2. Foraii (1/2)

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Tel est le générateur des cataclysmes Terriens. Il cherche toujours à tuer ses ennemis par la foudre et la fait volontiers tomber sur les maisons de ceux-ci.

oOo

Une nuit sans rêve. Une nouvelle journée se lève tandis qu’elle reste blottie dans son lit, songeuse. Au fond, Cynthia est convaincue que c’est une bonne chose. Elle qui d’ordinaire ne prête pas attention aux scripts qu’élabore son inconscient... redevenir la prisonnière de flammes, même irréelles, ne constitue en aucun cas une expérience plaisante à vivre. Ou à subir.

Et si c’était une mauvaise blague ?

Qui serait un adversaire à la hauteur de la magie qui coule à flot dans ses veines, cependant ? Quel mortel viendrait à bout des inébranlables barricades de son aura ? Si elle n’a jamais eu affaire à une cohorte furieuse de détracteurs, c’est bien car personne ne lui est jamais arrivé à la cheville. Ni un individu à part entière, ni un bout de parchemin sur lequel seraient griffonnés quelques mots vindicatifs en latin. Le responsable de son Enfer onirique pourrait être un démon... l’un de ceux qui lui rapportent le grimoire et minaudent avec elle, le temps de quelques minutes — parfois plusieurs longues heures — dans le but vain de décrocher un pacte, par exemple. Toutefois, elle doute fortement qu’impliquer ce Gabriel soit l’idée d’un génie : elle relègue volontiers ce garçon au rang de « sombre inconnu », tellement elle en sait trop peu à son sujet.

Juste « sombre ». Tout porte à croire que nous étions de proches amis...

Une hypothèse lui faisant inconsciemment serrer le pendentif que son cou garde depuis la veille. Elle a bien une ou deux petites bribes à son sujet : elle se rappelle de lui, Gabriel, tout sourire, assis à côté d'elle dans un cadre atrocement vert. Un jardin, pour sûr. Cynthia baisse les yeux vers sa main, et y découvre lové dans sa paume le bijou doré. Une image relativement simplette, si ce n'est cette étrange lueur sincère qui illumine les yeux bleus du jeune homme.

Elle marmonne. La faim interrompt sa réflexion par de puissants borborygmes, de quoi la hisser sur ses pieds à la recherche d’une source d’énergie. Des céréales, pourquoi pas. Elle avale son petit déjeuner en lançant sa chaîne hi-fi d’un claquement de doigts. Des enceintes tombent un déluge de black metal, idéal pour noyer son esprit embrouillé. Elle grimace au son fracassant de la batterie, puis se promet d'ajouter des albums plus tranquilles à sa collection.

Direction la salle de bain en freudonnant sur le solo de guitare. C’est à grand jets d’eau froide qu’elle ravive ses sens engourdis, lorsqu’elle détecte à son grand regret la pestilence laissée par Satanachia. Et d’un simple coup d’œil, les fenêtres de l’appartement s’ouvrent à la volée, toutes sans exception. Dehors, le soleil inonde de sa douce lumière d’automne les rues qui se réveillent à peine. Le planning de la boutique, punaisé sur un tableau qu’elle fixe avec désinvolture, affirme que son après-midi est absolument libre.

J’irais boire un verre avec Sam.

Elle descend au rez-de-chaussée. Décidément, les déplacements du démon sont traçables à l’odeur de charogne qu’il traîne partout avec lui. Elle note ainsi qu’il a pris le temps de reluquer les étalages avant de la rejoindre. Par précaution, elle devrait s’assurer que rien ne manque à l’inventaire, même si Satanachia n’a pas fait du larcin sa spécialité. À la place, elle s’immobilise devant un large miroir mural de bronze poli dont le cadre est orné de sinogrammes. Se détaillant de la tête aux pieds, elle attend. Cette plaque de métal n’en fait qu’à sa tête, si bien qu’elle compte plus de dix secondes avant que le miroir vieux de deux siècles ne questionne :

— Qu’est-ce que tu veux ?

Cynthia ne s’ennuie jamais de voir son propre reflet se mouvoir de lui-même. À ce double qui fait à présent ce qui lui plaît, elle demande :

— Tu penses que l’invité d’hier aurait pris quelques chose ?

