Chapitre XIV. Refuge

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À la lisière d’un système qui eut la mauvaise idée de s’aventurer dans l’hostile gangue gazeuse d’une nébuleuse ancienne, un bloc de roche noirâtre orbite autour d’une l’étoile glacée. Le planétoïde avait été une nef, mais les raisons de son existence ont disparu avec ses bâtisseurs. On sait peu de chose d’eux hormis, comme en témoigne les restes de mobiliers abandonnés, leurs évidentes caractéristiques anthropoïdes. Pour d’autre cela aurait paru être un détail futile, mais c’est tout ce dont une autre race d’anthropoïde qui répondait au sobriquet d’Humain avait besoin quand elle y trouva refuge. C’est d’ailleurs le nom qu’ils lui donnèrent ; Refuge.

L’homme à l’allure mauvaise et au regard gris qui se tient derrière la baie panoramique du Naoned, n’a que faire de cette roche qui se déplace paresseusement sur fond de volutes rougeoyantes. Toute son attention se concentre sur le dock spatial qui orbite à quelques kilomètres de la surface de Refuge. Et dans ce dock, son navire, sa fierté, la coque déchirée et perforée. Ivan Phraser n’aime pas ce qu’il voit. Il n’aime pas non plus ce qu’il vient d’apprendre. Derrière lui Yann Maël se resserre un verre de whisky.

- Depuis combien de temps ? Lui demande-t-il

- Un peu plus d’une semaine.

Kawrantin manque à l’appel. Après ce qu’il venait de vivre lui-même cette nouvelle le vide de ses illusions. Dans cet univers les coïncidences n’existent pas, mais tant d’années s’étaient écoulées il ne veut pas croire que le maître de cette partie de la galaxie leurs joue encore un nouveau tour. Le pourquoi il s’en fout, il est las. Il a tout donné pour redevenir un homme libre et le prix fut bien trop élevé, même s’il s’en acquitta volontiers jusqu’à renier son humanité. Tout ce en quoi il croyait, tous ceux qu’il a aimés étaient éparpillés derrière lui sur le chemin du temps. Il n’a rien et n’aura toujours rien.

Houarn appartient à son passé et la perspective de le perdre ne devrait pourtant pas le troubler à ce point. Il y longtemps qu’il n’y a même plus d’amitié entre eux, seul subsiste quelques traces de respect. Mais Ka-One, comme il le baptisa à l’époque où ce dernier n’était encore qu’un jeune pilote de Rafale, représentait une constante dans sa vie. Depuis le jour où le ciel de la Terre c’était remplit de machines menaçantes et qu’ils combattaient ailes dans ailes pour offrir leur première victoire à l’humanité. C’est dans ces heures troubles que les deux pilotes lièrent leur vie et ne se séparèrent plus, même lorsque les avions à piloter vinrent à manquer. Ils devinrent les héros d’un conflit qui dura trois ans. L’ennemie paya de son sang chaque pierre qu’il foula. Ce fut la plus grande heure de l’humanité, mais aussi sa dernière. Le Légire eu finalement sa victoire. Elle vint aux prix de milliards de vie et d’une planète réduite en ruine et inexploitable. On déporta les survivants et Houarn, Phraser et quelques autres comme Yann, furent du nombre. Ce fut la fin d’une vie, une autre avait débutée faites elle aussi de fureur et qui avait finalement pris fin à son tour, du moins le pensait-il jusqu’à la semaine dernière.

- J’ai confiance, si nous n’avons encore rien entendue de lui c’est qu’il joue la prudence.

Yann Maël observe son ancien chef et compagnon d’arme à travers l’ambre de son whisky. Restait-il encore quelque chose d’humain dans le cœur de cette ordure ?

- Je sais parfaitement ce que fait Ka. Réplique-t-il. Rien n’indique qu’ils se soient désintégrés en sortie de saut. J’ai déployé la flotte tout au long du trajet supposé de l’Hermine. Nous n’avons relevé aucune trace ou émission résiduelle d’un effacement. Ils sont en vie. Ils se planquent sans doute parce qu’ils ne sont pas en bon état, mais ils ne devraient pas tarder à réapparaître.

