Chapitre 26 : Nuit surprenante

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Gaëlliane :

 Il m'avait dit qu'il avait besoin de temps puis était parti sans se retourner. J'avais aussitôt éclaté en sanglots, mélange de tristesse et de soulagement : il voulait peut-être encore de moi, même si je l'avais terriblement déçu… Je laissai pleurer longtemps, évacuant toutes les émotions que j'avais contenu depuis cette soirée où je m'étais effondrée dans les bras de Jaskier. La seule différence c'était que cette fois j'étais seule, en plein bois. Aucune chaleur humaine pour m'accompagner dans ce moment de désarroi…

 Quand mes larmes se furent taries, je pris le temps d'aller au point d'eau me rafraîchir et tenter de faire dégonfler mes yeux rougis et irrités. Je rentrai ensuite auprès de Mélusine. L'obscurité ambiante ne me permit pas de détailler ma nouvelle habitation. J'entendais la respiration calme et tranquille de ma fille et l'espace était imprégné de son odeur et de celle de mon homme, s'il voulait toujours l'être. Tout mon être priait pour qu'il me revienne malgré mes fautes. Le temps allait me sembler bien long en attendant sa prise de décision…

 Je m'étais étendue sur notre lit imprégné de sa présence. J'étais épuisée, pourtant le sommeil me fuyait : mes yeux contemplaient l'obscurité tandis que mes pensées tournaient en boucle entre espoir et désespoir. "S'il avait voulu se débarrasser de toi il l'aurait déjà fait", "Mais s'il voulait vraiment te garder il le saurait, non? Peut-être qu'il ne pourra jamais te pardonner"... Voilà le genre de pensées qui faisaient bataille en moi, aussi inutiles qu'envahissantes.

 J'étais enfin sur le point de m'endormir quand je fus subitement ramenée à l'éveil par du bruit dehors. Je l'entendis jurer et marmonner puis son rire fusa. Je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'il revienne si vite vers moi. Au son, il ne semblait pas dans son état normal. Mes cheveux dorés ébouriffés de m'être tournée et retournée dans le lit, je quittai la chaleur des draps dans ma nuisette légère dont le noir contrastait sur ma peau blanche. J'ouvris la porte et le vis tituber vers moi sans cesser de rire. Il était visiblement ivre. La fraîcheur de la nuit me donna la chair de poule. Son regard aussi quand il devint soudainement silencieux en remarquant ma présence.

 Un sourire illumina son visage :

– Ma chérie, c'est toi que je venais voir!

 Sa voix était pâteuse. Il s'approcha de moi et je constatai qu'il empestait l'alcool. Je reconnus les effluves du genre de boissons que Geralt affectionnait et que Rodric n'avait pas l'habitude de boire, appréciant davantage la bière.

– Je vois que tu as fais connaissance avec Geralt…
– Ouais, on a bien parlé, un chic type que tu t'es tapée là !
– Vous avez surtout l'air d'avoir bien bu… Attends, je t'aide à monter.

 Rodric passa la porte, non sans en heurter le montant de l'épaule, puis il me pris les mains, les yeux amoureux. Il semblait sur le point de me faire une déclaration.

 Il prit une grande inspiration, ouvrit la bouche et... me vomit lamentablement dessus alors qu'il me dominait de toute sa hauteur! Beurk! J'étais trempée de ce mélange chaud et puant de vodka et d'acide gastrique! Mes cheveux et mon vêtement de nuit en dégoulinaient et me collaient à la peau.

– Oh merde Gaëlliane, je suis désolé ! s'exclama-t-il en reculant hors du chariot, manquant de tomber à la renverse à cause de la marche et vomissant de plus belle, sur lui cette fois.

 J'étais atterrée, puante et frissonnante. Je voulus l'entraîner vers le ruisseau mais il venait de s'asseoir par terre, au pied du chariot, et ne semblait plus décidé à bouger. Il commençait à frissonner de froid lui aussi. J'avais besoin de renfort. J'espérais que Geralt serait plus frais.

 Je le trouvai apparemment là où Rodric l'avait laissé. Il contemplait la voûte céleste, son outre vide à la main. Il se retourna en m'entendant approcher et ne pu retenir une mimique de surprise en voyant dans quel état j'étais.

– Ben alors Gaëlliane, qu'est-ce qu'il t'arrive ?
– Il m'arrive que tu as fait boire de la Vodka à mon homme. Il m'a gerbé dessus, s'est gerbé dessus et maintenant il veut plus bouger. D'ailleurs qu'est-ce que tu fous à te saouler pendant ta convalescence ?! Bon passons… J'ai besoin de ton aide pour l'emmener se laver…

 Il fallut d'abord qu'il arrête de rire. C'est de me voir frissonner de froid dans ma nuisette aussi courte que trempée qui le décida à essuyer ses larmes et à m'accompagner. Par chance il était bien mieux endurci à l'alcool que Rodric et, même s'il restait fatigable à cause de la convalescence, il restait plus puissant qu'un homme lambda. Avant de partir il me demanda de patienter un instant et rentra chez Dame Eithné. Il en ressorti avec deux petites fioles dans les tons rouge à la main.

– Allez on y va. J'espère que tu comptes te laver aussi ! Cette gnôle sentait meilleur dans l'outre !
– Geralt ! Me cherche pas, j'suis pas d'humeur !

 Il me tendit ses fioles sans cesser de rire :

– Pour Rodric et toi. Vous allez attraper la mort dans le ruisseau par une nuit fraîche comme ça.
– Qu'est-ce que c'est ?
– Elixir du dragon, ça réchauffe, l'effet dure jusqu'à vingt minutes. Tu m'en diras des nouvelles, m'indiqua-t-il avec avec un sourire lumineux.

 J'acceptai reconnaissante : je claquais des dents dans ma nuisette trempée et je doutais me sentir mieux dans le ruisseau. Rodric n'en menait pas large, lui non plus. Je faisais confiance à Geralt. Je bus donc sans sourciller l'étrange liquide rougeâtre qui semblait briller sous la lune. La saveur était assez étrange, plutôt désagréable, mais une agréable sensation de chaleur naquit aussitôt au niveau de mon plexus solaire pour se propager dans tout mon corps par vagues.

– Wahou! Ça fait du bien !

 Ma réaction convainquit Rodric qui but à son tour cul-sec et cessa de grelotter. Geralt m'aida à le remettre sur ses quilles et à l'entraîner jusqu'au ruisseau. Nous le soutenions chacun sous un bras dans une démarche complètement déséquilibrée, étant donné l'ivresse des deux bonshommes et mon gabarit. Arrivés au bord de l'eau, nous l'aidâmes à s'asseoir dans le courant :

– Hé non les gars! C'est froid ! C'est pas sympa, protesta-t-il malgré les effets de l'élixir qui lui évitaient de grelotter de nouveau.

 Il semblait un peu plus alerte. Geralt s'était assis au sol pour récupérer de son effort. J'obligeai Rodric à se dévêtir pour le débarrasser de l'odeur pestilentielle qui lui collait à la peau. Retrouvant un peu ses esprits, il m'aida à le laver avec le pain de savon que j'avais apporté.

 Je me débarassai alors également de ma robe de nuit souillée, révélant ma peau laiteuse qui sembla briller sous la lune. Je sentis deux paires d'yeux brûlants sur mon corps nu. Geralt me fit un petit signe de tête et un clin d'œil gourmand :

– Je suis fatigué, à demain les amoureux.

 Je lui rendis son clin d'œil, appréciant sa délicatesse. Je me tournai alors vers Rodric, bouche bée, qui me dévorait des yeux.

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