Souvenirs d'anamnèse

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Il s'enfuit et me poursuit. Jamais je n'ai eu de compagnon si proche et si destructeur. Au fur et à mesure que j'avance, il s'éloigne. Tentant de l’apercevoir, je me heurte à des ombres et des ondes mouvantes, comme s’il n'avait jamais existé. Je cherche à le fuir mais il me rattrape toujours. Chaque course poursuite forme des souvenirs de plus en plus flous. Je ne distingue plus la réalité du délire. Un jour je le regarde. J’accepte sa silhouette imbécile, raccrochée aux mémoires d’un passé absurde. Il est déjà loin, si loin, lointain, ce n’est plus qu’un lointain souvenir.

Je regarde en avant et des choses lui ressemblent, des personnes agissent comme lui. Comme un cauchemar dont je ne me réveillerais qu’avec le souvenir d’une angoisse. Un rêve approximatif qu’une situation du quotidien rappelle à ma conscience. Quelquefois, j'ai peine à croire qu'il existe. Pourtant je discerne une tache sombre dans le soleil, à porté de mes yeux mais absente de mon cœur. Je regrette presque qu’il ne soit pas là. Mais sous les nuages et dans l’obscurité, il se noie dans le décor et le décor se fond en lui.

Puis il revient, maléfique. La tâche a crevé et je ne vois que lui. Il est là, imprégnant progressivement le buvard de mon bonheur, il happe tout ce que je sentais de joie. J’essaie de le faire disparaitre, je tente de me convaincre qu’il ne peut pas vraiment être avec moi. Inexplicablement je romps. Il me questionne. Gentiment d’abord, puis il devient insistant. Je ne veux contenir mes angoisses mais j’échoue. Mes plaies s’ouvrent à l’infini et les cicatrices brillent de plein feu, phosphorescentes dans la nuit. Mes réponses ne lui suffisent plus. Il m'entrave, incapable de bouger, en proie à son interrogatoire. L’angoisse grandit, les pensées n’ont nulle part ou aller, je regrette. Il tente de me rassurer mais en se penchant trop près de mon cœur, pauvre petit mouchoir! Il absorbe les perles tant qu'il peut mais bientôt se désagrège. Tout mon corps en morceau, lâche prise et je pleure. Je regrette alors je pleure, puis je regrette de pleurer, je pleure de n’avoir pas pleuré plus tôt, je pleure de pleurer de regret. Alors je larmoie, seule. Dans le noir, aucune importance n'a la forme de ces larmes. Je ne vois que les ondes de mon cœur se déchirant devant lui. Je ne sais plus si je veux qu’il reste ou le chasser pour lui cacher ma misère. Il s'en veut un peu, essaie de me réconforter avant de lâcher un rideau de repos sur ma tête déséquilibrée.

Il est devenu ma valeur d'échange. Je le conserve avec avarice dans un petit coin de mon âme. C’est une denrée dont je ne délecte que les plus chanceux pour ne pas lui faire perdre de valeur. Du moins ceux qui ont la chance de croiser ma route au moment où elle est praticable, lorsque que je suis capable de leur rendre un miroir rayé de pareille. Quelquefois j'en donne puis j'en reprend du neuf dans un but utilitaire, tentant de recycler un peu de sentiments brisés. Souvent, je le dilue. Pas pour moi mais pour les autres. Parce que moi je suis immunisée après tant d’années empoisonnées mais eux l’ingèrent toujours pour la première fois. Ils ne manquent jamais d’être dépassés de pitié et de honte. J'avais oublié ce que ça faisait et puis finalement ce n’est pas ainsi que je l’ai reçu. Très souvent je fais croire que je n'en ai que très peu. Je le conserve si religieusement qu’il m'arrive d'avoir peur d'oublier ce que j'ai vraiment. J'espère qu'il me pardonne mais il n'a rien à dire. C’est à moi de vivre.

Je pense à lui dans un instant de bonheur. Il ne peut plus m’atteindre. Il reste une tâche d'ombre devant les grands soleil mais quelquefois, elle clignote. Au fil du temps, la tristesse s’est consumée. Sur ses cendres s’est fomenté le terreau d’une nouvelle imprimerie de souvenirs. Les nouvelles histoires d’encre fraîches surlignent les pages du passé et il devient si fade que sa lecture en est compliquée. Il reste des moments où je réalise son absence, souvent je l'oublie tellement elle est devenue habituelle. Il a d'abord été difficile de tout partager, une fois, deux fois et puis le couvercle est finalement resté ouvert et la matière du pot s’est équilibré avec le reste. Tout ce qui tourne autour de moi est vibrant et vivant. Même dans la nuit, il n’y a plus de place pour ses apparitions funestes. Je le laisse apparaître en pleine lumière en gage de mon bonheur, une entité me fait sourire et je ne me fais pas prier. L’éclat de rire le plus lumineux que je connaisse, une joie intérieure me remplit d’allégresse. Je sifflote, une vieille musique en tête, la nostalgie serait presque douce.

Je rêve au jour où, en ouvrant un parfum, en sentant un bouquet, je le retrouverai. A cet instant où tout mon corps s’évanouirait et toute mon âme se retrouverait projetée dans le passé, je ne sentirais alors plus que de la paix. Une paix enivrante, m’entourant d’un voile de tendresse, ne réclamant rien d’autre que le bonheur d’avoir pu exister

Je songe à l'instant où, regardant une photo, observant ma famille ou mes amis, je me souviendrai de lui en me disant simplement « voilà pourquoi tu es là ! ». A ce moment où l’absence ne sera plus un manque mais un détail, lorsque l’ombre ne sera qu’une profondeur ajoutée au tableau. Alors que je croiserai les yeux de ceux que j’aime, j’apercevrai une étincelle, un mouvement d’esprit et ce sera lui. Il me regardera par l’amour des autres et cet amour en sera décuplé. Enfin, il sera invité et pas enterré.

Je souhaite, en une ère proche ou lointaine, pouvoir le croiser. J’espère un jour pouvoir enfin le retrouver sous sa véritable forme, ni bourreau ni saint. Pour qu'il me voie. Qu'il me sourie. Qu'il puisse verser une larme qui me dira pour que la vérité éclate, cette vérité qu’on ne peut décrire et qui ne se manifeste pas. Je ne demande pas de pouvoir l'approcher, je veux juste le retrouver, rien qu'un instant, le sentir vivant. Je voudrais réaliser que son existence était vouée à la mienne, de son premier à son dernier jour et que tout, tout ce qui se sera déroulé, n’aura été qu’un réseau de sa lumière sans discontinuer. Je ne demande même pas de lui parler. Nous nous sommes chuchotés dans la nuit depuis tellement d’années que je ne saurais plus quoi dire et rien de ce qu’il exprimera ne serait assez fort pour rendre hommage à cette puissance. Je voudrais former une dernière image de nous deux. Deux branches à moitié identiques, deux âmes de la même substance et deux coeurs qui se sont toujours aimé malgré la vie.

J'aimerais lui dire pour en finir,

Adieu.

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