes d'un paysan du coin et un petit sac d'olives. Je voudrais tout essayer et les marchands l'ont bien compris. Chaque fois que je m'arrête pour admirer leurs marchandises, ils me tendent un petit quelque chose que je dois absolument goûter ! Je sais que les Italiens verront toujours en moi une touriste, même quand j'aurai passé plusieurs mois à Florence. Mais quelle importance du moment que leur accueil reste aussi chaleureux que celui que je connais depuis que je suis ici !

Une voix féminine m'interpelle: "Il faut que tu goûtes les artichauts aux herbes fraîches de Mario ! Ce sont les meilleurs du marché !" . Nelly se tient à côté de moi, souriante et pour une fois elle n'a pas son téléphone à la main . Elle me salue d'un" Ciao" amical et me demande si je veux l'accompagner chez le dit Mario, le vendeur d’anti-pastis . Je la suis jusqu'à un immense stand où sont exposés des dizaines de pots, de jarres et de plats contenant des préparations qui me semblent toutes plus appétissantes les unes que les autres. Nelly propose à Mario de me faire goûter un de ses fameux artichauts. Tout en me saluant d'une voix tonitruante, il me tend un bout de pain qui absorbe l'huile dégoulinante du petit cœur d’artichaut qu'il a posé dessus. C'est un véritable délice ! Encouragé par ma réaction, Mario me fait goûter un petit poivron farci d'une crème à la ricotta puis un champignon mariné, tout en me promettant le Nirvana à chaque bouchée. Je me laisse séduire et j'achète un assortiment d’anti-pastis sous les remerciements, un poil exagérés, du truculent Mario. Tandis que nous poursuivons la visite du marché, Nelly se montre curieuse de ma vie à Florence et de mon livre en cours. Quand elle n'est pas occupée à remplir son compte Instagram, c'est une fille dont la compagnie est finalement plutôt agréable. Elle m'explique que la fabrique de pâtes fraîches de Luca est à quelques rues de là et qu'elle vient régulièrement acheter des bonnes choses au marché, pour préparer les farces et les sauces. Elle me propose de l'accompagner au magasin et j'accepte avec joie. La boutique est ouverte sur la rue, le comptoir réfrigéré est quasiment sur le trottoir. Dans des bacs en bois, il y a des quantités de pâtes qui attendent d'être vendues: Farfalles, Spaghettis, Tagliatelles, Fettucini, mais aussi des gnocchis, des pâtes à l'encre de sèche, d'autres à la tomate ou aux épinards. Plus loin, ce sont des raviolis dont la farce est également préparée artisanalement. Il se dégage d'ailleurs une agréable odeur de Ragu du fond de la boutique. Nelly m'y m’entraîne. Luca est dans le laboratoire, il installe des spaghettis sur des séchoirs en bois. Il semble heureux et surpris de me revoir. Nelly lui explique qu'elle m'a trouvé en train de dévaliser les étales du marché. Il jette un oeil dans le contenu de mes sacs et me demande combien j'ai de bouches à nourrir pour avoir acheté autant ! Cela me donne une idée : pourquoi ne pas faire d'un dîner chez moi, en compagnie des amis que m'a présenté Maria. Je cuisinerai Français bien entendu, je ne vais pas leur imposer ma mauvaise maîtrise de la cuisine italienne ! Luca me fait visiter le laboratoire et j'assiste à la confection des tagliatelles qu'il fait ensuite sécher sur des présentoirs. Il me fait goûter la sauce à la viande dont il garnira les raviolis, qu'il va confectionner une fois que la pâte aura reposé. Il est intarissable sur son travail, sa petite entreprise et son ambition d'en faire quelque chose de reconnu à Florence. Avant de prendre congé, j'achète des pâtes à l'encre de seiche ( j'ai toujours eu envie d'y goûter) ainsi que des raviolis ricotta et épinard dont je raffole. Luca me remercie et glisse dans mon sac un délicieux petit pot de sauce que je pourrai déguster à la petite cuillère si je le souhaite, me dit-il ! Je rentre chez moi, les bras chargés et satisfaite de m'être enfin comportée comme une véritable habitante de cette ville et non plus comme une touriste. Avoir croisé Nelly a rendu ma visite tellement plus intéressante et je suis heureuse de l'avoir découverte sous un jour nouveau. Assise dans mon petit salon, je souris en me disant que la vie est belle ! Même si je ne suis là que depuis peu de temps, j'ai déjà une vie sociale plus riche que celle que j'avais en France. Je suis certaine d'avoir pris la bonne décision en venant vivre à Florence. Cette année s'annonce sous les meilleurs auspices. Et je ne doute pas qu'elle m'apporte plus que ce que je suis venue chercher.

Dans l'après-midi, je m'attèle sérieusement à la rédaction de mon bouquin qui avance tant bien que mal. Ne plus me comporter en touriste cela veut également dire travailler et arrêter de passer mon temps à flâner. Mais quand je ne suis pas distraite par les bruits qui me viennent de la rue, c'est un message sur mon téléphone qui me perturbe.

- J'habite avec ma copine à présent.

Cette petite phrase repasse en boucle dans ma tête et chaque fois, je sens ce désagréable picotement au niveau du cœur. Pourquoi ai-je posé la question ? Pourquoi ne m'a-t-il pas menti, comme les autres fois ? Marco m'a envoyé un message au moment où je prenais mon café. J'étais de bonne humeur après mon petit tour au marché et j'avais envie de discuter. Lui aussi apparemment car pour une fois il formait des phrases sans utiliser de smileys. Nous avons parlé de mes projets et de ma vie ici. Nous avons parlé de son travail et de ses nouvelles responsabilités. Puis, je lui ai demandé s'il était toujours en collocation avec sa meilleure amie, avec qui il s'était installé peu de temps après notre retour de Florence. Cela pouvait passer pour une question anodine mais ça ne l'était pas. En passant sur le profil Facebook de Marco après sa fête, pour voir les nouvelles publications et surtout voir si "Elle" s'était manifestée à cette occasion, j'ai eu l'intuition que sa situation avait changé. Il n'y avait aucun message de sa petite amie sur son compte alors, comme souvent, je suis passée sur le profil de la demoiselle, qu'elle laisse visible de tous. C'est alors que Facebook m'a gentiment informé qu'elle avait publié sur un groupe de don et d'échange de sa ville. Elle y proposait un canapé à donner avant son déménagement. J'ai immédiatement compris que si elle quittait son appartement, c'était probablement pour s'installer avec Marco. Alors non, je n'ai pas été surprise qu'il me le confirme. Mais en être certaine m'a procuré une sensation désagréable. Je me dois d'être honnête, une partie de moi, qui est attachée à mon cœur, déteste profondément cette fille ! Sans la connaître, je ne lui trouve que des défauts. Quand je l'évoque mentalement, je l'appelle "la pouf" même si je m'en veux aussitôt, car au final elle ne m'a strictement rien fait ! C'est simplement ma jalousie qui parle avant ma raison. Après tout, elle n'est pas volontairement responsable de la fin de ma relation avec Marco. Mais ce qui est certain, c'est que je la trouve insignifiante, fade et vraiment à mille lieues de se comporter comme une femme amoureuse. Et puis, il y a l'autre partie de moi, attachée à mon cerveau, qui compatit sincèrement ! Car de celui qu'elle aime, que sait-elle ? Elle ne sait certainement pas que j'existe et ne peut qu'ignorer que ma relation avec Marco s'est poursuivie longtemps après qu'il soit entré dans sa vie. Elle ne sait pas que le tatouage qu'il porte à son bras, je le porte également, ni que nous étions ensemble à Florence. Elle ne sait évidemment pas qu'il a continué à me dire qu'il m'aimait pendant presque un an après que leur histoire ait commencé, ni qu'il m'a avoué avoir des difficultés à lui faire l'amour parce que je reste la femme qu'il désire par dessus tout. Sur ce point, je sais qu'il ment. Car même si son aveu sur son manque d'attirance vis-à-vis d'elle est vrai, je ne suis pas celle qu'il désire le plus ! Si cela avait été le cas, il se serait montré un peu plus entreprenant avec moi, lorsque nous étions ensemble. Mais a-t-elle seulement compris qu'il doit y avoir d'autres femmes ? Que Marco est incapable d'être fidèle parce qu'il aime trop séduire ? Moi, je le sais. Je connais Marco et malgré ce que j'ai découvert sur sa personnalité, j'aurais donné n'importe quoi pour être celle auprès de qui il se réveille chaque matin, celle présente dans tous les moments importants de sa vie. J'aurais aimé porter son nom et devenir un membre de sa famille. Rien, ni ses mensonges, ni ses infidélités, ni son caractère impossible, ni le fait qu'il se soit attaché à une autre, n'ont pu venir à bout de mes sentiments. Pourquoi elle et pas moi ? Parce qu'elle vit dans sa ville ? Qu'a-t-elle que je n'ai pas ? Plus docile ? Moins suspicieuse ? Moins exubérante dans sa façon d'aimer ? La réponse est toute simple: il ne m'a jamais réellement aimé. Et je suis bien placée pour savoir que l'on ne choisit pas de qui on tombe amoureux. Et il y a une autre chose que je sais, c'est que le jour où j'aimerai un autre homme, Marco passera à la trappe ! Je n'éprouvai plus le besoin d'être en contact avec lui. Il sera rangé une bonne fois pour toute dans la catégorie des souvenirs. Alors que Marco, bien qu'en couple est amoureux, est toujours incapable de me supprimer de sa vie!

Chapitre 2 : Maggio

1

En ce premier jour de mai, le temps est mitigé sur Florence mais la douceur commence à s'installer durablement. Bientôt, ce sera la pleine saison touristique et au vu de la foule qui se presse dans les rues en ce jour férié, je me demande comment nous allons pouvoir circuler d'ici quelques semaines. Sur la piazza della Signora a lieu le Trofeo Marzocco. Le Marzocco est le lion qui symbolise le pouvoir du peuple. On le retrouve un peu partout dans la ville, sous forme de statues, sur les bannières ou encore sur des fresques murales. Six groupes de lanceurs de drapeaux, accompagnés de leurss fanfares, s'affrontent selon les règles traditionnelles. Ils viennent de toute l'Italie. Les costumes sont différenciés par leurs couleurs. Celui des Bandierai degli Uffizi de Florence est bleu, rouge et blanc. Ils sont vêtus de chausses et d'une tunique de style Renaissance. Pour les musiciens, la tunique est ornée de la fleur de lys florentine et l'ensemble est complété par un large couvre-chef. Les tambours et les clairons résonnent, tandis que les drapeaux s'envolent et que les chorégraphies s'enchaînent. C'est un spectacle coloré et bruyant, admiré par une foule que je trouve un peu trop dense. Mais peu importe, je suis bien décidée à profiter de toutes les animations traditionnelles de ma ville d'adoption. J'essaie de trouver une place d'où je puisse admirer le spectacle mais j'avoue ne pas apprécier d'être serrée contre des inconnus, comme c'est le cas en ce moment. Malgré moi, je renifle le dessous-de-bras de mon voisin qui porte son fils sur les épaules et je risque probablement de voir la glace la petite fille d'à côté, dégouliner sur mes chaussures ! Tout cela pour finalement ne pas voir grand-chose du spectacle, mis à part les drapeaux que les lanceurs font virevolter au-dessus de la place. Rapidement, je décide que j'en ai assez vu et je me faufile à contre-courant de la foule, en lançant des "scusa" répétitifs, qui ne servent pas à rien. Sur la Via dei Calzaiuoli, je peux enfin retrouver ma liberté de mouvements. D'ordinaire, c'est l'une des rues les plus fréquentées de la ville mais aujourd'hui les touristes se concentrent vers le Palazzo Vecchio. Ici, il y a de très nombreuses boutiques de luxe et je me contente de faire du lèche-vitrine. Je flâne de l'une à l'autre, jusqu'à arriver devant une Gelataria où le choix des parfums est impressionnant ! Je sais qu'ici les cornets sont plus chers qu'ailleurs sans être forcément meilleurs mais je me laisse tout de même tenter par une énorme boule de glace à la pistache. Je la déguste tout en marchant quand à quelques mètres de moi, j'aperçois une silhouette élancée, surmontée d'une épaisse chevelure bouclée. Immédiatement, je reconnais le beau Francesco qui se dirige dans ma direction et qui ne semble pas m'avoir remarqué. Que faire ? Dois-je aller à sa rencontre et si oui, se souviendra-t-il de moi ? Ou dois-je faire comme si je ne l'avais pas vu ? Le temps que je me pose ces questions futiles, nos regards se croisent et un large sourire illumine son visage, alors qu'il s'avance vers moi.

