Chapitre III. Les Cadets

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Elle explore la cabine au mur blanc, l’endroit est assez spartiate et le mobilier fonctionnel. À sa droite il y a une couchette, le matelas à l’air confortable et les draps propres dégagent une odeur de lessive. Au-dessus du lit, deux placards, l’un est vide, mais le deuxième contient ce qui lui semble être un kit d’urgence avec une trousse de secours ainsi qu’un masque à gaz. Près du lit, soit sur le mur opposé à la porte, prend place un hublot assez large occulté pour le moment par un store en plastique. Sous le hublot est installé un bureau dont la surface n’est autre que le large écran tactile d’un ordinateur intégré au meuble. Sur sa gauche une penderie vide pour le moment et une étagère. Sur cette dernière sont alignées des ouvrages. Aux titres elle devine qu’il s’agit de livres de cours, mathématiques, physique, langue ainsi que des ouvrages de littérature. Leurs couvertures sont usagées. Qui peut bien encore utiliser des livres ? L’étagère occupe une bonne partie du mur jusqu’à une porte coulissante qui s’ouvre sur une minuscule salle d’eau.

Elle entreprend d’exécuter la règle numéro un, elle se débarrasse de ses loques et fait couler la douche. Elle a un peu de mal à utiliser le mitigeur et décide qu’elle préfère être frigorifiée qu’ébouillantée. Elle a à peine terminé de se rincer qu’un léger tintement de cloche électronique retentit. Elle écoute et le tintement se fait à nouveau entendre. La porte !

Elle enfile le peignoir trop grand accroché au mur et va ouvrir pour découvrir une fille blonde qui au premier regard doit bien avoir trois ans de plus qu’elle.

-«Namuelle ? Salut moi c’est Vily. Brem m’a demandé de t’apporter des fringues et de te conduire au mess.

Elle lui tend un grand sac.

-Ok pour faire cour, Tu as trois uniformes, deux pour bosser un pour sortir quand on fait relâche. Sept paires de sous-vêtements, deux paires de pompes. À bord tu mets celle avec les protections l’autre va avec l’uniforme de sortie. On passera tout à l’heure au magasin pour t’avoir une parka. Sinon, il y a du savon, du dentifrice, une brosse à dent, brosse pour les cheveux, coupe-ongle… À utiliser à outrance, à bord tenue impeccable exigée. Tu as une boite de serviettes, …

-Serviettes ?

-Tu n’as pas encore tes règles ?

-Non.

-Ça viendra. Je t’ai rajouté une bombe de déodorant et du maquillage. Pour le maquillage, ce n’est pas bien vu par Brem donc évite en sa présence, en plus je ne te voyais pas aussi jeune. Le déo tu ne vas pas le regretter, c’est mortel comment on sue ici. Quand tu n’en as plus tu me demandes. Voilà, si tu peux te magner, notre boss préféré est plutôt du genre à aimer la ponctualité, Je t’attends là.

-Merci.

Elle referme la porte, jette le sac sur le lit et l’éventre. Les tenues sont emballées dans des films plastiques, elle est surprise d’y lire son nom. Les indications lui permettent d’identifier les vêtements à porter. Elle repère rapidement les sous-vêtements, enfile une salopette noire et un sweater bleue traversé d’une bande réfléchissante et sur les épaules duquel sont brodés de fils d’or l’insigne que le capitaine appel un Triskèle, le nom du navire ainsi que le sien. Les chaussettes sont confortables et les chaussures, comme le reste, sont à sa taille. Elle se demande d’ailleurs comment ils peuvent la connaître.

En sortant Vily est toujours à l’attendre.

-T’es une rapide toi, laisse-moi voir… ouais Ok, c’est pas mal, t’as ton bracelet ? Ne le paume pas il peut te sauver la vie.

-Brem me l’a déjà dit.

-Il ne coûte rien de le répéter. Le comlink aussi tu t’es branchée ?

-Ce truc ?

Elle lui montre l’écouteur.

-Oui, mets-le dans l’oreille il va se coller tout seul.

Elle s’exécute.

-Suis-moi.

-Les fringues ils sont à ma taille comment ?

-Le bracelet

-Un vrai mouchard ce truc.

-Non, c’est plutôt pratique. Des fonctions seront activées au fur et à mesure que tu progresses.

