Scène X

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CHRISTINE : Bon sang, pourquoi il est aussi long ?

(Finalement, Ben entre dans le salon.)

BEN : C'est bon, me voilà.

PIERRE : Ah, quand même.

CHRISTINE, sarcastique : Finalement, je pensais presque que tu décédais sur place.

BEN : Ha, ha, très drôle. Désolé pour l'attente, j'étais parti pour ça. (Désigne la bouteille de vin.) Je l'avais emmené dans la cave à vins de monsieur Henri, au septième.

PIERRE, niais : Aaaah d'accord.

CHRISTINE : Attends, c'était pas plus simple de la garder dans ton frigo ?

BEN, presque offensé : Ja-mais ! Écoute, je suis pas spécialiste en vin ou... je sais plus comment on appelle ça...

CHRISTINE : On appelle ça un œnologue.

BEN : Ouais, si tu veux... (Regard noir de Christine.) Oooh, ça va, je te ta-qui-neeee... Bref... je sais que le vin, quand il est mal conversé, ça peut vite gâter. Et comme je connais que monsieur Henri a une cave, je lui ai demandé s'il pouvait garder ma bouteille et il m'a dit oui. Il a trouvé ça bizarre mais il m'a dit oui. Dans le jargon, c'est ce qui s'appelle faire bon profit d'une information. Et qui sait, un jour, j'aurai peut-être ma propre ma cave à vins.

CHRISTINE : Ouais, dans une autre vie.

BEN : Oui, dans une vie où tu seras moins sar-castique.

PIERRE, interromptant un petit silence : Un par-tout. Mais c'est pas pour nous parler pinard que tu nous as fait venir, je te trompe ?

BEN : Non, en effet.

CHRISTINE : Bien, on t'écoute; j'estime qu'on a assez attendu.

(Entrée de la dame en noir, venant se placer derrière Pierre et Christine.)

LA DAME EN NOIR, mielleuse : Elle a raison, Ben. Pourquoi continuer à les faire attendre aussi longtemps ?

BEN, méprisant : Oh toi, la ferme !

CHRISTINE : JE TE DEMANDE PARDON ?!

BEN, désorienté : Hein ? Quoi ?

PIERRE : Dis donc Ben, tu es sûr que ça va ?

BEN, encore perturbé : Oui, oui, j'ai eu une petite absence.

(Intrigués, Christine et Pierre regardent derrière eux.)

CHRISTINE, confuse : Heu Ben, tu peux nous dire ce que tu regardes là ?

PIERRE, idem : Ouais, parce que là, si tu vois quelque chose, moi, je vois rien.

BEN : C'est bon, y'a rien.

PIERRE, soucieux : T'es sûr que tu as pas vu un fantôme ou quelque chose ?

BEN : Mais non, puisque je vous dis que j'ai eu une absence.

CHRISTINE, irritée : Alors, dans ce cas, arrête d'essayer de faire peur et crache le morceau, MERDE !

LA DAME EN NOIR, rieuse : Conseil d'ami, fais ce qu'elle te dit parce que, là, elle est d'humeur à tuer.

BEN, bougonnant : Connasse... (Soupir.) Bien, quand il faut y aller... Je... C'est juste que... c'est... C'est pas évident à annoncer...

PIERRE : Ben vas-y d'un coup sec.

BEN : J'ai-reçu-les-résultats-de-mon-dépistage.

CHRISTINE : D'accord, voilà ce qui explique tant de mystère.

PIERRE : Et la bouteille. Si je comprends bien, on célèbre une bonne nouvelle ?

BEN : Navré mais ce n'est pas le cas, ici.

CHRISTINE ET PIERRE : Comment ça ?

BEN : J'ai été déclaré positif.

(Christine place ses mains devant sa bouche et Pierre manque de lancer un juron.)

LA DAME EN NOIR, exaltée : Hmm, j'adore m'imprégrer de ces mines dépitées. (Disparaît de la pièce.)

CHRISTINE, consternée : Mais non, mais non ! Pas toi ! Je vous avais bien dit que ce n'était pas quelque chose à prendre à la légère et voilà que ça t'es tombé dessus... (Soupir.) Bon sang, j'arrive pas à croire.

PIERRE : Pourtant, c'est bien arrivé. Alors, s'il te plaît Christine, n'en fais pas tout un plat, ça aurait pu être pire.