-Tu dis qu’ils avaient une bombe à bord ?

-D’après leur dernière transmission, oui.

-Si les stabs sont détruits ça pue.

Yann ne veut pas révéler l’étendue de son inquiétude à son concurrent.

-Kawrantin est un habitué des sorties de saut hors norme.

-Et il y a ce gosse, Preizh, il tient une sacrée réputation, tu le crois à la hauteur ?

-Dami ? Comment es-tu au courant ? Laisse-moi deviner, tu essayes de le recruter.

-Je ne vous perds jamais de vue Yann. Réponds Phraser avec un rictus qu’il veut amicale.

-Apparemment c’est ailleurs que tu aurais dû regarder, lui répond Maël froidement

Par la baie panoramique du mess il pointe du doigt le vaisseau sévèrement endommagé. Phraser se renfrogne. Il avait perdu un navire et ses deux cents hommes d’équipage dans l’embuscade tendue par la flotte Légiriale, ses trois autres bâtiments s’en étaient à peine sortie et la mort avait frappé sur ceux-là aussi. Jamais ces amateurs n’auraient dû être capables de lui tendre un tel piège.

- S’il est après moi, il est après vous.

Il avale d’un trait son verre qu’il repose bruyamment sur la table, Maël le lui remplit à nouveau.

-Combien de temps vont prendre les réparations ?

-Deux mois, peut-être plus. Je te remercie pour ton hospitalité.

-Garde ta gratitude. Je t’ai fait venir à bord en échange de tes informations, Mais ne compte pas sur moi pour t’apporter plus d’aide.

-Ne t’en fais pas, Yann, je ne t’indisposerais pas trop longtemps, puisque tu sembles penser que ma présence change l’odeur de l’air. Une fois mon équipage relogé sur Refuge je déguerpis de ton précieux navire.

Leurs chemins se sont séparés il y a longtemps et si Kawrantin Houarn avait troqué leur amitié pour de l’indifférence, Yann en revanche avait choisi de le haïr. Pourtant Il ne peut, ni ne veut revenir sur ses choix. Les heures qui ont suivi la défaite n’ont été glorieuses pour personnes et Il a choisi de survivre à tout prix. Est-ce cela que Yann lui reproche ? Lui-même n’était pas très loin derrière pourtant. Une fois de plus il vide cul sec le verre posé devant lui.

-Puis va te faire foutre Yann, Je n’ai pas à prendre de leçon de ta part. Comment crois-tu que va réagir ton équipage lorsqu’il saura ce qu’est cet endroit ?

-On n’en est pas encore là.

-Vraiment ? Parce que tu penses que le Légire va te laisser tranquille. Tu n’as peut-être pas occupé la position que nous occupions Ka et moi, mais tu es des nôtres. Toi et une bonne partie de ton équipage. Oui, crois-moi quand le reste saura attend toi à une belle mutinerie.

-Sur tes navires peut-être, à mon bord je ne me fais pas dessus lorsque je leur tourne le dos.

-Parce qu’ils ignorent la vérité.

-La vérité, c’est que tu penses que tout le monde est une ordure de ton espèce. Prête à trahir pour survivre.

Phraser explose.

-Je ne vous ais pas trahit ! Jamais ! Je crèverais pour vous. Mais si j’avais suivi Kawrantin et ses fichus principes nous serions tous mort.

-C’était à nous de choisir. Depuis, même si nous avons fui nous appartenons toujours au Légire. Grâce à toi il a pris l’humanité pour ses chiens de gardes, toujours bien obéissante en échange d’un os et peu importe si l’os était encore attaché à son propriétaire.

-Un chien vivant est préférable à un lion mort.

-Tu n’as pas changé, tu me dégoûtes.

-Et pourtant je recommence à me regarder dans le miroir. Peux-tu en dire autant, toi qui joues les vierges effarouchées. Dis-moi, quand tu fermes les yeux est-ce que tu les entends encore t’implorer de les épargner ? Vois-tu encore leurs enfants se tordre dans les flammes que tu as allumées ?