- Ciaoooo Sabina ! Comme stai ? Che fai ?

Il m'attrape par les épaules et m'embrasse sur les joues, laissant mon nez se noyer dans ses boucles brunes. Son parfum entêtant émoustille mes narrines. J'adore cette odeur de cèdre !

Tandis que je lui explique que j'arrive du Trofeo Marzocco et il se met à rire.

- Tu es allée voir cet attrape-touristes ?

- Pourquoi dis-tu que c'est pour les touristes ?

- Mais parce que ce trophée n'existe que depuis les années 80 !

Moi qui pensais assister à une coutume ancestrale, je suis un peu dépitée.

- Une année sur deux, c'est annulé à cause de la météo, m'explique-t-il. Le reste du temps, c'est l'équipe de Firenze qui gagne, quasiment à chaque fois et les touristes sont contents !

Je me sens un peu bête. Même si le spectacle était agréable à regarder, j'aurais pu me renseigner avant de foncer tête baissée vers ce que j'ai cru être un morceau d'histoire de Florence.

- Et toi, que fais-tu ? Dis-je pour changer de sujet.

- Je viens de terminer une visite à la galeria dell'Academia. Je suis guide mais tu le sais déjà, j'ai vu que tu t'es abonnée à mon compte Instagram.

Ainsi, il l'a remarqué. Et mieux encore, il s'est souvenu de moi !

- Oui, c'est Nelly qui m'en a parlé lors d'un déjeuner, il y a quelques jours

- Oh! Et que t'a-t-elle dit d'autre à mon sujet ? Demande-t-il comme s'il pressentait que la conversation ne s'était pas arrêtée à sa situation professionnelle. Mais impossible de lui avouer qu'à part me mettre en garde contre lui, elle ne m'avait pas dit grand-chose.

- Rien de précis, tu sais elle était très occupée à prendre des photos pour publier sur son compte !

- ça ne m'étonne pas, elle ne fait plus attention à rien depuis qu'elle a commencé à avoir un peu de succès. J'allais prendre un verre, tu m'accompagnes ?

- Oui avec plaisir, le temps de finir ma glace.

- Tu n'as pas choisi la meilleure gelateria de Florence !

- Je sais mais je n'avais pas envie de faire plusieurs minutes de marche pour déguster une glace

- Elle est bonne quand même ? Tu as choisi pistache, comme les Italiens du sud !

- Elle n'est pas mauvaise, dis-je en me demandant si je dois lui proposer de goûter ou pas. C'est délicat de proposer à un inconnu de lécher la crème après que ma langue se soit régalée de ce parfum à la pistache. Je décide de m'abstenir.

- Tu en as un peu sur le coin de la bouche.

Et avant que j'ai eu le temps de m'essuyer, il passe son index à la commissure de mes lèvres et le porte aussitôt aux siennes. J'essaie de ne pas rougir mais je trouve ce geste terriblement intime et sensuel venant d'un homme que je vois seulement pour la deuxième fois !

Assis à la terrasse d'un café, dans une rue moins fréquentée, Francesco et moi discutons comme si nous nous connaissions depuis toujours. Être en sa compagnie est un véritable enchantement. Il a toujours quelque chose à dire sur de nombreux sujets différents et il s'intéresse également à ce que je fais et à ma vie d'avant. Il fait l'effort de me parler français, prétextant que cela l'aide à se perfectionner et me demande de le corriger quand il se trompe. Je n'ose pas lui dire que je n'en ferai rien car ce genre de petites erreurs me fait littéralement craquer ! Marco en faisait parfois et jamais, je ne le lui ai fait remarqué pour cette même raison. Cela agit sur moi un peu comme un philtre d'amour ! Et je suis certaine que ça a le même effet sur les Françaises qui ont recours à ses services. Nelly a raison, Francesco est un piège à femmes. Entre son sourire éclatant, ses yeux qui pétillent, sa chevelure parfumée et sa manière d'être, c'est un véritable danger pour moi. Car malheureusement, j'ai toujours eu un faible pour les séducteurs.

- Tu n'as pas d'homme qui t'attend en France ? Questionne-t-il soudainement.

Je secoue la tête de façon négative.

- Pas depuis une mauvaise expérience, dis-je sans autre explication. Et puis, c'est mieux comme ça, au moins j'ai pu partir l'esprit et le cœur libre.

- Libre de rencontrer un italien ?

Je crois que j'ai rougi et il a sourit.

- Et toi alors, tu es en couple ? Dis-je alors que je connais déjà la réponse.

- Dio Mio ! NO ! J'aime trop les femmes pour me contenter de la même toute ma vie !

Cela a le mérite d'être clair !

- J'espère que je ne te choque pas ? J'ai beaucoup de défauts mais je suis quelqu'un de sincère. J'aime séduire, ce qui ne m'empêche pas d'être toujours clair dans mes intentions, afin que les femmes puissent décider en toute connaissance de causes .

Il marque un point. Savoir à quoi s'en tenir, c'est toujours mieux, même si je suppose que la plupart des femmes doivent espérer pouvoir le faire changer d'avis, comme je l'avais espéré avec Marco. Voilà que j'en reviens encore à mon ex ! Mais c'est probablement parce que, par certains côtés, Francesco lui ressemble. Ces cheveux bouclés, cette assurance, cette facilité à parler de tout et avec n'importe qui, ce côté séducteur aussi. Mais par chance, les ressemblances s'arrêtent là.

Une bonne heure s'est écoulée quand tout en regardant sa montre, il m'annonce qu'il est l'heure qu'il se remette au travail.

- J'ai rendez-vous avec un groupe d'Allemands qui souhaitent visiter le Bargello. Il se lève et m'embrasse sur les joues mais cette fois, il me semble que ses baisers sont plus appuyés, plus sensuels et également légèrement plus proches de mes lèvres.

- Ciao ! me dit-il dans un sourire carnassier. Il s'éloigne d'un mètre ou deux, puis se retourne:

"Sabina ? " Il ne sourit plus et son regard est devenu perçant "J'adore ton odeur."

Je me sens comme une adolescente qui connaît son premier émoi. Je bredouille un " merci, moi aussi j'aime ton parfum." Alors, il sourit de nouveau puis s'éloigne d'une démarche assurée. Je reste assise et commande un autre verre, le temps de retrouver mes esprits et de faire disparaître ce rouge sur mes joues et ce sourire idiot qui vient de se dessiner sur mes lèvres.

2

Il ne se passe pas un jour sans que je savoure ma vie à Florence. Comme lors de mon premier séjour, je me sens chez moi dans cette ville qui était celle de mon cœur bien avant que je puisse découvrir les beautés qu'elle recèle. Mais si vous me posez la question, sachez que je suis incapable de vous dire pourquoi Florence et pas Rome ou Venise. Il m'arrive de croire que j'ai probablement vécu ici, dans une autre vie. Bien entendu, il faudrait déjà que les vies antérieures existent mais j'aime imaginer qu'au temps des Médicis, je déambulais déjà dans les rues pavées comme le sont encore celles du centre historique.

Grâce à Maria, je ne me sens jamais seule. Aujourd'hui, nous nous sommes donné rendez-vous pour boire un café. La vie sociale en Italie est vraiment importante. Les gens aiment se retrouver, discuter, prendre un verre. Et je me rends compte que je ne suis pas aussi sauvage que je le pensais. C'est une expérience nouvelle pour moi, de vivre constamment entourée de la foule et du bruit, de jour comme de nuit. J'ai toujours préféré le calme mais même s'il me manque de temps en temps, il est important que j'apprécie également ce nouvel environnement si vivant. C'est au coeur de la ville que je passe le plus clair de mon temps. N'ayant aucun moyen de locomotion, je ne peux me déplacer qu'en bus et éventuellement en train, si je souhaite me rendre dans une ville voisine. Je regrette parfois de ne pas avoir une voiture pour partir à la découverte de la campagne Toscane. Mais la circulation dans Florence est difficile et trouver une place pour se garer l'est bien davantage.

- Pourquoi ne pas acheter une Vespa ? Me dit Maria à qui je viens de soumettre mon envie de découverte. Il y a un local en bas de l'immeuble, tu pourrais t'en servir de garage.

- Oh ! J'adorerais mais je ne suis pas certaine que je puisse la conduire. Il y a des années que je ne suis pas montée sur un deux-roues !

- C'est un coup à prendre ! Ajoute mon amie sûre d'elle, je suis certaine que tu vas y arriver. Tu peux trouver une Vespa d'occasion, pas la peine d'investir dans du neuf !

Une Vespa ! Pourquoi n'y ai-je pas pensé toute seule ? J'adore ! Il y en a des dizaines garées dans les rues de Florence, presque autant que de vélos ! Cela viendrait parfaitement compléter mon expérience de vie italienne !

- Excellente idée Maria, mais j'ai besoin de ton aide pour en trouver une car je n'y connais rien et je ne veux pas risquer d'investir dans une Vespa qui va me lâcher au bout de quelques semaines !

- C'est increvable une Vespa ! Je vais voir parmi mes connaissances si quelqu'un à un bon tuyau à ce sujet.

- Une Vespa rose, ce serait merveilleux !

- Rose ? Et elle rit comme si je venais de faire la blague du siècle ! Tu prendras ce qu'il y aura ! Libre à toi de la faire customiser ensuite ! Sinon, il me reste mon vélo d'enfant, rose avec des paillettes, des pompons sur le guidon et un petit panier devant ! Et elle éclate d'un rire communicatif. J'aime sa compagnie toujours légère et insouciante. Elle me parle peu de ses problèmes, même si elle doit en avoir, comme chacun de nous. Chaque fois que nous nous retrouvons, Maria essaie de me caser avec un de ses amis avec qui je devrais parfaitement m'entendre, ou bien avec un homme passant dans la rue dont le regard s'est brièvement attardé dans notre direction. Elle papillonne plus facilement que moi, elle séduit, elle drague et les hommes ne lui font pas peur ! Quant à sa vie sexuelle, elle me la raconte à la première occasion ! Pour ma part, j'ai besoin d'éprouver des sentiments pour un homme avant d'envisager la moindre intimité. Pas forcément de l'amour mais un petit quelque chose qui dépasse l'attirance physique. Le sexe pour le sexe, ça n'a jamais été mon truc. Je ne dis pas que cela ne m'est jamais arrivé, mais ce n'est pas ce que je souhaite. Donc, si je garde en tête que je ne suis là que pour un an, à quoi bon entamer une relation avec un homme ? Je préfère ne pas y penser et me consacrer à l'écriture, sortir en ville et vivre la Dolce Vita. De toute façon, pour le moment je ne pense pas intéresser qui que ce soit. Les hommes que je croise me regardent parfois mais ça s'arrête là. Il faut dire qu'ils ont l'embarras du choix parmi les nombreuses touristes qui se promènent dans Florence ! Mais pour être tout à fait honnête, la chose qui me bloque le plus ce sont mes sentiments pour Marco. Bien que mon ex soit de nouveau passé en mode silencieux, je pense à lui plusieurs fois par jour. Je vais toujours vérifier s'il est en ligne et s'il regarde mes storys, ce qu'il fait régulièrement sans pour autant commenter. J'observe et j'analyse mais je me refuse à rompre le silence. Maintenant qu'il vit en couple, c'est plus compliqué de lui écrire à n'importe quel moment et j'ai l'impression que nous n'avons rien à nous dire. J'ai beau savoir que je ne dois plus espérer, l'émotion que j'ai ressentie lors de notre dernier échange me conforte dans l'idée que je ne suis toujours pas prête pour une nouvelle histoire, car il semble évident que mon cœur n'est pas complètement disponible.

Quelques jours plus tard, alors que je travaille dans mon salon, j'entends le moteur d'un deux-roues qui se gare juste en bas de chez moi. Par la fenêtre ouverte, je reconnais la voix de Maria qui m'appelle tout en garant une vespa rouge. Elle me fait signe de la rejoindre.

