Une matinée en famille

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Amba ne sursauta qu’à la dernière sonnerie de la pendule qui venait de le réveiller. Il était déjà neuf heures du matin. Le jeune homme quitta doucement son lit, s’empara de sa serviette, et disparut dans la salle de bain, contiguë à sa chambre. Une heure plus tard, il réapparut sur ses longues jambes, le ventre creux, la mine encore renfrognée. Ni la fraîcheur du matin ni le bain qu’il venait de prendre n’illumina sa figure. Après s’être rhabillé et peigné les cheveux, il se rendit au salon dont le décor était resté inchangé : à droite, une table en bois entourée de six chaises ; au milieu, des fauteuils bien rembourrés entouraient un guéridon chargé de journaux. A gauche, un poste de télévision reposait sur le petit buffet, adossé au mur. Amba ramassa calendriers et autres photos qu’il raccrocha au mur, puis éteignit, avant d’aller se mettre à table, les lampes qui brillaient encore depuis la veille.

Une fois son petit déjeuner terminé, il vint prendre place dans un fauteuil face à la télévision. A l’aide de la télécommande, il surfa d’une chaîne à l’autre, mais aucune ne parvint à retenir son attention. Aucun film de la vidéothèque ne l’intéressait non plus, tant il maîtrisait par cœur certains pour les avoir déjà visionnés plusieurs fois. Ses doigts entreprirent de parcourir les pages d’un journal posé sur le guéridon devant lui. C’était les mêmes titres sensationnels habituels : prise d’otage dans telle ville, assassinat dans telle autre. Il s’empara de tous les journaux et alla les oublier dans une poubelle.

Au dehors, une mototaxi stoppa devant le portail de leur concession. Puis peu après, le portail s’entrebâilla. À travers la fenêtre, il vit apparaître sa mère chargée de nombreux paquets, qu’elle rapportait du marché. Elle s’y était rendue dès le lever du jour pour ses multiples courses. Il alla à sa rencontre et l’aida à transporter les paquets.

A côté d’Amba, sa mère, Mme Matchoing Delphine, n’était qu’une naine, d’une allure chancelante. Son âge avoisinait à peine la trentaine. Mais, on eût pu lui donner la vingtaine. Tout en jetant un coup d’œil interrogateur sur son fils, elle le questionna :

« Amba, t’es-tu bien réveillé ce matin ?

- Oui, maman.

- T’as pris ton petit déjeuner ?

- Oui.

- Qu’apprêtes-tu à faire maintenant ? J’essaye de m’occuper, mais rien au juste ne m’intéresse. Les films ne m’intéressent plus.

- Et si tu surfais sur Internet ?

- J’en ai assez des sons et des images. Je voudrais me retrouver dans un milieu plus tranquille pour retrouver mon calme intérieur.

- Que penses-tu d’aller retrouver tes amis ?

- J’étais déjà hier chez eux.

- Ça leur donnerait d’ennuis de me revoir tous les jours.

- Que comptes-tu donc alors faire ?

- … »

A cette question ne suivit aucune réponse. Entre la mère et l’enfant régna un lourd silence. Comment meubler ces vacances qui venaient de commencer ?

Deux heures plus tard, une odeur appétissante remplit la maison, ramenant à la réalité le jeune homme perdu dans les coulisses de ses ennuis. A nouveau, le ronflement d’une autre moto se fit entendre. Une fois le portail ouvert, le regard d’Amba croisa celui de Bala. Ils traversèrent la cour en s’entretenant et intégrèrent la salle de séjour.

Bala ressemblait à s’y méprendre à son cousin Amba. Il était tout haut sur ses jambes. Il présentait la même carrure que lui. On les prenait pour de vrais jumeaux. Mme Matchoing Delphine reprit de mettre le couvert après s’être renseigné sur la famille de Bala.

Quelques instants plus tard, un autre moteur vrombit devant la concession. Les deux cousins suspendirent leur conversation pour aller accueillir le père de famille qui était rentré du travail. Après les salutations d’usage entre Bala et son oncle, Mme Matchoing Delphine invita tout le monde à table. Au cours du déjeuner, la conversation s’articula autour du travail scolaire et de l’occupation des jeunes pendant les vacances.

« Comment as-tu travaillé cette année scolaire ? Commença l’oncle à Bala.

- L’année scolaire a été passable dans l’ensemble, répondit le garçon, je passe en classe de troisième avec une moyenne de 13/20 et je suis 5ème de ma classe sur 100 élèves.

- Ton cousin, lui, comme tu le sais déjà a moins bien travaillé. Mais il est promu en 3ème aussi. Et vous vous apprêtez l’année prochaine à passer et le BEPC et l’entrée en 2nde. Donc deux défis à relever !

- Nous en sommes conscients, et c’est de cela que nous parlons chaque fois que nous nous rencontrons. Ce qui nous inquiète le plus, c’est que nous venons de passer une année scolaire presque blanche, marquée par le débrayage des professeurs qui réclament de meilleures conditions de travail. Le mouvement de grève a été suivi presque à l’unanimité. Des semaines entières se sont suivies sans le moindre cours. Les programmes n’ont donc pu être couverts qu’à moitié. A cela s’est ajouté le choquant scandale sexuel entre le Censeur et le Proviseur du lycée ».

