Bouteille (Inktober jour 18)

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Accoudée sur le comptoir, les yeux fixés sur cette bouteille, elle se laisse entraîner dans ce tourbillon qui lui est maintenant habituel. Comme un début de bal hésitant, presque honteux, laissant place progressivement à une détente totale et bienfaitrice. Elle regarde sans plus la voir ce qui ressemble maintenant pour elle à la bouée qui lui donnera l'illusion de ne plus se noyer, mais plutôt de voguer sur sa vie, de valser ses soucis. Tout devient trouble et grisant. Les bruits sont atténués de leur violence, les Autres deviennent plus doux, comme une piqure anesthésique en plus irrésistible. Ses pensées ralentissent ou s'endorment, c'est selon. Elle se prend à voyager en elle, au-dessus d'Eux, à travers cette masse informe incarnant une solitude toujours plus tenace et fidèle, et oublie pour un temps son naufrage.

Elle le revoit souvent, dans un nuage de fumée soufflé par cette inconnue à ses côtés, dans le rire tonitruant du gaillard au fond de la salle, dans cette liesse qui n'est plus très nette mais qui tangue comme dans un songe. Celui qu'elle fait souvent, blottie dans son canapé car trop épuisée et meurtrie pour avoir le courage de monter l'escalier.

Plongée dans cette foule anonymée, elle s'engourdit, pour échapper à ces souvenirs qui la hantent. À ces yeux tantôt rieurs, tantôt brûlants qu'il posait sur elle et dans lesquels elle aurait voulu sombrer à jamais. Elle devine sa stature droite et fière chez ce grand bonhomme qui vient d'entrer, respirant la volonté et l'assurance reconnaissable à tous ces hommes. Ainsi, elle continue de danser, rongée par cette douleur qui, elle, refuse de la quitter.

Au bout d'un moment, elle ferme les yeux et poursuit son ballet, comme pour expulser son trop-plein de tout. Elle ne veut plus les voir, les subir, les entendre, ou leur parler. Elle voudrait sentir encore une fois ses bras autour de sa taille et oublier ce goût d'inachevé qu'il a imprimé pour Eux Deux. Le millésime s'est transformé, défiguré et dénaturé par négligence, oubli et insouciance. Elle se fane et se brûle à petit feu, trop influencée par son nouvel ami le Chagrin. Elle tourbillonne, elle sautille, elle tourne et n'a de cesse que de tenter de fuir ce présent qui piétine son cœur et sa fierté. Elle prend goût à cette perte des sens, et rejette tous ces repères pour mieux sauter dans ce vide artificiel, mais toutefois plus tamisé que la vraie nature humaine en pleine lumière.

Elle entend sa voix quand elle observe cette bouteille. Il lui tenait de longs discours sur la fabrication du vin, les précautions à prendre, et d'autres choses encore qui reviendront à sa mémoire demain matin, comme les fantômes d'un roman qu'on aurait arrêté d'écrire sur un coup de tête. Sans raison. Juste comme ça. Plus la nuit l'accueille avec chaleur, plus le jour use de violence pour lui rappeler que raison et sentiments sont opposés, et que ces derniers étaient trop intenses pour disparaître d'elle en un claquement de doigts. Elle comprend que la route est encore longue, et elle vogue, flotte et dérive jusqu'à l'épuisement.

Cette bouteille lui rappelle ses yeux clairs et lumineux, le dépaysement de son corps contre le sien, son sourire doux... et la fin d'un voyage promis avec lui, comme une bulle qui éclate.

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