IV. Le bain

3 minutes de lecture

Elle se déshabillait toujours lentement.

À la manière d’une danseuse, ses gestes étaient d’une grâce sans nom. Tout en mimant le lac des cygnes, elle tordait ses membres comme s’il s’agissait du dernier acte, de la dernière représentation de son existence avant que ne puissent se refermer les rideaux. Ses jambes nues plongeaient alors dans cette eau limpide et bouillante et comme une invitation à rejoindre ce ballet, les autres membres enjoignaient la danse.

Ses cheveux naturellement noir corbeau faisaient tache dans cette eau si claire. Une obscurité faite à base d’amas tentaculaires, comme elle aimait l’appeler. Elle tendait ensuite son bras trempé en direction du plafond et le contemplait longuement. Combien de fois avait-elle écouté les complaintes des autres et de ses propres tourments aujourd’hui ?

L’eau dormante remplissant ses oreilles, les yeux maintenant dans le vide, elle sourit. Une surdité éphémère, un silence absolu.

Elle ferma les yeux et son cerveau se mit alors à lui narrer quelques récits. Des histoires fantastiques, des romances, des poésies, des récits horrifiques… tant d’histoires tantôt cyniques tantôt mélancoliques qu’elle écrirait sur son ordinateur quand elle devrait sortir de ce jardin d’Eden.

Son imagination continua de fermenter dans son esprit. Elle était maintenant une nymphe, fille de Poséidon. Des doigts palmés lui permettaient d’avancer dans ce lac immense, la tête plongeant dans cette immensité refit surface lentement comme s’il suivait les bruissements ailés de son coeur mourrant.

Dans cet environnement, il n’y avait ni odeur matinale de la rosée ni libellules.

Dans ce paysage, il y avait seulement ce lac avec quelques cimes de chênes, quelques oliviers et un relent d’abricot qui se dégageait de ses cheveux au fur et à mesure qu’elle immergeait.

Certains jours, elle ne pouvait pas se permettre de nager alors elle se contentait d’observer la flamme vacillante d’une bougie et se mettait à rêver qu’elle était alors fille d’Héphaïstos, forgeant les armes d’Achille et l’argile de Pandore.

D’autres jours où elle était profondément occupée par ses projets, elle se permettait de souffler un peu en regardant vers le ciel. Elle était alors fille d’Hermès rejoignant le Mont Olympe avec ses chaussures ailées, sautillant et s’envolant à travers les nuages.

Un bruit fracassant l’interrompit dans son rêve et lui rappela de sortir de ce paradis humide.

Le peignoir noué autour de la taille, l’eau mousseuse se vidant, elle sortit rapidement de cette salle aux trésors. Un vent léger lui caressa les jambes comme si Zéphyr avait décidé d’en faire sa reine l’espace d’un instant.

Elle se dirigea alors vers le monde du Tartare, ce monde si terrifiant, avec pour seul amant, Favonius qui embrassait de part et d’autre son corps ruisselant.

Elle prit alors la clé des enfers, ignorant les signaux alarmants de Cerbère qui se frottait à ses pieds et tourna trois fois.

Une enveloppe à la senteur d’Héliotrope suivi d’une écriture manuscrite.

Elle connaissait les mauvais présages comme un oracle, mais elle eut un doute, alors elle l’ouvrit.

S’en suivit un hurlement déchirant qui résonna dans tout le royaume des enfers. Elle était maintenant Perséphone, femme d’Hadès et kidnappée de ce monde imaginaire et elle hurlait à s’en égosiller les poumons. Elle était si fatiguée d’avoir hurlé qu’elle s’accroupit et les bras écartés elle se mit à reproduire la mort d’Hector. Elle était maintenant Andromaque, veuve éplorée sur son propre sort.

Des voisins sortirent en trombe de leur maison, chuchotant entre eux.

« Elle a quoi notre petite voisine ?

— Oh… Vous n’en faites pas, elle fait toujours cela.

— Elle m’inquiète, regardez-là. Elle baragouine quelque chose maintenant, devrait-on appeler les secours ?

— Oh… Elle est sans doute en train de maudire les expéditeurs de cette lettre qu’elle tient dans la main.

Il tend l’oreille.

Oui, oui… C’est bien ce qu’elle fait. Elle invoque Cthulhu pour qu’il vienne hanter leur sommeil.

— Elle fait souvent cela ?

— La dernière fois qu’on l’a vu en pareille position de deuil, c’était quand la mairie annonçait une coupure d’eau dans tout le quartier. Pourtant aujourd’hui, l’eau coule à flots, je ne comprends pas.

— Allons l’aider à se relever. »

Des pas furtifs, ils la relèvent et tentent de comprendre les grognements qu’elle vocifèrent puis finalement tout s’éclaire en regardant la lettre. Comme un chat ne pouvant atteindre sa proie, elle claque des dents tandis que les voisins, les mains sur leur ventre, se tordent de rire.

En effet dans sa colère, on pouvait entendre distinctement les mots suivants :

« Maudite facture d’eau, cent trente euros, sérieusement ?! »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire cilstuveux ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0