65. Sous la robe

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L’air entra dans les poumons du garçon et il entrouvrit ses lèvres, avec la volonté de répliquer quelque chose.

Il voulut demander à Mme Omoni de répéter, car il n’avait pas bien entendu, pas bien compris ; parce que sa phrase n’avait pas de sens.

« Hyuna savait aussi, depuis le début. »

Qu’est-ce que savait Hyuna ? De quoi parlait Mme Omoni ? Le début de quoi ?

« Hyuna savait aussi, depuis le début. »

Non… Tout était très clair, en réalité. Il n’avait pas besoin de lui demander de répéter. À présent, il voulait plutôt lui hurler dessus. Il allait lui crier qu’elle mentait. Ce n’était qu’une sale menteuse, depuis toujours ! Il ne croirait jamais plus le moindre mot sortant de sa bouche de vipère !

Hyuna ne pouvait pas être au courant, parce qu’elle ne lui aurait jamais caché ça. Elle ne lui aurait jamais fait ça. Sa noona avait toujours été là pour lui, n’avait jamais voulu que son bien. Elle l’avait toujours consolé quand il allait mal. Elle l’avait toujours assisté quand il en avait besoin. Elle lui avait donné de l’affection et de la tendresse. Elle ne pouvait pas lui avoir caché ça. Elle l’aimait trop pour lui avoir fait une chose pareille.

Puis, il se demanda comment ? Comment Hyuna avait-elle su ? Est-ce que c’était Mme Omoni qui lui en avait parlé ? Est-ce qu’au moins, Hyuna avait hésité ? Avait-il fallu la convaincre ?

Il voulut accuser Mme Omoni. Si Hyuna l’avait trahi, tout serait sa faute à elle. C’était elle qui avait manipulé sa Hyuna. Elle avait dû lui faire du chantage, lui dire que si elle lui parlait de ça, alors, ils seraient expulsés de l’hôtel tous les deux. À l’époque, ils n’avaient pas le choix. Hyuna avait été forcée, puis elle n’avait pas su revenir en arrière. Ce n’était pas sa faute, Hyuna n’avait jamais voulu lui faire du tort. Oui, il pouvait accuser l’ajumma.

À moins qu’il ne hurle de rage. Comment avait-elle pu lui faire ça ? C’est cela qu’il voulait savoir : comment la femme à laquelle il avait tout donné, tout, avait pu faire ce choix impardonnable, inexcusable ? Comment avait-elle pu le trahir, lui qui lui aurait donné sa vie ?

Il voulut hurler sa détresse. Pousser un cri sans mot, sans sens, mais puissant. Juste pousser un cri, dans lequel il aurait mis toutes ses forces, jusqu’à ce qu’il soit vidé, mourant. Tomber à terre, comme un homme qui a pleuré toutes les larmes de son corps, et qui s’évanouit dans l’inconscience d’un sommeil sans rêve.

Mais aucun de ces hurlements ne vint franchir ses lèvres entrouvertes. Il ne fit rien, tandis que Mme Omoni s’éloignait en l’abandonnant au clan Jusawi. Totalement tétanisé, le souffle coupé, il se laissa guider comme un pantin dans les profondeurs du casino.

Comme l’avait indiqué Jongchul, les chambres privées de l’établissement étaient souterraines. Les néons des corridors repeignaient les murs en rose et en vert, dans une ambiance de discothèque silencieuse. Devant eux, Baehyun ouvrait la marche. Dans son dos, la main de celui qu’on avait nommé Kang pétrissait la masse charnue des fesses du ladyboy, devenu apathique, tenta de s’immiscer sous sa minijupe, déjà extrêmement courte, et de la remonter. Les doigts cherchèrent la culotte.

Ce fut seulement là que Jayu réagit. Il jeta un regard mauvais par-dessus son épaule.

— Arrêtez !

— Quoi, ça t’excite ?

— Ne me touchez pas !

— Kang ! Tu l’as touchée ! brailla Baehyun.

— Juste un petit peu.

— Bordel ! Ce n’est pas une pute comme les autres. T’as pas saisi que je suis sur un gros coup. Si cette fille se plaint à sa patronne, on peut dire adieu à notre arrangement.

— Bae, c’est une pute ! Je peux quand même la tripoter. On a toujours partagé les…

— Mais ta gueule ! Des fois, j’ai vraiment l’impression que tu saisis pas qu’on est plus des petits voyous des rues. On n’est plus des vauriens, on vaut mieux que ça ! Alors, tu me la fouilles proprement, mais sans mains baladeuses.

L’homme allait ajouter quelque chose, alors son patron le coupa.

— … Et il est hors de question qu’on partage !