-Progresse ?

-Ouais, des accès à certaines zones, une liaison avec l’ordinateur de bord, le contrôle de certains drones de maintenance, des trucs comme ça.

-Pourquoi pas tout maintenant?

- Ça fait partie de la méthode Brem, tant que tu ne sais pas faire une tache par toi-même tu n’as pas besoin d’assistance.

- Comment il est Brem ?

- Il gueule tout le temps et il vaut mieux faire ce qu’il dit. Mais on peut toujours compter sur lui dès qu’il s’agit d’apprendre un truc ou si t’as un problème avec la hiérarchie. Dans ce dernier cas, s’il se mouille pour toi, je te conseille de filer doux avec lui ensuite.

-Oui mais … est-ce qu’il cogne ?

-Hein ? Ça ne va pas toi ! Le Brem, il te secoue un peu les puces si tu ne te remues pas, mais il ne tabasse pas. Attends-tu viens d’où toi ? Du fond ?

-Oui.

-Ah d’accord. Ici cela n’a rien à voir. Comment t’expliquer … Là où on va ça craint un max, le grand sombre, les Limites, ce n’est pas du prévisible. Les embrouilles tombent en permanence, nos vies dépendent de chaque membre de l’équipage. Alors ici c’est respect, parce que tu ne sais pas qui te sauvera la couenne.

-Ce n’est pas ton premier départ ?

-Non, c’est ma troisième campagne.

-Cela s’est passé comment?

-La première fois ? Au début tu flippes et tu te demandes ce que tu viens foutre là. Il y a eu un mois où quand je m’endormais je n’étais pas sûr d’être là à mon réveil tellement on a été secoué. Il a fallu qu’on traverse une zone de guerre ou les deux cotés nous ont pris pour cible. Même en leur expliquant qu’on était neutre, les attaques c’était tous les jours jusqu’à ce que le capitaine décide qu’assez c’était assez.

-Et ?

-Et les morceaux de ces enfants de catins doivent encore être en train de flotter dans le vide.

-Terrible.

-Ouais ces types sont des cracks et j’en fais partie. Pas question d’échanger ma place. Pas question de me retrouver sur un trottoir.

-Tu viens d’en bas toi aussi ?

-Non, en fait j’ai grandi dans les niveaux supérieurs, niveau trois, jusqu’à ce que mon père chope la folie des grandeurs et se lance dans des affaires foireuses. Ce corniaud a tout perdu. On s’est retrouvée à dégringoler les étages, jusqu’au ce que où mon vieux ait la merveilleuse idée de me vendre à un type.

-Tu t’es sauvée ?

-Tout juste, Comme nos identités n’avaient pas expirés je me suis pointée à la surface et je me suis embarquée sur l’Hermine. Une fois à bord j’ai gagné mon émancipation conformément à la loi. Et toi ?

-Je viens du fond, pas grand-chose à dire. J’ai failli me faire ramasser par un mac. Comme je ne voulais pas et qu’il s’est montré insistant, je l’ai frappé.

-Tu l’as frappé ?

-Entre les jambes.

-Outch !

-Il n’a pas aimé. C’est pour ça que je suis là et c’est un ami du capitaine qui m’a fait grimper pour me mettre hors de vue.

-Bienvenue à bord, alors. J’ai dans l’idée que tu vas vite trouver ta place ici.

-Il y a d’autres mousses ?

-Ouais, ma puce, Tu vas rencontrer la pire bande de traîne patin de ce système solaire, mais les meilleurs futurs Compagnons de toute la galaxie. »

Elles croisent quelques membres de l’équipage que Vily salut respectueusement. Tous ne sont pas des homo-sapiens.

-Il n’y a que des hominidés à bord ? Demande Namuelle un peu déçue

-Principalement, avoir différentes espèces c’est toujours délicat sur un navire qui voyage vers l’espace profond.

-Pourquoi ?

-À cause des différences de métabolismes, Cela nous obligerait à prévoir des réserves de bouffes qui correspondent à des régimes alimentaires spécifiques, puis aussi pour les questions médicales il faut multiplier les équipements pour s’adapter aux urgences et les médecins doivent connaître toutes les espèces qu’ils soignent. Il nous faudrait peut-être même modifier l’environnement du navire. Tu comprends donc que c’est un peu une galère d’avoir plusieurs genres à bord. Il y a tout de même quelques exceptions, Roine le second du Naoned, le sister ship de l’Hermine, n’est pas un Hominidé, mais il reste anthropoïde, alors il s’adapte à notre environnement. Eh ! Voilà le jardin ! »

En effet la coursive débouche sur un vaste espace largement éclairé envahi de senteurs florales.