CHRISTINE : Oh mais qu'il est CON ! Franchement, est-ce qui peut être pire qu'avoir ?

PIERRE, irréfléchi : Heeeu... Je sais pas, le cancer.

CHRISTINE : PUTAIN, COMMENT TU AS LE CULOT...

BEN : HÉ ! Je vous ai pas fait venir pour vous puissez vous engueuler. Alors je vous demande de faire preuve d'un minimum de sang-froid... s'il vous plaît.

(Christine et Pierre inspirent puis expirent.)

CHRISTINE : Très bien... Et ça ferait combien de temps que tu...

BEN : D'après ce que j'ai entendu... ça ferait un an. Alors imagine si j'avais encore attendu, mon cas serait sûrement aggravé.

PIERRE : Ouais, c'est passé à un fil alors...

BEN : Comme tu dis... comme tu dis.

CHRISTINE : Mais ta famille est au courant au moins ?

BEN : Bien sûr, ils ont été les premiers à le savoir... Même si pour le petiot, ça a été un peu plus compliqué à expliquer.

PIERRE, pensif : En effet. Mais quand j'y pense, je suis quand même surpris que l'info n'ait pas circulé. Dans le quartier, ce serait jamais passé inaperçu.

BEN : Oh, pour ça, pratiquement tout le monde est au courant, je leur ai juste demandé de garder le silence.

PIERRE : Ben, mon salaud, je sais pas comment tu t'y es pris mais ils ont tenu leur langue.

BEN : Peut-être, quand je leur ai dit que je préférais vous le dire en face que vous l'appreniez de quelqu'un d'autre... la balance a penchée.

CHRISTINE : Oui, sans doute.

PIERRE : Mais qu'est-ce que tu as fait de ces derniers jours alors ?

BEN : Pfff... tout d'abord, j'ai pris mon temps pour bien encaisser la nouvelle. Après ça, je suis resté cloîtré ici, il arrivait que je sorte de temps à autre mais c'était toujours rapide. Puis je me suis demandé comment j'allais le leur annoncer. Et surtout qu'est-ce que je ferai ensuite ? Puis je me suis décidé à réagir car j'allais pas errer chez moi très longtemps. Tout d'abord, je suis allé voir la famille. Après ça, j'ai de nouveau consulté, ce qui a permis de mettre en place un traitement : vous comprendiez bien que ça ne va pas me guérir en un coup d'oeil mais ça devrait ralentir le virus. Au final, comme j'ai bien été occupé ces quelques jours, je me suis pas mal à bouffer. Sinon voilà.

CHRISTINE : D'accord. Et tu as eu le temps de faire ça tout en quelques jours ? (Ben acquiesce.) Sinon... continue à t'empiffre ainsi et tu finiras obèse.

PIERRE, excédé : Bon sang, Christine, tu veux pas lui lâcher la grappe ?

CHRISTINE : Je te demande pardon ? Généralement, on n'évite de plaisanter avec ce genre de choses.

PIERRE : Certes mais il s'est pas fait castré que je sache (Ben retire de rire.) OK, je l'aurait pas dit comme ça mais tu vois ce que je veux dire ? (Christine acquiesce à contrecœur.) Bien, alors écoute : il a consulté un médécin, il a mis tout le quartier au parfum et il nous a même invité pour qu'on puisse l'entendre de sa bouche... Est-ce que tu crois que, quelqu'un de totalement inconscient aurait pris la peine de faire ça ?

CHRISTINE : Non.

PIERRE : On est d'accord. Et puis s'il nous a demandé de venir, je pense qu'il veut qu'on le soutienne, et non l'inverse, je me trompe ?

BEN : Alors là, tu m'ôtes les mots de la bouche. Pit', tu pourras gérer ce genre d'info, j'ai pas de doute là-dessus. (Pierre acquiesce.) Tant qu'à toi, Christine, je... je sais que la tâche sera difficile mais s'il te plaît...

CHRISTINE : ... Benjamin, si tu n'étais pas mon meilleur ami, ça aurait impossible mais... vu que c'est toi, je veux vraiment le faire mais je ne vois pas comment y parvenir.

BEN : Tu ne vois pas comment tu pourrais faire ?

CHRISTINE : Non.

BEN : Alors comment tu as fait pour accepter la gifle qu'on s'est prise face au Portugal ?

