CHAPITRE PREMIER

11 minutes de lecture

Le problème avec les femmes, c’est que l’on ne peut vivre ni sans elles ni avec elles…

Lord Byron

Les femmes sont faites pour être aimées, pas pour être comprises

Oscar Wilde

Là où se passe l’histoire - Un endroit très tranquille - Nos héros sans emploi - du bon usage des prénoms - N’embêtez pas Punzie - Miss Va-nu-pattes - Max et ses sœurs - Star la bulle de champagne - La méprise d’Oncle Ford — Les lectures d’une gothique — Terreurs des bouquinistes - Jackie et Jenna - Bienvenue au Mycroft’s - Cuisine et vins - De très prestigieux ancêtres - Un garçon bien entouré.

La petite bourgade de S*, fief de nos héros sans emplois, était unanimement considérée comme un trou perdu en dépit du fait qu’elle se trouvait au bord de la Méditerranée, pas très loin d’Antibes pour être plus précis. Pour certains ce terme de trou perdu était même largement surestimé et remplacé par des qualificatifs nettement plus imagés quoique bien plus insultants, quant aux autres ils n’arrivaient même pas à la situer sur une carte tant soit peu touristique.

Le fait que S* soit un trou perdu se remarquait principalement par l’absence totale de graffitis (à l’exception d’un seul, daté de 1967, tracé à la craie et fierté de la ville) une remarquable propreté des rues et trottoirs et une délinquance quasi nulle.

C’est du reste à ces détails, étrangement communs au demeurant avec des endroits comme Monaco ou la ville de Berne en suisse, que l’on reconnaît les trous vraiment perdus où les signes les plus élémentaires de notre civilisation du XXIe siècle, comme ceux évoqués plus hauts, n’ont pas encore fait leur apparition.

Même les éventuels cambrioleurs, trafiquants en tout genre ou simples vide-goussets à la petite semaine s’étaient rendu compte, après un bref calcul, que vendre des sandwichs, boissons fraîches et autres confiseries aux estivants s’avérait moins risqué et nettement plus rémunérateur. Seuls leurs tarifs (fantaisistes, régulièrement revus à la hausse et à la tête du client) témoignaient encore de leur appartenance au monde de l’escroquerie, mais là c’était pour la bonne cause.

En cet endroit vivait donc Maxwell Lewis Green (Max pour tout le monde) sa sœur jumelle Teresa Sara Green et leur sœur Marceline Rutherford Green de cinq ans leur aînée (Jamais appelée autrement que Marcy). Comme vous vous demandez déjà d’où diable des parents sains d’esprit ont bien pu sortir de tels prénoms sachez que la branche paternelle penchait très nettement du côté des sciences dures tandis que le côté maternel poussait dans un terreau bien plus largement littéraire.

Résultat des courses : l’aînée hérita du patronyme du fondateur de la physique nucléaire, la cadette reçue celui de l’auteur de “Flame and Shadows” à ce propos et en dépit de leurs qualités, aucuns poèmes de Sara Teasdale n’ont été traduits en français à ce jour si l’on excepte le très poignant Il viendra des pluies douces… Mais la mère des jumeaux était une puriste qui lisait toujours ses auteurs favoris en version originale.

Quant au pauvre Max, sous le coup d’un statu quo parental indépassable, il combina celui d’un des pères de la mécanique ondulatoire et de l’auteur « d’Alice au pays des merveilles » ce qui, vous l’avouerez, ne manque pas de sel.

Bref, fruits insolites de l’union d’un lapin des sciences et d’une carpe des belles lettres, il est inutile de dire que nos trois héros partaient dans l’existence avec un héritage culturel singulier.

Physiquement, Marcy est très impressionnante, du haut de son mètre quatre-vingt-dix (sans talons) et bien que pesant près de quatre-vingts kilos, elle affiche une silhouette mince, athlétique et élancée avec un tour de poitrine à trois chiffres qui en fait une version sportive de Jessica Rabbit.

Néanmoins son visage plutôt rond, aux grands yeux bleus très doux est tout à fait en accord avec son tempérament paisible tant il est vrai qu’en toutes occasions, ou presque, Marcy se montre d’un calme que l’on ne peut qualifier que d’Olympien : Elle aurait fait une Athéna ou une Artémis de première force, mais sans le côté maladivement agressif et capricieux qu’ont souvent les divinités grecques.