- Alors ? Qu'est-ce que tu en penses ? Le cousin d'un de mes amis s'est lancé dans un commerce de rachat, réparation et vente de vespa et il veut bien te la vendre pour un prix défiant toute concurrence, si tu acceptes qu'il la reprenne à moindres frais à la fin de ton séjour. Elle est en bon état, je pense que c'est une très bonne affaire.

Je fais le tour de la machine telle une spécialiste alors que je n'y connais rien. Je réfléchst rapidement tout en l'admirant. Je n'ai aucune raison de refuser si Maria me dit que c'est une affaire mais je me demande toujours si je vais arriver à conduire cet engin !

- Allez monte! On va faire un tour et tu vas conduire dans un endroit moins fréquenté qu'ici, me dit Maria comme si elle avait lu dans mes pensées.

Deux heures plus tard, c'est seule que je rentre au volant de mon petit bolide ! Et pas peu fière de moi ! Je me sens presque Italienne et totalement fondue dans le décor ! Il faut avoir rêvé d'un pays pendant très longtemps pour comprendre cette sensation d'être à sa place et de vivre enfin ce qu'on a toujours rêvé de vivre. Je ressens une certaine ivresse, une euphorie un peu semblable à celle qui s'empare de moi quand je suis amoureuse. Et finalement, je le suis ! J'aime Florence, j'aime ma vie ! Vraiment, je n'ai pas besoin d'un homme pour être heureuse !

3

Ce soir, j'ai invité Maria, Nelly, Luca et Francesco à dîner. Dans une épicerie fine, j'ai trouvé de la charcuterie et du fromage français. Après avoir longuement cherché ce que je pouvais leur préparer, je me suis décidée pour une quiche Lorraine ! Je la réussis particulièrement bien, surtout la pâte brisée, que je fais moi-même. Accompagnée d'une salade et d'un peu de fromage, ce sera parfait. J'ai également trouvé un pain digne de ce nom, contrairement au pain Toscan qui manque cruellement de sel. Même les pigeons de la place Santa Croce n'en raffolent pas ! Je m'affaire en cuisine lorsque Maria arrive. Elle m'apporte une chaise de plus car mon appartement n'en compte que 4. Ensemble, nous déménageons la table de la cuisine vers le salon où nous serons moins à l'étroit. Elle se charge de mettre le couvert, tandis que je termine de laver la vaisselle qui traine encore dans l'évier.

- A quelle heure arrivent les autres? me demande-t-elle en venant chercher les verres.

- Luca et Nelly seront là vers 20 h. Francesco un peu après. Il m'a demandé de ne pas l'attendre pour commencer car il a un rendez-vous en fin d'après-midi.

- Un rendez-vous pour le travail ou pour le plaisir ? dit-elle avec un petit sourire

- Comment veux-tu que je le sache ! Peut-être les deux, qui sait !

Maria me fait un clin d'oeil complice car elle et moi savons très bien que Francesco ne s'embarrasse pas de principe à ce sujet.

Luca et Nelly sont pile à l'heure, les bras chargés d'une bouteille de vin et d'un tiramisu préparé par Luca. C'est lui qui a insisté pour apporter le dessert et comme ce n'est pas mon point fort, j'ai accepté bien volontiers. J'installe mon petit monde directement autour de la table. Nelly me complimente pour la bonne odeur qui s'échappe de la cuisine. Nous discutons autour d'un apéritif lorsqu'on frappe à la porte. Je vais ouvrir en essayant de dissimuler le plaisir que j'éprouve à revoir Francesco et j'accueille le bel italien avec un sourire aussi naturel que possible. Il porte une chemise blanche qu'il n'a pas complètement boutonnée, laissant quelques poils sombres s'en échapper. Son sourire éclatant me déstabilise immédiatement. Ses boucles brunes sont retenues par un léger bonnet en toile noire qu'il enlève avant de me faire la bise. Les effluves de son parfum boisé se répandent dans l'air tandis que mon visage est encerclé par ses cheveux soyeux. Pour ne pas qu'il me voit rougir, je m'empresse de le devancer dans le salon. Luca, Nelly et Maria le saluent chaleureusement tandis qu'il prend place à table. Mon choix culinaire fait l'unanimité. Comme je le soupçonnais, avant ce soir, aucun de mes convives n'avaient mangé une véritable quiche Lorraine. Quant à l'ambiance, elle est parfaite. Les discussions sont animées, ponctuées de rires et d'éclats de voix. Maria amuse tout le monde avec les anecdotes sur sa vie. Nelly nous prête un peu plus d'attention qu'a l'ordinaire, bien qu'elle reste intarissable sur ses nouvelles découvertes. L'air de rien, elle s'assure que nous n'avons pas liker ses publications sans nous y être réellement intéressé. Luca tente de la convaincre de lui faire toujours plus de publicité. Il est un peu en boucle sur son magasin, sur ses produits. Rien d'autre ne semble l'intéresser. Francesco est assis en face de moi. Nos regards se croisent régulièrement mais je détourne rapidement les yeux, tout en ayant parfaitement conscience que lui n'en fait rien. Il parle fort, il rit fort, il est excessif en toute chose. Il est tout simplement solaire ! Tout en lui m'attire. Il est rare qu'un homme me plaise suffisamment pour que j'en arrive à ressentir une certaine émotion physique en sa présence. Mais Francesco a ce pouvoir sur moi.

Il n'est pas tout à fait 23h quand une fois le succulent tiramisu de Luca terminé, Nelly nous annonce qu'elle doit nous laisser. Elle est invitée à une soirée très privée, organisée de l'autre côté de la ville. Luca préfère rentrer afin de se reposer alors que Maria aimerait que nous allions boire un verre. Mais Francesco doit également rejoindre des amis. Quant à moi, j'ai le salon à ranger et la vaisselle à faire. Maria propose de m'aider à tout mettre en place avant de sortir mais je préfère rester chez moi. Face à si peu d'enthousiasme, elle se résout elle aussi, à rentrer. Mes amis m'embrassent à tour de rôle, me félicitant à nouveau pour mon dîner. Francesco traîne un peu, ramenant les derniers verres dans la cuisine. Je referme la porte tandis qu'il me rejoint dans le hall d'entrée. Mais au lieu de prendre congé, il me demande si je peux lui faire un autre café.

- J'ai encore un peu de temps avant de rejoindre mes amis, tu m'autorises à rester en ta compagnie ?

A-t-il la moindre idée du bonheur que j'éprouve à me retrouver en tête à tête avec lui ? Je prépare le café que nous prenons assis l'un à côté de l'autre, dans le salon.

- Comment se passe la vie Sabina, tu n'as toujours pas de regret d'avoir quitté ton pays ? Tu ne t'ennuies pas ?

- Je n'ai pas le temps de m'ennuyer ! Quand je n'écris pas, je flâne en ville ou dans les environs. J'ai une vespa maintenant, tu sais ? Je suis enfin libre de bouger. J'ai découvert des jardins magnifiques sur les hauteurs de Florence avec une vue sur la ville à couper le souffle, tout spécialement depuis le Giardino Bardini.

- C'est un jardin magnifique en effet ! Est-ce que tu as visité Siena ? C'est une ville qui devrait beaucoup te plaire, même si elle est moins prestigieuse que Firenze

- Non pas encore, mais c'est au programme, tout comme la visite de Pise.

- Je vais à Siena ce week-end, tu veux m'accompagner ?

- Avec un groupe de touristes ?

- Non, j'y vais seul, pour voir quel parcours je pourrais proposer et ton œil de "touriste" justement pourrait m'aider !

- Avec plaisir !

- Molto bene ! Alors je passerai te chercher en voiture, il y a environ une heure de trajet, un peu plus si j'emprunte les petites routes mais cela pourrait être agréable, si tu n'es pas pressée de rentrer ?

- Je n'ai rien de prévu, ce serait parfait !

- J'espère que cela ne va pas te mettre en retard pour l'écriture de ton livre ?

- Il faut savoir faire des pauses et aller trouver l'inspiration. Et puis, mon livre raconte mon année ici, alors toutes les découvertes sont les bienvenues!

- Est-ce que tu vas parler de moi ?

La question me surprend et je sens de nouveau ce fichu rouge me monter aux joues:

- C'est possible, je vais sûrement t'évoquer, tu fais partie de mes belles découvertes... enfin, je veux dire rencontres ou plutôt de mes amis, dis-je en bégayant un peu. Francesco se met à rire et me répond :

- Bene ! Donc si je veux tenir une plus grande place dans ton livre, il faut que je me montre très présent ?

S'il savait comme j'ai envie de lui répondre oui ! Mais je me contente de sourire. Il ne faudrait pas qu'il insiste beaucoup pour que je succombe à son charme, même en connaissant parfaitement les limites de son intérêt pour moi. Heureusement pour moi, il me rappelle un peu trop Marco. Il a ce côté séducteur, enjôleur, flamboyant tout comme mon ex. Du coup, j'ai peur de répéter l'histoire bien que Francesco soit assez honnête pour ne rien laisser espérer. Le bel italien termine son café et se lève en me prenant la main. Un léger frisson parcourt mon dos.

- C'était très agréable cette soirée Sabina, j'ai hâte que nous soyons dimanche.

Il pose ses lèvres sur le revers de mon poignet, à quelques centimètres d'un de mes tatouages. Il a vraiment le don de faire des gestes d'une intimité incroyable avec le plus grand naturel !

- Il est beau, dit-il en regardant le dessin sur ma peau, très fin ! C'est un cœur ouvert ou un M ?

- C'est un peu des deux, dis-je en espérant ne pas avoir à m'expliquer davantage

- Tu devais l'aimer beaucoup ce M pour l'avoir tatoué sur ta peau.

Il n'attend pas de réponse, et poursuit :

- Ciao Sabina, Buona Note, on se voit dimanche."

Puis il m'embrasse sur les joues, avec cette même sensualité insistante qui m'avait tant troublée lors de notre dernière rencontre.

4

Encore à moitié nue devant mon miroir, j'hésite sur le choix de ma tenue. Il fait très beau en ce dimanche de mai et j'aimerais mettre mon unique petite robe qui plairait certainement beaucoup à Francesco. Mais il est évident que nous allons beaucoup marcher et je n'ai pas d'autre choix que de porter mes baskets ultra confortables mais pas vraiment féminines. Mon pantalon en lin blanc et cette tunique ample, largement décolletés, me semblent plus appropriés. J'éprouve toutefois un léger regret en remettant ma robe sur son cintre. Elle aurait été parfaite pour séduire le bel italien mais après tout, à quoi bon ! Je sais très bien que je n'ai rien d'autre à attendre de Francesco qu'un moment aussi agréable que furtif.
Mon guide est à l'heure pour m'emmener à la découverte de Sienne. Il porte une chemise cintrée qui lui va à ravir et qui dessine parfaitement les contours de son torse. Il a l'air aussi heureux que moi de cette petite escapade, même si pour lui il s'agit avant tout de travailler sur un futur projet d'excursion.

Délaissant la coûteuse portion d'autoroute qui relie Florence à Sienne, Francesco décide de me faire découvrir les paysages pittoresques et les vignobles du Chianti. Tout le long du trajet, la Toscane se dévoile, avec ses cyprès longilignes bordant les routes désertes, les champs en dégradé de verts, les vignes ou les raisins se gorgeront de soleil durant tout l'été, ses villages de pierre, perchés sur les collines ainsi que les villas imposantes tout au bout d'un chemin de terre. De temps en temps, Francesco s'arrête sur le bord de la route pour que je puisse admirer toute la beauté de cette région. C'est un enchantement, un paysage de carte postale où que mes yeux se portent.

- Ta vespa ne t'amènera jamais aussi loin ! dit-il en souriant

- En effet ! Je crois qu'elle aurait rendu l'âme depuis longtemps ! Merci à toi de me permettre de découvrir autre chose que ma déjà très belle Florence.

- Prego ! Je ne pouvais espérer une présence plus agréable, ajoute-t-il dans un sourire enjôleur. Puis il remet le contact et nous voilà repartis sur les petites routes départementales, qui nous conduisent à Sienne de la façon la plus agréable qui soit.