Pendant qu’on mangeait, Bala revit le film des relations coupables entre le Proviseur et Madame le Censeur n° 2 qui avaient entaché le fonctionnement du lycée tout au long de l’année scolaire. Un mardi matin, une fois le portail ouvert, les premiers élèves qui firent leur entrée dans l’enceinte de l’établissement se constituèrent rapidement en petits groupes autour de leurs téléphones portables. Malgré la sonnerie du Surveillant général pour le traditionnel rassemblement du matin, aucun groupe ne se disloqua, secoué sans cesse par des éclats de rires de plus en plus sarcastiques. Tout discrètement, le Général s’approcha d’un groupe et découvrit à l’écran d’un téléphone le proviseur en costume d’Adam en ébats dans un lit avec Mme Salamatou. Il ne demanda à aucun élève la provenance de cette vidéo et se demandait comment on avait pu ainsi les filmer jusqu’à en faire une si large diffusion et comment allait prendre fin cette affaire qui déjà pouvait être sur les réseaux sociaux. Le général n’était pas surpris qu’on en soit arrivé à un tel scandale au vu des accointances entre le proviseur et Mme le Censeur.

Avant sa formation et son affectation dans ce lycée, Mme Salamatou était en mariage en Centrafrique. Elle avait été battue par son époux et ils s’étaient séparés. Elle avait rejoint sa famille au Nord du Cameroun. Grâce à ses petites économies, elle s’était créé une modeste boutique qui lui générait à peine de quoi survivre et élever ses deux petits enfants. Ses affaires marchaient tellement mal que le désespoir commençait à la gagner. Un jour, alors qu’elle était plongée dans le stress, la tête entre les mains, désespérée, assise dans sa boutique qui périclitait, son portable sonna. Elle prit, décrocha et au bout du fil, elle entendit la voix du proviseur qui lui proposait un poste de professeur d’Anglais dans son lycée en attendant son affectation et sa prise en charge par la Fonction publique. Elle n’en revenait pas ; c’était comme une manne qui lui tombait du ciel, une chance inespérée qui l’interpellait et, à la rentrée scolaire suivante, elle avait regagné le lycée où le ministère l’avait finalement maintenue comme professeur et nommée plus tard pour seconder l’unique Censeur qui s’occupait seul de la pédagogie dans cet établissement qui comptait plus de deux mille élèves. Elle était de la même tribu que le proviseur. Arrivée au lycée, elle prit des dispositions pour s’intégrer dans l’équipe des professeurs formée en majorité d’hommes et dont elle était d’ailleurs la seule femme. Elle entreprit ensuite de gagner d’abord entièrement la confiance du proviseur ; en bonne femme, elle allait causer avec lui, dans son bureau, pendant longtemps, en patois et, quand midi approchait, elle l’invitait à aller à table où les conversations se poursuivaient, invitation que le proviseur ne refusait jamais d’autant plus que les repas préparés étaient les mets de l’Adamaoua, leur région d’origine. Elle avait pratiquement fini par envoûter le proviseur. Elle se chargeait de lui laver le linge, de les lui repasser. Il lui construisit une villa dans laquelle elle loge et où se prennent les décisions sur le fonctionnement du lycée, établissement qui ne leur appartenait pas pourtant, mais dont ils avaient pourtant la responsabilité de gérer avec d’autres, les membres de l’administration de cette école. Si bien qu’en réunion des professeurs on ne venait que dicter ce qui avait été retenu par ce couple. Si bien qu’en réunion, si des voix contraires aux décisions prises au préalable s’élevaient dans le groupe, le proviseur prenait la parole, martelait et imposait de toutes ses forces pour qu’aucune voix ne contredise leurs meilleures décisions. Ce qui avait fini par susciter des mécontentements dans l’équipe et se ressentir dans la manière de travailler du personnel. Sa nomination au poste de Censeur avait fini par doper son orgueil. La dame avait fait de l’ancien Censeur la cible de ses mécontentements. Elle avait concentré toute son énergie à le combattre pour laisser croire qu’elle n’était que le seul Censeur compétent. Elle disait même qu’elle n’avait rien à apprendre de lui et quand elle élaborait quelque chose dans le cadre de la pédagogie, elle n’avait pas à aller soumettre à l’appréciation de l’ancien. Jusqu’au jour où elle fut butée au remplissage d’une fiche de dossier de BEPC. Ne sachant le remplir convenablement, le proviseur la renvoya auprès de l’ancien censeur. Elle vint le trouver le Censeur et lui dit qu’elle venait lui apprendre à remplir la fiche.

« C’est des docs que je remplis depuis plusieurs années, et il n’y a pas de modifications, pas besoin qu’on m’apprenne à les remplir ».