Sa très longue chevelure noire, qui aurait filé des complexes à Raiponce elle-même, faisait sa fierté même si cela lui demandait des soins et un brossage quotidien des plus assujettissants. En dépit de cela et visiblement peu respectueux de son port altier, ses cadets ne se gênent guère pour l’affubler régulièrement du sobriquet affectueux de « Punzie ».

Coté caractère Marcy est vraiment une crème : Un mètre quatre-vingt-dix de gentillesse doublée d’une amatrice de musique suffisamment éclectique pour apprécier à la fois le rock-folk du Grateful Dead (Casey Jones, son préféré), les morceaux choisis de Gershwin et le Don Giovanni de Mozart.

Mais si pour une raison ou une autre, par exemple casser ses précieux Vinyles de sa collection voire maltraiter ses frères et sœurs ou ses amis, elle se décidait à tordre l’ensemble de votre anatomie pour vous transformer en bretzel alors, à moins que vous ne jouiez dans la même catégorie que Georges Foreman ou Joe Frazier, il n’y aurait vraiment rien que vous puissiez faire pour l’en empêcher et vous auriez un aperçu aussi indélébile que très douloureux de ce que l’on nomme communément Dies Irae !

Teresa est pour sa part d’un tout autre métal : bien que largement plus menue que son aînée, sa silhouette agréable la fait sans conteste considérer par ses pairs comme jolie, mais généralement après un vote à main levée et un scrupuleux recompte des voix, du fait de son indéniable allure de chat de gouttière.

Ses longs cheveux, aussi noirs que ceux de Marcy, sont immuablement coiffés en une frange rectiligne et flanqués d’un non moins immuable serre-tête, principalement rouge, mais elle en possède toute une panoplie. Quant à son visage ovale et ses immenses yeux bleus en amandes, très mobiles ; ils accentuent le côté chat de gouttière du personnage et mettent en général assez vite mal à l’aise les gens qui la regardent d’un peu trop près.

Dernière curiosité mais pas des moindre : Pour une raison que ses proches ont renoncé à comprendre depuis belle lurette, Teresa déteste porter des chaussures, ou quoi que ce soit d’autre aux pattes, et marche quasiment toujours pieds nus, ce depuis son enfance. Sauf bien sûr, et à son plus grand regret, lorsque les conditions climatiques ou un minium de conventions sociales ne l’en empêchent. Il est inutile et superflu de dire que ce trait singulier à fait tourner en bourrique plus d’un psychologue scolaire, auxquels Teresa ne manquait jamais d’arguments irréfutables à opposer.

A contrario, Max n’avait lui guère de particularités : légèrement plus grand que sa jumelle, le cheveu brun coupé un peu plus long que les standards de la mode masculine actuels avec une mèche baladeuse perpétuellement pendue devant ses yeux noisette.

Mince, un peu nonchalant et naturellement éclipsé par ses deux sœurs, surtout Marcy, il avait quelque peu tendance à se fondre dans le paysage. Mais ne y vous méprenez pas, cela n’en faisait pas un Léonard Zelig pour autant, Max avait une personnalité bien à lui mais manquait seulement de la confiance en lui nécessaire pour vraiment l’affirmer.

Ceci dit, Max et ses sœurs se vouent un attachement mutuel doublé d’un amour fraternel à toute épreuve, et par les temps qui courent (vous avez remarqué comme les temps courent toujours, dans l’actualité comme dans les romans ?) personne ne s’en plaindra, surtout pas notre trio !

Autour de ce noyau familial gravitaient un petit nombre d’amis et connaissances, à commencer par Miss Stella Mary Wingrave, amie d’enfance et conscrite de Max, que tout le monde appelait Star par commodité. Cette charmante petite chose aux longs cheveux blonds toute en légèreté aux jolis yeux verts pétillants avec, sinon la candeur, du moins la jovialité et les joues roses d’un nouveau-né : En résumé une adorable petite bulle de champagne fort rafraîchissante. Star étant la fille unique d’un couple de cadre supérieur, elle bénéfice d’une très large autonomie financière, mais elle n’en demeure pas d’une gentillesse et d’une simplicité désarmante.