Je ne connais cette ville que d'après les photos que j'en ai vues sur des sites touristiques. Même si la cité est moins prestigieuse que sa voisine Florence, moins chargée en monuments, sa beauté me séduit dès que je commence à déambuler dans ses rues étroites. La plazza del Campo est baignée par le soleil et les terrasses des bars-restaurants sont toutes prises d'assaut. Francesco m'explique que cette place est l'une des plus belles du monde. Je le crois sur parole car ma connaissance du monde est limitée. Jusqu'à présent, je n'ai fait que quelques rares voyages en Europe. Ceci dit, c'est en effet la plus belle que j'ai vue ! Elle est immense et pavée de briques formant un demi-cercle, avec dans sa partie arrondie, une multitude de terrasses ombragées où de nombreux touristes profitent déjà de la douceur du jour, tout en buvant un "caffè". Le palazzo Pubblico ainsi que La Torre Del Mangia qui, avec ses 88 mètres est la deuxième plus haute d'Italie, se dressent fièrement face à nous. Comme souvent lorsque je me retrouve dans un lieu chargé d'Histoire, j'imagine immédiatement la vie que l'on menait ici au 14 ème siècle, lorsque Sienne se dota de ses plus beaux monuments. Grâce à mon imagination débordante, il me semble voir les gens qui ont parcouru ces lieux au fil des siècles. Francesco ne cesse de me regarder en souriant, heureux de me découvrir si attentive et avide de connaitre l'histoire de la ville tout autant que ses anecdotes. Il me montre tout, jusqu'aux petitq détailq que je n'aurai pas su voir et sa façon de parler d'Histoire me réconcilie avec l'image que je me faisais des guides touristiques, que j'ai toujours imaginé très ennuyeux ! Francesco n'est pas seulement un homme séduisant, il est aussi cultivé et intelligent. Je ne pouvais rêver d'un meilleur guide pour découvrir la ville.

Nous sommes au pied de la tour quand il me propose de monter admirer la vue. Combien de mètre fait-elle déjà ? 88 mètres ! Ce n'est pas rien ! Convertis en marches de pierre, cela nous fait combien ? 400 ? Je souffre avant même d'avoir monté la moindre marche ! De plus, je suis sujette au vertige alors je ne suis pas vraiment emballée par sa proposition. Mais il insiste et je finis par me laisser convaincre, sans grand enthousiasme. Comme je m'y attendais, je suis rapidement essoufflée alors que Francesco n'a pas l'air de souffrir le moins du monde de l'effort qu'il est en train de fournir. Mais je m'accroche et c'est au bord de l'agonie (j'exagère à peine !) que j'arrive enfin tout en haut de la tour. D'ici, la vue est exceptionnelle. Tout Sienne se dévoile en ruelles étroites ou larges rues, bordées de maisons aux couleurs chaudes et par-delà la ville, la campagne Toscane, si typique, s'étend à perte de vue. Francesco n'est pas peu fier de me voir si éblouie.

- Alors ? ça ne méritait pas un petit effort ?

- Certes ! Mais sincèrement, je ne pense pas que tu puisses proposer cette visite à tout le monde !

- Mais si ! En montant doucement et à son rythme, c'est possible, tu vois !

Je souris, pas du tout convaincue mais souhaitant retrouver mon souffle et profiter de la vue que j'ai si durement méritée.

Treize heures viennent de sonner lorsque nous posons de nouveau les pieds sur les briques de la place Del Campo. Francesco m'invite à déjeuner dans un petit restaurant qu'il souhaite proposer comme halte à ses futurs clients.

- Ce n'est pas un restaurant pour touristes. J'y tiens, car trop de mes clients sont déçus par la cuisine des lieux où on les dirige d'ordinaire J'ai préféré choisir un endroit simple que les gens de Sienne apprécient.

Il m’entraîne dans une rue peu fréquentée où la hauteur des maisons et les ombres qu'elles projettent rafraichissent l'air ambiant. Le restaurant n'est pas très grand mais il y a une belle cour ombragée à l'arrière du bâtiment. Une fontaine murale diffuse un peu de fraîcheur, des plants d'herbes aromatiques, basilique, persil, origan et ciboulette, poussent dans des jardinières et embaument l'air dès qu'ont les effleures. Les tables sont tendues de nappes à carreaux rouges et blancs si typiques des restaurants italiens. Tandis que je m'installe, Francesco discute avec le patron. Ils parlent « affaires » et le bel italien à un air sérieux que je ne lui connais pas. Mais lorsque nos regards se croisent, un sourire se dessine aux coins de ses lèvres. Est-ce l'effet de la chaleur, mais l'espace d'un instant, je me surprends à imaginer des choses inavouables. J'admire son torse qui se dessine sous le tissu fin de sa chemise et qu'une légère transpiration colle à sa peau par endroit. Et que dire de cette façon qu'il a de passer la main dans sa masse de boucles brunes ! Je me sers un verre d'eau et je détourne les yeux pour tenter de chasser de mon esprit des images de plus en plus explicites.

Francesco s'assoit enfin et pendant quelques secondes, me regarde sans dire un mot. J'ai l'impression qu'il peut lire dans mes pensées, ce qui me met mal à l'aise. Heureusement, il engage la discussion sur mes impressions du matin. Qu'ai-je aimé et moins aimé, que peut-il améliorer ou supprimer de sa visite ? Personnellement et malgré la montée épuisante de la Tour, j'ai aimé ce que j'ai vu tout autant que les explications qu'il m'a données ! Il est enchanté de me voir si enthousiaste !

- Après le déjeuner, nous irons visiter le Duomo. Je suis certain que tu vas être éblouie !

Tandis que nous déjeunons de plats aussi légers que savoureux, Francesco me demande si je valide son choix de restaurant. Je n'ai aucun doute sur le fait que ses futurs clients adoreront venir ici au lieu d'être dirigés vers un restaurant avec vue sur un monument mais où les prix seront élevés et la nourriture sans intérêt. Je lui raconte une de mes mésaventures lors de mon premier séjour à Florence. Nous avions choisi un endroit pour déjeuner, dans une ruelle entre le Palazzo Pitti et le Ponte Vecchio. La terrasse était agréable et ombragée, mais tout le repas avait été affreux ! On ne nous avait servi que du congelé ! Francesco rit et me dit que c'est souvent le cas en Italie et pas uniquement à Florence !

- Tu dois absolument éviter les restaurants qui ont devant l'entrée un panneau avec la photo des plats qui sont proposés. Ce sont toujours des plats congelés ! D'ailleurs, c'est écrit en tout petit en bas, mais personne ne fait attention !

- Oui, je l'ai rapidement compris après cette mésaventure, mais je pensais que celui qui m'accompagnait le savait, il est italien et...

Parler de Marco à ce moment précis ne me semble pas très judicieux. Mais trop tard, Francesco a décidé d'en savoir plus. Il me pose des questions assez anodines mais qui m'obligent à parler de mon ex.

De quelle région d'Italie vient cet homme ? Du sud de l'Italie, la région des Pouilles. Mais il vit en Suisse depuis son enfance.

Comment l'ai-je connu ? Sur un site internet où il a été séduit par les images que je partageais. Comment nous sommes nous retrouver à Florence ? Visiter cette ville était un rêve que nous avions l'un et l'autre, bien avant de nous connaitre. Alors nous avons choisi de le réaliser ensemble.

Quand il me demande le prénom de cet homme et que je réponds "Marco", la question ne se fait pas attendre :

- Ah ! C'est donc lui, le fameux M qui est tatoué sur ton poignet ?

- Oui, c'est lui et puisque nous y sommes, mon tatouage du Giglio, c'est avec lui que je l'ai fait, à Florence justement. Et il a le même.

- Un tatouage commun ? C'est une belle preuve d'amour ! Surtout venant de toi qui t'aies fait tatouer deux fois pour le même homme.

- Il m'arrive de me dire que c'est surtout une belle preuve de stupidité !

- Perché ? Tu regrettes ces tatouages ? Tu ne dois pas. Ils ne parlent qu'à vous deux. Ils sont beaux et personne ne peut en comprendre le sens sans tes explications. Et comment votre l'histoire s'est terminée, car je présume qu'elle est terminée ?

- Elle l'est. En fait, ça a toujours été plus mon histoire plus que la sienne. Il n'a probablement pas ressenti pour moi ce que je ressentais pour lui. A cause de la distance entre nous, nous ne pouvions pas nous voir souvent, alors nos vies continuaient comme celles de deux célibataires entre deux retrouvailles. Plus sa vie que la mienne, tu l'auras deviné. D'ailleurs, lorsque nous sommes allés à Florence, il venait de faire la connaissance de la femme avec qui il vit à présent. Bien entendu, je n'en savais rien.

- Je vois ! Mais la vie est pleine de surprises et il n'a sûrement pas cherché à rencontrer cette personne juste avant votre voyage.

- Non, je sais. Nous n'étions simplement pas destinés à vivre ensemble. Mais je lui en veux quand même. Parce qu'il m'a menti et qu'il a continué à me faire espérer longtemps après que leur histoire ait commencé.

- Peut-être qu'il n'était encore sûr de rien ou que prendre la décision de continuer sans toi n'a pas été si simple ?

- N'essaie pas de lui trouver d'excuses, dis-je avec un sourire un brin agacé, je t'assure qu'il n'en a pas et qu'il m'a menti si souvent que je ne sais même plus distinguer le vrai du faux dans notre histoire.

- Le mensonge fait tellement souffrir, c'est pour cela que je préfère être honnête avec les femmes. Et je comprends très bien si certaines décident de ne rien tenter avec moi. Quant à toi, tu es en Italie, célibataire et disponible pour vivre une nouvelle belle histoire ou même juste pour t'amuser ! Il faut prendre le bonheur là où il est. Et le plaisir d'un instant, c'est aussi du bonheur, tu ne crois pas ?

En disant cela, son regard est devenu plus intense. Je souris en guise de réponse.

Le repas achevé, Francesco m'emmène découvrir le Duomo. La cathédrale Santa Maria Assunta est l'une des plus étonnantes églises d'Italie. Dès l'entrée, j'ai le souffle coupé ! Contrairement au Duomo de Firenze, à l'intérieur gris et sobre, ici tout est en marbre blanc et noir, le dallage est d'une beauté exceptionnelle ! Et que dire de cette hauteur vertigineuse qui nous fait nous sentir si insignifiants tout à coup. Les chefs-d’œuvre y foisonnent. Ici et là, des sculptures de Donatello, Pisano et Michel-Ange. J'ai toujours adoré les sculptures. Je suis fascinée par ce que les artistes ont pu faire sortir d'un bloc de marbre, par la finesse des détails, par l'exactitude de la morphologie et l'émotion qu'ils ont réussi à faire naître de quelque chose d'aussi peu expressif qu'une pierre blanche. Francesco répond à mes questions quand il ne les devance pas. Les statues n'ont aucun secret pour lui. Il me fait admirer l'expression d'un visage et le drapé d'une robe tout autant que le galbe d'un sein ou la rondeur d'une hanche. Il cherche à me troubler, j'en suis certaine et cela même si le lieu n'est pas des plus approprié. Mais je dois bien l'avouer, les statues des madones sont parfois terriblement sensuelles. La bibliothèque de Piccolomini est l'apothéose de cette visite ! Les couleurs chatoyantes des fresques, les ors des moulures, toute la beauté de l'art italien y est réunie. De nouveau dehors, nous contemplons la façade richement décorée. Après avoir passé un moment le nez en l'air, à admirer les plafonds, les voûtes et à présent la façade, je ressens une légère douleur au niveau de la nuque. Je passe ma main sous mes cheveux pour me masser. Francesco le remarque et tout en me demandant si ça va, glisse à son tour sa main sous mes cheveux puis effleure ma nuque de ses doigts. Je ressens comme une décharge électrique et j'ai un mouvement de recul. Il retire aussitôt sa main.

- Scusi, je n'auraid pas dû être si familier.

- Non ce n'est rien, je t'assure, tout va bien. J'ai juste été surprise.

- Je comprends, mais tu sais, je connais cette douleur moi aussi et je sais comment la faire passer.

- D'accord, alors je veux bien un petit massage.

