Fatigué (Inktober jour 07)

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Je vous regarde, tous autant que vous êtes, sur cette scène éphémère que nous quittons tous de gré ou de force un jour. Je vous observe vous amuser, vous perdre en futilités agressives, voire même carrément belliqueuses. J'admire vos masques, toujours plus soignés, plus élaborés au fil des apprentissages que vous pensez reconnaître avec le temps. Pourquoi cette comédie ? Pourquoi repousser ce qui fait partie de nous, qui nous identifie, qui nous distingue de la masse ? Pourquoi se complaire dans cette contradiction incarnée par chacun de vous à travers vos prétendues revendications identitaires, vos affirmations somme toute universelles ? Je suis fatiguée.

Je ne veux plus faire régulièrement le bilan de mon existence en essayant de me conformer à cette idée formatée d'échec ou de réussite. Avez-vous seulement idée du mal que nous nous infligeons à tenter de correspondre à une étiquette ? À "rentrer dans le moule" ? C'est extrêmement violent.

Je suis lasse de constater que le deuil est encore tabou. Pourquoi rejeter un individu dans la détresse, alors que c'est le moment ou jamais de lui tendre la main, même en silence ?

Je suis fatiguée de me confronter à un mur implacable d'incompréhension et de malaise quand je révèle la fréquence de mes visites au cimetière.

Je suis fatiguée de l'obstination avec laquelle je nettoie et déplace inlassablement les fleurs pour les y protéger des intempéries, et davantage encore de l'incivilité de certains osant vandaliser des tombes.

Je suis fatiguée de l'amour. J'aimerais pouvoir m'arracher le cœur et le cacher là où nul ne pourra le retrouver pour m'infliger d'autres souffrances.

Je suis fatiguée de votre présence trop oppressante, trop enjouée, trop optimiste et, finalement, indifférente à souhait.

Je suis fatiguée de ton absence volontaire, brutale, insupportable. C'est un silence assourdissant ; une vraie torture. Mais si tu lis un jour mes maux et que c'est ce que tu veux entendre, alors : Je suis profondément désolée. N'aie crainte de mon affection indéfectible à ton endroit, c'est la plus douce qui soit.

Je suis fatiguée du bal hypocrite auquel nous nous adonnons tous ensemble pour mieux fermer les yeux sur la vie en sombrant tête la première dans des plaisirs que nous ne partageons finalement qu'avec notre seule compagne : la solitude. C'est bien elle que nous trouvons à nos côtés au petit matin, nous observant dans notre sommeil. C'est bien elle qui voit sous nos paupières.

Je suis fatiguée d'entendre que "depuis le temps, tu devrais aller mieux", "tu ne devrais pas faire cela", "c'est contraire à la morale", "tu devrais faire ceci, ça te fera du bien"... Certes, vous aurez l'impression d'être soulagés de ce moment où quelqu'un vous livre sincèrement sa douleur. Car vous en avez tellement peur, que vous n'hésitez pas à la piétiner sans vergogne. Vous ne savez même pas pourquoi vous agissez de cette manière. Tout du moins, pas consciemment. Mais ça aussi, c'est violent.

Je suis fatiguée de notre volonté de pervertir la nature humaine sous de multiples prétextes toujours plus surréalistes, illusoires et fallacieux.

Je vous lâche la main et quitte la piste de danse. J'ai besoin d'être moi-même. De me reconnaître, puis de renaître.

À ce propos, voudras-tu m'accompagner ?

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