— L’autre chien maigrichon à tête de piaf ? braille l’objet, la réflection mimant une attitude pensive. Non madame, rien du tout. Tout est là.

— Oh, tant mieux.

C’est sur cette affirmation que la gérante va jusqu’à l’entrée, relève la grille et le rideau, et tant qu’elle y est, profite un instant des rayons chauds du soleil effleurant son visage.

Autant caler la porte, ça fera fuir les effluves immondes...

Dans son dos, les autres miroirs disposés sur ses murs s’amusent à manipuler son reflet, une particularité qu’elle a eu du mal à accepter à ses débuts dans la vente d’objets occultes. Elle lance d’ailleurs un juron à leur égard, voyant l’un d’entre eux lui faire lécher le paillasson d’une façon lascive.

Un quart d’heure suffit au premier client pour débouler entre les quatre murs, heureusement débarrassés de la fragrance infernale. Un ado. Elle peut le sentir à des kilomètres : mal dans sa peau comme dans ses baskets couinantes, il inspecte en grognant chaque étagère, signe que ce qu’il voit ne l’intéresse pas vraiment.

Cynthia a l’habitude. Les gens entrent ici en quête de réponses, de culture, ou pour « le fun », une intention qu’elle voit dégouliner de ceux-là comme une glace qui fond au soleil. Elle ne s’attend à rien avec ce gamin. Trier le contenu de l’une de ses boîtes s’avère plus excitant que scruter l’ambassadeur d’une jeunesse qu’elle n’a pas vécu, lorsque le garçon s’approche du comptoir avec un livre. Le fameux livre.

Inutile d’écarquiller les yeux. L’ouvrage, tel un bon chien loyal, n’a fait que retourner à sa place, dans ce recoin un peu à l’écart où elle l’a collé pour la première fois. Un trop grand nombre de clients parvient pourtant à mettre la main dessus comme s’il s’agissait d’un best-seller. Sachant qu’elle n’a aucune solution à ce petit problème sempiternel, Cynthia préfère jouer son rôle de vendeuse en souriant faiblement.

— Euh... y a pas de prix dessus... bégaie-t-il en le posant sur le buffet.

— Il n’y en a pas.

— De prix ?

— Oui, il est gratuit.

— ... vraiment ?

Oui, vraiment. Je ne te ferais certainement pas payer un pacte mortel.

Le peu de contact entre elle et le jeune homme lui suffit à l’établissement d’une connexion télépathique. Quelques informations clés circulent en sens unique de la tête de l’adolescent — appelé Nick — à celle de la sorcière, qui les analyse en affichant une mine pensive.

Un gosse détruit par le divorce de ses parents, en froid avec une belle-mère qui ne lui laisse décidément aucun répit...

Nick, muni de sa nouvelle acquisition, tourne les talons avant que Cynthia ne s’infiltre toujours plus. En somme, elle retient qu’il est un enfant malmené par une soudaine série d’évènements fâcheux. C'est une personne attendant un quelconque miracle qui ne viendra jamais, un humain de plus dans les rouages d’un monde expansif qui n’épargne finalement personne.

Cynthia le laisse déguerpir de son champ de vision, au-delà de la vue sur la rue que lui permet sa large vitrine. Nick-miroir, matérialisé par la plaque de bronze, refait cette sortie mécontente en exagérant largement les traits.

— J’ai de la peine pour lui, rétorque-t-elle.

C’est en retournant au boulot qu’elle se rappelle avoir eu droit à son lot de problèmes familiaux, elle aussi. Parcelle obscure de son identité, elle retient seulement que vers son seizième anniversaire, elle a préféré partir, lassée des assiettes qui volent, des cris, des brimades. Peut-être était-ce sa fugue inévitable qui a mis le feu aux poudres de ses compétences surnaturelles. Car il y a bien une chose dont elle est largement convaincue : sa solitude fut la seule témoin du déchirement de la chrysalide, celle qui retenait ses pouvoirs. Une solitude où personne d’autre qu’elle n’avait sa place.

Mais d’où sort Gabriel, dans ce cas ?

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