De nouveau, sa main entoure ma nuque et s'affaire à soulager ma douleur par de légères pressions des doigts. Je ne peux pas lui avouer qu'il est le premier homme qui pose une main sur moi depuis deux longues années et que c'est probablement pour cela que j'ai réagi de la sorte.

Sur le chemin du retour, l'ambiance est étrange, un rien électrique. Suis-je la seule à la ressentir ? Peut-être que je prête trop d'attention à la moindre petite chose que fait ou dit Francesco. Ses boucles brunes volent dans l'air qui s'engouffre par les vitres ouvertes. Son parfum vient m'envoûter par moments. Aucun doute, la tension vient de moi. J'ai une envie folle de cet homme et quelque chose me dit qu'il ne me repousserait pas. Mais ensuite ? Une fois ce désir assouvi ? Je me connais, je vais espérer une prochaine fois, je vais attendre un appel, un message et je sais que Francesco ne veut pas de ce genre de relation. Pourquoi suis-je incapable de me satisfaire du moment présent ? Pourquoi l'après est-il toujours si important pour moi ?

Tandis qu'il se gare en double file dans ma rue, je n'ai aucune envie de le quitter. Je lui propose de monter prendre un verre mais il me répond qu'il ne peut pas, qu'il a des choses à faire, comme toujours. Je n'insiste pas.

- J'ai passé une merveilleuse journée, merci pour cette belle découverte de Sienne. Je suis sûre que tes prochains clients seront tout aussi enchantés que moi.

Francesco me remercie tout en me regardant intensément. Il passe sa main dans ma nuque.

- ça va, tu n'as plus mal ?

- Non, ton massage a fait des miracles.

Je sens la légère pression de sa main sur mon cou qui doucement m'attire vers lui. Nos visages sont plus proches qu'ils ne l'ont jamais été. Mon coeur cogne plus que de raison.

- Moi aussi, j'ai passé une merveilleuse journée et j'espère que nous en aurons d'autres, dit-il dans un murmure.

- Je l'espère. Dis-je en essayant de garder mon self-control

Sa main a lâché ma nuque et son index coiffe une de mes mèches derrière mon oreille.

- Je dois te laisser, dit-il, mais avant il faut que je te dise que J'ai vraiment envie de t'embrasser. J'en ai envie depuis un bon moment.

- J'en ai terriblement envie moi aussi...

- Mais.... et il sourit tendrement, je ne veux pas que tu attendes ou que tu espères plus. Je veux simplement que tu apprécies le bonheur de l'instant. Je veux que tu imagines cette journée comme un livre que tu serais en train de terminer. Tu vas le refermer et demain tu en ouvriras un autre. Je suis un personnage mais je ne suis pas le héros de l'histoire.

Pour toute réponse, mes lèvres s'emparent de sa bouche. Notre baiser est rempli de cette tension électrique qui nous accompagne depuis notre départ de Sienne. Nos langues sont aussi avides l'une que l'autre. Sa main à nouveau autour de ma nuque me maintient fermement tandis que les miennes se perdent dans ses boucles brunes. Nos respirations deviennent plus fortes, plus bruyantes. Si nous n'étions pas coincés dans sa voiture en pleine rue, je m'abandonnerais complètement au désir que j'éprouve pour lui. Mais nous devons en rester là. Je dois me contenter du bonheur de cet instant que j'emporte avec moi jusqu'à mon appartement où je le savoure mentalement pendant des heures.

Demain, je redescendrai sur terre. Demain, je serai raisonnable. Mais ce soir, le souvenir de ce baiser m'enflamme et me suit dans les rêves agités que la nuit ne manque pas de m'apporter.


5

S'il est facile de dire que l'on veut savourer le bonheur de l'instant, ne rien attendre est nettement plus compliqué. Plusieurs jours sont passés depuis que Francesco et moi avons échangé un baiser et depuis, rien ! Pas un message, pas un coup de téléphone. Sur son compte Instagram, il a ajouté quelques photos de Sienne, promettant pour bientôt des visites guidées dans cette ville. Finalement, il m'a vraiment demandé de l'accompagner dans le seul but que je valide son projet et notre baiser n'était qu'une agréable façon de conclure cette journée.

Dès le lendemain de cette excursion, Maria s'est invitée chez moi, avec comme prétexte l'envie de boire un café. Je sais très bien qu'elle est impatiente que je lui raconte ce que le bel italien et moi avons fait et comme j'ai besoin qu'elle me donne son avis, je ne me fais pas trop prier. Même s'ils ne sont pas très proches, elle connaît Francesco depuis quelques années et de toute évidence, j'ai besoin que quelqu'un me dise ce que je sais déjà. Pour Maria, que Francesco m'ait embrassé n'est absolument pas surprenant, c'est le contraire qui l'aurait été.

- Mais brava ! S'exclame-t-elle, pour un début dans tes relations avec les Florentins, tu n'as pas choisi le plus moche !

Pour le reste, elle ne peut que confirmer que je n'ai rien à espérer.

- Il a été clair, non ? Il voulait juste t'embrasser. En aucun cas cela ne signifie qu'il va t'envoyer des messages ou passer te voir, ni même qu'il a forcément envie de plus. C'est un instinctif, doublé d'un artiste. Il ne se pose pas les mêmes questions que nous. Il vit ce qu'il désire vivre, mais il est honnête et tu as accepté le deal !

Elle a parfaitement raison, j'ai accepté et je n'ai rien à reprocher à Francesco. Ce baiser n'est pas le début de quoi que ce soit !

- Au moins, tu as osé ! Tu l'as embrassé ! Et c'est probablement le signe que tu vas enfin commencer à te lâcher un peu.

- Ce n'est pas si simple Maria, il y a peu d'hommes qui m'attirent, alors que Franceso agit sur moi comme un aimant.

- Être attirée par Francesco, ce n'est vraiment pas quelque chose d'exceptionnelle, tu sais ?

- Je sais, mais je ne suis pas séduite uniquement par son physique. Il est intelligent, cultivé et drôle ! Sa beauté seule n'est rien à côté de toutes ces petites lumières qui m'attirent comme un papillon de nuit vers une flamme.

- Et le papillon va se brûler les ailes s'il écoute son cœur et pas son cerveau !

- Pourquoi suis-je toujours attirée par les séducteurs ? Dis-je un peu dépitée. C'est la même chose avec Marco, qui pourtant est loin d'avoir la beauté de Francesco !

- Ton problème, c'est que tu as besoin de rêver et de vivre des émotions qui te font vibrer. Un homme lambda ne saura pas te donner ce que tu souhaites à ce niveau mais il pourrait t'aimer de façon sincère. Un homme comme Marco ou Francesco sait parfaitement ce qu'une femme a besoin d'entendre et de ressentir et il n'hésite pas à s'en servir. Mais ces hommes là ne seront jamais les hommes d'une seule femme !

- Pourtant Marco est en couple à présent. Quant à Franceso, il a toujours été clair. En fait, c'est moi qui ne suis pas honnête en disant que je ne vais rien attendre et que je saurais me contenter de ce qu'il me donne. J'espérais au moins qu'il prenne des nouvelles.

- Je ne connais pas bien Marco mais d'après ce que tu m'en as dit, il se lassera vite, il a trop besoin de tester son pouvoir de séduction ! Sa chance, c'est d'avoir rencontré une fille naïve ou qui refuse simplement de voir qui il est réellement. Quand à Francesco, je dirai que c'est plutôt bon signe s'il n'insiste pas ! S'il te considérait comme les autres femmes, il y a longtemps que tu serais passée dans son lit ! Il aurait usé de son charme jusqu'à ce que tu lui cèdes. Je crois qu'il t'apprécie sincèrement, sinon pourquoi t'avoir demandé de l'accompagner à Siena ? Crois-moi, il n'avait pas besoin de ton avis pour savoir comment rendre sa prochaine excursion agréable. Mais comme il connaît les femmes, il sait très bien que tu vas attendre plus, quoi que tu en dises et il préfère garder une certaine distance, le temps que tu descendes de ton petit nuage !

Les mots de Maria me réconfortent un peu. Il est clair que je ne sais rien de ce qui se passe dans la tête de Francesco. Me torturer l'esprit avec des hypothèses, c'est quelque chose que j'ai fait pendant trop longtemps avec Marco. Combien de situations et de réactions ai-je imaginées qui ne sont pas arrivées ? Combien de choses ai-je anticipées sans que jamais elles ne se produisent ? Je n'ai rien à faire de plus qu'attendre et voir ce qui se passera la prochaine fois que je croiserai le bel italien.

6

La douceur du printemps cède chaque jour plus de place à la chaleur de l'été. Les touristes sont toujours plus nombreux. La nuit, j'ai désormais du mal à dormir avec les fenêtres fermées. Mais lorsque je les ouvre, c'est le bruit de la rue qui rend mon sommeil impossible et cela malgré mes inséparables bouchons d'oreilles ! Alors, je m'adapte à la vie Florentine. Je me couche plus tard, je sors me balader le long de l'Arno ou bien je rejoins mes amis pour prendre un verre. De retour chez moi, j'écris jusqu'à l'épuisement qui me permettra de trouver enfin le sommeil. Il y a déjà un mois que je vis à Florence. Je n'ai plus le sentiment d'être une touriste mais je reste émerveillée par la beauté de cette ville. Est-il possible de s'en lasser un jour ? De ne plus remarquer que Florence à elle seule est une œuvre d'art, un musé à ciel ouvert ?

Ce soir, je sors seule arpenter les rues pavées. Ici, les chaussures à talons sont à proscrire, une cheville est vite foulée et il n'est pas rare que certaines "poupées" Russes ou Chinoises l'apprennent à leurs dépens. Déambuler dans le centre historique, c'est aussi devoir slalomer entre les piétons, les vélos et les voitures. C'est monter et descendre sans arrêt des trottoirs trop étroits. Mais cela permet de prendre son temps et quand rien ne presse ont peut se laisser surprendre par la beauté d'une fresque sur le fronton d'une maison ou par la présence d'une Madone dans une niche. Je savoure la tranquillité des bords de l'Arno. Le glissement fluide des avirons sur l'eau calme, les immeubles qui se reflètent sur le fleuve, les allées et venues sur le Ponte Vecchio. Je pousse plus loin encore, là ou la foule des touristes se fait moins dense. Ici, les berges s'élargissent et des groupes de locaux sont assis dans l'herbe, pour pique-niquer ou simplement boire un verre. Je m'accoude à un muret pour profiter de l'ambiance et du soleil qui ne tardera pas à se coucher. Tout respire la douceur de vivre, la Dolce Vitta ! Je ferme les yeux un instant pour mieux savourer ce sentiment de bien être quand mon téléphone vibre et m'annonce l'arrivé d'un message :

- Ciao Bella ! Tu as l'air bien rêveuse.

C'est Francesco ! Immédiatement, je regarde autour de moi. Il doit être tout prés, mais où ?

- Tu veux rester seule ou tu acceptes un peu de compagnie ?

- Mais où es-tu ? Ta compagnie est toujours appréciée.

Je continue de scruter les alentours quand, s'éclipsant d'un groupe assis en cercle sur ma droite, je le vois s'avancer. Ses cheveux sont attachés et je reconnais son sourire éclatant qui s'agrandit lorsqu'il constate que je l'ai vu. Durant le court laps de temps qui le sépare de moi, mon cerveau entre en ébullition et mon cœur s'emballe. Qu'est-ce que je vais lui dire ? Comment allons-nous nous dire bonjour ? Surtout ne pas poser de question idiote, ne pas formuler de reproche, ni de sous-entendu ! Faire simplement comme si le baiser de la dernière fois avait été une chose naturelle mais déjà presque oubliée. Sa bouche se pose sur mes joues. Mon cœur se calme, déçu. Mon esprit lui, se dédouble ! Une moitié reste attentive et répond aux questions polies et amicales que Francesco me pose et l'autre partie m'envoie des questions que je ne peux pas poser et fait des raisonnements sans réel fondement. Francesco se comporte exactement comme il l'a toujours fait. Charmeur juste ce qu'il faut, prévenant, agréable. Il veut savoir ce que j'ai fait ces derniers jours, si j'ai aimé les photos qu'il a publié, si j'ai découvert de nouveaux lieux dans la belle Florence. Il a toujours quelque chose à dire. Discuter avec lui est tellement facile ! Puis il veut savoir où en est l'écriture de mon roman et me demande si j'ai mentionné notre visite à Sienne. J’acquiesce.