Ford, l’oncle maternel de Max dont nous parlerons un peu plus tard, ne cesse de vouloir la “caser” avec son cher neveu dont l’absence de vie sentimentale l’inquiète beaucoup.

Ceci dit, l’Oncle Ford semble être le seul dans l’entourage de Max à ne pas s’être aperçu que les inclinations amoureuses (et bien plus si affinité) de Star ne concernent que la gent féminine. De ce fait Teresa, qui se veut pleine d’esprit à défaut de finesse, ne manque que rarement de dire qu’elle est toujours “gay comme un pinson” ce qui dans ses propos n’est nullement péjoratif ou malveillant mais seulement un très mauvais jeu de mots.

Autre intéressant spécimen du groupe : La petite Lucy Gloom, lycéenne de quinze ans un tantinet gothique, vêtue immanquablement d’un pull chauve-souris noir, leggings rayés noir et blanc sous des loose-socks de même facture, les yeux perpétuellement cachés par ses mèches noir corbeau et “Duchesse des Ténèbres” autoproclamée selon Teresa.

Aussi épaisse qu’un moineau, il n’en demeure pas moins, qu’aux yeux des gens impressionnables, les lourdes et sombres mânes de Poe et Lovecraft semblent sinistrement planer au-dessus de cette moderne Lénore, prêtes à fondre sur vous pour vous arracher cœur et âme sur un simple mot de sa part, ce qui la rend légèrement plus glaçante que la moyenne, surtout quand vient le crépuscule.

Les personnes au caractère mieux trempé se contentent de la trouver bizarre et prennent un air dégagé. « À tort, sans doute ! » Si l’on en croit Teresa

En attendant - et à défaut d’âmes à consumer - Lucy arrondissait régulièrement son argent de poche par un travail de serveuse au café Newport, pécule en général englouti rapidement dans l’acquisition de recueils de poésie, nouvelles, livres ésotériques et romans gothiques : Mais pas n’importe quoi s’il vous plaît : Trakl, Eliot, Yeats et pas mal d’autres peuplaient ses étagères, suivis des bouquins d’Helena Blavatsky, Maître Eckhart ou Castanéda… Et un soupçon de D. H Lawrence par-dessus (coquine, va)

Ses coups d’éclats furent un exemplaire quasi introuvable de Zastrozzi, roman de jeunesse de Shelley et une bonne traduction du Rameau d’Or de Frazer. Lucy était productive, méthodique et avait du talent ce qui rendait Teresa, qui s’efforçait d’écrire “le grand roman que tout le monde attend” (sic), morte de jalousie !

À ce propos, elles avaient en commun de faire à la fois la joie et la terreur de tous les bouquinistes de la région : Un beau jour de juillet les deux jeunes filles, qui cherchaient de la documentation pour un projet de roman ésotérique, manquèrent de s’écharper autour d’un exemplaire potable de Dogme et Rituel de la Haute Magie (Eliphas Levi, 1856, pas évident à trouver) et si Max n’avait pas promis un armistice autour d’une triple part de tarte aux pommes avec glace vanille et noix de macadamia, leur péché mignon à tous les trois, dieu sait si les choses auraient pu mal tourner.

Mais il ne se faisait pas d’illusions : Si par extraordinaire la petite Lucy était tombée, disons, sur un des exemplaires des Clavicules de Salomon (Un antique recueil de textes de magie ésotérique attribués au roi du même nom, quasiment introuvable, sinon au prix d’un joli petit coupé sport), même les forces combinées du RAID et de l’Antigang n’auraient pas pu lui faire lâcher le morceau !

Ces petits défauts mis à part et en dépit des sinistres ombres évoquées plus haut, Lucy reste une bonne camarade doublée d’une amie sincère pour Max. Une de ses passions en dehors des livres reste la pâtisserie mais, allez savoir pourquoi, sa proposition d’ajouter à la carte du Newport une série de desserts inspirés des œuvres de H.R.Giger ne fut que très moyennement appréciée !

Deux autres personnages complétaient ce petit monde : les sœurs Jackie et Jenna Mackenzie : Respectivement vingt-trois et dix-neuf ans : Cheveux blonds vaporeux coupés au carré, avec une mèche pourpre pour l’aînée, le tout assorti d’un fort joli physique.