La dame alla se plaindre auprès du proviseur que le Censeur refuse de lui montrer comment remplir les fiches du BEPC. Le proviseur ne dit mot et, lorsqu’elle se rendit compte qu’il était l’heure d’aller en classe pour faire remplir les fiches aux élèves, elle s’approcha de nouveau du censeur et lui demanda : « Montre-moi un peu comment on peut remplir à tel endroit.

- Tu venais pour me montrer des choses, comment me demandes-tu encore de t’expliquer comment remplir telle ou telle partie ? »

Accompagné du professeur titulaire d’une des classes de troisième, l’ancien censeur se dirigea en classe pour aller faire remplir les fiches. Elle tomba dans le piège de son propre orgueil. De scènes semblables s’étaient multiplées si bien que l’année solaire se passa si difficilement que les choses s’étaient déroulées autrement qu’on le souhaitait. A d’autres occasions, elle se substituait carrément à tel ou tel professeur pour aller donner cours, prétextant que le professeur ne savait rien. Personne ne pouvait attirer son attention sur sa « déviance » sans s’attirer sa foudre. Lorsque l’ancien censeur attira un jour son attention là-dessus, ce fut un tollé entre les deux censeurs.

Dans la villa que le proviseur avait construit à Mme Salamatou se déroulaient des choses qu’allait dévoiler un fichier vidéo diffusé à grande échelle par les élèves au téléphone. Un film pornographique tourné par le proviseur et Mme Salamatou déjà disponible sur YouTube. Comment les élèves avaient pu obtenir un film sur la vie privée si intime de ce couple ? Et comment …

« A quoi pense Bala même ?

- Je pensais au scandale sexuel à l’établissement. Ce n’était pas une bonne année. Mme le Censeur a troublé la tranquillité du lycée tant du côté des élèves que des enseignants, soutenu en cela par le proviseur, à cause du sexe !

- A cette année presque blanche et troublée veulent venir s’ajouter des vacances déjà ennuyeuses.

- Il est à craindre que nous n’entamions la rentrée prochaine dans des conditions de réussite peu optimales.

- A mon retour du marché, j’ai retrouvé Amba en train de s’ennuyer, ne sachant où aller ni quoi faire, poursuivit sa mère.

- Que vous manque-t-il à faire ? Vous pouvez visionner à nouveau les films et y réfléchir avec vos camarades !

- Non, oncle, trancha Bala. Durant ces vacances, nous voudrions nous livrer aux activités purement récréatives …

- … je peux vous apprendre la conduite maintenant que vous êtes grands !

- Cette proposition est bonne, mais une fois avoir appris à bien conduire, que ferions-nous ensuite ? Les vacances dureront trois mois ! »

Toutes les bouches se turent. Seul le bruit des cuillères animait la table. Mme Matchoing Delphine vida un verre d’eau et brisa le silence en demandant :

« La maison des jeunes n’organise-t-elle rien cette année ?

- Le père Jean est en vacances en France depuis plus d’un mois et personne n’assure son intérim. Je crois que la Commune aurait pu penser aussi à meubler les vacances des jeunes en organisant diverses activités à leur intention. Dommage!

- Une seule fois dans l’histoire, elle a organisé le ramassage d’ordures ménagères, projet qu’elle a baptisé « opération ville propre ». Durant ces vacances-là, les jeunes ont contribué à l’assainissement de la ville, et se sont faits un peu d’argent, tout en meublant leur temps libre.

- J’ai une dernière proposition à vous faire, celle d’aller à plus de cinq cents kilomètres d’ici, à Houldoro, pour aller passer vos vacances auprès de votre oncle M. Zolly, le Commandant de la base militaire de cette ville. Il aime bien l’agriculture et serait ravi de vous voir aider sa dynamique épouse, votre tante, Rebecca à valoriser ses multiples champs de maïs.

- Votre idée nous enchante. Mais, comment allons-nous nous en sortir puisque nous n’avons jamais pratiqué cette activité ?

- Je crains que nous paraissions ridicules à leurs yeux !

- Tout s’apprend…

- … de plus l’insécurité est redoutable dans ce pays des esclaves-rois !

- Lorsqu’on est jeune, on doit avoir le goût de l’aventure ! Quel genre de jeunes êtes-vous même aujourd’hui ?

- C’est une belle aventure, mais à hauts risques, risque de se faire abattre par les coupeurs de route, de se faire dévorer par les animaux sauvages, risque…

- J’ai autre chose à proposer. J’ai reçu hier dans ma boîte internet un mail invitant des groupes de jeunes à participer à deux conférences dont l’une se tiendra en Amérique et la seconde en Afrique au Bénin…

- Méfiez-vous des mails que vous recevez sur Internet !

- A le lire, c’est digne de foi !

- Et puis nous allons voyager à travers le monde, loin des tracas quotidien que nous rencontrons !

- Avons-nous assez de moyens pour vous assurer ces déplacements ?

- Ne vous en faites pas, ils s’en chargent !

- C’est un projet génial !

- De toute façon, allez soupeser les tenants et les aboutissants de ce voyage avant de nous y engager.

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