L’homme de main baissa la tête en signe de soumission. Il s’approcha de Jayu, lui fit lever les bras pour le fouiller. Ses mains glissèrent au-dessus de la fibre de sa robe. Il palpa attentivement sa poitrine, sentit le soutien-gorge épaissit. Impossible de ne pas trouver que ses mains étaient baladeuses.

— C’est OK.

— Tu peux entrer, ma petite.

Baehyun poussa presque Jayu à l’intérieur de la chambre. Le claquement de la porte agit sur lui tel un électrochoc. On y était ! La phase ultime allait pouvoir commencer. Et pendant un instant, cette réalité parvint à lui faire oublier les révélations récentes de Mme Omoni.

Il parcourut des yeux la pièce où devait se jouer le dernier acte de leur plan, avec toute l’appréhension de celui qui joue sa vie sur un unique détail. Sa gorge se noua en cherchant des yeux l’ouverture du passage secret promis par Jongchul. Et s’il avait menti ? Et s’il n’y avait pas de passage secret ? Une autre possibilité l’inquiéta soudain : et si Baehyun avait plusieurs chambres dans ce casino pour recevoir des filles ? S’il choisissait pour une raison x ou y d’emmener Jayu ailleurs et pas dans la chambre possédant le fameux passage secret, à supposer qu’il existe réellement ?

C’est avec toutes ces interrogations à l’esprit que Jayu inspecta la chambre.

La pièce ressemblait à son propriétaire, dominée par la brutalité du rouge et du noir ; oppressante à cause de son absence de fenêtre ; racoleuse par son mobilier noble ; et obscène avec ses draps noirs, tirés sur le lit, en face du grand miroir vissé au plafond.

L’adolescent sentit l’air lui gratter le fond de la gorge, comme lorsqu’on fumait près de lui, dans un espace fermé, à plus forte raison de la marijuana.

Il trouva ce qu’il cherchait, à savoir une cheminée à l’âtre clôt par deux panneaux de fer. Il lui fallut plisser les yeux pour tenter de distinguer le loquet. Ce n’était pas évident, car il faisait très sombre. Les ampoules teintées diffusaient un vermeil tamisé et lugubre, participant davantage à assombrir l’ambiance plutôt que l’inverse. Même les nombreux miroirs ne parvenaient pas à ramener un peu de lumière, ils ne réfléchissaient que de l’ombre.

Malgré tout, Jayu distingua le loquet salvateur, son soulagement s’accompagna d’une montée d’adrénaline. Plus il approchait du but, plus il se sentait tiraillé entre nervosité et impatience. Jayu avança vers une étagère pour y faire mine de s’intéresser à la collection d’albums qui s’y trouvait. Il tira au hasard une pochette jaune et noire qu’il fit semblant de déchiffrer. Ostensiblement, il tournait le dos à son hôte.

— Je suis désolé, énonçait ce dernier. Il vient de la rue, comme moi. Il est, comment dire ? C’est pas un mec de grande classe, mais il bosse bien.

Jayu ne prit même pas la peine de s’intéresser à ce qu’on lui racontait, affichant son indifférence. Il sortit le cédérom de sa pochette et le glissa dans la chaine hifi.

— Non, en fait, poursuivit Baehyun. Il bosse pas très très bien, mais comme lui et moi, on a fait nos premiers coups ensemble… Ce mec est pas une lumière, mais au moins, je sais que je peux lui faire totalement confiance. C’est important, ça, la confiance. N’est-ce pas ?

— Oui, dit-il, sans doute un peu faiblement.

Il n’avait pas envie de parler de confiance avec Lee Baehyun, encore moins en ce moment.

Il feignit d’écouter le morceau de hip-hop. De la vraie musique de voyou, un beat très rythmé, percussif. Un gros son. Jayu n’eut pas à se forcer pour hocher la tête et remuer les hanches, ce qui n’était pas pour déplaire à Baehyun. L’homme se pressa dans son dos. Il commença à promener son doigt sur son épaule. Sous la robe, son corps bandé, blessé. L’adolescent tourna lascivement la tête, les yeux mi-clos, il déposa une oreille contre le torse de Baehyun. Le cœur de l’homme battait dans sa poitrine, mais, dans son cas, ce n’était pas du stress. Déjà. Il Jayu devina une vive excitation. L’homme avait menti, il aimait bien le genre « petite fille sans défense ».

Les mains du président du Jusawi glissèrent de son épaule à sa nuque, tandis que la voix grave du rappeur crachait des paroles vulgaires. Baehyun l’attrapa par le col, approcha vivement sa tête de la sienne et leurs bouches s’entrechoquèrent dans un bruit mat. Les lèvres molles s’appuyèrent fermement sur les siennes. L’une des mains contraignait sa tête, la seconde s’imprima sur sa poitrine, malaxant le coton de son soutif. Jayu se tortillait, gardant les lèvres scellées, mais plaquant ses mains sur les joues rugueuses.