Celui de la cadette évoquait plutôt le style de Teresa mais avec des cheveux plus courts, mieux coiffés et nettement moins débraillée, sans compter qu’a contrario de cette dernière, elle portait toujours de confortables bottines. Jackie Mackenzie était la gérante du Pub Mycroft’s propriété de son grand-père, qu’elle administrait avec un professionnalisme et une rigueur impressionnante. Jenna, quant à elle, officiait en cuisine.

Comme son nom vous l’aura peut-être suggéré le Mycroft’s avait un côté “Gentlemen’s Club” un peu désuet, propice au calme et à la réflexion. Sa clientèle d’habitués en appréciait les moelleux fauteuils Chesterfield, le mobilier cossu et l’ambiance feutrée.

En poste derrière son long comptoir d’acajou, vêtue d’une chemise à petites rayures avec des boutons de manchette et un gilet prune assorti d’une cravate ou d’un nœud papillon, la taille cintré par un élégant pantalon noir ; Jackie régnait sur ce petit univers ou tout était, à l’image du poème de Baudelaire et selon sa volonté, calme, luxe et volupté !

On y trouvait d’excellents whiskies, notamment ceux de la distillerie familiale, vins fins, spiritueux et un cognac de premier ordre. En dépit de son jeune âge, Jenna était un excellent chef, au caractère aussi intransigeant que bien trempé : les extras, employés en cas de besoin, la redoutaient même s’ils étaient souvent plus âgés ou costauds qu’elle. En matière de cuisine, art dont elle avait le plus haut respect, elle ne laissait rien passer.

La carte, renouvelée très régulièrement, proposait bon nombre de succulents plats traditionnels, bien que l’on ne sache jamais vraiment de quelles régions ou pays ils étaient représentatifs (il n’était pas exclu que Jenna elle-même ait des doutes là-dessus, mais personne n’eut assez de cran pour obtenir des éclaircissements) Pour sa part, Jackie était plus modestement passée maître dans la confection des clubs sandwichs, autre fierté du Mycroft’s.

Au-dessus du comptoir, une imposante gravure à l’eau-forte des Chutes du Reichenbach et une plus petite illustrant “Le Dernier Problème” finissaient de donner ce délicieux côté Old Fashioned à l’établissement. Teresa en avait fait son quartier général, non seulement pour la nourriture ou le cognac sec, mais aussi parce qu’on y trouvait une des plus belles éditions complète des œuvres de Conan Doyle et que tout le monde se fichait bien qu’elle se balade toujours pieds nus. De plus, Jackie étant une ex-petite amie de Star, cela avait facilité le rapprochement.

Pour la petite histoire les sœurs Mackenzie, à ce que l’on disait comptaient dans leur généalogie et par une lointaine branche, le très fameux William Wallace, noble Gardien du royaume d’Écosse s’il en est ! Et, même si cela reste à prouver, cela pourrait expliquer le caractère souvent belliqueux de Jenna et la notable absence de plats british au menu. Coïncidence peut être, le Mycroft’s était également le seul endroit à des kilomètres à la ronde ou on pouvait manger du haggis.

Cette histoire reste à vérifier mais après tout, Star déclarait bien, à qui voulait l’entendre, compter parmi ses aïeux un certain Gordon de Baskerville, lui-même issu toujours selon ses dires, d’un amour de jeunesse de Lord Byron.

Voici donc, et en résumé, l’entourage de notre ami Max Green. Il ne vous aura pas échappé qu’à l’exception notable de son Oncle Ford, il en est le seul représentant de la gent masculine.

Mais ne vous en faites pas trop pour lui, si toutefois son histoire et celle de toute la troupe commence à vous inspirer tant soit peu d’intérêt ; Même si ses rapports avec les Mackenzie sont plus épisodiques, il se sent parfaitement à l’aise au milieu de cette Gynécée. Star et Lucy étant toutes deux filles uniques, elles en firent l’une comme l’autre rapidement et très spontanément un frère d’élection, rôle qui au demeurant lui convient parfaitement et qu’il ne songerait pour rien au monde à quitter.

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