- Molto bene ! Suis-je devenu l'un des personnages de ton roman ? Questionne-t-il en souriant. Ai-je un bon ou un mauvais rôle ?

- Ni bon, ni mauvais! Ton personnage, c'est toi, tel que tu es dans la vie : un guide fort agréable et un artiste, libre et tellement sympathique.

- hum... dit il, je ne suis pas certain que cela suffise à rendre mon personnage intéressant.

- Vraiment ? Mais c'est un début et peut-être qu'il le deviendra d'avantage, au fur et à mesure que j'avance dans l'écriture, dis-je en prenant un air détaché.

- Je le lui souhaite ! Je pense qu'il n'a pas encore abattu toutes ses cartes. Et il me fixe soudain avec une intensité qui me fait rougir sur le champ. Je ne peux pas rester plus longtemps, je dois rejoindre mes amis, c'est avec eux que je m’entraîne au Calcio storico, tu sais ce que c'est ?

- Oui, c'est l'un des plus ancien et plus violent jeu du monde, l'ancêtre du football où 4 équipes venant des 4 quartiers de Florence s'affrontent lors d'un tournoi.

- Brava ! C'est l'un des événements les plus emblématiques de la ville ! Il faut que tu y assistes ! De plus la finale a lieu juste derrière chez toi, sur la place Santa Croce.

- Je ne manquerai ça pour rien au monde ! Tu fais partie d'une équipe ? Si c'est aussi violent qu'on le dit, il faut être un peu fou pour y participer, non ?

-Si ! Je joue dans l'équipe des Rossi de Santa Maria Novella et en effet il faut être un peu fou mais avant tout Florentin pour avoir le droit de jouer. Regarde, dit-il en me montrant du menton le tas de muscles que forment ses amis, je sais que je ne suis pas taillé comme la plus part des hommes de mon équipe mais je suis rapide, je me faufile et j'évite les coups autant que possible, même si on est jamais à l'abri d'une belle bagarre, dit-il en éclatant de rire.

Voyant qu'il les regarde, ses amis lui font signe qu'il est l'heure de partir.

- Je dois aller m'entrainer maintenant qu'il fait moins chaud. C'est sympa de s'être rencontrés par surprise, me dit Francesco. Que vas-tu faire à présent ?

- Je vais rentrer en marchant au hasard des rues. Ensuite, j'écrirai quelques pages, afin de voir si ton personnage a des choses à me dire.

Il sourit.

- Il en aura sûrement ! Surtout, ne sois pas trop dure avec lui, il t'aime bien, tu sais !

Je souris à mon tour. Francesco se penche pour me dire au revoir et une fois encore, j'ai l'impression que ses lèvres s'attardent plus qu'il ne faudrait. Il soulève une mèche de mes cheveux du bout de ses doigts et il la respire délicatement. Puis il murmure à mon oreille :

- Décidément, j'adore ton odeur, Cara Sabina ..

7

Depuis des heures, le ciel est gris et la pluie ne semble pas vouloir s'arrêter. De ma fenêtre, je regarde les touristes sous leurs capuchons de plastique colorés et estampillés Firenze, qui accélèrent l'allure plus que de coutume. La terrasse du bar en face est vide, celle de la pizzeria n'a même pas été installée. Je n'aime pas les jours de pluie et c'est paradoxal pour une femme ayant vécu en Normandie pendant des années ! Je les aimerais si je n'étais pas seule, si le mauvais temps était un prétexte pour rester blottie dans les bras de l'homme que j'aime. Mais aujourd'hui, c'est la mélancolie qui me tient compagnie et elle traine avec elle tout un tas de souvenirs avec leur cortège de « si » et de « pourquoi». C'est à Marco que je pense ces jours-là, sans doute parce qu'il reste le dernier homme que j'ai aimé. Le silence c'est de nouveau installé entre nous mais j'y suis habituée. Sur Instagram, il continue de regarder mes vidéos . De mon côté, si je souhaite savoir ce qu'il fait, je dois passer sur le profil de sa compagne, car c'est bien comme cela que je dois l'appeler désormais. Ses stories sont d'une banalité à pleurer ! Entre les photos de leur appartement qui ressemble à une boutique de décoration ou celles des plats qu'elle va ingurgiter, mon intérêt pour ce qu'elle publie est proche de zéro ! C'est typiquement le style de personne que je ne suivrais pas, si j'avais un autre moyen d'apercevoir Marco et de savoir ce qu'il fait. Chaque fois, je la maudis, étouffée que je suis par la jalousie ! Cette fille ne m'a strictement rien fait mais peu importe, je la déteste ! Est-ce que j'espère voir leur couple se briser ? Oui, avec une préférence pour que la rupture vienne d'elle et non de lui ! Je sais que c'est petit, que c'est méchant et que ça ne sert à rien mais peu importe ! J'en suis encore au stade où cela me rendrait heureuse si j'apprenais que leur histoire est terminée. Alors j'espionne, mais je dois bien avouer que je redoute toujours de tomber sur une publication ou elle annoncerait qu'ils vont se marier où qu'elle est enceinte ! Finalement, c'est une chance qu'ils détestent s'exposer ensemble sur les réseaux sociaux.

La plupart du temps, Marco n'est pas dans mes pensées, mais quand la mélancolie s'installe, je me souviens des moments forts que nous avons vécus. Heureusement, ils sont toujours vite balayés par des souvenirs moins agréables, comme si mon cerveau combattait mon cœur sans arrêt, en lui rappelant qu'il y a eu plus de larmes que de joies dans cette relation. Et quand j'ai envie de lui écrire, c'est comme si une main invisible s'accrochait à mes doigts pour ne pas que je le fasse ! Mais est-ce que l'indifférence sera le bon remède ? Les mensonges, la distance, les sentiments non partagés et même le temps, n'ont pas réussi à faire disparaître ce que je ressens pour Marco. Idem pour son silence, puisque je sais qu'il finira par m'écrire. Il n'est pas le premier dont je dois apprendre à me passer. Je sais qu'il arrive un jour où celui qu'on croyait aimer pour toujours, finit par n'être plus qu'une personne parmi tant d'autres. Et moi, j'attends ce jour, depuis longtemps déjà.

Comme pour me faire mentir, je reçois une notification m'informant que Marco vient de publier une vidéo. Immédiatement mon cœur s'emballe, de peur de voir quelque chose que je ne souhaite pas voir. Je sais bien que le risque est faible vu qu'il ne publie jamais rien de trop personnel. Et cette fois ne déroge pas à la règle. Un coucher de soleil sur une rivière, avec une chanson en hommage à Rome. Ça aurait été un hommage à Florence, je me serais posée des questions mais là, le message n'est pas pour moi. Il n'est sans doute pour personne. Mais pourquoi cette image ? Pourquoi une chanson sur Rome ? Me voilà repartie dans des questionnements qui n'auront jamais aucune réponse. Heureusement, une autre notification arrive, Francesco vient lui aussi de publier une photo. Il y apparaît suant, le visage couvert de terre et les cheveux ébouriffés. Il est torse nu et bien qu'il soit en partie recouvert de boue, il est plus sexy que jamais. La légende dit que la photo a été prise après une séance d’entraînement sous la pluie. Je dois me renseigner et acheter des places afin d'assister au Calcio. Pour me changer les idées, je fais des recherches sur internet pour connaître les dates des matchs et en apprendre plus sur cet événement. Je veux impressionner le bel italien avec mes connaissances sur ce sport. Au diable Marco, sa copine et ma mélancolie. Il est temps que je recommence à vivre.

Chapitre 3: Giugno

1

Lorsque je propose à Maria de venir avec moi assister à un entraînement de Calcio Storico, elle refuse tout net !

- Tu es folle ? Deux femmes seules assistant à l’entraînement d'une bonne trentaine d'hommes prêts à libérer leurs instincts les plus primaires ? Jamais de la vie !

Pour Nelly, il est également hors de question de perdre son précieux temps à regarder des mâles en sueur, hurlant et se battant comme des enragés. Comme je n'ose pas demander directement à Francesco si je peux l'accompagner, c'est finalement Luca qui propose de venir avec moi et de m’expliquer les règles de ce jeu historique. Il me conduit dans un stade en périphérie de la ville. Il y a peu de spectateurs. Bien qu'il soit 20 heures passées, il fait chaud et le soleil cogne fort. Nous trouvons un peu d'ombre sous un arbre, près des barrières. Sur le terrain de terre où résistent quelques touffes d'herbes, c'est une autre équipe que celle de Francesco qui s'entraîne. J'ai préféré ne pas préciser à Luca que je m'intéresse au Calcio surtout parce que son meilleur ami y participe. C'est donc à l'entrainement des Azzuri de Santa Croce qu'il m'a emmené. C'est son équipe de coeur depuis l'enfance et comme je vis dans ce secteur, c'est aussi celle que je dois supporter, me précise-t-il le plus sérieusement du monde. Il m'explique de quels quartiers sont issues les 4 équipes : les Azzurri de Santa Croce, les Rossi de Santa Maria Novella qui est l'équipe dans laquelle joue Francesco, les Bianchi de Santo Spirito et les Verdi de San Giovanni. Chacune des 4 équipes comporte 27 joueurs. Le jeu consiste à marquer une « caccia », c'est-à-dire, mettre le ballon dans les filets d’en face, comme au foot traditionnel. Sauf que là, on peut le faire avec n’importe quelle partie du corps: les pieds, les mains, la tête, les genoux, le dos et même les oreilles, dit Luca en riant ! Il est simplement interdit d’affronter un adversaire en 2 contre 1, ou de l’attaquer par-derrière. Chaque partie dure 50 minutes. C'est le Capitaine qui doit veiller à ce que la rencontre ne vire pas au massacre ! Côté arbitrage, il y a un arbitre central qui est accompagné de 6 juges de touche mais aussi d'un juge-commissaire, qui donne le coup d’envoi d’un match et peut stopper le jeu à tout moment.

- Il est déjà arrivé qu'une rencontre soit arrêtée et annulée parce que le jeu était trop brutal, m'explique Luca. Tu sais, le Calcio date de la Renaissance mais pendant 200 ans il a été interdit à cause de sa violence. A l'origine, l’équipe victorieuse recevait une vache Chianina, race typique de la région toscane. Mais à présent, c'est un festin d’après-match qui est offert à l’équipe gagnante. De toute façon la vache finissait souvent dans l'estomac des joueurs !

A voir avec quelle force les hommes d'une même équipe s'empoignent sans qu'il n'y ait aucun enjeu, je commence à réaliser à quel point le Calcio peut être violent. Imaginer Francesco au milieu de ces brutes me donne la chair de poule ! Mais pourquoi a-t-il besoin de participer à ce genre de tournoi ? Je pose la question à Luca, tout en prenant soin de ne pas évoquer son ami.

- En tout cas, ce n'est pas pour l'argent ! Aucun d'entre eux n'est payé mais c'est un grand honneur que de faire partie d'une équipe, m'explique Luca. Ce n'est pas donné à tout le monde ! Déjà, il faut être né à dans cette ville. La grande majorité des Florentins est très fière de cette tradition et ils ne veulent pas la voir disparaitre. Mais pour d'autres, c'est un sport où la violence est sans limite tout autant que gratuite et où l’homme libère tout ce qu’il a de plus mauvais en lui. Ceux-là comparent le Calcio aux jeux du cirque de la Rome antique. Et puis tu verras, lors des matchs, les joueurs portent tous la tenue officielle qui est copiée sur celle de la Renaissance. On à l'impression de faire un bon dans le temps quand on assiste à une rencontre de Calcio Storico ! Termine-t-il avec enthousiasme.

Sans doute, mais après ce que je viens de voir, je ne suis plus certaine d'avoir envie d'assister à cette fameuse finale ! Surtout si c'est pour voir Francesco en sang et couvert d'ecchymoses ! Certes, je le connais assez peu mais il ne m'a jamais donné l'impression d'être une brute sanguinaire capable de taper sur un adversaire simplement pour parvenir à mettre un ballon au fond d'une cage !