Auparavant son seul contact avec le règne végétal fut les moisissures et les algues qui s’échappaient des égouts et dont certains rampants humains faisaient leur nourriture quotidienne. Le « jardin » quant à lui était rempli d’une végétation luxuriante. Elle ne connaissait aucune des espèces de plantes qui y croissaient et même si elle en avait vue en images sur les réseaux de diffusion, elle eut du mal à identifier les arbres. Vily remarqua sa surprise, elle attrape quelque chose à l’une des branches pour le tendre à Namuelle.

« -Vas-y mord là-dedans.

-Quoi ? Fait la petite craignant une blague.

-C’est un fruit, vas-y goûte.

Namuelle saisit le fruit et le porte à ses lèvres. Le jus sucré lui envahit la bouche.

-Ch’est vachement bon Cha ! s’exclame t’elle la bouche pleine.

-Tu m’étonnes c’est du naturel, pas la merde en barre que tu trouves en ville.

-Mais ces fruits, on a le droit de les prendre ? demande Namuelle en regardant craintif autour d’elle.

-Ils sont là pour ça, mais n’en abuse pas ou tu vas choper la chiasse. Ramène-toi le mess est de l’autre côté. »

Alors qu’ils approchent, des percussions se font entendre, accompagnées par plusieurs paires de mains claquant en rythme et supportées par des chants. En entrant dans le mess, Namuelle aperçoit aussitôt un petit groupe d’adolescents en cercle. Pendant que quelques-uns frappent avec dextérité des tambours artisanaux, deux garçons au milieu du cercle chantent en rythme. L’un d’eux saisit un instrument à corde et commence à en jouer en s’alignant sur le rythme des percussions tandis que l’autre garçon use d’un instrument à vent fait d’un métal doré. Les chants redoublent d’intensité.

La mélodie est chaleureuse et entraînante. Elle ne comprend pas la langue qui est chantée, pourtant le rythme lui arrache un sourire et elle commence à le suivre en tapant du pied, tandis que Vily se joint au chœur. Sa voix claire semble surpasser toutes les autres.

Dans un coin Namuelle note un petit groupe de trois qui ne participe pas et semble perdu, alors qu’elle-même au contraire se joint au cercle en frappants dans ses mains.

Le groupe, les trois garçons et elle-même inclue compte douze individus. Les deux garçons au centre sont du même âge que Vily. L'un souffle l’air dans l’instrument à vent, coupe de cheveux blonds en bataille, sourire séducteur, l’air frimeur. L’autre, brun, athlétique, regard sage, complètement à l’opposé du précédant, il montre néanmoins une grande assurance dans la manière de jouer de son instrument. Aux percussions une fille, qu’elle prend d’abord pour un garçon à cause de sa coupe de cheveux court, lance avec souplesse ses mains à la rencontre de la peau. Elle est accompagnée par un plus jeune, qui visiblement essaye de ne pas se laisser distancer dans le rythme.

Vily la saisit soudain par le bras et l’entraîne au centre dans un mouvement tournoyant et enchaîne quelques pas de danse.

C’est ce moment que Brem choisit pour faire son apparition. Les chants se taisent non sans une certaine mauvaise volonté. Le bosco repère Namuelle au milieu du groupe.

-«Pas une heure que t’es à bord et tu as déjà de mauvaises fréquentations, dit-il sur le ton de la plaisanterie.

-Touche pas ma copine Bosco, réplique Vily.

-Très bien « Princesse », dans ce cas tu fais les présentations.

-Ok la racaille, je vous présente Namuelle, treize piges, la plus jeune, c’est le bébé du groupe, mais j’ai dans l’idée qu’elle ne sera pas celle qui va chialer sa mère quand ça va commencer à caguer dans les tuyères. La- bas les trois qui aimeraient se planquer sous la moquette, c’est Ruty, Mirdin et Agus. Allez les mecs! On retire le pouce de sa bouche et on dit bonjour.

