10 décembre 2016

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L’exécution semble retardée. Déjà quatre jours ont passé. Une grâce présidentielle peut-être ? Rien n’a changé à l’hospice, la même routine qui nous broie lentement. On mange à dix-huit heures et pour beaucoup c’est encore trop tard. Tous veulent filer au lit, abrutis de médocs, pour oublier leur solitude.

Ce soir, alors que je mange face à un ancien professeur de mathématiques qui déblatère je ne sais quoi sur le nombre de minutes qu’il aurait passé ici, Jeanne s’approche de moi et me distribue mes pilules du soir. En se penchant, elle me chuchote de ne pas les prendre et part continuer sa distribution de stupéfiants. Je reste interdit. Que faire ? On nous donne des somnifères pour qu’on foute la paix au dortoir, mais le reste ? De mémoire, je me shoote aussi aux anticoagulants pour le cœur, le genre de pilules à prendre à heure fixe. Et si tout se déréglait ? Ce n’est pas comme si mon corps était en pleine forme, mais je reste presque valide. Et si c’était un piège ? Une façon de me faire crever ? Je vois d’ici le topo : on se plaint à ma fille que je refuse de prendre mes médicaments et quelques jours plus tard, PAF ! Le vieux est claqué ! Une crise cardiaque confirme que je n’étais qu’une tête de mule. Je fixe mes pilules, indécis. Mais qu’ai-je à perdre, après tout ?

Je mets les comprimés dans ma poche et le vieux professeur me lance un regard perplexe, vite implorant. Il aimerait que je les lui donne, au cas où il lui en manque un jour Un cas parfaitement improbable ici, on a une pharmacie géante au sous-sol ! Mais pour nous qui avons connu la guerre de près ou de loin, nous avons toujours peur de manquer. Faites la queue pendant des heures, allez acheter du beurre au marché noir et vous aussi vous amasserez, empilerez, stockerez et remplirez vos armoires à ras bord.

Decrainte que mon voisin ne me dénonce, je lui donne discrètement mon trésor. Il le récupère en lançant des regards furtifs au personnel soignant. On se croirait dans un roman d’espionnage ! Sans un merci, il range les pilules dans sa poche et se rue sur son yaourt. À notre âge, on se rapproche des animaux. Un regard, un grognement, un poing levé suffisent à nous comprendre. C’est l’expérience, la parole devient inutile. J’ai répertorié une douzaine de sourires différents qui expriment autant d’émotions : du désir ardent à la haine farouche. C’est fascinant. Le plus troublant est celui du dément. Il semble déjà avoir atteint le royaume des cieux. Un bienheureux, à l’expression si sereine… Ça donnerait presque envie. Le problème est la lente transition jusqu’à la démence.

À vingt heures, mon corps privé de ses anesthésiants ne trouve pas le sommeil. J’ai les yeux grands ouverts, je fixe le plafond. L’idée que quelque chose puisse arriver suffirait de toute façon à me maintenir éveillé. Les autres pensionnaires sont déjà dans les bras de Morphée. Dans quelques heures, certains se lèveront et erreront dans le noir. Leurs gémissements me manquent presque. Ce silence m’angoisse. Il a quelque chose d’anormal ici. Comme une prémisse de la mort.

Soudain, la porte de ma chambre s’ouvre et une silhouette se faufile dans la pièce. Intrigué, je n’ose réagir. La forme avance jusqu’à moi et, alors que je vais parler, un doigt se pose sur mes lèvres. Ça ne peut être que Jeanne. Elle seule sait que j’ai fait l’impasse sur mes somnifères. Le vieux professeur doit déjà être complètement stone avec sa surdose d’antidépresseurs.

Sa main glisse sur la chemise de mon pyjama et le déboutonne avec dextérité dans le noir. J’aimerais allumer la lumière, mais je comprends l’accord tacite. Je ne suis pas de première jeunesse et si ma ceinture abdominale a enflé, ce n’est pas par l’exercice. Elle me caresse doucement le torse et je sens une boule se former dans ma gorge. Je suis à deux doigts d’éclater en sanglots. Jeanne continue d’explorer mon corps, gravissant mon ventre avant de descendre plus bas. Je frisonne lorsqu’elle dessert l’élastique de mon pantalon et extirpe délicatement mon sexe endormi. Elle joue avec quelques instants, puis prend ma main et la pose sur son sein. Sa blouse est ouverte, la laissant à demie-nue. J’aimerais tant l’admirer ! Mais son contact m’électrise déjà. Je sens son sein lourd peser dans ma paume. J’en explore les courbes, caresse le mamelon qui se durcit à mon contact. Sa peau est douce. Toucher le corps d’une femme est l’un des plus grands plaisirs de l’existence. Mon sexe se réveille enfin, se nourrissant des caresses de Jeanne. Elle s’accroupit alors sur moi, me guidant vers son bas ventre. Après tant d’années, c’est comme un dépucelage ! Son pubis est fourni. Je m’approche pour sentir son odeur. Elle est forte, piquante. Enivrante ! Loin des effluves aseptisés de la maison de retraite.

Jeanne ne dit toujours rien, murée dans le silence. Seul son souffle me parvient, cette divine musique de l’excitation. J’entends le bruit caractéristique d’un emballage que l’on déchire. Elle m’enfile un préservatif, comme si ma semence momifiée pouvait encore engendrer une descendance ! Mes testicules sont aussi secs que des pruneaux dénoyautés.

Elle s’assoit sur mon sexe valeureux et impatient. Lorsque les parois du vagin s’écartent pour épouser le sexe, c’est le paradis. La merveille de la Création ! C’est comme si toute ma vie n’avait existé que pour aboutir à cet instant. Toute ma frustration vole en éclat et un nouveau monde s’ouvre à moi. Malgré l’obscurité, je distingue ses courbes généreuses. Sa poitrine se balance au rythme de nos mouvements. Je l’enserre des deux mains, comme un petit garçon. Nos respirations se font haletantes sous l’effort et le plaisir. Mon cœur accélère le tempo. Ras le bol du pianissimo ! Place à l’allegro ! Mon existence se menait depuis trop longtemps au ralenti !

Dans cette étreinte, je livre mon dernier combat, mon dernier souffle, mes dernières forces, mon dernier soupir… Jeanne m’offre le dernier repas du condamné. Mon orgasme éclate, bref et puissant, comme une libération. Si je pouvais mourir à cet instant, ce serait merveilleux. Je m’affale, vaincu. Je caresse lentement les fesses de ma bienfaitrice. Elle se retire, m’enlève le préservatif et part aux toilettes le jeter. Elle revient et me nettoie le sexe délicatement. Une baiser sur le front, elle repart. Elle n’a pas dit un mot pendant tout cet instant magique.

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