passion virtuelle

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 20H47. Je me co avec ma chasseresse : ce soir, c'est raid, enfin ! Nous avions dû les mettre en pause à cause de notre healer qui avait quitté le groupe. Et franchement, trouver un bon soigneur c'est pas évident. Orleg, notre chef, avait suggéré que l'un d'entre nous se dévoue pour faire un nouvel avatar et c'était sur moi que c'est tombé. C'est vrai que j'ai pas mal de temps pour jouer, mais c'est long quand même, et j'ai pas l'âme d'une healeuse. Je tabasse moi, je fonce dans le tas, je tire des flèches, je saute partout, je cours, je sors mes dagues et je me faufile derrière ma cible pour lui taillader les côtes. J'ai besoin d'un healer, pas d'en être un ! Mais bon. Faut bien se sacrifier pour le groupe...

 En attendant, on a quand même besoin de recruter. Ce soir, Orleg a trouvé un chaman qui se fait appeler Meirane. J'aime bien les gens qui jouent des chamans, ils sont toujours sympa et souvent un peu barré IRL.

  J'ai branché le casque. Pour le moment, tout le monde se prépare : réparation de l'équipement, potions, enchantements, petits jeux en attendant que le groupe soit prêt. Je plaisante avec deux guerriers, Arsenia et Volgrüg. Mariés dans la vraie vie. Volrüg tabasse et Arsenia prend les coups, elle tank, alors elle taquine un peu notre invité. Meirane a visiblement des problèmes de micro et ne répond qu'à l'écrit. Belle écriture, de l'humour, de l'humilité. Je lui réponds et nous commençons à nous chambrer gentiment. Il a de la répartie.

  Orleg nous interrompt : on y va. Tout le monde coupe le micro pour ne plus entendre que notre chef. C'est militaire un raid, surtout celui-là. On aimerait bien le finir en mode difficile ; concentration maximale.

  Dès la fin du premier boss, je suis complètement rassurée sur notre potentielle recrue. Ce mec gère son perso. Il enchaîne les sorts avec une vitesse incroyable et évite tous les coups. Aucun mort. J'imagine ses mains sur le clavier et la vélocité de ses doigts agiles. Il a sûrement de grandes mains, douces et... Mais bon, c'est pas le moment. Allez, concentre-toi ma vieille !

  Entre deux mobs, j'écris une connerie ou deux et Meirane me répond à chaque fois. Ce petit jeu me plaît, mais pas à Orleg qui nous ordonne de nous taire. J'obéis à contrecœur et continue à bourriner. Meirane soigne tout le monde avec un doigté parfait. J'imagine sa concentration, j'imagine une petite ride entre ses yeux sur son front plissé. J'imagine sa bouche légèrement entrouverte, des lèvres fines, des dents blanches. J'imagine cette bouche qui me... Hola, calme toi ma grande et pense au troll en face de toi, ça vaudra mieux ! Tu sais même pas à quoi il ressemble, tu n'es même pas sûre qu'il s'agisse d'un mec ! Et si c'était une fille ? Et si c'était un ado ? Et si c'était un vieux ? Et merde, j'suis morte. Voilà, douche froide.

  Je me fais engueuler par Orleg. J'ai pas fait gaffe et j'ai déclenché un piège. Notre druidesse me ressuscite. Pendant ce temps, je reçois deux messages en MP : le premier d'Orleg qui me dit d'arrêter de planer et le deuxième de Meirane qui se paie ma tronche. Heureusement que personne ne me voit rougir de honte face aux remontrances du chef et de plaisir face à cette adorable moquerie. Je souris bêtement. Merde, enfin, arrête meuf ! Je prends une pause rapide, me sers un grand verre d'eau glacée, enfile mon pullmoche-pour-squatter et maudis le fait de pas avoir acheter de mitaines. J'ai les mains gelées.

 Je reprends le jeu un peu plus concentrée et arrive même à ignorer le message de provocation que le chaman m'envoie.