Baehyun se sépara de lui. Un filet de bave coulait sur son menton. Ses yeux brillaient et il mordit sa lèvre inférieure, la respiration erratique. Il attrapa Jayu par le bras, l’entraina vers le lit et le jeta dans les draps, sur le ventre. L’homme s’assit à califourchon sur lui et Jayu se sentit pris au piège.

Il n’avait pas eu le temps d’ouvrir le passage. Si Baehyun découvrait le haut de son corps entièrement momifié, il risquait de l’éconduire. Et pour le bas, ce n’était guère mieux.

Baehyun remontait la robe serrée de Jayu et joua avec l’élastique de sa culotte en dentelle. Ensuite, il baisa sans tendresse ses fesses au travers du tissu. Il se lassa rapidement et s’employa donc à poursuivre le déshabillage. Il tira sur la culotte et l’arracha à son propriétaire, comme on dépècerait un gibier, d’un coup sec. Le vêtement craqua. Jayu laissa échapper un cri bref, qui se voulait mi-effrayé mi-amusé. Puis, il se recroquevilla, recouvrit son sexe en tirant sur sa robe et se retourna sur le dos, tentant de se remettre en position assise.

Baehyun se jeta sur lui, l’écrasa à moitié, avec son corps lourd. L’homme était brutal. Il le dominait totalement et cela l’inquiétait de plus en plus.

— J’ai envie de vous, dit Jayu, malgré une diction devenue peu commode par les baisers appuyés.

— Tais-toi !

— Laissez-moi vous toucher.

— Tais-toi !

Il lui attrapa les poignets, les positionna contre le lit, au-dessus de sa tête. Puis, il bougea ses hanches contre l’entre jambe Jayu, si peu camouflée par la robe sombre. Pourtant, Baehyun ne semblait pas avoir encore remarqué qu’il se frottait contre un sexe d’homme, mais cela n’allait pas tarder.

Il fondit de nouveau sur ses lèvres et cette fois, Jayu ouvrit les siennes et les langues s’entremêlèrent chaudement. Sans cesser de l’embrasser, Baehyun lâcha enfin prise sur ses poignets, dans le but d’aller faire un tour du côté de ses cuisses. Lorsque la main de l’homme s’immisça entre celles-ci, Jayu frissonna et serra de toutes ses forces. Il fallait faire quelque chose. Le gangster allait finir par toucher ou voir. Le garçon sentait la langue de Baehyun tourner dans sa propre bouche. Il prit la décision de rétracter soudain la sienne et de serrer ses mâchoires de toutes ses forces.

La langue de Baehyun fut tranchée net. L’homme poussa sur ses bras pour reculer, comme quelqu’un qui vient d’être brulé et qui fuit les flammes. Il tomba du lit, plaqua les mains sur son visage en sang, en gémissant. Jayu sauta à son tour hors du lit. Le goût métallique du sang dans la bouche. Il y en avait sur ses lèvres et sur son menton. Il se dirigea aussi vite qu’il le put vers la cheminée et ouvrit le loquet.

Jayu ne quitta pas Baehyun des yeux, ce dernier était recroquevillé sur le sol, le visage cramoisi, fermé par la douleur, les paupières closes dans une affreuse grimace. Sa bouche devait rester fermée pour éviter les effusions de sang, si bien qu’il ne criait pas. Il gémissait en se tordant de douleur.

L’homme leva les yeux vers celui qui lui avait tranché la langue. Il le fixa avec colère. Il jura :

— Cha-lope !

Du sang jaillit de sa bouche et éclaboussa son col de chemise. Parler avait dû lui faire du mal, car il plaqua de nouveau ses mains sur son visage en grimaçant.

— Je ne suis pas une jeune femme sans défense, asséna Jayu.

Baehyun le foudroya du regard. Il mit de côté la douleur pour répliquer.

— Ch’es morte !

— Je ne suis même pas une femme.

Il remonta pour de bon sa robe, dévoila ses jambes et son bassin. Le blessé fixa ses parties génitales avec un regard torve. Le pénis attirait toute son attention, il ne vit même pas la silhouette rampante, à la longue chevelure noire, apparaitre dans l’âtre de la cheminée.

— Je suis un homme, clama Jayu. C’est ce que je suis vraiment : un homme.

Il arracha sa perruque d’un geste, sans se soucier de la douleur que ça infligeait à son cuir chevelu, puis il la jeta sur Baehyun, qui eut le réflexe de la saisir en vol avec sa main libre. Là seulement il remarqua la jeune femme qui se redressait au côté du jeune fou. Elle avait une arme à la main, s’avançait dans sa direction à grande enjambée, ce qui le fit réagir. Il ouvrit grand sa bouche pour appeler à l’aide.

Son cri fut stoppé net. La crosse venait de s’écraser sur son crâne.

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