Regard furax des trois, hilarité du groupe.

-Très bien, reprit Brem à l’intention des nouveaux. La discipline à bord de ce navire est similaire à celle que vous rencontreriez à bord d’un navire de guerre. La différence étant qu’on appelle le patron capitaine et non amiral, le second porte le grade de commandant. Il vous faudra un peu de temps pour apprendre, reconnaître et respecter les grades et rang de vos officiers, mais il est important que vous connaissiez votre place et votre rôle afin d’assurer le bon fonctionnement de ce navire. Pour le moment, c’est simple, vous vous trouvez au bas de l’échelle. Dans un premier temps vous serez rattachés au mess, ce qui ne veut pas dire que vous servirez les plateaux pendant dix mois. Les taches seront graduelles. Au fur et à mesure que vous découvrirez votre environnement et suivant le rythme que vous apprenez, je vous confierais des taches dans d’autres parties du navire. Cela vous familiarisera pour l’année prochaine ou vous serez rattachés à un service de votre choix. Les « anciens », je pense que vous avez déjà vos attributions. Dès demain matin au décollage vous rejoindrez vos postes respectifs et je ne vous vois qu’aux heures de cours. Vily, Iliam, Fran et Dow comme vous passez l’examen de matelot à la fin de cette campagne, je souhaite que l’on discute de vos orientations. Je pense aussi que le capitaine souhaitera vous dire quelques mots.

En dehors de vos attributions, vous parrainez vos nouveaux compagnons, Vily je pense que tu es déjà bien partie avec Namuelle, Iliam tu accompagnes Ruty, Fran avec Mirdin et Dow avec Agus. Je vous rappelle qu’en raison du décollage, la prise de service s’effectue demain matin à cinq heures. Donc ce soir évitez de faire la fête, car je veux tout le monde frais. Les bleus, c’est bien compris ? Ici, cinq heures. Vous pouvez désormais disposer et vaquer à vos occupations. Au passage, pas mal la guitare et la trompette les gars. »

Sur ce, il les quitte et Vily la saisit par le bras.

« -Ramène-toi je vais te faire visiter le navire. Les gars vous venez ?

Iliam lui tend la main.

-Bienvenue à bord.

-Salut, fait-elle intimidée par le jeune homme.

La jeune fille aux cheveux courts s’approche à son tour.

-Moi c’est Fran et le blondinet avec la p’tite gueule de frimeur c’est Dow.

-L’écoute pas, elle l’aime bien ma p’tite gueule, dit ce dernier en saisissant Fran par les hanches. Salut « tite Nam » !

-Tite Nam ? Grimace-t-elle

-Ben ! tu n’es pas bien grande.

-Ça te va bien, fait Vily.

-Vas pour Nam alors, mais oubliez le « tite ».

-Ok « tite ». Provoque Dow.

-Ne lui répond pas il adore prendre la tête. Fait Fran en lançant un coude dans les côtes de son compagnon

-Je connais le genre.

Elle se tourne vers les trois nouveaux.

-Eh ! Moi c’est Namuelle.

Le premier garçon, assez grand, visage sec au regard aigu, maigre mais tout en nerf.

-On avait compris, moi c’est Agus.

Se présente un deuxième adolescent à la carrure déjà bien développée pour son âge et au regard doux.

-Ruty !

Enfin le dernier garçon brun légèrement plus vieux qu’elle et réservé. Se nomme d’une voix indifférente.

-Mirdin.

-Salut à vous les gars, lance Vily, J’espère que vous ne m’en voulez pas pour tout à l’heure ?
-Bah, faut toujours une grande gueule, c’est un rôle qui colle bien aux blondes. Réplique Agus.

-Oulah ! Ça frite dans le coin ! S’esclaffe Dow, Je te file mon dessert si tu arrives à la faire taire.

-Ça fait deux ans que ça dure, tu n’imagines même pas notre calvaire. Reprend Iliam en lui lançant une bourrade dans l’épaule.

-Je vois ! Une coalition de mecs.

-T’as plus qu’à battre en retraite ma vieille et nous montrer le chemin de la visite.

-Je n’ai pas dit mon dernier mot, ramenez vos fesses par-là, on commence par la machinerie.

-Nos fesses te suivent Princesse.

-Attends que je les botte. »

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