  23H. Fin du raid. On n'a pas passé le boss final, mais la prochaine sera la bonne. Tandis que tout le monde déco, je propose maladroitement à Meirane de venir farmer avec moi. J'ai besoin de plantes pour faire des potions pour la guilde. Ça tombe bien, il a besoin de peaux pour monter sa compétence de travail du cuir. L'excuse à deux balles et demi !

  Un peu nerveuse, nous partons tous les deux vers les montagnes enneigées. Nous discutons un peu ; je sens qu'il me cherche autant que moi et une délicieuse tension s'installe. Je cueille, il dépèce. La vie est simple parfois.

  Quand nous nous apprêtons à rentrer, son avatar s'arrête face au mien. Il me demande qui je suis. Je réfléchis à toute vitesse : je n'ai aucune envie de répondre à ça. Je n'ai pas envie non plus de savoir qu'il n'est pas un jeune homme magnifique avec des mains fines, des cheveux noirs dans lesquels je peux glisser les doigts et en saisir une poignée pour attirer sa bouche délicate dans mon cou. Je n'ai pas envie de savoir que ses yeux ne sont pas bleus, qu'il n'est pas athlétique, qu'il est poilu comme un ours ou, pire encore, qu'il est chauve ! Sans aucune offense contre les chauves, c'est juste que ça fait quatre heures que je construis mon fantasme et mon fantasme n'est pas chauve. Je ne veux pas non plus affronter sa déception.

 Je lui propose un duel. S'il gagne je réponds à une question. Si il perd, on se quitte sur un baiser. Il ne répond pas tout de suite. J'attends avec appréhension. Si ça se trouve, je me suis fait des films et il est pas du tout intéressé... Putain d'imagination à la con !

 Il répond.

 Il accepte.

  Le duel est rapide, je ne fais clairement pas le poids. Ce mec est aussi bon en attaque qu'en défense ! Un peu vexée de terminer à l'état de cadavre, je lui demande ce qu'il veut savoir. Une seule chose, il me répond. Il veut savoir si je suis vraiment une fille. J'éclate de rire : oui bien sûr ! Mais lui alors ? Comme je n'ai pas gagné le duel, je ne peux pas savoir. Sur ce, il me souhaite bonne nuit et m'embrasse. Oui, je sais, un baiser virtuel. Mais l'un des meilleurs que j'ai reçus ! Je sens la tendresse et la douceur dans la manière dont il a écrit ces mots : je t'embrasse, si tu veux bien... Je sens le désir et la curiosité, ma gorge sèche alors que je passe furtivement ma langue sur mes lèvres. Ses lèvres à lui sont chaudes et légères et se posent à la commissure des miennes. Un frisson me parcourt l'échine. Je lui rend son baiser. J'essaie de ne pas me montrer trop impatiente mais j'ai le cœur en feu.

 02H14 : J'ai déco il y a une demi-heure. Meirane est aussi doué avec ses mains que je m'en doutais. Ses caresses et ses baisers étaient impitoyables. Comme lors de notre duel, je ne faisais pas le poids : j'étais entièrement à sa merci. Il y a quelque chose de magique quand on fait l'amour sans se voir, sans s'entendre ni se toucher. Toutes nos caresses sont écrites, décrites avec fluidité pour que l'intention soit comprise immédiatement mais sans vulgarité. Il faut lire les gestes de l'autre, les reproduire, répondre. Comprendre la ponctuation, l’interpréter : est ce que ces points de suspensions soulignent le plaisir, est-ce un soupir de contentement? A-t-il aimé cette main posée sur ses fesses ? Trop douce ? Pas assez ? Et ce point d'exclamation, est-il un point d'extase ? Un point, tout seul. Est-ce déjà fini ? Non !

 Tout un vocabulaire que nous devons découvrir pour créer le nôtre.

  Demain nous nous reverrons. Nous avons rendez-vous près du lac vers dixhuit heures pour un pic-nique. Je souris dans le noir de ma chambre : je le savais, les chamans sont tous un peu barrés, en vrai.

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