64. Le syndrome

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Des mois plus tôt, dans la volière de Mme Omoni.

Mme Omoni passa sa langue sur ses larges lèvres, comme pour les préparer à la suite.

— Mais il y a autre chose.

Hyuna eut du mal à cacher sa surprise et son inquiétude.

— Quoi ?

— Le médecin que j’engage est un homme très brillant, vraiment très brillant. Il a vu Jayu et a trouvé qu’il y avait quelque chose, quelque chose d’étrange. Il est comme ça, mon médecin. Un jour, je l’ai appelé pour une verrue, tu vois, et lui, il m’a soigné la verrue, normal, mais aussi il m’a trouvé un pied bot et m’a fait porter des semelles. Les semelles m’ont changé la vie, Hyuna. Ben, tu vois, avec Jayu, il a fait pareil, il a bien regardé. Et même qu’il a trouvé des choses qu’il trouvait pas normales. Il s’est dit qu’il fallait vérifier un truc… Du coup, il a fait envoyer le sang du petit dans un laboratoire qui fait des tests génétiques. Même avec des passe-droits, c’était un peu long, mais il a trouvé ceci.

Mme Omoni sortit de sa veste des feuilles vertes, agrafées. Hyuna les prit en observant les yeux de la vieille. La femme aux oiseaux n’était plus là, la femme d’affaires l’avait remplacée.

Sur le premier papier, des dosages par dizaines indiquaient des valeurs qui semblaient correspondre à des données biologiques : leucocytes, testostérone, anticorps, etc. Une colonne sur la droite renseignait sur les valeurs de référence. Hyuna comprit qu’il y avait en gras les valeurs qui sortaient des normes, mais elle n’avait pas le niveau pour comprendre ce que signifiaient concrètement tous ces mots savants. Puis, plus bas, le laboratoire avait effectué la polymérisation en chaine de séquences génétiques spécifiques, leur séquençage, pour conclure sur l’absence ou la présence de certains d’entre eux… leurs éventuelles mutations.

Rapidement, elle cessa de chercher à comprendre. Ça n’avait pas de sens qu’elle se torture le cerveau. Devant elle, Mme Omoni avait déjà toute l’explication et lui faisait perdre son temps.

— Dites-moi ce que ça signifie ! s’énerva Hyuna. Je ne suis pas médecin, je ne comprends rien. Vous comprenez vous ?

— Pas la première page ! Après… à la fin de la deuxième, il y a le bilan…

Hyuna rabattit la première feuille derrière les suivantes, dans un bruit de froissement agacé. Ses yeux sautèrent directement aux dernières lignes. La jeune femme fronça les sourcils en les lisant.

— Qu’est-ce que c’est ? C’est une maladie ? Ça fait quoi ?

— Je savais que tu connaitrais pas.

Hyuna se visualisa en train de faire bouffer son cher petit Podium à l’ajumma. Jouer aux devinettes à propos de la santé de Jayu ne l’amusait pas du tout. Et le pire, c’est qu’elle n’était pas énervée par le côté scandaleux de jouer avec un sujet aussi sérieux, mais plutôt de s’y trouver si mauvaise.

— Et ?

— Il y a une troisième page, tu ne vois pas ! J’savais que tu connaitrais pas. J’ai aussi imprimé ce que c’est que ce syndrome, regarde.

Hyuna tourna encore une page et survola les effets cliniques, les causes biologiques et les traitements possibles de ce syndrome et c’était tout simplement… dingue ; à la fois si éclairant, parce que cela expliquait des choses sur le passé, et déstabilisant, parce que ça ne disait pas quoi faire dans un proche avenir.

— Hyuna, caressa la voix de Mme Omoni, soudain mielleuse. Je pense que ce diagnostic est une chose qui devrait rester entre toi et moi, en tout cas temporairement. Pour travailler ici sereinement, ce sera plus simple si on ne fait pas de traitements. Gagnons un peu… de temps.

Les implications de cette nouvelle paraissaient importantes. Effectivement, ne rien dire arrangerait bien Mme Omoni. C’était bien elle qui disait qu’elle était une opportuniste. Voilà ce qu’elle voyait, elle, derrière ces lignes d’analyse et ces conclusions médicales : une opportunité. Normal qu’elle propose de ne rien dire au gosse… d’ailleurs :

— Pourquoi vous me l’avez dit ? Vous n’étiez pas obligée de m’en parler ! Pourquoi prendre ce risque ? Je pourrais tout aller lui répéter…

— Mais tu ne le feras pas. Hein ? Je me trompe ?

Hyuna ne nia pas.

— Je le savais, ricana la patronne du Taejogung hôtel. Moi, je savais que tu penserais comme moi. C’est mieux, si on gardait ça pour nous pendant un petit moment.

Hyuna eut du mal à ne pas afficher ouvertement son mépris à l’égard de la satisfaction excessive de Mme Omoni. Mentir à Jayu lui déplaisait, mais elle se souvint que certaines omissions se faisaient parfois, quand on aimait les gens. Alors pourquoi pas cette fois-ci ?

— Tout à fait, céda Hyuna. Gardons cela entre nous.

— Sage décision.

— Je le fais pour lui aussi. Je prends une décision pour son bien. Je lui dirai un jour. Je trouverai le bon moment, mais je le ferai.

Un marmonnement plein de sous-entendus fut la seule réponse de Mme Omoni à ses paroles. Quelle provocation ! Hyuna évita pourtant de riposter. À la place, elle rendit à la femme le dossier froissé.

— Ne laissez pas trainer ça.

— Ça ?

Un briquet de sous marque sortit de la poche de la vieille dame. Les feuilles se positionnèrent en offrande au-dessus de lui. Mme Omoni fit jouer plusieurs fois son doigt sur le mécanisme, chaque fois, une petite étincelle crépita, mais sans qu’aucune flamme ne se forme.

— Putain ! Pas de gaz. Pourquoi… à chaque fois que j’essaie de faire théâtral…

Elle claqua plusieurs fois encore, rageusement, le feu se refusait à elle. Alors, la repentie tata ses propres poches, à la recherche de son briquet. Il n’avait pas bougé de sa place. Sans même hésiter, elle le sortit. Mme Omoni eut de nouveau son sourire à l’envers et aida Hyuna en lui tendant les feuilles. La combustion commença sous l’impulsion des doigts de la jeune brune. Le feu dévora progressivement une vérité qui ressortirait un jour.

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