-Assez !

-Ça fait mal hein ? Et pourtant c’est bien toi, Yann Maël le vertueux, qui les a exterminés ! Et ne me dis pas que tu ne faisais qu’obéir aux ordres. C’était eux ou nous. Rien, Aucune circonstance atténuante, ne pourra effacer ce que nous avons fait. Mais nous les avons détruits pour ne pas être détruit et toi tu m’as suivi, sans que je ne te force.

-C’était ta décision et je regrette chaque maudit jour de ma vie d’y avoir adhéré. Tu as fait de nous des monstres.

-Ah! Comme si les humains n’en étaient pas déjà de nature. Quelques génocides de plus ne changent rien. C’est de cette manière que notre espèce survit depuis des millénaires, en éliminant la concurrence. Même Kawrantin l’a finalement compris, Il a fait son devoir bien gentiment.

-Kawrantin ne s’est jamais plié au délire du Légire.

-Mais à quel prix ? Je me rappelle encore cette loque que l’on nous a rendu lorsque le Légire s’est finalement lassé de jouer avec lui.

-Lassé ? C’est sans doute pour cela qu’il l’a toujours placé au-dessus de toi. Il en a toujours eu peur.

-Cessent de l’idéaliser, Ka n’a jamais été un ange. Un bon Chef, mais pas le messie. Le Légire l’a utilisé pour garder tout le monde dans le rang, mais le héros a reçu sa gamelle comme le reste. Vas-y mon petit Yann, continue de me haïr, mais rappel toi que si tu peux encore le faire, c’est parce que j’ai fait le choix de préserver les intérêts de notre espèce avant ceux d’étrangers qui n’auraient pas hésité à faire le même choix. Garde à l’esprit que quels que soient tes arguments cela ne changera rien au passé. »

Il n’aurait jamais dû faire venir ce salopard à son bord. Tout en lui veut bondir sur Phraser et le corriger une bonne fois pour toutes. Mais qui haïssait-il le plus, ce chef qui lui a demandé de le suivre ou lui-même pour l’avoir suivi?

Son comlink vibre à son poignet.

-Oui ?

Il écoute.

-D’accord, j’arrive dans une minute.

Il remplit une dernière fois le verre de son visiteur et se lève pour quitter le mess.

-Tu as joué sur nos peurs pour nous manipuler. Tu prétends avoir servi nos intérêts mais dans quelle mesure n’as-tu pas lécher les pieds du Légire pour obtenir ses faveurs. J’espère que tu es bien récompensée à présent qu’il t’a montré sa gratitude.

Il ne reste pas pour affronter le regard noir de colère posé sur lui. Il ne craint plus Phraser et ses bobards. Mais l’ancien général a raison sur un point, le miroir lui crache sont mépris à la figure chaque fois qu’il se rase. S’il y a un cap pour la rédemption il n’est pas enregistré dans la console de navigation.

Dans la timonerie, son second, l’un des rares anthropoïdes non-hominidé de la flotte l’accueil dubitatif.

-C’est un message en texte qui nous arrive sur l’hyper, il se répète toutes les vingt secondes, j’ignore de quoi il s’agit mais c’est pour nous.

Il lui tend un feuillet sur lequel il peut lire ; « Demat Naoned! n’eo ket kollet. Erruout buan. Digarezin ac’hanomp »

Yann exhale une bouffée d’air qui ne cache rien de son soulagement.

-Vas-y répond ceci : « Degemer mat Erminig! »

La réponse en texte arrive en quelques secondes ; « Erruout dindan pemp eur »

-Ok, de quoi s’agit -il, d’un nouveau cryptage ?

-Non d’une langue que certain pense morte parlée par quelqu’un que certain pense mort.

-D’accord là tu me perds.

-L’Hermine sera ici dans cinq heures.

Le second bondit d’espoir.

-Ce sont eux, ce sont bien eux ?

-Oui camarade, s’agit bien d’eux . Fait préparer un dock, je ne sais pas dans quelle condition nous allons les ramasser, alors autant être prêt à les accueillir.

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