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— Nous nous sommes rencontrés au camp de Mourmelon, tu te souviens ? Envoyés pour les classes ! Tu venais du Nord, moi de l’Est. C’est le hasard qui nous fit voisins de chambrée. Mais ce n’est pas le hasard qui nous distingua des autres. Les seuls sursitaires !

Il parlait avec son copain, auquel je ressemblais, selon lui. Que faire, sinon écouter son monologue, sans répondre.

— D’emblée, nous avons été écartés, nous, « les intellos » ! C’est vrai qu’il y avait la différence d’âge. Deux ou trois ans, ça marque. Ils n’étaient encore que des gamins, alors que nous, nous étions de jeunes adultes. Il n’y a pas que ça qui nous a rapprochés. Un peu forcés de nous parler, nous avons vite découvert des points communs. Pourtant, tout nous séparait. Toi, tu venais des corons, tu m’as appris ce mot. Fils de mineur. Fils de communiste. Moi, petit bourgeois catho.

— Que tu étais coco, tu ne me l’as pas dit tout de suite. Tu avais deviné que, pour moi, c’étaient des monstres avec le couteau entre les dents. Tu n’as pas voulu m’effrayer, ou briser cette camaraderie naissante.

— Tu te souviens ? Toi, tu étais à l’aise avec les autres. Forcément ! Moi, je me sentais coincé, trouvant leurs blagues et leurs discours lamentables. C’est toi qui m’as fait entendre des personnalités intéressantes sous cette gangue de vulgarité. Pas tous ! Il y avait de sacrés abrutis ; on était bien d’accord là-dessus. Mais certains méritaient d’être connus, pour leur gentillesse, leur intelligence.

— Et puis, toi, après ta démobilisation, tu voulais reprendre des études de sociologie, faire de la recherche. Tu voulais comprendre comment les gens fonctionnaient, pourquoi il y avait des forts et des faibles, des puissants et des écrasés. Moi, je voulais vite trouver un travail, m’installer, reproduire le schéma papa-maman, sans me poser de questions. Je ne savais pas qu’il pouvait y avoir des questions.

— N’empêche que, avec nos noms, tu étais « le Polack », et moi « le Rital » ! L’important était de coller une étiquette. C’était sans importance. Nous savions que nous allions partir en Algérie, sans bien savoir pourquoi et pour y faire quoi. En attendant, on s’amusait à jouer au petit soldat. L’ambiance était chaleureuse, détendue, pour nous masquer cette sourde inquiétude.

— C’est toi qui m’as fait peur en m’expliquant ce qui s’y passait, les colons, la misère, la révolte et le « maintien de l’ordre ». Je me rappelle les guillemets et tes précisions. Au début, tu m’impressionnais. Tu avais une explication pour tout ce qui se passait, à laquelle je ne pouvais pas répondre, même si, chaque fois, elle bousculait une de mes certitudes.

— Je ne sais plus comment ça s’est fait, mais nous sommes devenus amis. Pas de cette camaraderie militaire, de ceux qui ont vécu des trucs ensemble, mais de cette amitié qui nous rend l’autre nécessaire. Pour moi, c’était évident ! Tu étais à ta place partout et je ne pouvais que t’admirer. Je ne sais pas ce que tu trouvais en moi, mais je sentais ton bonheur, ton besoin de ma présence. Les autres entendaient des bribes de nos échanges, nous laissant dans nos débats stériles « d’intellos ».

— Normalement, je n’aurais pas supporté cette promiscuité, ces exercices stupides, ces brimades. Je n’ai rien vu de ces trois mois. Ils ont fait de moi, comme de toi, un soldat, sans que nous nous en apercevions. Les gestes automatiques, les armes, l’entrainement physique, toutes ces choses pour lesquelles nous n’avions aucune attirance, nous les avons apprises sans nous en rendre compte. Obéir, marcher au pas, était sans importance.

La pluie tambourinait à la fenêtre, rendant l’extérieur sombre et menaçant. La chaleur de sa voix rendait celle de ses souvenirs. Une belle amitié de jeunesse ! Il avait eu de la chance. Pourquoi avais-je peur d’une fin tragique ?

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