CHRISTINE : Honnêtement, je me pose encore la question.

BEN : Et pourtant, tu as fini par accepter. Alors ?...

CHRISTINE : ... Ce ne sera pas une partie de plaisir... (Soupir.) mais je relève le défi.

BEN : Allez, approchez. (Accolade.) Ça va aller. (Lâche sa prise.) Bon, ça, c'était la mauvaise nouvelle. Maintenant, place à la bonne nouvelle.

CHRISTINE : Ah bon ? Pourquoi qu'il y en a une bonne ?

BEN : Bien sûr, sinon pourquoi je vous ai invités ?

PIERRE, surexcité : OH PUTAIN ! MAIS EST-CE QUE TU ATTENDS, CRACHE LE MORCEAU !

BEN, timide : Voilà, ces derniers jours, j'ai... heu... j'ai... comme qui dirait... rencontré quelqu'un.

(Explosions de joie des invités.)

CHRISTINE, enjouée : Oh Ben, je suis tellement contente pour toi. Avec ce qu'il t'arrive, ça ne pouvait pas mieux tomber.

PIERRE : Hé Christine, essayons de nous calmer, d'accord ? Qu'il ait rencontré quelqu'un, c'est un fait... mais le tout est de savoir qui. Alors ?

BEN : Si je vous dis qu'elle s'appelle Amélie, est-ce que ça vous parle ?

CHRISTINE : Attends, la p'tite bourgeoise, là ?

PIERRE : Attends, la p'tite bombasse ?

BEN : OK, c'est pas le même surnom mais je crois qu'il s'agit de la même personne, oui.

PIERRE : J'ai toujours sûr que t'étais chanceux mais alors là, tu as eu une chatte d'enfer.

CHRISTINE : Je l'aurais pas dit comme ça mais il n'a pas tort. C'est pas une fille facile, d'après ce que j'ai entendu.

BEN : Peut-être bien mais... (Rire timide.) Pour une fille comme elle, je suis prêt à prendre le risque.

PIERRE : C'est mignon mais elle a eu lieu cette rencontre ?

BEN, rougissant : Alors... at-tends que je me souvienne... ah voilà ! C'est-c'est tout bête quand j'y pense. Je l'ai aperçue à l'épicerie. En gros, je lui ai dit que je le regardais depuis un p'tit bout de temps car elle avait tapé dans l'œil. Au final, je lui ai demandé si elle voulait bien sortir avec moi. Et croyez-moi ou pas; on a échangé nos numéros donc je vais prendre ça pour un oui. Voilà, y a rien de bien extraordinaire, en fait.

PIERRE, admiratif : Petit veinard, va !

CHRISTINE : Ouais, c'est-cela. Mais tu es bien sûr du déroulement de cette rencontre ?

BEN, gêné : Théoriquement parlant, oui. En pratique, j'ai pas mal savonné.

CHRISTINE, moqueuse : Je me disais bien. N'empêche, j'aurai bien voulu assister à ça.

BEN : Et me mettre plus à l'aise.

CHRISTINE : Sans doute.

BEN, ironique : Co-nasse.

CHRISTINE : Ça va, je te taquine. Non, honnetêment, je suis contente que tu sois de nouveau avec quelqu'un.

PIERRE : Et puis on a bon compter sur la famille et les amis, c'est bien d'avoir quelqu'un à aimer.

BEN, ému : Ouais... Bon, maintenant qu'on s'est tout dit, je vous propose de trinquer car je vous ai invité pour ça à la base.

PIERRE : Ah, enfin.

(Ouverture et service des convives avec enthousiasme.)

BEN : À présent que nos verres sont pleins, qui voudrait lever le sien en premier ?

CHRISTINE : Désolé si je suis rabat-joie mais les circonstances ne sont pas idéales pour fêter quoi que ce soit.

PIERRE : C'est pas faux mais en même temps, c'est pas vrai non plus. Allez, je me lance... Tout ce que je peux te souhaiter, c'est tout ce qu'il y a de mieux dans le meilleur des mondes possible.

CHRISTINE : Tant qu'à moi, j'envoie beaucoup de courage à un homme de cœur.

BEN : Et pour finir, je veux fêter ce que je pourrais appeler : le début d'un temps nouveau.

(Santé générale. Fin de l'acte I.)

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