Je quitte l’entraînement un peu dubitative. Luca, lui, est surexcité car cette année son équipe est prometteuse ! Il ne cesse de me parler des exploits de l'un ou de l'autre pendant le trajet retour, qui heureusement pour moi est assez bref. Une fois dans mon appartement, je note rapidement tout ce que j'ai appris aujourd'hui. Mais un léger malaise s'est emparé de moi. J'aurais voulu continuer à croire que Florence n'est que beauté et douceur. Alors me revient en mémoire ce croquis fait par Léonard de Vinci et qui représente "Bernardo di Bandino Baroncelli pendu par le cou " depuis une fenêtre du Palazzo vecchio. L’homme avait assassiné Giuliano de Medici le 26 avril 1478 dans la cathédrale de Florence, pendant la messe du dimanche de Pâques. La violence a toujours fait partie de Florence même au temps de sa splendeur car la violence est humaine, qu'elle est partout et qu'elle n'a pas diminuée au cours des siècles. Alors pourquoi ne pas la laisser s'exprimer, tout en la canalisant avec des règles, au sein d'un jeu ? Après tout, personne n'oblige personne à y participer.

2

Depuis que j'ai ma Vespa, il m'arrive souvent d'aller faire un tour. J'évite les rues trop encombrées par les touristes et je m'éloigne du centre, à la découverte d'une Florence plus authentique. Au retour, je m'arrête souvent acheter des pâtes fraîches et de délicieuses sauces chez Luca et Nelly. Il y a souvent du monde dans leur petite boutique, alors je ne m'attarde pas trop, juste assez pour avoir le temps de goûter leurs préparations. J'aime beaucoup Luca. C'est un garçon adorable, qui aime les choses simples et qui adore satisfaire ma curiosité tout autant que ma gourmandise. Je quitte toujours la boutique avec un sac bien rempli que je cale de façon plus ou moins stable entre mes jambes. Plus je me rapproche de la via dell'Agnolo et plus la circulation est dense. Je slalome entre les voitures qui klaxonnent comme si cela pouvait aider à débloquer les rues trop fréquentées. Je dois faire attention aux piétons qui sont les rois du monde ici, ainsi qu'aux vélos qui peuvent arriver de n'importe où ! Mon regard est en alerte et balaye la rue qui est particulièrement encombrée aujourd'hui. Mais tout à coup, une petite camionnette sort d'une place de parking sans me voir et bien que je ne roule pas vite, le choc est inévitable. L'avant de ma vespa tape dans le pare-chocs arrière de la camionnette, qui stoppe aussitôt. Le choc n'a pas été très violent et seul mon sac se retrouve à terre. Mais une espèce de grande tige sort de la camionnette en hurlant comme si je venais de la détruire. Il s'attendait certainement à se trouver face à face avec un homme car il arrête de hurler en me voyant. De hurler seulement, parce qu'il me noie sous une pluie de reproches auxquels il ne me laisse pas le temps de répondre. Après avoir essayé de m'expliquer sans toutefois réussir à placer plus de 2 mots sans être interrompue, je croise les bras et je fixe l'homme droit dans les yeux. Tandis que je le toise, il gesticule comme tout bon italien alors qu'autour de nous une petite troupe de curieux se forme rapidement. Quelle stature ! Il doit presque faire 2 mètres. Il est mince ce qui accentue encore l'effet de grandeur. Ses cheveux bruns sont coupés très court et forment une pointe sur le devant de son crâne. Ses yeux verts ont la couleur des olives qui mûrissent sous le ciel de Toscane. Sa peau est déjà dorée ce qui signifie qu'il doit probablement travailler en extérieur. Sa voix est un peu cassée mais s'il a pour habitude de crier autant, cela n'a rien d'étonnant ! Maintenant qu'il me laisse la parole, je lui présente mes excuses pour ne pas avoir réussi à l'éviter, tout en lui reprochant son manque d'attention avant de sortir de son emplacement. Il ouvre la bouche de nouveau prêt à me hurler dessus mais finalement, il se ravise. Il souffle bruyamment et avance un peu afin de s'assurer que sa camionnette n'a rien, comme si ma Vespa était un bulldozer capable de causer des dégâts irréparables ! Puis il s'approche de moi et me demande si je n'ai rien.

- Il était temps que vous le demandiez ! Dis-je un peu irritée. Sans m'en rendre compte, je prononce cette phrase dans ma langue maternelle.

- Française ? Touriste ? demande l'homme qui semble s'être calmé.

- Oui ! Enfin non, plus vraiment. Je me suis installée à Florence pour quelques mois.

Il ramasse mon sac, remet en place ce qu'il contient et me le tend.

- J'espère qu'il n'y a rien de casser, ce serait dommage, ce sont de bons produits.

Ravie de voir que l'ours se transforme en homme civilisé et qu'il n'est pas dénué de goût ! Je vérifie rapidement que tout ce que j'ai acheté ne soit pas abîmé et je coince de nouveau le sac entre mes jambes. La foule, un peu déçue par le spectacle, se dissipe rapidement.

- Bene, ni ma camionnette ni votre Vespa n'ont rien alors restons en là, mais faites un peu plus attention la prochaine fois. C'est tout un art de conduire en Italie !

- Merci du conseil. En ce qui vous concerne, il me semble que votre art consiste à oublier qu'il y a deux choses fort utiles lorsqu'on conduit : le rétro et le clignotant.

Il ouvre la bouche pret à s'énerver de nouveau, mais avant qu'il ait le temps de reprendre les hostilités, je démarre et je le laisse planté au milieu de la rue, sous la cacophonie des klaxons des conducteurs impatients.
3

En ce mois de juin, Florence est dans une préparation continuelle de fêtes et d’événements. Le 21, l'été sera célébré en musique, comme nous le faisons en France. Il y a aura des groupes un peu partout, des concerts, des bals. Puis le 24, ce sera la San Giovanni, patron de la ville, avec la très attendue finale du Calcio Storico ainsi qu'un grand feu d’artifice avec illuminations du Ponte Vecchio. Entre-temps, la ville sera ponctuée par les matchs éliminatoires du Calccio et les parades liées à cet évènement. Plus que de coutume, Florence est une véritable fourmilière où les touristes sont chaque jour plus nombreux. Le matin, j'assiste au départ de ceux qui quittent les hôtels à la recherche d'un taxi qui les conduira à l'aéroport et en début d'après-midi, le ballet inverse commence, avec comme musique de fond, le bruit des roulettes des valises sur les pavés.
Dans les différents quartiers, l'animation tourne exclusivement autour du Calcio. Des processions sont organisées et les joueurs vêtus de leurs tenues historiques aux couleurs de leur quartier se pavanent comme des dieux au milieu d'une foule admirative. C'est finalement les équipes des Azzurri et des Rossi qui vont s'affronter pour le titre. Cela ne pouvait pas mieux tomber car il s'agit de l'équipe soutenue par Luca et de celle où joue Francesco. Dans quelques jours, la grande finale aura lieu derrière chez moi sur la place Santa Croce, transformée en stade pour l'occasion. Les gradins sont installés et le sable sera prochainement déversé sur les dalles de la place. Luca s'est chargé de nous acheter deux billets pour la finale, m'assurant que je serai rapidement prise par l'ambiance. Je suis toujours partagée entre l'envie d'assister à ce jeu historique et une certaine appréhension face à la violence à laquelle je ne manquerai pas d'être confrontée. Je n'ai pas revu Francesco depuis cette soirée au bord de l'Arno mais il m'a envoyé un message au lendemain de la qualification de son équipe, afin de savoir si je serai dans les gradins pour assister à la finale.

- Tu te dois d'y assister ! Pas seulement parce que je serai dans une équipe, bien que cela soit un soi un excellent motif mais surtout parce que tu ne peux pas écrire un livre basé sur la vie à Firenze sans parler du Calcio Storico ! Et pour bien écrire, tu dois voir ! Ecrit-il dans son message.

Il a raison. Mais je sais d'avance que mon cœur va se serrer chaque fois que je verrai Francesco en mauvaise posture. Maria, à qui je me confie à ce sujet se met à rire et m'assure que j'aurai bien du mal à reconnaître qui que soit au milieu des 54 joueurs se battant les uns contre les autres et recouverts par la poussière que leurs combats ne manqueront pas de soulever.

- Mais ne t'en fais pas, s'il doit être évacué, son nom sera annoncé au micro ! Ajoute–t-elle avec un petit clin d'oeil.

Luca s'attend à ce que je supporte l'équipe des Azzuri de Santa Croce. D'ailleurs, je ne peux pas faire autrement car à force de trainer dans les rues alentour, je commence à être connue par certains habitants et commerçants du quartier. Après tout, sans la présence de Francesco dans l'équipe de Santa Maria Novella, mon cœur se serait spontanément tourné vers celle des Azzuri. Il ne me reste plus qu'à trouver des vêtements bleus pour montrer mon « appartenance » au quartier et à prier pour que Francesco ne ressorte pas trop abîmé de cette finale tant attendue.

4

Une foule compacte se masse sur les gradins qui entourent la place Santa Croce. Le bleu et le rouge sont les seules couleurs visibles où que mes yeux se portent. Au centre du terrain improvisé, le sable a été dispersé en quantité suffisante pour amortir les chutes et absorber le sang ! Les cages sont de part et d'autre du terrain, sur toute la largeur du stade. Pour marquer, il faut mettre le ballon derrière la rambarde. Les joueurs sont en place, cheveux très courts pour la plupart. Ils sont torses nus, car aucun vêtement ne résisterait aux empoignades qui auront lieu durant la partie mais tous portent le traditionnel pantalon bouffant aux couleurs de leurs équipes. Il y a des colosses, des tatoués, des petits plutôt secs, des jeunes et des moins jeunes. Si Calcio signifie football, les participants ressemblent davantage à des joueurs de rugby. Tous ont un poste bien précis. Certains doivent arrêter leurs adversaires par tous les moyens et d'autres attraper le ballon afin de le remettre aux joueurs qui courent les plus vite. Ce sont ces derniers qui doivent essayer d'aller marquer des points et c'est à ce poste que l'on met les plus jeunes mais également les moins baraqués, dont Francesco fait partie. Je le reconnais facilement, bien que sa tignasse brune soit nouée en un chignon serré pour ne pas offrir une prise supplémentaire à ses poursuivants. Exceptée sur la photo qu'il a publiée après un entraînement, c'est la première fois que je le vois si peux vêtu et je ne peux détourner mes yeux de son torse à la peau mâte et aux muscles bien dessinés. J'espère qu'à la fin de ce "combat" camouflé en jeu, il ne sera pas trop abîmé !


J'ai beau ne pas bien comprendre les règles, l'enthousiasme de la foule est communicatif ! J'ai du mal à ne pas exprimer ma joie quand l'équipe des rouges parvient à mettre le ballon derrière la rambarde. Je suis clairement une supportrice de Francesco plus que de l'équipe de Santa Croce où je ne connais personne. Les hommes s'empoignent sans qu'il semble y avoir une raison ! Luca m'explique que certains ne souhaitent qu'une belle bagarre et que d'autres ont des comptes à régler avec un joueur de l'équipe adverse. Rapidement, les corps transpirent et le sable se colle à leur peaux, donnant à tous la même couleur brunâtre. Le sang qui coule d'une arcade ou d'un nez forme des lignes rouges sur les visages. Les coups pleuvent de part et d'autres. Francesco, qui vient de se lancer dans une course effrénée ballon en main, se fait plaquer violemment par un gaillard qui se trouvait là. Il reste immobilisé sous le poids de son adversaire pendant plusieurs minutes, tandis que la partie se poursuit. Lorsqu'il se relève, son chignon pend lamentablement sur le côté et son visage est couvert de sable. Je vois une petite traînée rougeâtre couler de sa lèvre. Ce jeu est d'une brutalité incroyable ! Il ne ressemble à aucun autre ! C'est un mélange de combat de rue, de boxe, de rugby, de lutte, de kick-boxing mais avec tellement d'hommes sur le terrain qu'on ne parvient pas à suivre une seule action. Il faut attendre que la plupart des joueurs soient à terre avant que les équipes tentent de marquer. En effet, quand un joueur a été plaqué, il lui est interdit de se relever avant qu'un but soit inscrit et l'auteur du placage doit maintenir son adversaire au sol. Ainsi, peu à peu, le terrain offre des ouvertures jusqu'aux cages. J'essaie de suivre l'action, tout en gardant un œil sur Francesco qui, après avoir eu le droit de se relever est reparti de plus belle. Le ballon atterrit entre ses bras et il se met à courir comme un lièvre, tant pour échapper à ses poursuivants que pour essayer d'aller marquer des points. Il esquive des joueurs bien plus grands que lui et se faufile entre deux espèces d'armoires à glace. Son visage est crispé par l'effort et ses yeux ne quittent pas la cage. Il manque de se faire plaquer plus d'une fois et il s'en faut de peu qu'il se fasse attraper par un joueur qui parvient presque à saisir ses cheveux, qui sont à présent totalement libérés. Mais Francesco ne lâche rien. Il n'est plus qu'à quelques mètres du but et la foule vêtue de rouge l'encourage en hurlant. A peine a-t-il le temps de jeter le ballon dans la cage qu'un coup de poing d'une violence inouïe l'atteint au visage et il s'écroule au sol. La foule est en délire et je ne saurais dire si c'est le but ou l'acte violent qu'elle applaudit de la sorte. Abasourdie, je ne peux que constater que Francesco ne se relève pas. Une équipe médicale est appelée sur le terrain et l'emporte sur un brancard. Je me lève d'un bond, décidée à aller prendre de ses nouvelles, mais Luca m'assure que ça ne sert à rien car on ne me laissera pas l'approcher. Peu m'importe, je n'ai pas envie de rester sagement à attendre la fin de la partie alors que tout mon esprit est tourné vers Francesco. Je me faufile entre les spectateurs mécontents, jusqu'au stand des secouristes. Effectivement, les vigiles postés à l'entrée du parc dédié aux équipes médicales, refusent de me laisser entrer. J'ai beau leur expliquer que je connais Francesco, ils ont des consignes et ils s'y tiennent. Et puis, mon T-shirt aux couleurs de l'équipe adverse ne plaide pas en ma faveur. Résignée, je me poste près d'une barrière et j'attends. La tente est ouverte et Francesco est assis sur un lit de camp. Il tient sur sa joue un pack de congélation où quelque chose qui y ressemble. Un homme portant un gilet de la croix rouge nettoie une plaie sur son arcade. Francesco n'a pas l'air d'aller trop mal et je pousse un soupir de soulagement. Néanmoins, je décide de rester là, sans trop savoir pourquoi. Deux hommes portant un brancard s'approchent. Ils transportent un joueur de l'équipe de Santa Croce au visage tuméfié et au bras tordu d'une façon impressionnante. En apercevant les brancardiers, Francesco tourne les yeux vers l'entrée. Nos regards se croisent et il me sourit tout en grimaçant. Il discute avec l'homme qui le soigne puis il se lève, lui serre la main et quitte la tente. Son visage est boursouflé, son arcade fendue tout comme sa lèvre supérieure qui a presque doublée de volume.


- Sabina ! Mais qu'est-ce que tu fais ici ?

- Je suis venue m'assurer que tu n'avais rien de grave.

- Tutto va bene ! Grazie ! Je vais juste avoir un énorme bleu sur le visage pendant quelque temps, mais rien de plus.

- Mais tu as perdu connaissance, on ne va pas t'emmener faire des examens plus approfondis ?

- Mais non, ça ira, ne t'en fais pas ! Par contre, c'est fini pour moi, le docteur ne veut pas que je retourne sur le terrain ! Ajoute-t-il la mine déçue.

- Parce que tu en avais l'intention ? Dis-je complètement atterrée.

- Si ! La partie n'est pas terminée ! Et les hommes blessés ne sont pas remplacés. Tu as vu comme le score est serré ? Je vais aller voir la fin du match au bord du terrain. Je te proposerais bien de m'accompagner, mais tu ne serais pas la bienvenue avec ton T-shirt Azzuro !

- Oh ! J'espère que tu ne m'en veux pas de ne pas porter tes couleurs, dis-je un peu confuse. Mais comme je vis dans le quartier de Santa Croce, le bleu m'a semblé plus approprié.

- Ne t'en fais pas, c'est tout à fait normal ! L'important c'est que ce soit pour un joueur de l'équipe adverse que tu t'inquiètes ! Dit-il en souriant comme il peut.

Une clameur retenti dans la partie rouge des tribunes. L'équipe de Francesco est toute proche de la victoire.
- Tu retournes voir la fin du match ? Me demande-t-il.

- Non, je crois que j'en ai assez vu !

- Tu ne seras jamais une vraie Florentine si tu n'aimes pas le Calcio storico !

- Pourquoi ? Tous les Espagnols n'aiment pas la corrida !

- Touchés ! Dit-il en s'inclinant. J'y vais, on se revoit très vite ?

- Si tu en as envie..

- Evidemment que j'en ai envie ! Dit-il en prenant mon poignet et en y déposant un baiser .

Sans réfléchir, j'attrape son visage entre mes mains et aussi furtivement que maladroitement, je pose ma bouche sur ses lèvres gonflées. Il grimace un peu. Je m'excuse aussitôt, mais il me sourit et me dit :

- C'est la deuxième fois que tu m'embrasses par surprise ! ça va devenir une habitude ! Pas que je m'en plaigne, bien au contraire !

- Je suis désolée, dis-je un peu embarassée. Est-ce que je t'ai fais mal ?

- Non ça va, j'en ai vu d'autres. Je crois même que c'est la meilleure médecine qui soit pour soigner ce genre de blessure. Pour confirmer, il m'embrasse à son tour, moins furtivement. Son baiser a un léger goût de sang, mais quelle importance.

- Je ne veux pas rater la fin du match, me dit-il, toujours pressé de passer à autre chose dès que nous nous rapprochons un peu. Je t'envoie un message plus tard.

Et avant que j'ai pu acquiescer, il se faufile dans la foule et disparaît.
Je me mets en route en direction de mon appartement qui n'est qu'à quelques rues d'ici. Je suis à peine arrivée devant mon immeuble que la clameur de la foule annonce la fin de la partie. L'euphorie des rouges qui se pavanent bientôt dans le quartier, ne laisse aucun doute sur la victoire de l'équipe de Francesco.

Je reçois un message quelques heures plus tard tandis que j'admire le feu d'artifice et les illuminations féériques du Ponte Vecchio, en compagnie de Maria à qui je n'ai pas parlé de ce second baiser. Francesco savoure sa victoire avec ses coéquipiers. Il va bien et c'est le principal. Mais la magie de Florence en cette nuit d'été ne parvient pas à chasser de mon esprit le visage du bel italien. J'ai beau savoir que je n'ai rien à espérer, l'attirance que je ressens pour lui est la plus forte. Depuis Marco, je n'ai plus rien éprouvé de tel. J'aurais préféré être attirée par un homme prêt à vivre une véritable histoire d'amour, mais c'est ainsi. Je n'aime que les séducteurs et pour cela, je suis très probablement condamnée à ne vivre que des relations sans avenir.

5


Le mois de juin touche déjà à sa fin. Francesco m'a envoyé plusieurs messages ainsi que quelques photos de son visage tuméfié, au fur et à mesure qu'il passait d'une teinte bleue, au vert puis au jaune. Le fait qu'il m'écrive plus souvent me fait espérer en une évolution positive de notre relation. Mais j'essaie de ne pas trop m'emballer. Ce matin, il m'a proposé de le rejoindre en ville pour boire un café. Je sais que je ne devrais pas, mais je me prépare comme si j'allais à un rendez-vous amoureux. Après tout, nous avons déjà échangé deux baisers, alors peut-être que...

Mon enthousiasme retombe immédiatement lorsque, arrivée à sa hauteur, il me fait la bise. Bien qu'il reste fidèle à lui-même: joyeux, charmeur et amical, j'ai l'impression qu'il fait de son mieux pour ne pas évoquer ce qui s'est passé lors de notre dernière rencontre. Il monopolise la conversation et m'explique qu'il va partir voir de la famille dans le sud de l'Italie.

- Avec la tête que j'ai en ce moment, pas la peine que j'organise des visites ! Je vais faire peur aux touristes ! Plaisante-t-il.

Je ne vois pas comment il pourrait faire peur à qui que ce soit, même avec une lèvre tuméfiée et un énorme cocard. Personnellement, je trouve que cela lui donne un certain charme. Mais je ne suis pas très objective, de toute évidence.

- Tu seras absent combien de temps ? Dis-je alors qu'il m'annonce qu'il partira en fin d'après-midi.

- Seulement quelques jours, je ne peux pas arrêter de travailler longtemps en cette période de l'année. Juillet et août sont les mois les plus chargés concernant la visite des musées et j'ai déjà des groupes qui ont réservé pour découvrir Sienna.

- Peut-être qu'un jour prochain, je louerai moi aussi tes services pour faire le tour des musées que je ne connais pas encore.

- Ce serait un plaisir pour moi de te servir de guide, Sabina, mais attends l'hiver, si tu veux bien, nous serons plus tranquilles. Faisons un deal, je te fais la visite gratuite si tu m'invites ensuite à un dîner français chez toi !

Deal ! L'espace d'un instant, j'imagine ce que laisserait présager un repas en tête à tête avec Francesco. Mais il semble plus raisonnable que j'arrête de rêver !
Francesco regarde sa montre et je pressens qu'il va m'annoncer qu'il doit s'en aller. Il a à peine le temps de formuler le début de sa phrase que je m'entends lui dire :

- Tu comptes continuer longtemps à faire comme s'il ne s'était rien passé ? Je regrette aussitôt d'avoir prononcé ces mots, qui sont sortis tout seul après être restés bloqués trop longtemps dans ma bouche.

- De quoi parles-tu ? demande-t-il l'air surpris.

- Je parle de notre baiser, après le match !

- Ah ! Si. Et quoi ? Il y a quelque chose à en dire ? Ce n'est pas le premier baiser que nous échangeons, non ?

- Justement !

- Et pour autant que je m'en souvienne, les deux fois, ce n'est pas moi qui t'ai embrassé le premier.

Je suis presque vexée qu'il sous-entende que j'en ai pris seule l'initiative.

- Tu as raison, j'ai fais une erreur apparemment. Dis-je prête à quitter la table. Il pose sa main sur la mienne pour m'incité à rester.

- Je n'ai pas dit ça, Sabina ! Mais qui-y-a de plus à dire à ce sujet ?

- Je ne sais pas moi ! On s'embrasse et ensuite on fait comme si rien ne s'était passé et ça me déstabilise un peu !

- Je comprends mais c'est seulement parce que tu espères plus.

- Et de toute évidence, je ne devrais pas.

- Mais enfin Sabina, je t'ai dit que je ne cherchais pas une relation suivie avec une femme et de ton côté, je n'ai pas l'impression que tu souhaites juste que l'on couche ensemble et basta ! Corrige-moi si je me trompe ?

- Non en effet, ce n'est pas ce que je cherche.

- Bene ! Donc nous en sommes là. Nous nous entendons bien, nous nous plaisons et parfois, nous nous embrassons. Enfin non, tu m'embrasses ! Dit-il en me faisant un clin d'oeil.

Je souris malgré moi. Comment puis-je lui en vouloir d'être toujours aussi honnête ? Il me prend la main et pose en baiser dessus.

- Tout peut être simple, crois-moi. Mais il faut que tu arrêtes de te poser autant de questions. Il y a certaines choses que tu ne peux pas maîtriser mais tu peux essayer de les vivre au mieux. Je peux y aller maintenant, prego ? Me demande-t-il en joignant les mains comme s'il faisait une prière.

- File ! De toute façon, je dois rentrer moi aussi.

Nous nous levons et faisons quelques pas dans la même direction. Avant de prendre chacun une rue différente, Francesco s'approche pour me dire au revoir et je lui tends la joue. Il me regarde alors avec un petit air surpris et ajoute :

- Comment ? Tu ne m’embrasses pas ? Puis il éclate d'un rire sonore auquel je réponds par un "Pfff" amusé. Il me serre dans ses bras en riant et pose un baiser sur mon front. Puis, il s'éloigne en me lançant un " Ciao Bella " qui résonne dans la ruelle étroite où il vient de s'engager.



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